Après le galop d’essai un peu timide de 2009 et son « It’s Your Choice! », le Parlement européen a compris une chose : pour faire vibrer la corde citoyenne, il faut plus qu’un slogan unique et des affiches bien traduites. Il faut du cœur, de l’émotion, du récit. Nous voici donc en 2014. L’ambiance a changé. La crise financière est passée par là, laissant derrière elle un goût amer de « crise, colère et frustration », pour reprendre les termes mêmes qui infusaient la réflexion stratégique de l’époque. Mais paradoxalement, le Parlement sort renforcé, avec de nouveaux pouvoirs et, surtout, une innovation politique majeure : le processus des Spitzenkandidaten. Pour la première fois, le vote des citoyens allait directement influencer le choix du Président de la Commission européenne. Le moment idéal pour tenter une nouvelle approche…
« Cette fois, c’est différent ! » : promesse électorale ou vœu pieux ?
Le contexte est donc double : une méfiance ambiante envers les institutions et une opportunité politique inédite. La campagne de 2014 va jouer sur ces deux tableaux. Son leitmotiv officieux, martelé dans les communications ? « This time it’s different ». Un message clair : votre vote n’est plus symbolique, il est décisif pour le leadership européen. Les objectifs sont ambitieux :
- Faire connaître les nouveaux pouvoirs du Parlement européen : Expliquer l’enjeu des Spitzenkandidaten et montrer que l’institution n’est plus une simple chambre d’enregistrement.
- Remotiver les troupes (et les autres) : S’adresser à un électorat large, mais avec un focus particulier sur les sceptiques et les jeunes désillusionnés par la crise, ceux qui pensent que « Bruxelles, c’est loin ». Il faut les convaincre que, justement, cette fois, ça les concerne directement.
« Act. React. Impact. » : l’Europe fait son cinéma
Pour porter ce message, changement de style. Fini l’approche purement informationnelle, place à l’émotion et à la connexion avec le réel. Le slogan officiel, décliné sur les supports visuels, est « Act. React. Impact. ». L’idée ? Montrer que le citoyen peut agir par son vote, réagir aux événements (la crise, par exemple) et impacter la direction que prend l’Europe. Une signature complexe à décrypter malgré tout.
La stratégie se professionnalise nettement :
- Un narratif ancré dans le réel : On abandonne les représentations idéalisées ou « glossy » pour parler des vraies préoccupations, des difficultés, montrant un Parlement connecté aux réalités vécues. L’Europe n’est pas qu’une affaire de traités, c’est une affaire de vies.
- Une production visuelle ambitieuse : Le Parlement s’offre les services de l’agence de publicité Ogilvy. Le résultat ? Des vidéos de haute qualité, dont un trailer au style cinématographique mettant en scène des moments de vie contrastés, diffusé dans les 24 langues officielles. On cherche à créer un choc visuel et émotionnel.
- Premiers pas sérieux sur le digital : La campagne investit davantage les réseaux sociaux (Facebook et Twitter avec des hashtags dédiés) pour engager la conversation.
- Ciblage des primo-votants : Un film et des actions de sensibilisation spécifiques sont dédiés aux jeunes électeurs, considérés, à juste titre, comme un public clé pour l’avenir.
- Budget et Déploiement : Le budget alloué est d’environ 16 millions d’euros, soit légèrement moins qu’en 2009, représentant environ 0,03 € par citoyen. La coordination reste centrale, mais avec une tentative de localisation via des partenariats médias nationaux.

Les Spitzenkandidaten : la révolution silencieuse au cœur de la campagne
Introduit pour la première fois lors de ces élections de 2014, le processus des Spitzenkandidaten, les candidats têtes de liste représentait une petite révolution institutionnelle. L’idée était simple mais puissante : chaque grande famille politique européenne désignait avant les élections son candidat pour la présidence de la Commission européenne. Le parti arrivant en tête lors du scrutin européen aurait alors une légitimité démocratique pour que son candidat soit proposé par le Conseil européen et élu par le Parlement.
Ce mécanisme transformait fondamentalement la nature de l’élection : on ne votait plus seulement pour élire ses députés européens, mais aussi, indirectement, pour choisir le chef de l’exécutif européen. C’était l’argument massue pour justifier le « This time it’s different ». La campagne de communication du Parlement s’est donc largement appuyée sur cet élément, s’efforçant d’expliquer ce concept nouveau et de souligner l’impact direct du vote citoyen sur le choix du leader européen. Cela a notamment donné lieu aux premiers débats télévisés entre ces Spitzenkandidaten, ajoutant une dimension présidentielle inédite à la campagne européenne et contribuant à politiser davantage l’enjeu du scrutin.

Le verdict des urnes : la grande désillusion (et les nouvelles leçons apprises)
Malgré cette montée en gamme stratégique et créative, le résultat est une douche froide. La participation atteint un nouveau plancher historique : 42,54%. L’électrochoc émotionnel n’a pas eu lieu.
Que s’est-il passé ?
- La communication ne peut pas tout : L’apathie structurelle, le manque d’incarnation politique transnationale, la complexité perçue de l’UE sont des obstacles que même la meilleure campagne peine à surmonter seule.
- Le défi persistant du multilinguisme créatif : Créer un message émotionnel fort qui résonne de la même manière dans 24 langues et cultures reste un exercice périlleux. Le risque de la « médiocrité née du compromis » plane toujours, même si l’effort pour parler d’une seule voix est reconnu.
- Un succès d’estime, quand même : Tout n’est pas noir. Le concept des Spitzenkandidaten gagne en notoriété publique. La campagne est remarquée pour son audace et sa volonté de sortir des sentiers battus. Les débats entre candidats têtes de liste, une première, marquent les esprits.
Surtout, 2014 est riche en enseignements pour le Parlement européen. La principale leçon, retenue en interne ? Il faut commencer encore plus tôt et trouver des moyens encore plus engageants pour mobiliser les citoyens. L’approche, bien que plus professionnelle, restait encore trop « descendante ». On avait montré de belles vidéos, mais avait-on vraiment impliqué les gens ?
La campagne de 2014, avec ses ambitions et ses résultats décevants, a paradoxalement préparé le terrain pour 2019. Elle a familiarisé le public avec l’idée que les élections européennes avaient un enjeu de pouvoir réel. Elle a montré les limites d’une communication centralisée, même créative. Elle a surtout créé un électrochoc… en interne, renforçant la conviction qu’il fallait oser une approche radicalement différente pour la prochaine échéance. Une approche qui mettrait le citoyen non plus seulement comme spectateur, mais comme acteur principal.
Et c’est précisément ce « big bang citoyen » de 2019 que nous explorerons dans notre prochain article. Préparez-vous, ça va secouer !