La borne des 100 premiers jours sert de baromètre pour évaluer l’alignement entre les promesses initiales et les réalités sur le terrain. Pour la Commission von der Leyen II, marquer ses 100 premiers jours, par une conférence de presse organisée sans urgente raison le week-end, n’est pas seulement une étape symbolique, mais un moment pour évaluer le pivot stratégique en matière de communication. La comparaison entre le plan initial après le scrutin européen et le discours des 100 jours met en évidence un changement dans les priorités politiques, les messages clés et la feuille de route globale…
Alors : juillet 2024 – « Le choix de l’Europe » – une vision d’ambition équilibrée
Les « orientations politiques » d’Ursula von der Leyen, présentées à Strasbourg en juillet 2024, offraient une vision globale construite sur 4 piliers fondamentaux :
- Prospérité et compétitivité durable : C’était la pierre angulaire, soulignant la nécessité d’un nouveau plan pour la prospérité européenne, axé sur l’approfondissement du marché unique, un pacte pour une industrie propre, la recherche et l’innovation, la productivité numérique, l’investissement durable et le développement des compétences. Le message portait sur le renforcement du moteur économique de l’Europe dans un paysage mondial en mutation, en mettant l’accent sur l’économie sociale de marché et une transition juste.
- Une nouvelle ère pour la défense et la sécurité européennes : Bien que la sécurité ait été reconnue, l’accent était mis sur la construction d’une « véritable Union européenne de la défense » grâce à des capacités renforcées, au renforcement de la base industrielle et à la préparation aux crises. Le ton était proactif mais pas encore dominé par une perception de menace immédiate.
- Soutenir les citoyens et renforcer les sociétés et le modèle social : Ce pilier mettait en lumière l’équité sociale, en se concentrant sur le socle européen des droits sociaux, en abordant la crise du logement, l’équité intergénérationnelle et l’égalité. Le message portait sur l’inclusion, la cohésion sociale et la préservation du mode de vie européen.
- L’Europe dans le monde : tirer parti des partenariats : Ce pilier se concentrait sur le multilatéralisme, l’élargissement comme impératif géopolitique, une approche stratégique des pays voisins (en particulier la Méditerranée) et une nouvelle politique économique étrangère axée sur la sécurité économique, le commerce et les partenariats d’investissement. Le message portait sur une Europe confiante et affirmée sur la scène mondiale, plaidant pour un ordre international fondé sur des règles.
Les messages clés en juillet 2024 pouvaient se résumer à :
- Choix et unité : L’Europe est confrontée à un choix clair : l’unité ou la fragmentation. Le message était de choisir la voie de l’Union pour relever les défis mondiaux.
- Résilience et souveraineté : L’accent était mis sur la réduction des dépendances et l’action souveraine dans un monde turbulent.
- Durabilité et transition numérique : L’engagement envers le Pacte Vert et la transformation numérique comme moteurs de prospérité et de compétitivité.
- Équité sociale et égalité : Défendre le modèle social européen et assurer l’égalité pour tous.
- Partenariat et multilatéralisme : Renforcer les alliances et réformer l’ordre mondial.
Maintenant : « Réarmer l’Europe » – une urgence de défense et de sécurité
Dans le discours de presse des 100 jours, le changement est palpable. Les 3 piliers de la prospérité, de la sécurité et de la démocratie sont réitérés comme principes directeurs, le ton et l’accent ont radicalement changé. Le monde décrit n’est plus celui d’un changement gérable, mais celui d’une « vitesse fulgurante », de « bouleversements géopolitiques ébranlant les alliances », de « certitudes qui s’effondrent » et d’une « guerre brutale qui fait rage à nos frontières ».
Priorités politiques actuelles :
- Domination de la défense et de la sécurité : La sécurité est passée d’un pilier parmi quatre à la priorité absolue. La nomination d’un Commissaire à la défense, le paquet REARM Europe et l’accent mis sur une Union européenne de la défense ne sont pas seulement des initiatives, mais des nécessités existentielles. Le langage est cru : « nouvelle ère de concurrence géostratégique âpre », « la souveraineté et les engagements inébranlables sont remis en question », « tout est devenu transactionnel ».
- Sécurité économique en tant que sécurité collective : La prospérité est désormais inextricablement liée à la sécurité. La force économique est présentée comme les « deux faces d’une même pièce ». L’accent est mis sur la construction d' »économies fortes » grâce à des partenariats de confiance pour éviter les « sur-dépendances, les vulnérabilités et le chantage ». La compétitivité est présentée comme essentielle à la sécurité collective.
- Urgence et préparation : L’état d’esprit dominant est celui de l' »urgence » et de la « préparation ». L’appel à « passer à un état d’esprit de préparation » et la convocation du tout premier Collège de la sécurité soulignent ce changement. L’accent est mis sur la rapidité, l’ampleur et la détermination pour faire face aux « crises d’aujourd’hui ».
- Migration en tant que question de sécurité : Bien que la migration ait toujours été un défi, elle est désormais explicitement encadrée dans le contexte de la sécurité. L’accent mis sur les « retours », l' »ordre européen de retour » et des mesures plus strictes pour les risques de sécurité met en évidence la sécurisation de la politique migratoire.
Les nouveaux messages clés actuels sont :
- Crise et urgence : Le message primordial est celui de la crise et de l’urgence. Le monde est dangereux et l’Europe doit agir de manière décisive et rapide.
- REARM Europe et Union de la défense : Le message central est la nécessité de réarmer l’Europe et de construire une Union européenne de la défense comme fondement de la sécurité et de la prospérité.
- Ouverture et stabilité dans un monde transactionnel : L’Europe restera « ouverte » et défendra le « partenariat et le dialogue », offrant « stabilité et prévisibilité » dans un monde d’incertitude et de gains à court terme.
- Force économique en tant que sécurité : La compétitivité économique est vitale pour la sécurité, et les investissements dans la défense stimuleront le marché unique.
- Affirmation et détermination : La Commission est « prête à faire face aux crises d’aujourd’hui » avec « rapidité, ampleur et détermination ».
La feuille de route de la Commission européenneest plus axée sur l’action et motivée par les crises. Bien que les objectifs à long terme demeurent, l’accent immédiat est mis sur :
- Mise en œuvre de REARM Europe : Faire avancer le paquet défense « avec toute la force nécessaire ».
- Collège de la Sécurité : Établir un mécanisme de mises à jour régulières sur la sécurité et d’évaluation des menaces.
- Proposition légale sur les retours de migrants : Adopter une proposition sur les retours comme élément clé du pacte sur la migration et l’asile.
- Nouveaux paquets ommnibus : Simplifier davantage les règles et réduire les formalités administratives, y compris dans le secteur de la défense.
- Union européenne de l’épargne et de l’investissement : Lancer cette initiative pour mobiliser des capitaux pour les investissements.
- Dialogues sectoriels : Poursuivre les dialogues avec les industries clés (agriculture, automobile, acier) avec un sentiment d’urgence renouvelé.
Perspectives et implications en termes de communication stratégique :
Voici les principales perspectives de changement :
- De la vision à la réaction : Les orientations initiales présentaient une vision proactive pour l’avenir de l’Europe. Le discours des 100 jours est plus réactif, motivé par les crises immédiates et les menaces extérieures. La communication est passée de la présentation d’un plan à long terme à la mise en évidence d’une action urgente dans un environnement volatile.
- Sécurisation de la politique : La sécurité est devenue le prisme dominant à travers lequel toutes les politiques sont envisagées. De la compétitivité économique à la migration, le récit est de plus en plus encadré par des préoccupations de sécurité. Cela nécessite une stratégie de communication qui équilibre les impératifs de sécurité avec l’engagement de l’UE en faveur de l’ouverture, des valeurs et des droits fondamentaux.
- Accent sur la puissance militaire (« Hard Power ») : L’accent mis sur REARM Europe et une Union européenne de la défense signale un changement significatif vers la mise en avant des capacités de puissance militaire. La communication stratégique doit désormais transmettre efficacement ce changement tout en rassurant les citoyens et les partenaires qu’il s’agit d’une mesure nécessaire pour la paix et la stabilité, et non d’une militarisation belliciste.
- L’urgence comme outil de communication : L’insistance constante sur l' »urgence » est un outil de communication pour mobiliser l’action et recueillir le soutien. Cependant, elle comporte également le risque de créer de l’anxiété et potentiellement d’éroder la confiance si elle n’est pas gérée avec précaution. La communication doit équilibrer le message d’urgence avec un message de réassurance et une voie claire à suivre.
- Partenariats redéfinis par la confiance : Les partenariats ne concernent plus seulement la coopération économique ou politique, mais sont de plus en plus définis par la « confiance ». Cela nécessite une stratégie de communication qui mette l’accent sur les valeurs partagées, la fiabilité et l’engagement à long terme dans la construction d’alliances.
- Cohésion interne comme impératif de sécurité : L’appel à l’unité et à la cohésion sociale n’est pas seulement un objectif de politique sociale, mais un impératif de sécurité. Les divisions au sein des sociétés sont considérées comme des vulnérabilités qui peuvent être exploitées par des acteurs extérieurs. La communication doit renforcer le message d’unité et de solidarité européennes comme essentiels à la sécurité collective.
- Nécessité d’un message clair et cohérent : Dans un environnement motivé par les crises, un message clair, cohérent et facilement compréhensible est primordial. La complexité des politiques de l’UE doit être traduite en récits accessibles qui trouvent un écho auprès des citoyens et des parties prenantes, en renforçant la confiance et la compréhension face à l’incertitude.
Les 100 premiers jours de la Commission von der Leyen marquent une transition d’une feuille de route pré-planifiée, le « blueprint » à un mode de réponse aux crises, le « battlefield ». Le défi de la communication stratégique consiste désormais à articuler efficacement ce changement, en équilibrant le besoin urgent de sécurité et de défense avec les valeurs fondamentales de l’UE.
Le récit européen doit transmettre la détermination tout en demeurant un « choix de l’Europe » le contexte nous pousse à nous réarmer, passant d’une décision stratégique à un impératif immédiat de survie et de résilience. La stratégie de communication de l’UE doit désormais refléter cette nouvelle réalité.