Archives de catégorie : Communication de l’UE

Billets sur la communication des institutions européennes

L’UE, continent d’une IA responsable et compétitive, un impératif stratégique et de communication européenne


L’intelligence artificielle n’est plus une simple promesse technologique ; elle est le nouveau terrain sur lequel se dessine l’avenir de notre compétitivité mondiale, de notre modèle social et de notre souveraineté. Face à cette révolution, l’Union européenne, fidèle à son héritage humaniste et forte de son ambition de leadership, ne se contente pas de suivre : elle aspire à devenir le « Continent de l’IA ». Un espace unique où innovation, éthique et prospérité se renforcent mutuellement. Le plan d’action de la Commission européenne trace une feuille de route audacieuse. Cependant, la réalisation de cette vision transcendante dépendra de manière cruciale, non seulement de nos investissements technologiques et réglementaires, mais aussi, et peut-être surtout, de notre capacité à communiquer stratégiquement cette ambition.

Les piliers du plan d’action « Continent de l’IA »

Pour que l’Europe devienne ce continent de l’IA, le plan d’action identifie où les efforts doivent s’accélérer et s’intensifier :

1. L’infrastructure publique de calcul : consolider le réseau des « AI factories » – des écosystèmes offrant une capacité de calcul accrue et des services associés – et établir des « gigafactories » intégrant une puissance de calcul massive pour relever des défis ambitieux dans des domaines tels que santé, biotechnologie et robotique.

2. Un accès accru à des données de haute qualité : une « Union des données » avec des « data labs » intégrés aux AI factories, pour permettre la fourniture, la mutualisation et le partage sécurisé de données de qualité.

3. Stimuler le développement d’algorithmes d’IA et encourager leur adoption pour dynamiser les nouvelles utilisations industrielles et scientifiques et améliorer les services publics, soutenues par des programmes de financement européens.

4. Une base solide de talents en IA à renforcer, y compris la culture de base en IA et la diversité, en comblant les lacunes, en développant l’excellence dans l’éducation, la formation et la recherche en IA et en faisant de l’UE une destination attractive aux talents mondiaux.

5. Faciliter la conformité à l’AI Act dans le marché unique de l’UE : empêcher la fragmentation du marché et renforcer la confiance et la sécurité dans l’utilisation des technologies d’IA, conformément aux priorités politiques du « Competitiveness Compass ».

Le projet « Continent de l’IA » : plus qu’une technologie, une vision de société

Avant d’être une affaire d’infrastructures de calcul, de données massives ou d’algorithmes sophistiqués, le projet « Continent de l’IA » est l’incarnation d’une vision politique et sociétale forte. Il s’agit de façonner une IA « made in Europe » – une IA qui soit intrinsèquement fiable, résolument centrée sur l’humain et profondément respectueuse de nos valeurs fondamentales : démocratie, État de droit, droits fondamentaux, diversité culturelle.

Notre récit européen doit donc dépasser la simple énumération des piliers technologiques (infrastructures de calcul via les « AI factories » et « gigafactories », accès aux données de qualité via l' »Union des données », soutien aux algorithmes et aux talents, conformité à l’AI Act). Il doit raconter l’histoire d’une Europe qui :

  1. Investit avec audace dans les fondations de l’avenir (calcul, données, talents) pour devenir un moteur d’innovation IA souverain.
  2. Cultive un écosystème dynamique et inclusif, où startups, PME, grands groupes industriels et centres de recherche collaborent et prospèrent grâce à un accès facilité aux ressources et à un marché unique fort.
  3. Place le citoyen au cœur de la démarche, en le protégeant des risques potentiels grâce à un cadre réglementaire clair (AI Act) tout en libérant le potentiel bénéfique de l’IA dans tous les aspects de la vie.
  4. Propose au monde un modèle alternatif et attractif, loin des approches purement utilitaristes ou de surveillance, en démontrant qu’excellence technologique et éthique peuvent aller de pair.

Une communication stratégique sur le modèle de l’IA à l’européenne

La réussite de cette ambition colossale, dans un contexte de compétition mondiale intense et de scepticisme public potentiel, reposera indissociablement sur notre capacité à déployer une communication stratégique à la hauteur de nos objectifs. Il ne s’agit pas d’une simple fonction support, mais d’un levier stratégique essentiel. 

Cette communication devra s’articuler autour de plusieurs axes majeurs :

  1. Inspiration et mise en récit : Nous devons construire et diffuser un narratif puissant et positif autour du « Continent de l’IA ». Il faut aller au-delà des aspects techniques pour raconter les histoires de succès, valoriser les pionniers européens (chercheurs, entrepreneurs, PME innovantes), et projeter une vision tangible d’un futur où l’IA améliore concrètement la vie des citoyens, crée des emplois de qualité et aide à résoudre les grands défis sociétaux (santé, climat, etc.). Il faut incarner l’Europe pionnière, créative et responsable.
  2. Clarté, pédagogie et pertinence : L’IA reste un domaine complexe et souvent anxiogène. Notre communication doit s’attacher à traduire la complexité en messages clairs, accessibles et pertinents pour chaque public. Il est crucial d’expliquer les enjeux, de démystifier les concepts, et surtout d’illustrer les bénéfices concrets de l’IA européenne pour la vie quotidienne, l’emploi, la compétitivité de nos entreprises, la qualité de nos services publics.
  3. Engagement et dialogue participatif : La construction du « Continent de l’IA » ne peut se faire sans l’adhésion et la participation active de toutes les parties prenantes. La communication doit donc créer des espaces de dialogue et dépasser une approche descendante. Consultations élargies, événements interactifs, plateformes d’échange en ligne, co-création de contenus avec les citoyens, les entreprises, le monde académique et la société civile sont essentiels pour bâtir une confiance durable et co-construire le récit.
  4. Différenciation et positionnement mondial : Face aux modèles américain et chinois, l’Europe doit affirmer sa singularité et la valeur ajoutée de son approche. Notre communication doit marteler les éléments différenciants : l’ancrage éthique fort, le respect des droits fondamentaux, la robustesse du marché unique, la qualité de la recherche et de la formation, l’accent mis sur une IA fiable et explicable. Il s’agit de construire et de promouvoir activement la marque « IA made in Europe » comme un gage de confiance et de qualité.
  5. Coordination et cohérence paneuropéenne : Pour maximiser l’impact, la communication doit être orchestrée de manière cohérente à travers tous les niveaux – européen, national, régional et local. Une plateforme de messages clés partagés, des campagnes coordonnées, et des mécanismes d’adaptation aux contextes locaux permettront d’assurer une résonance maximale et d’éviter la fragmentation des discours.

Transformer cette ambition en réalité tangible et positivement perçue exige plus que des investissements technologiques et des cadres réglementaires. Cela demande une communication stratégique audacieuse, créative, et persévérante.

Il est temps de reconnaître que l’investissement dans la communication n’est pas un poids mort, mais un investissement stratégique fondamental, au même titre que l’investissement dans les infrastructures ou la recherche. C’est par une communication efficace que nous parviendrons à :

  • Traduire la vision politique et la complexité technique en récits inspirants et mobilisateurs.
  • Fédérer l’opinion publique, les acteurs économiques et sociaux autour de ce projet transformateur.
  • Promouvoir activement et défendre le modèle européen d’une IA responsable et compétitive sur la scène mondiale.
  • Construire et consolider une marque « Continent de l’IA » forte, positive et reconnue internationalement.

En fin de compte, c’est la perception, l’appropriation et l’adhésion de tous – citoyens, entreprises, chercheurs, décideurs – qui feront du « Continent de l’IA » une réalité vivante. Une communication à la hauteur de nos ambitions permettra à l’Europe d’être non seulement un leader technologique, mais aussi un phare mondial pour une intelligence artificielle qui allie innovation, éthique et progrès humain.

Élections européennes 2024 : quels impacts de l’IA générative dans les campagnes électorales ?

Selon un rapport de la Fondation Kofi Annan et de Democracy Reporting International, l’IA générative (GenAI) s’est immiscée dans les campagnes électorales. Bien que le déluge prédit de désinformation pilotée par l’IA ne se soit pas entièrement matérialisé, le rapport offre des conclusions sans ambiguïté : la GenAI n’est plus une menace hypothétique, mais un outil tangible activement exploré dans la sphère politique, principalement sous la forme d’images synthétiques, souvent déployée par des acteurs politiques populistes pour amplifier des récits préexistants. Le potentiel de manipulation sophistiquée est indéniable, même si son impact à grande échelle lors de ce cycle électoral aura été limité. Ce n’est pas le moment de l’alarmisme, mais de la prospective et de l’adaptation…

Principales conclusions sur la GenAI lors des élections européennes de 2024

Les préoccupations concernant l’utilisation abusive généralisée de l’IA générative étaient fortes mais aucune utilisation significative et généralisée n’a été observée. Cependant, la GenAI facilement identifiable a été le plus fréquemment utilisée en France, les partis politiques d’extrême droite en France, en Allemagne et en Italie s’avérant être les utilisateurs les plus constants, principalement pour la création d’images synthétiques non étiquetées promouvant des thèmes nationalistes, anti-islamiques et conservateurs. Les plateformes ont eu du mal à détecter et à étiqueter le contenu GenAI, malgré les cadres réglementaires tels que le DSA et les engagements volontaires pris par les plateformes. Les études sur la perception du public ont mis en évidence une faible confiance du public dans l’identification du contenu GenAI, soulignant le besoin urgent d’initiatives d’éducation aux médias. Malgré l’impact limité lors de ces élections, le rapport souligne que la GenAI est un facteur croissant dans le paysage de l’information, nécessitant des stratégies proactives pour atténuer les risques potentiels pour les processus démocratiques.

Transparence et détection sont primordiales, mais pas des panacées

Le rapport souligne les difficultés à détecter le contenu GenAI, même pour les plateformes équipées de technologies avancées. Bien que le règlement sur les services numériques de l’UE et l’AI Act soient des étapes essentielles pour établir un cadre réglementaire, se fier uniquement à la détection et à l’étiquetage est insuffisant.

Il faut développer des outils de détection robustes et évolutifs, tout en reconnaissant leurs limites inhérentes. La transparence, en particulier de la part des acteurs politiques, reste une pierre angulaire de l’intégrité démocratique. Le manquement constant à étiqueter le contenu GenAI, comme observé dans le rapport, est une tendance préoccupante qui exige une plus grande responsabilité et le respect de normes à sanctionner.

La culture médiatique est le fondement de la résilience, mais pas seule

Les conclusions du rapport sur la perception du public sont préoccupantes. La faible confiance du public dans l’identification du contenu GenAI, associée à une connaissance limitée de la technologie elle-même, crée une vulnérabilité que les acteurs malveillants peuvent exploiter. Investir dans des initiatives globales de culture médiatique n’est pas simplement une mesure réactive, mais une stratégie proactive pour autonomiser les citoyens.

Ces initiatives doivent aller au-delà de la simple vérification des faits pour englober les compétences en pensée critique, la vérification des sources et une compréhension de l’écosystème de l’information numérique en évolution. Le « pré-bunking« , mis en évidence dans le rapport, offre une voie prometteuse pour renforcer la résilience cognitive face à la désinformation.

La confiance dans les médias et les institutions est la monnaie ultime mais fragile

Le rapport souligne à juste titre que l’impact de la désinformation pilotée par la GenAI est intrinsèquement lié au niveau de confiance dans les institutions démocratiques et les médias. Dans une ère de paysages d’information fragmentés et d’érosion de la confiance, nos communications stratégiques doivent donner la priorité à la reconstruction et au renforcement de ces fondations.

Cela nécessite un engagement envers l’exactitude factuelle, des pratiques de communication transparentes et un dévouement manifeste à servir l’intérêt public. En renforçant la crédibilité des sources d’information établies et en favorisant un dialogue constructif, nous pouvons créer un environnement moins susceptible d’être manipulé, quels que soient les outils technologiques employés.

Facteurs de risque de la GenAI pour faire basculer une élection ?

Quant aux inquiétudes sur la désinformation et la manipulation de l’opinion publique, pour le professeur Thorsten Quandt, la GenAI aura un impact, mais ne sera pas forcément un « bouleversement » majeur. La confiance dans la démocratie, le système politique et le journalisme traditionnel reste déterminante pour la vulnérabilité d’une société. C’est pourquoi les acteurs populistes cherchent à saper la confiance dans les médias. Le « pré-bunking » s’avère plus efficace que le « débunking » pour renforcer la culture médiatique. La généralisation de la GenAI sur les réseaux sociaux pourrait paradoxalement renforcer la confiance envers les sources d’information fiables. La vulnérabilité à la désinformation est étroitement liée à la structure des systèmes médiatiques. La polarisation idéologique et les liens étroits entre les systèmes politiques et médiatiques augmentent également la susceptibilité à la désinformation. Ainsi, l’impact de la GenAI sur les élections dépendra largement du contexte médiatique et politique dans lequel elle est diffusée.

Focus sur des incidents en France, en Allemagne et en Italie

En France, des comptes TikTok se faisant passer pour des proches fictifs de Marine Le Pen et Marion Maréchal ont utilisé la GenAI avec la génération de fakes en « face-swapping » pour promouvoir des sentiments nationalistes, gagnant des centaines de milliers de vues (plus de 30 000 abonnés et jusqu’à 400 000 likes par vidéo) avant d’être supprimés. Amandine Le Pen, Léna Maréchal, des deepfakes qui entrent en campagne en se sont présentant comme des influenceuses nièces de Marine Le Pen, Amandine Le Pen et Léna Maréchal. De plus, le Rassemblement National et Reconquête ont largement utilisé des images GenAI non étiquetées dans leurs campagnes, se concentrant sur des thèmes nationalistes et anti-immigration. Des acteurs étrangers sont également intervenus, avec une vidéo GenAI de faible qualité imitant un journaliste de France24 pour affirmer faussement que le président Macron avait annulé une visite à Kiev en raison d’un complot d’assassinat, diffusée par des médias pro-russes.

En Allemagne, l’Alternative für Deutschland (AfD) a principalement utilisé la GenAI sur Facebook, déployant des images pour alimenter des sentiments anti-migrants et la nostalgie d’une Allemagne ethniquement homogène. Des branches régionales de l’AfD ont partagé des images de jeunes inexistants approuvant le parti et des contenus provocateurs comme une image de « fête allemande du barbecue » partagée pendant le Ramadan, dont aucune n’était étiquetée comme générée par l’IA.

En Italie, Matteo Salvini et son parti, la Lega, ont été identifiés comme des utilisateurs importants de la GenAI, déployant au moins 19 publications dans le cadre de leur campagne « Più Italia, Meno Europa » (Plus d’Italie, Moins d’Europe). Ces images, diffusées sur Facebook, X et Instagram, ont promu des opinions nationalistes et eurosceptiques, utilisant parfois des images controversées pour critiquer la gestation pour autrui et d’autres fois évoquant des sentiments anti-islamiques. Ni la Lega, ni les plateformes n’ont étiqueté ce contenu GenAI.

Perspectives pour une approche collaborative et adaptative

L’avenir de la communication électorale à l’ère de la GenAI exige une approche multidimensionnelle, collaborative et adaptative visant à :

  • Renforcer les cadres réglementaires : Mettre en œuvre vigoureusement les DSA et AI Act et évaluer en permanence son efficacité pour relever les défis évolutifs de la GenAI.
  • Favoriser l’innovation de détection et de vérification : Soutenir la recherche et le développement de technologies de détection et de vérification de l’IA, tout en reconnaissant le jeu du chat et de la souris en cours avec les acteurs malveillants.
  • Investir dans la culture médiatique : Développer et déployer des programmes complets de culture médiatique dans toutes les catégories démographiques, en mettant l’accent sur la pensée critique et la résilience numérique.
  • Promouvoir des pratiques éthiques en matière d’IA : Encourager l’auto-régulation et l’adoption de lignes directrices éthiques par les acteurs politiques, les entreprises technologiques et les développeurs d’IA.
  • Construire une collaboration intersectorielle : Faciliter le dialogue et la coopération entre les décideurs politiques, les plateformes, les organisations médiatiques, la société civile et le monde universitaire afin d’élaborer des stratégies coordonnées.

Les élections européennes de 2024 peuvent servir de signal que la GenAI n’est pas une menace à éradiquer, mais une technologie transformatrice qui remodèle le paysage de l’information. Notre défi, et notre opportunité, résident dans l’exploitation de son potentiel tout en atténuant ses risques en embrassant un engagement de toutes les parties-prenantes envers les valeurs démocratiques afin de franchir la frontière générative en garantissant que les communications lors des campagnes électorales restent dignes de confiance dans les années à venir.

Mobiliser les imaginaires démocratiques dans la guerre de l’information, une perspective européenne

Notre connectivité sans précédent inaugure un nouveau champ de bataille incessant et sans frontières : la guerre de l’information. Selon l’analyse « Gagner la guerre de l’information : vers la mobilisation générale des imaginaires démocratiques » publiée sur le Grand Continent, nous sommes face à une réalité brutale : les approches traditionnelles de la communication stratégique ne suffisent plus. Nous avons un besoin urgent de déplacer notre attention d’une défense réactive avec le fact-cheking et le debunking à un leadership narratif proactif faisant vibrer nos imaginaires démocratiques, ancrés dans les valeurs européennes.

La guerre de l’information : un conflit nébuleux et omniprésent

Pour David Colon, la guerre de l’information est un conflit nébuleux et omniprésent. Elle ne se limite pas aux frontières géopolitiques ou aux scénarios de guerre traditionnels. Il s’agit d’un barrage constant de récits, de manipulations et de tensions stratégiques visant à influencer l’opinion publique, brouillant les lignes entre vérité et mensonge, et érodant la confiance dans les institutions démocratiques, piliers de nos sociétés européennes. Nos premières réponses – initiatives de vérification des faits, réglementations des plateformes, à l’image du Digital Services Act européen, et délégation de responsabilité – se sont avérées être de simples pansements sur une blessure systémique. Elles n’ont pas endigué la marée ; dans certains cas, elles ont même amplifié le message de l’adversaire en lui accordant involontairement une plus grande visibilité.

Pourquoi ces efforts ont-ils échoué ? L’erreur de combattre le contenu et négliger le contexte

Parce que nous avons mené la mauvaise bataille, sur le mauvais terrain. Nous avons été obsédés par le contenu de la désinformation, tentant de déconstruire des contre-vérités individuelles, tout en négligeant le contexte sous-jacent – le terreau fertile de nos imaginaires collectifs où ces récits prennent racine et s’épanouissent. La condescendante à l’encontre des seuls « non-informés » susceptibles d’être manipulés négligent l’impact des biais cognitifs qui sont universels, transcendant les catégories socio-économiques, et qui traversent toutes les nations européennes. La véritable arme dans la guerre de l’information n’est pas nécessairement de nous convaincre de mensonges flagrants, mais de solliciter excessivement nos systèmes cognitifs, de saturer notre attention et de déclencher des réponses émotionnelles – indignation, peur, espoir – qui court-circuitent la pensée rationnelle, fragilisant ainsi le débat public européen.

La vaporisation de la manipulation à l’ère algorithmique

Le paysage numérique lui-même a évolué, rendant obsolètes les anciens paradigmes. La « complosphère » et la « fachosphère » – chambres d’écho soigneusement définies – sont des vestiges d’une époque révolue. Aujourd’hui, la manipulation est vaporisée, diffusée à travers les algorithmes et les flux personnalisés des plateformes numériques dominantes. Nous ne sommes plus confrontés à des poches isolées de désinformation, mais à une propagation omniprésente de récits, souvent amplifiée par des utilisateurs synthétiques pilotés par l’IA qui brouillent les frontières entre voix authentiques et personnages fabriqués, défiant les efforts de régulation européens.

Au-delà de la figure de l’« utilisateur » : l’individu et ses identités narratives

De manière cruciale, il est important de distinguer entre « utilisateurs » et « individus ». Nos avatars en ligne sont des représentations fragmentées de nos personnalités complexes. Notre vulnérabilité à la manipulation n’est pas uniforme ; elle est profondément liée à nos « identités narratives » et à nos systèmes de valeurs, façonnés par nos histoires nationales et notre héritage culturel européen commun. Nous pouvons être perspicaces dans un domaine, mais susceptibles dans un autre, selon la facette de notre identité qui est ciblée. Ce n’est pas une faiblesse, mais une intuition cruciale : au sein de chaque individu, même ceux qui diffusent involontairement de la désinformation, réside une ressource potentielle pour la résilience démocratique.

La ligne de front traverse nos imaginaires européens

C’est ce changement de paradigme que nous devons adopter, à l’échelle européenne. Le véritable champ de bataille de la guerre de l’information n’est pas seulement l’infrastructure numérique, mais la « superstructure immatérielle » de nos sociétés – nos imaginaires collectifs européens, les histoires que nous nous racontons sur le monde, nos valeurs démocratiques et nos aspirations à une Europe unie et prospère.

Comme le révèle la recherche de Cluster 17, notre sensibilité à différents récits – qu’ils soient russes, ukrainiens ou autres – est profondément corrélée à nos sensibilités sous-jacentes et à nos représentations collectives héritées, construites au fil de l’histoire. Nous sommes, en essence, structurés par les récits qui nous habitent, et ces récits ont une dimension profondément européenne.

Rompre avec le discours rationaliste : raconter l’Europe par ses attachements

Cela nécessite une rupture radicale avec le discours rationaliste détaché souvent privilégié par ce que l’article appelle l’élite « hors-sol ». Nous devons dépasser les déclarations abstraites et nous engager avec l’émotionnel, l’humain, en puisant dans le riche terreau culturel européen. Nous devons raconter des histoires différentes, des histoires qui résonnent avec nos attachements communs européens, des histoires qui célèbrent notre diversité et notre unité, des histoires qui nous aident à « atterrir » dans un monde de plus en plus dominé par les récits désorientants du « cloud », souvent orchestrés par des acteurs externes à l’Europe.

Hypnocratie ou lucidité collective : le dilemme européen

Contre les écueils de la « transe » en référence au concept d’« hypnocratie » de Jianwei Xun – un système de contrôle réalisé non pas en supprimant la vérité, mais en multipliant les récits au point de désorienter – et de l’« hypnose » faisant écho à l’analyse de Marc Bloch sur les mouvements de masse fascistes, nous devons choisir. Allons-nous nous laisser manipuler dans un état de transe ou d’hypnose collective, ou bien allons-nous cultiver la collaboration consciente et la pensée critique, valeurs fondamentales de l’esprit européen ?

Vers une mobilisation générale des imaginaires démocratiques européens

La voie à suivre, telle que décrite dans les propositions, ne concerne pas des solutions technologiques isolées ou un contrôle descendant, mais une réorientation fondamentale de nos efforts de communication stratégique à l’échelle de l’Union européenne. Il s’agit de :

  • Réimaginer le champ de bataille européen : Dépasser les cartes socio-démographiques simplistes et comprendre les interactions complexes et dynamiques qui façonnent l’opinion publique européenne. Se concentrer sur la « superstructure » des imaginaires européens plutôt que sur la simple « infrastructure » des réseaux.
  • Décrypter les codes de la désinformation : Reconnaître la nature « sérielle » de la désinformation, sa dépendance à l’égard de formules narratives et de tropes récurrents, souvent ciblant spécifiquement les vulnérabilités des sociétés européennes. Décrypter cette « grammaire » est crucial pour déconstruire ses mécanismes et réduire son pouvoir de persuasion au sein de l’espace public européen.
  • Amplifier les récits authentiques européens : Au lieu de simplement réagir à la désinformation, nous devons cultiver et diffuser de manière proactive des récits positifs et convaincants, ancrés dans les valeurs démocratiques européennes, l’état de droit, les droits humains et la solidarité. Il s’agit d’un effort stratégique à long terme, une approche « goutte-à-goutte » qui façonne progressivement l’environnement informationnel européen.
  • Forger des coalitions de confiance paneuropéennes : Reconnaître qu’aucun acteur isolé – État membre ou institution européenne – ne peut gagner cette bataille seul. Nous devons construire des coalitions intersectorielles paneuropéennes – gouvernements nationaux et institutions européennes, société civile, médias indépendants, universités et acteurs technologiques responsables – pour assurer la convergence narrative et maximiser l’impact de nos actions coordonnées.
  • Naviguer dans la forêt sombre numérique : Reconnaître les limites de l' »écoute sociale » traditionnelle dans un espace en ligne fragmenté et piloté par des algorithmes, qui échappe en partie au contrôle européen. Nous devons adapter nos méthodes, en reconnaissant la « forêt sombre » comme un espace d’engagement et d’OSINT, mais pas nécessairement comme un baromètre fiable de l’opinion publique européenne.
  • Recentrer sur la perspicacité humaine : Revenir aux outils « analogiques » – recherche qualitative transnationale, écoute profonde et compréhension des récits individuels et collectifs européens. Exploiter l’IA non pas comme une source d’artificialité, mais comme un outil pour améliorer notre compréhension des imaginaires humains européens et renforcer notre capacité à y répondre de manière éthique et efficace.
  • Reconstruire la confiance et les valeurs partagées : Dépasser la communication transactionnelle et à court terme et adopter un appel démocratique fondé sur des valeurs partagées européennes et une confiance mutuelle entre citoyens et institutions. Il s’agit de favoriser un sentiment de but collectif européen et de résilience face aux récits manipulateurs qui cherchent à diviser et à affaiblir l’Europe.

Un appel à la mobilisation des imaginaires européens

La guerre de l’information n’est pas une course aux armements technologiques ; c’est une bataille pour les cœurs et les esprits européens, menée dans le domaine des récits et des émotions. Pour « gagner » cette guerre, nous devons mobiliser nos imaginaires démocratiques européens, en favorisant un écosystème vibrant d’histoires qui nous responsabilisent, nous inspirent et nous unissent en tant qu’Européens. Il ne s’agit pas seulement de contrer la désinformation ; il s’agit de construire un avenir plus résilient, informé et, en fin de compte, plus démocratique pour l’Europe. L’heure est à la mobilisation générale – non pas des armées, mais des imaginations européennes.

De spectateur à co-auteur : comment réinventer l’impératif stratégique de la communication de l’Union européenne ?

C’est bien connu, l’Europe ne s’anime, ne respire pleinement, que lorsque ses citoyens s’en emparent, la façonnent de leurs mains, de leurs idées, de leurs histoires. Alors, comment placer l’Europe au carrefour des narrations pour donner corps au projet européen ? Comment insuffler un nouveau souffle, redonner du sens à cette construction collective ?

Le constat, forgé au fil des années, est sans appel : l’UE ne souffre pas d’un déficit d’ambition, mais bien d’un manque criant de résonance, d’une incapacité à vibrer à l’unisson avec le cœur de ses citoyens.

Aujourd’hui, la crédibilité future de l’Union européenne ne se mesurera pas à l’aune de ses traités très complexes ou de ses budgets trop ridicules, mais bien à sa capacité fondamentale à transformer chaque citoyen européen en un co-auteur actif, engagé et passionné du récit européen. C’est cette métamorphose, de spectateur passif à acteur engagé, que nous devons orchestrer avec audace et détermination.

Le récit européen en crise : un monologue assourdissant dans l’impasse

L’Europe, pour une part croissante de ses citoyens, s’est muée en une entité abstraite, lointaine, presque impalpable. Elle est perçue comme une architecte invisible, œuvrant dans l’ombre de bureaux bruxellois, dessinant des politiques complexes dont les rouages demeurent obscurs, les motivations impénétrables. Les citoyens, relégués au rang de simples spectateurs, subissent les effets de ces décisions, souvent sans en saisir la logique profonde, la finalité ultime.

Prenons l’exemple emblématique de la Politique agricole commune, pilier essentiel de l’intégration européenne, vitale pour nos agriculteurs, garante de notre sécurité alimentaire, moteur dans notre transition. Dans le discours médiatique dominant, elle se réduit trop souvent à un amas de normes obtuses, de directives technocratiques, perdant toute connexion avec la réalité concrète du terrain, avec les enjeux humains qu’elle sous-tend. Cette déconnexion alimente un sentiment d’éloignement, voire d’aliénation, face à un projet européen perçu comme hors-sol, déraciné des préoccupations quotidiennes.

Cette distance favorise l’éclosion d’un terreau fertile pour la méfiance, voire le rejet. Le populisme, avec ses sirènes séductrices et ses promesses simplistes, prospère sur un océan de désinformation, exploitant habilement les failles de la communication européenne. Ce phénomène préoccupant alimente un cercle vicieux pernicieux : moins d’engagement citoyen, plus de scepticisme, une érosion progressive de la confiance dans les institutions européennes.

Les tentatives de communication institutionnelle, même animées des meilleures intentions, se sont souvent soldées par des résultats insuffisants. Les campagnes corporate de l’UE lancées ces dernières années sont trop souvent pensées autour de verticalités déconcertantes, se traduisant par un déferlement d’affiches aseptisées, de slogans hors-sol, d’une communication conçue « pour le peuple, sans le peuple ». Ce dialogue de sourds, cette communication descendante et monocorde, non seulement manque sa cible, mais renforce, paradoxalement, le sentiment de distance et de déconnexion qu’elle prétend combattre. L’UE a trop souvent péché par excès de pédagogie descendante, oubliant que la véritable communication est un échange, un dialogue, une co-construction.

La co-création : redonner une plume aux citoyens, réécrire ensemble le récit européen

Face à cette impasse, une voie se dessine : celle de la co-création. Il ne s’agit plus de simplement informer, de diffuser des messages pré-formatés, mais de véritablement co-construire le récit européen avec les citoyens, de leur redonner une plume, une voix, un rôle d’acteurs à part entière. La Conférence sur l’avenir de l’Europe a timidement, mais significativement, ouvert cette brèche avec des citoyens, tirés au sort, représentant la diversité de notre continent, réunis pour formuler des propositions concrètes parfois audacieuses. Cette initiative, imparfaite certes, démontre avec force que la démocratie participative n’est pas une utopie, mais une réalité tangible, efficace, à condition de lui accorder une écoute sincère et une suite concrète.

Pour concrétiser cette ambition de co-création, des outils innovants, hybrides, peuvent être déployés à grande échelle :

  • Plateformes hybrides : marier le numérique et le local. Associer la puissance des outils numériques – à l’image de la plateforme de participation des citoyens en ligne à l’élaboration des politiques publiques européennes et la richesse des échanges en présentiel, au sein de dialogues citoyens ancrés dans les territoires. Ces plateformes hybrides permettent de démultiplier les canaux de participation, de toucher un public plus large et diversifié, et de favoriser un dialogue continu entre les institutions européennes et les citoyens.
  • Récits incarnés : soutenir les voix de l’Europe vécue. Soutenir activement les projets qui collectent les témoignages, les expériences vécues, en particulier dans les zones rurales, les quartiers périphériques, les communautés souvent marginalisées. Ces « voix de l’Europe » sont précieuses pour humaniser le projet européen, le rendre proche, tangible et pertinent pour chacun.
  • Éducation critique : animer des ateliers de décryptage des institutions européennes, de leurs mécanismes de fonctionnement, de leurs politiques. Le modèle finlandais, qui place l’éducation critique au cœur de son système éducatif, est une source d’inspiration précieuse. Donner aux jeunes générations les outils intellectuels pour comprendre l’Europe, pour se forger une opinion éclairée, pour devenir des citoyens européens actifs et engagés.

L’appel à l’action : écrire l’Europe ensemble, chaque jour

L’heure n’est plus aux déclarations incantatoires, mais à l’action, à la mise en œuvre d’une stratégie de co-création ambitieuse et pérenne afin que la puissance de l’engagement citoyen, au travers de la force des récits partagés et de la capacité de se raconter différemment dans nos projets collectifs se traduit par la réinvention de l’Europe. Chacun, à son niveau, a un rôle essentiel à jouer dans cette entreprise collective :

  • Citoyens : saisir les opportunités, devenir acteurs du changement. Les citoyens doivent s’emparer des outils mis à leur disposition : participer activement aux consultations publiques, s’investir dans les budgets participatifs – à l’image du Fonds citoyen franco-allemand –, rejoindre les initiatives locales, partager leurs histoires, leurs idées, leurs préoccupations. Ils doivent devenir les ambassadeurs du récit européen dans leur quotidien, dans leur communauté, dans leur sphère d’influence.
  • Médias : innover et explorer la parole aux citoyens. Les médias, traditionnels et numériques, ont une responsabilité cruciale afin d’innover avec les « reporters citoyens », encourager le journalisme positif, mettre en lumière les initiatives locales soutenues par l’UE, donner la parole aux citoyens, à leurs expériences, à leurs perspectives. La chaîne Arte, avec sa série « Eurêka ! », qui explore les initiatives européennes innovantes, montre la voie d’une information européenne plus engageante, plus proche des réalités du terrain.
  • Institutions : intégrer la co-création au cœur de leur ADN. Les institutions européennes doivent opérer une véritable révolution culturelle, en intégrant la co-création au cœur de leur fonctionnement. L’idée de panels citoyens permanents, proposée par le Parlement européen est une piste prometteuse : « organiser des « mini-publics » dont les participants, choisis de façon aléatoire, représentent des sous-groupes de la structure socio-économique de l’Union, et ainsi l’ensemble de la société, de manière à prévenir l’inégalité d’accès à la participation à la vie démocratique de l’Union, en offrant aux citoyens qui n’auraient pas eu cette chance autrement, un moyen d’exprimer leur point de vue » ; en intégrant systématiquement les citoyens dans les processus de décision, en les consultant en amont des politiques, en leur donnant un véritable pouvoir d’influence sur l’agenda européen.

Imaginons un instant cette Europe rêvée, cette Europe co-créée : chaque village, chaque quartier aurait son « ambassadeur narratif », formé, outillé, pour relayer les initiatives locales, faire remonter les alertes, tisser des liens entre le local et le global. La politique agricole ne se décréterait plus dans des bureaux feutrés, mais se discuterait dans des fermes ouvertes au contact direct des agriculteurs et des consommateurs. Le Pacte vert européen ne serait plus perçu comme une contrainte imposée d’en haut, mais comme un projet collectif, débattu et enrichi dans des ateliers collaboratifs, au cœur des villes et des campagnes.

L’Europe, un livre ouvert à écrire ensemble

L’Europe ne se décrète pas, elle se vit, elle s’écrit au quotidien, par l’engagement de ses citoyens, par la richesse de leurs échanges, par la force de leurs récits partagés. En faisant de chaque Européen un co-auteur du récit européen, l’UE ne gagnera pas seulement en crédibilité, en légitimité, en efficacité – elle redeviendra une aventure collective, un projet vibrant, porteur d’espoir et de sens. L’Union européenne n’est pas un chapitre clos de l’histoire, un monument figé dans le passé. C’est un livre ouvert, aux pages encore vierges, où chaque main, chaque voix, chaque histoire, peut y écrire, contribuer à façonner son avenir. À nous de saisir cette plume, ensemble, pour écrire les plus belles pages de l’histoire européenne.

Réarmer le récit européen : un impératif unificateur pour réinventer la communication stratégique européenne

Le Livre blanc pour la défense européenne sonne comme un appel à la prise de conscience et à l’action face à la résurgence de conflits, l’accélération des avancées technologiques et l’intensification des menaces hybrides. L’Europe doit répondre à l’impératif de réarmement. Malgré sa puissance économique, son leadership normatif, elle peine à projeter un récit unifié et percutant à la hauteur des enjeux. Comme le souligne Mario Draghi, dans un discours au Sénat à Rome, il est impératif de « dépasser les modèles nationaux et de penser à l’échelle continentale« , une injonction qui résonne avec une acuité particulière dans le domaine de la communication. Dans un monde où la guerre informationnelle fait rage, où les narratifs concurrents s’affrontent pour modeler les opinions et influencer les décisions, le déficit de communication stratégique de l’UE constitue une vulnérabilité. Cette fragilité narrative entrave sa capacité à mobiliser ses citoyens, à défendre ses intérêts sur la scène internationale et à contrer efficacement les menaces qui pèsent sur sa sécurité et ses valeurs.

1. Construire un récit européen unificateur : mobiliser et projeter sa puissance narrative sur la scène mondiale

  • Réhausser le sentiment d’appartenance en mettant en lumière les valeurs partagées, l’histoire commune et les aspirations futures, qui renforce le lien entre les citoyens et le projet européen et transcende les identités nationales sans les nier, mais en les intégrant dans un ensemble plus vaste et porteur de sens.
  • Clarifier le projet européen : Face à la complexité des politiques européennes, un récit clair et accessible permet d’expliquer pourquoi l’Europe est nécessaire, ce qu’elle apporte concrètement aux citoyens, et quelle vision du monde elle défend. Il s’agit de rendre le projet européen intelligible et désirable. Draghi insiste sur l’importance de définir « une stratégie continentale unifiée » pour faire face aux défis actuels.
  • Mobiliser l’opinion publique : un récit inspirant et émotionnellement engageant est un puissant levier de pédagogie et de mobilisation afin de susciter l’adhésion aux politiques européennes, de renforcer la résilience face aux crises, et d’encourager la participation citoyenne.
  • Projeter une puissance normative : un récit européen affirmé, basé sur des valeurs universelles, renforce la crédibilité de l’UE sur la scène internationale, aussi comme modèle alternatif, Draghi évoque la nécessité de penser à « la place de l’Europe parmi les grandes puissances« , ce qui implique une projection narrative forte.
  • Développer une plateforme narrative européenne : créer une initiative à l’échelle de l’UE (impliquant les institutions mais aussi des acteurs culturels, des médias, des universités) pour définir et incarner ce récit européen commun, de manière créative et accessible.

2. Investir dans la « défense narrative » : bouclier informationnel pour protéger l’espace public européen des attaques informationnelles et garantir un débat démocratique libre et éclairé

  • Protéger l’espace informationnel européen : En détectant, analysant et contrant les campagnes de désinformation et de manipulation, la défense narrative préserve l’intégrité du débat public et la liberté d’opinion. Draghi mentionne la « cyber-guerre silencieuse » avec des menaces (désinformation, manipulation, ingérences étrangères, cyberattaques) comme un élément fondamental de la défense moderne, soulignant l’importance de protéger l’espace informationnel avec un renforcement des capacités de fact-checking et de débunking.
  • Renforcer la résilience démocratique : En informant et en éduquant les citoyens aux enjeux de la désinformation, en développant leur esprit critique et leur capacité à vérifier les sources, la défense narrative renforce la résilience des démocraties européennes face aux attaques informationnelles. Draghi insiste sur l’évolution du concept de défense vers « une notion plus large de sécurité globale« , qui inclut la protection contre les menaces informationnelles.
  • Maintenir la confiance publique : En luttant contre la désinformation qui vise à discréditer les institutions européennes et nationales, la défense narrative contribue à maintenir la confiance des citoyens dans le système démocratique. En parlant de la nécessité d’une « défense commune de l’Europe« , Draghi implique une défense qui protège tous les aspects de la sécurité, y compris la confiance dans les institutions.
  • Contrer les narratifs hostiles : La défense narrative ne se limite pas à la réaction. Elle implique également de développer des contre-narratifs proactifs pour déconstruire les récits hostiles et promouvoir les valeurs et les intérêts européens. Draghi souligne que « La défense aujourd’hui ne se résume plus à l’armement, c’est aussi de la technologie numérique« , ce qui implique la nécessité de contrer les narratifs hostiles dans le domaine numérique.

3. Maîtriser les nouveaux champs de bataille communicationnels : stratégies numériques, médias sociaux et IA pour l’influence et la souveraineté européenne

  • Engager les citoyens numériques : Les citoyens, en particulier les jeunes générations, s’informent et interagissent principalement en ligne. L’UE doit être présente et active sur les plateformes numériques pour communiquer avec eux, les informer et les mobiliser. Draghi met en avant l’importance de « l’évolution technologique extrêmement rapide, qui a complètement bouleversé le concept même de défense et de guerre« , soulignant la nécessité d’adapter notre communication à ces nouveaux environnements.
  • Contrer la désinformation en ligne : Les réseaux sociaux et les plateformes numériques sont des vecteurs privilégiés de la désinformation. L’UE doit développer des stratégies spécifiques pour lutter contre la désinformation en ligne et protéger les utilisateurs. Draghi mentionne spécifiquement « Drones, intelligence artificielle, données, guerre électronique, espace et satellites, cyber-guerre silencieuse » comme des éléments fondamentaux de la défense moderne, impliquant la lutte contre la désinformation dans ces domaines.
  • Exploiter le potentiel de l’IA pour la communication : L’IA offre des opportunités considérables pour améliorer l’efficacité de la communication stratégique : analyse de données, personnalisation des messages, détection de tendances, automatisation de tâches, création de contenus innovants. Draghi souligne la « convergence entre les technologies militaires et les technologies numériques« , ce qui ouvre des perspectives pour utiliser ces technologies, y compris l’IA, dans la communication stratégique.
  • Projeter l’influence européenne dans le cyberespace : Le cyberespace est un espace de compétition géopolitique. L’UE doit y affirmer sa présence, défendre ses valeurs et ses intérêts, et contrer les acteurs malveillants. Draghi insiste sur la nécessité de se doter d’ »une stratégie continentale unifiée pour le cloud, le supercalcul, l’intelligence artificielle et la cybersécurité« , ce qui inclut la projection d’influence dans le cyberespace.

4. Amplifier la voix de l’Europe sur la scène internationale : diplomatie publique proactive et storytelling global de conviction

  • Promouvoir les valeurs européennes : Démocratie, droits humains, multilatéralisme, développement durable, sont des valeurs que l’UE souhaite promouvoir à l’échelle mondiale. Une voix européenne forte est essentielle pour porter ces valeurs et les défendre face aux modèles alternatifs. Draghi, en parlant de la défense européenne, souligne que « Tout cela concerne non seulement notre sécurité, mais aussi la place de l’Europe parmi les grandes puissances« , ce qui implique une projection de valeurs et d’influence à l’échelle mondiale.
  • Défendre les intérêts européens : Dans un monde de compétition géopolitique accrue, l’UE doit défendre ses intérêts économiques, commerciaux, sécuritaires, et environnementaux. Une voix européenne unie et audible est un atout majeur dans les négociations internationales et les forums multilatéraux. Draghi mentionne la nécessité d’un « rapport plus équilibré avec l’allié atlantique, y compris sur le plan économique« , ce qui souligne l’importance de défendre les intérêts européens sur la scène internationale.
  • Influencer les débats mondiaux : Face aux défis globaux (climat, pandémies, inégalités, conflits), l’UE a une expertise et des solutions à apporter. Amplifier sa voix permet d’influencer les débats mondiaux, de proposer des solutions innovantes, et de construire un ordre international plus juste et durable. Draghi insiste sur les « complexités géopolitiques actuelles » et l' »évolution technologique extrêmement rapide » comme raisons pour une transformation de la défense européenne, ce qui implique une volonté d’influencer les débats mondiaux sur ces enjeux.
  • Contrer les narratifs concurrents : D’autres puissances mondiales projettent leurs propres narratifs et visions du monde. L’UE doit amplifier sa voix pour contrer ces narratifs concurrents, déconstruire les stéréotypes négatifs sur l’Europe, et promouvoir une image positive et dynamique de l’UE. Draghi, en parlant de la nécessité de « dépasser les modèles nationaux » et de « penser à l’échelle continentale« , implique une volonté de proposer un narratif européen alternatif face aux modèles concurrents.

L’heure est venue pour l’Europe de prendre son destin narratif en main.

Au terme de cette analyse, l’urgence d’une transformation profonde de la communication stratégique européenne apparaît avec une clarté implacable. La mise en œuvre de ces recommandations représente un défi ambitieux, mais aussi une opportunité historique. En investissant résolument dans sa communication stratégique, l’UE peut non seulement renforcer sa résilience face aux menaces informationnelles et aux narratifs hostiles, mais également libérer un potentiel narratif immense. Une Europe capable de raconter son histoire avec force et conviction, de mettre en récit ses valeurs et ses aspirations, de dialoguer avec ses citoyens et le monde entier, deviendra une puissance narrative à part entière, capable d’inspirer, de mobiliser et d’influencer les débats mondiaux.