Archives par étiquette : Commission européenne

Du « Blueprint » au « Battlefield », le virage de la communication stratégique des 100 premiers jours de la Commission européenne

La borne des 100 premiers jours sert de baromètre pour évaluer l’alignement entre les promesses initiales et les réalités sur le terrain. Pour la Commission von der Leyen II, marquer ses 100 premiers jours, par une conférence de presse organisée sans urgente raison le week-end, n’est pas seulement une étape symbolique, mais un moment pour évaluer le pivot stratégique en matière de communication. La comparaison entre le plan initial après le scrutin européen et le discours des 100 jours met en évidence un changement dans les priorités politiques, les messages clés et la feuille de route globale…

Alors : juillet 2024 – « Le choix de l’Europe » – une vision d’ambition équilibrée

Les « orientations politiques » d’Ursula von der Leyen, présentées à Strasbourg en juillet 2024, offraient une vision globale construite sur 4 piliers fondamentaux :

  • Prospérité et compétitivité durable : C’était la pierre angulaire, soulignant la nécessité d’un nouveau plan pour la prospérité européenne, axé sur l’approfondissement du marché unique, un pacte pour une industrie propre, la recherche et l’innovation, la productivité numérique, l’investissement durable et le développement des compétences. Le message portait sur le renforcement du moteur économique de l’Europe dans un paysage mondial en mutation, en mettant l’accent sur l’économie sociale de marché et une transition juste.
  • Une nouvelle ère pour la défense et la sécurité européennes : Bien que la sécurité ait été reconnue, l’accent était mis sur la construction d’une « véritable Union européenne de la défense » grâce à des capacités renforcées, au renforcement de la base industrielle et à la préparation aux crises. Le ton était proactif mais pas encore dominé par une perception de menace immédiate.
  • Soutenir les citoyens et renforcer les sociétés et le modèle social : Ce pilier mettait en lumière l’équité sociale, en se concentrant sur le socle européen des droits sociaux, en abordant la crise du logement, l’équité intergénérationnelle et l’égalité. Le message portait sur l’inclusion, la cohésion sociale et la préservation du mode de vie européen.
  • L’Europe dans le monde : tirer parti des partenariats : Ce pilier se concentrait sur le multilatéralisme, l’élargissement comme impératif géopolitique, une approche stratégique des pays voisins (en particulier la Méditerranée) et une nouvelle politique économique étrangère axée sur la sécurité économique, le commerce et les partenariats d’investissement. Le message portait sur une Europe confiante et affirmée sur la scène mondiale, plaidant pour un ordre international fondé sur des règles.

Les messages clés en juillet 2024 pouvaient se résumer à :

  • Choix et unité : L’Europe est confrontée à un choix clair : l’unité ou la fragmentation. Le message était de choisir la voie de l’Union pour relever les défis mondiaux.
  • Résilience et souveraineté : L’accent était mis sur la réduction des dépendances et l’action souveraine dans un monde turbulent.
  • Durabilité et transition numérique : L’engagement envers le Pacte Vert et la transformation numérique comme moteurs de prospérité et de compétitivité.
  • Équité sociale et égalité : Défendre le modèle social européen et assurer l’égalité pour tous.
  • Partenariat et multilatéralisme : Renforcer les alliances et réformer l’ordre mondial.

Maintenant : « Réarmer l’Europe » – une urgence de défense et de sécurité

Dans le discours de presse des 100 jours, le changement est palpable. Les 3 piliers de la prospérité, de la sécurité et de la démocratie sont réitérés comme principes directeurs, le ton et l’accent ont radicalement changé. Le monde décrit n’est plus celui d’un changement gérable, mais celui d’une « vitesse fulgurante », de « bouleversements géopolitiques ébranlant les alliances », de « certitudes qui s’effondrent » et d’une « guerre brutale qui fait rage à nos frontières ».

Priorités politiques actuelles :

  • Domination de la défense et de la sécurité : La sécurité est passée d’un pilier parmi quatre à la priorité absolue. La nomination d’un Commissaire à la défense, le paquet REARM Europe et l’accent mis sur une Union européenne de la défense ne sont pas seulement des initiatives, mais des nécessités existentielles. Le langage est cru : « nouvelle ère de concurrence géostratégique âpre », « la souveraineté et les engagements inébranlables sont remis en question », « tout est devenu transactionnel ».
  • Sécurité économique en tant que sécurité collective : La prospérité est désormais inextricablement liée à la sécurité. La force économique est présentée comme les « deux faces d’une même pièce ». L’accent est mis sur la construction d' »économies fortes » grâce à des partenariats de confiance pour éviter les « sur-dépendances, les vulnérabilités et le chantage ». La compétitivité est présentée comme essentielle à la sécurité collective.
  • Urgence et préparation : L’état d’esprit dominant est celui de l' »urgence » et de la « préparation ». L’appel à « passer à un état d’esprit de préparation » et la convocation du tout premier Collège de la sécurité soulignent ce changement. L’accent est mis sur la rapidité, l’ampleur et la détermination pour faire face aux « crises d’aujourd’hui ».
  • Migration en tant que question de sécurité : Bien que la migration ait toujours été un défi, elle est désormais explicitement encadrée dans le contexte de la sécurité. L’accent mis sur les « retours », l' »ordre européen de retour » et des mesures plus strictes pour les risques de sécurité met en évidence la sécurisation de la politique migratoire.

Les nouveaux messages clés actuels sont :

  • Crise et urgence : Le message primordial est celui de la crise et de l’urgence. Le monde est dangereux et l’Europe doit agir de manière décisive et rapide.
  • REARM Europe et Union de la défense : Le message central est la nécessité de réarmer l’Europe et de construire une Union européenne de la défense comme fondement de la sécurité et de la prospérité.
  • Ouverture et stabilité dans un monde transactionnel : L’Europe restera « ouverte » et défendra le « partenariat et le dialogue », offrant « stabilité et prévisibilité » dans un monde d’incertitude et de gains à court terme.
  • Force économique en tant que sécurité : La compétitivité économique est vitale pour la sécurité, et les investissements dans la défense stimuleront le marché unique.
  • Affirmation et détermination : La Commission est « prête à faire face aux crises d’aujourd’hui » avec « rapidité, ampleur et détermination ».

La feuille de route de la Commission européenneest plus axée sur l’action et motivée par les crises. Bien que les objectifs à long terme demeurent, l’accent immédiat est mis sur :

  • Mise en œuvre de REARM Europe : Faire avancer le paquet défense « avec toute la force nécessaire ».
  • Collège de la Sécurité : Établir un mécanisme de mises à jour régulières sur la sécurité et d’évaluation des menaces.
  • Proposition légale sur les retours de migrants : Adopter une proposition sur les retours comme élément clé du pacte sur la migration et l’asile.
  • Nouveaux paquets ommnibus : Simplifier davantage les règles et réduire les formalités administratives, y compris dans le secteur de la défense.
  • Union européenne de l’épargne et de l’investissement : Lancer cette initiative pour mobiliser des capitaux pour les investissements.
  • Dialogues sectoriels : Poursuivre les dialogues avec les industries clés (agriculture, automobile, acier) avec un sentiment d’urgence renouvelé.

Perspectives et implications en termes de communication stratégique :

Voici les principales perspectives de changement :

  • De la vision à la réaction : Les orientations initiales présentaient une vision proactive pour l’avenir de l’Europe. Le discours des 100 jours est plus réactif, motivé par les crises immédiates et les menaces extérieures. La communication est passée de la présentation d’un plan à long terme à la mise en évidence d’une action urgente dans un environnement volatile.
  • Sécurisation de la politique : La sécurité est devenue le prisme dominant à travers lequel toutes les politiques sont envisagées. De la compétitivité économique à la migration, le récit est de plus en plus encadré par des préoccupations de sécurité. Cela nécessite une stratégie de communication qui équilibre les impératifs de sécurité avec l’engagement de l’UE en faveur de l’ouverture, des valeurs et des droits fondamentaux.
  • Accent sur la puissance militaire (« Hard Power ») : L’accent mis sur REARM Europe et une Union européenne de la défense signale un changement significatif vers la mise en avant des capacités de puissance militaire. La communication stratégique doit désormais transmettre efficacement ce changement tout en rassurant les citoyens et les partenaires qu’il s’agit d’une mesure nécessaire pour la paix et la stabilité, et non d’une militarisation belliciste.
  • L’urgence comme outil de communication : L’insistance constante sur l' »urgence » est un outil de communication pour mobiliser l’action et recueillir le soutien. Cependant, elle comporte également le risque de créer de l’anxiété et potentiellement d’éroder la confiance si elle n’est pas gérée avec précaution. La communication doit équilibrer le message d’urgence avec un message de réassurance et une voie claire à suivre.
  • Partenariats redéfinis par la confiance : Les partenariats ne concernent plus seulement la coopération économique ou politique, mais sont de plus en plus définis par la « confiance ». Cela nécessite une stratégie de communication qui mette l’accent sur les valeurs partagées, la fiabilité et l’engagement à long terme dans la construction d’alliances.
  • Cohésion interne comme impératif de sécurité : L’appel à l’unité et à la cohésion sociale n’est pas seulement un objectif de politique sociale, mais un impératif de sécurité. Les divisions au sein des sociétés sont considérées comme des vulnérabilités qui peuvent être exploitées par des acteurs extérieurs. La communication doit renforcer le message d’unité et de solidarité européennes comme essentiels à la sécurité collective.
  • Nécessité d’un message clair et cohérent : Dans un environnement motivé par les crises, un message clair, cohérent et facilement compréhensible est primordial. La complexité des politiques de l’UE doit être traduite en récits accessibles qui trouvent un écho auprès des citoyens et des parties prenantes, en renforçant la confiance et la compréhension face à l’incertitude.

Les 100 premiers jours de la Commission von der Leyen marquent une transition d’une feuille de route pré-planifiée, le « blueprint » à un mode de réponse aux crises, le « battlefield ». Le défi de la communication stratégique consiste désormais à articuler efficacement ce changement, en équilibrant le besoin urgent de sécurité et de défense avec les valeurs fondamentales de l’UE.

Le récit européen doit transmettre la détermination tout en demeurant un « choix de l’Europe » le contexte nous pousse à nous réarmer, passant d’une décision stratégique à un impératif immédiat de survie et de résilience. La stratégie de communication de l’UE doit désormais refléter cette nouvelle réalité.

Quelle campagne idéale de communication stratégique de l’UE, selon le programme de travail de la Commission européenne en 2025 ?

À l’aube d’une nouvelle ère géopolitique, marquée par des défis complexes et interconnectés, la Commission européenne se doit de transcender le simple exercice de communication pour engager un dialogue avec les citoyens, les entreprises et les parties prenantes. Le programme de travail pour 2025 représente une feuille de route pour « une Union plus forte, plus unie et plus efficace ». Cependant, son impact réel dépendra de la capacité à traduire cette vision en une narration claire, inspirante et mobilisatrice. Une campagne de communication stratégique qui ambitionne de forger un récit européen commun, de susciter un sentiment d’appartenance renouvelé et de démontrer concrètement la valeur ajoutée de l’action européenne dans un monde en pleine mutation. En misant sur la force du collectif, la simplification des actions et une projection résolument tournée vers l’avenir, cette campagne viserait à réaffirmer le leadership de l’UE et à consolider le lien de confiance avec ses publics.

Un narratif principal : L’Europe façonne activement son destin collectif – unis dans l’action, ambitieux dans la vision

Pour transformer le programme de travail 2025 d’une richesse considérable, en une communication percutante, il est impératif de le condenser en un récit central, clair et convaincant. Le message fondamental doit être décliné :

1/ Une force proactive et anticipatrice, l’Europe en mode solutions, pas seulement en mode gestion de crise : transformer la perception d’une UE constamment en mode gestion de crise en celle d’une force proactive qui relève les défis de front et construit un avenir plus solide. Mettre en avant le concept d’une « Union plus audacieuse, plus simple et plus rapide ». Exemples concrets à exploiter autour de la défense commune, du bouclier cybernétique, de l’autonomie énergétique.

2/ L’unité c’est notre ADN, notre puissance vient du collectif : notre superpouvoir, c’est cette unité : souligner le message central de « l’Union » comme la meilleure option pour l’Europe. Illustrer comment l’action collective produit des résultats que les nations individuelles ne peuvent atteindre seules. Insister sur la solidarité, la coopération et les valeurs partagées. Simplifier pour un impact réel qui libère l’innovation : se concentrer sur les avantages tangibles des efforts de simplification pour les entreprises, en particulier les PME et les citoyens. Démontrer comment la rationalisation des normes se traduit par des améliorations concrètes en termes d’emplois, d’innovation et de croissance.

3/ L’Europe, un laboratoire du futur pour des bénéfices intergénérationnels : mettre en évidence la perspective à long terme, en se concentrant sur la construction d’un « avenir plus sûr, plus prospère et plus sain pour les générations futures ».  Relier les actions actuelles aux bénéfices futurs, en particulier pour les jeunes générations, avec des sujets comme la santé, la sécurité alimentaire ou la compétitivité technologique.

Des piliers fondamentaux pour une campagne transformatrice

Pilier 1 : Une Union de sécurité comme fondement de notre avenir collectif

Ce pilier vise à protéger ses citoyens et ses intérêts dans un monde de plus en plus instable.

L’UE ne se contente pas de réagir – elle réinvente la sécurité via une approche holistique (cyber, énergie, santé), tout en consolidant des partenariats stratégiques (alliances globales) et la résilience sociétale.

La campagne peut souligner que l’UE n’est pas complaisante mais qu’elle répond activement à des menaces réelles et significatives :

Construire une véritable Union européenne de défense avec une industrie de défense compétitive et un cadre pour les besoins d’investissement en matière de défense et les capacités de défense critiques.

Au-delà de la défense militaire, d’autres enjeux :

Mieux protéger nos infrastructures sous-marines, notamment les câbles de télécommunications, qui sont une partie essentielle de notre infrastructure numérique critique ;

Sur la cybersécurité des hôpitaux et des prestataires de soins de santé et réduire les dépendances dans les secteurs vitaux.

Pilier 2 : Une Union compétitive, l’innovation au service de la prospérité partagée

Ce pilier se concentre sur l’agenda économique de l’UE, en positionnant l’UE comme le continent de la durabilité rentable, où transition écologique rime avec création d’emplois high-tech et souveraineté industrielle.

Face aux défis de « la concurrence déloyale, des coûts énergétiques élevés, des pénuries de main-d’œuvre et de compétences et des obstacles à l’accès au capital », la réponse se situe dans la boussole de la compétitivité, la simplification des règles comprenant le reporting en matière de durabilité, le devoir de diligence en matière de durabilité et la taxonomie, le programme InvestEU et la politique agricole commune.

Mener les transitions verte et numérique pour un avantage économique et moteurs de la compétitivité future et un leadership technologique. Renforcer le marché unique, assurer l’Union de l’épargne et de l’investissement et soutenir les « start-ups et scale-ups ».

Pilier 3 : Une Union de valeurs et de bien-être : l’humain au cœur du projet européen

Ce pilier se concentre sur l’engagement de l’UE envers ses valeurs fondamentales, son modèle social et la qualité de vie de ses citoyens en vue d’une UE comme rempart des valeurs démocratiques et garant d’un progrès inclusif – où chaque citoyen, jeune ou senior, trouve sa place.

Justice sociale et modèle social européen : le modèle social unique et précieux de l’Europe constitue à la fois une pierre angulaire sociétale et un avantage concurrentiel qui garantit que les bénéfices du progrès économique sont partagés par tous les citoyens et que personne n’est laissé pour compte.

Qualité de vie et durabilité : l’agriculture, la sécurité alimentaire, l’eau et la nature représentent les engagements de l’UE en matière de protection de l’environnement et de gestion durable des ressources pour la durabilité environnementale et une qualité de vie élevée, afin d’améliorer le bien-être des citoyens et des générations futures.

Protection de la démocratie et des droits fondamentaux : la démocratie, l’état de droit et les droits fondamentaux sont les fondements de l’engagement de l’UE envers ses valeurs fondamentales, ses principes démocratiques, l’égalité et les droits fondamentaux pour tous les citoyens, en contrant les menaces à ces valeurs.

Engagement citoyen et inclusivité : avec les « dialogues politiques avec la jeunesse » pour s’assurer que « les perspectives des jeunes sont intégrées dans l’élaboration des politiques » et la nécessité de « soutenir, protéger et autonomiser la société civile » afin de veiller à ce que ses politiques reflètent les besoins et les aspirations de tous les Européens.

Comme toute campagne, il ne s’agit pas de se limiter à informer, il faut viser à inspirer une mobilisation collective en articulant force, innovation et valeurs, la communication pourrait offrir un cadre narratif pour restaurer la confiance via des preuves concrètes (simplification, investissements), anticiper les futurs (santé, climat, sécurité) plutôt que de les subir et célébrer l’unité dans la diversité comme marqueur géopolitique unique. Ce n’est pas une campagne de plus, mais un moment décisif pour reconfigurer l’imaginaire européen en s’appuyant sur des données en temps réel, des récits citoyens et une présence omnicanale, l’UE peut incarner une puissance globale ancrée dans le bien-être local. L’Europe n’est pas qu’un héritage à transmettre – c’est un projet en perpétuelle réinvention. L’UE peut s’affirmer comme laboratoire mondial d’idées et boussole éthique, prouvant une fois encore qu’ensemble on peut dessiner un avenir européen commun.

Rapport Letta : comment passer de la vision à l’action avec une démarche de communication stratégique pour le marché unique européen ?

Le rapport Letta intitulé « Bien plus qu’un marché » présente un programme transformateur visant à revitaliser le marché unique européen face aux turbulences géopolitiques, aux disruptions technologiques et à la rivalité économique mondiale. Son succès dépend d’une stratégie de communication capable de combler le fossé entre les recommandations politiques de haut niveau et l’adhésion concrète du public et des acteurs politiques sur le terrain. En capitalisant l’accent mis sur la « 5ème liberté » (connaissance, innovation et éducation) et les enseignements tirés d’autres initiatives européennes, quelle approche en termes de communication offre des voies d’action concrètes pour assurer sa mise en œuvre ?

I/ Repenser la « 5ème liberté » : de l’abstraction aux bénéfices concrets

L’appel du rapport Letta pour une « 5ème liberté » vise à éliminer les barrières au partage des connaissances, à la collaboration en matière de recherche et à la mobilité des talents—une vision alignée avec la promotion par l’UE d’un « Bien commun européen de la connaissance ». La communication de ce concept nécessite sa traduction en récits compréhensibles :

  • Conceptualiser la 5e liberté avec des messages développés autour des avantages de cette liberté : une liberté pour la vie immatérielle, à l’ère des nouvelles technologies.
  • Valoriser les bénéfices en termes de productivité, seule solution au déclin démographique pour l’État-providence, l’innovation fragmentée coûte à l’Europe 180 milliards d’euros par an en perte de productivité (un chiffre extrapolé de l’analyse de la BCE sur l’écart de productivité UE-États-Unis).
  • Mobiliser les plateformes existantes : Intégrer la 5ème liberté dans la « Boussole de compétitivité » de l’UE, qui priorise déjà la réduction de l’écart d’innovation et l’harmonisation des règles pour les startups.

II/ Mobiliser les parties prenantes financières : construire un récit sur l’« Union de l’épargne et des investissements »

Le rapport Letta souligne la nécessité d’un écosystème financier unifié pour financer les transitions verte et numérique. Cela s’aligne avec l’« Union de l’épargne et des investissements » qui vise à canaliser l’épargne européenne vers des secteurs stratégiques. Pour communiquer efficacement un élément clé de la réussite dans l’ensemble :

  • Cibler les investisseurs institutionnels : Développer des études de cas mettant en avant des entreprises transfrontalières réussies, comme le programme d’investissement TechEU de l’UE pour l’expansion des startups.
  • Positionner le marché unique comme une référence mondiale en matière de finance durable (RSE), en s’appuyant sur le leadership de l’UE en matière de règlementations climatiques.
  • Résorber l’aversion au risque : La BCE note que les startups de l’UE ne reçoivent que 5 % du capital-risque mondial, contre 52 % aux États-Unis. Valoriser les licornes européennes pourrait démystifier le risque et attirer des capitaux privés.

III/ Mobilisation politique : des mandats du Conseil européen, au Parlement européen et à l’engagement citoyen

Susciter un engagement politique

Le rôle du Conseil européen sera crucial. Le succès du rapport Letta dépend de la capacité du Conseil à mandater la Commission pour élaborer une stratégie contraignante pour le marché unique avec des indicateurs clés de performance clairs, afin d’éviter l’inertie bureaucratique :

  • Utiliser l’« élan du rapport Draghi » : Associer la vision de Letta à l’urgence du rapport Draghi pour des réformes structurelles, en présentant le marché unique comme une nécessité géopolitique.
  • Mobiliser des « champions » inter-institutionnels : Construire un réseau de députés européens et de ministres nationaux « Ambassadeurs du marché unique » pour promouvoir les priorités législatives comme le 28ème régime réglementaire proposé pour les startups.

Développer la participation citoyenne : au-delà du symbolique

Une « Conférence permanente des citoyens » pourrait éviter les écueils de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe, qui n’est pas parvenue à obtenir une visibilité et une légitimité suffisantes pour vraiment avoir un impact sur les futures politiques publiques européennes. Comment parvenir à corriger ces limites ?

  • Partir des citoyens afin de recueillir leurs positions avant tout, en utilisant des plateformes numériques comme CitizenLab pour collecter des idées, comme sur la réduction des barrières du marché unique (par exemple, simplifier les règles de TVA).
  • Collaborer avec les municipalités pour organiser des ateliers sur l’impact des réformes du marché unique sur les PME—une tactique employée par Letta lors de sa tournée européenne incluant des échanges avec les syndicats ouvriers et patronaux ainsi que des organisations de la société civile instituée.

La création d’une Conférence permanente des citoyens offrirait une plateforme continue pour l’engagement citoyen et permettrait de rester ancré dans les besoins et aspirations du public.

Selon Enrico Letta, « la Conférence permanente des citoyens pourrait produire des recommandations sur la manière de mettre en œuvre le rapport, en fournissant une perspective précieuse, certainement plus large et mieux fondée. (…) Aucun progrès réel ne sera possible, compris et accepté par nos opinions publiques sans la participation active et l’engagement véritable des citoyens européens ».

IV/ Créer un récit unificateur : le marché unique comme « bouclier commun » de l’Europe

La vision du rapport Letta doit rivaliser avec la montée de l’euroscepticisme et des populismes, tant libertarien que techno-solutionniste. Un récit convaincant pourrait présenter le marché unique comme :

  • Un actif pour la sécurité : « Tout comme l’UE a mutualisé le charbon et l’acier pour prévenir la guerre, le marché unique d’aujourd’hui sécurise les chaînes d’approvisionnement contre les chocs géopolitiques ».
  • Un égalisateur social : Mettre en avant les initiatives de santé transfrontalières ou le principe « Once-Only » réduisant les charges administratives pour les citoyens.
  • Un leader mondial en matière de normes : Contraster le modèle réglementaire européen basé sur les valeurs (par exemple, le RGPD) avec le techno-autoritarisme américain et chinois.

V/ Surmonter les obstacles à la mise en œuvre : un retour à la réalité

Le talon d’Achille du rapport Letta est sa dépendance à l’unanimité politique, en particulier des États-membres. Les principaux obstacles à lever correspondent à :

  • Simplifier les règles européennes et réduire la fragmentation réglementaire, dans un contexte de rejet du technocratisme, 27 régimes nationaux retardent la croissance des entreprises par rapport aux États-Unis.
  • Réduire les écarts de ressources dans la recherche et l’innovation : L’UE investit 2 % de son PIB dans la R&D, loin derrière les États-Unis (3,5 %) et même la Chine (2,4 %). Un « label d’excellence » pour les régions atteignant les objectifs de R&D pourrait encourager la coo-pétition entre écosystèmes régionaux spécialisés répartis dans toute l’Europe.

Le potentiel transformateur du rapport Letta est évident, mais sa fenêtre d’impact est étroite et surtout son succès ne peut se faire sans d’une part, simplifier la complexité, en privilégiant des analogies du type « Le marché unique est le WiFi de l’Europe—invisible mais essentiel » et d’autre part, en visibilisant les indicateurs de performance, avec des tableaux de bord trimestriels accessibles à tous sur l’élimination des barrières.

Comme l’averti Enrico Letta lui-même, l’Europe fait face à une « lente agonie » de déclin sans action audacieuse. La communication doit refléter cette urgence, transformant le marché unique d’un idéal technocratique en une réalité vécue par 450 millions de citoyens.

Décryptage du discours de la présidente Ursula von der Leyen au Forum économique mondial

Au lendemain du discours d’investiture de la présidence Trump II, le discours prononcé par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, au Forum économique mondial de Davos doit se lire comme la réponse européenne aux transformations géopolitiques, économiques et technologiques sans précédent. Quelle est la feuille de route stratégique pour l’Union européenne ?

Contexte global : un monde en mutation radicale

Von der Leyen ouvre son discours par un constat contrasté autour du paradoxe de la mondialisation, avec d’une part des succès initiaux de l’« hyper-mondialisation » des années 2000 : réduction massive de la pauvreté (notamment en Chine et en Inde), intégration technologique (boom des dot-com) et coopération institutionnelle (élargissement du G7 au G8) mais d’autre part, des fractures émergent comme nos dépendances stratégiques avec des chaînes d’approvisionnement globalisées (ex. : semi-conducteurs) devenues vulnérables aux chocs (pandémie, guerre en Ukraine), une concurrence systémique liée à l’essor de modèles économiques non marchands (ex. : Chine) et la course aux technologies critiques (IA, quantique, énergie propre) qui ont sapé les règles multilatérales et la sécurisation des échanges avec davantage de contraintes, de contrôles à l’exportation et de sanctions qui reflètent une « géo-économie » conflictuelle.

Face à ce nouvel désordre mondial, la présidente souligne que l’UE ne peut plus compter sur l’ordre libéral stable. Les rivalités entre blocs (États-Unis, Chine-Russie) et la fragmentation des chaînes de valeur obligent l’Europe à repenser sa posture pour assurer la transition énergétique alors que la guerre en Ukraine a révélé la vulnérabilité de l’UE face aux hydrocarbures russes (45 % du gaz en 2021) et que la compétitivité est en berne malgré un marché unique de 450 millions de consommateurs, l’Europe peine à convertir son épargne (1 400 Md€) en investissements innovants et en raison de dépendance technologique sachant que les contrôles sur les exportations de technologies ont quadruplés depuis 2000.

La feuille de route européenne : nos piliers stratégiques

Von der Leyen annonce un plan structuré autour de trois axes, soutenu par les rapports Draghi sur la compétitivité et Letta sur le marché unique se traduisant par une Union des marchés des capitaux avec des produits d’épargne paneuropéens attractifs pour canaliser l’épargne vers les start-ups et technologies vertes, des incitations au capital-risque afin de réduire les barrières fiscales et réglementaires pour les investisseurs et la mobilité des capitaux en harmonisant les règles sur les droits des sociétés, l’insolvabilité et la fiscalité. Cette union des marchés et des capitaux vise à concurrencer les marchés américains et asiatiques, mais son succès dépendra de la volonté des États membres à renoncer à des prérogatives nationales.

Afin de simplifier l’activité des entreprises, alors que les PME font face à 27 législations nationales divergentes (droit du travail, fiscalité, normes), décourageant l’innovation, l’idée est de créer un régime unique pour les entreprises innovantes, un cadre juridique unifié dit « 28e régime » pour opérer dans toute l’UE en vue de la réduction des formalités administratives, la simplification des règles sur la finance durable et la diligence raisonnable et pour le soutien aux PME afin de leur faciliter l’accès aux marchés publics et aux fonds d’innovation. Ce projet audacieux pourrait dynamiser l’écosystème des start-ups, mais nécessitera un consensus politique difficile à obtenir (ex. : harmonisation fiscale).

Pour assurer la transition énergétique en renforçant notre autonomie et notre compétitivité sachant que l’UE a réduit sa dépendance au gaz russe (-75 %) et au pétrole (-97 %), au prix d’une inflation énergétique, la stratégie proposée vise à accélérer les énergies propres (solaire, éolien, nucléaire selon les pays), à investir dans les technologies de rupture (fusion, géothermie), à moderniser les réseaux, interconnexion des infrastructures et stockage (batteries) dans le cadre de l’Union de l’énergie visant à libérer le marché pour une circulation transfrontalière des énergies renouvelables. La transition énergétique est présentée comme un levier de compétitivité (coûts stables) et de sécurité (moindre dépendance). Le défi réside dans la mobilisation de capitaux privés et l’acceptabilité sociale.

L’Europe dans le monde : un modèle de coopétition

Avec la Chine, Von der Leyen adopte une ligne pragmatique pour un partenariat rééquilibré entre défense contre les distorsions, ces mesures anti-subventions contre les voitures électriques chinoises et dialogue constructif visant à renforcer les liens à l’occasion des 50 ans des relations UE-Chine, notamment sur les infrastructures et le climat. L’idée est d’éviter un découplage trop fort tout en protégeant les industries européennes.

Plus largement, c’est vers un renforcement des alliances, tels que les partenariats économiques tels que les accords récents avec le Mercosur, le Mexique, et la Suisse visant à diversifier les chaînes d’approvisionnement et à promouvoir des normes durables, mais aussi la priorité vers l’Inde, le voyage inaugural du 2e mandant de von der Leyen en raison de son importance stratégique, démographique et technologique.

Last but not least, Ursula von der Leyen souligne l’interdépendance économique unique entre l’UE et les États-Unis, qualifiés de « partenaires les plus proches ». Elle rappelle que 3,5 millions d’emplois américains dépendent des entreprises européennes aux États-Unis, tandis qu’un million d’autres sont liés au commerce transatlantique, illustrant des chaînes de valeur intégrées avec un volume d’échanges de 1 500 milliards d’euros (30 % du commerce mondial). Face à ces enjeux vitaux, la Présidente adopte un ton pragmatique, prône un dialogue pour aligner nos intérêts communs (normes, sécurité énergétique), sans renoncer aux principes européens (réciprocité, défense du marché unique). L’approche de la présidence Trump dessine une démarche équilibrée entre nécessité de coopérer avec les États-Unis face à la concurrence systémique (Chine, Russie), mais volonté affirmée de protéger nos industries et de réduire les risques de dépendance asymétrique. Le partenariat transatlantique reste un pilier, mais dans un cadre rééquilibré, où l’Europe défend ses intérêts tout en évitant le piège d’un protectionnisme destructeur.

Messages clés et implications stratégiques

Que retenir de ce discours à Davos ? Plusieurs points clés : un narratif autour de résilience, une narration de l’UE comme acteur résilient, capable de surmonter les crises grâce à son modèle ; un équilibre entre sécurité et prospérité,  une approche ni protectionniste ni naïve, combinant ouverture et « dé-risquage » et diversification des chaînes d’approvisionnement ; un appel à l’unité européenne indispensable pour les réformes proposées (UMC, 28e régime) nécessitant une intégration plus poussée, mais testant la solidarité entre États membres ; une projection globale de l’UE qui se positionne comme un pont entre blocs, prônant un multilatéralisme réformé et des partenariats « gagnant-gagnant ».

Le discours de von der Leyen à Davos marque une inflexion dans la communication stratégique de l’UE : il associe réalisme géopolitique, ambition économique et fidélité aux valeurs européennes en articulant compétitivité, durabilité et coopération, une voie s’esquisse pour que l’UE demeure un acteur global dans un monde fragmenté.

La réussite de cette feuille de route dépendra de la capacité de l’UE à transformer ses déclarations en actions, tant en interne qu’à l’international.

Cap sur 2025 : priorités de la Commission von der Leyen pour une Europe en action

Les lettres de mission définissent les responsabilités et les attentes de la Présidente von der Leyen pour chaque Vice-Président exécutif de la Commission européenne, traçant une feuille de route pour les priorités et les ambitions pour les cinq prochaines années. L’accent étant mis sur « l’exécution et les résultats », que pouvons-nous attendre dès la barre fixée des 100 jours ?

Les six Vice-Présidents exécutifs et leurs missions

  • Teresa Ribera Rodríguez, Transition propre, juste et compétitive :  garantir une transition verte juste et efficace, moderniser la politique de concurrence et coordonner des travaux sur le pacte industriel vert. Les priorités clés comprennent réduction des prix de l’énergie, soutien à une transition juste pour les travailleurs et utilisation de la politique de concurrence pour soutenir l’innovation verte.
  • Henna Virkkunen, Souveraineté technologique, sécurité et démocratie :  renforcer l’indépendance technologique de l’Europe, la cybersécurité, la protection des valeurs démocratiques et la gestion de la migration et de la sécurité intérieure. Les initiatives clés comprennent une loi sur les réseaux numériques, le soutien à l’Union européenne de la défense et la lutte contre la désinformation.
  • Stéphane Séjourné, Prospérité et stratégie industrielle : Chargé de stimuler la compétitivité et l’innovation européennes, en mettant l’accent sur une nouvelle stratégie industrielle, le pacte industriel vert et le renforcement du marché unique. Les initiatives clés comprennent un Fonds européen pour la compétitivité, une loi sur l’accélération de la décarbonisation industrielle et une stratégie pour le marché unique.
  • Kaja Kallas, Affaires étrangères et politique de sécurité :  diriger la politique étrangère de l’UE, en mettant l’accent sur le soutien à l’Ukraine, le renforcement de la défense européenne, le développement d’une approche plus stratégique des sanctions et la promotion de partenariats clés (transatlantique, G7, etc.). Un Livre blanc sur l’avenir de la défense européenne est un livrable clé.
  • Roxana Mînzatu, Personnes, compétences et préparation :  renforcer le capital humain de l’Europe grâce au développement des compétences, à l’éducation et aux droits sociaux. Les initiatives clés comprennent un plan d’action pour la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux, une feuille de route pour des emplois de qualité et une stratégie pour une Union des compétences.
  • Raffaele Fitto, Cohésion et réformes :  garantir la mise en œuvre réussie de NextGenerationEU, le renforcement de la cohésion économique, sociale et territoriale et le soutien au développement régional. Les domaines clés comprennent la réduction des disparités régionales, le soutien aux communautés rurales et la promotion de la mobilité et du tourisme durables.

Les 100 premiers jours : des actions concrètes

Dans les 100 premiers jours, les Youth Policy Dialogues, le Livre Blanc sur l’Avenir de la Défense européenne et le Pacte Industriel Vert sont les principaux efforts collaboratifs impliquant plusieurs Vice-Présidents Exécutifs :

  • Henna Virkkunen, Souveraineté Technologique, Sécurité et Démocratie :
  • Garantir l’accès à une capacité de supercalcul adaptée pour les start-ups et l’industrie de l’IA par le biais de l’initiative AI Factories.
  • Proposer, en collaboration avec le Commissaire à la Défense et à l’Espace, un Livre Blanc sur l’Avenir de la Défense Européenne.
  • Organiser une première édition des Youth Policy Dialogues.
  • Kaja Kallas, Affaires Étrangères et Politique de Sécurité :
  • Proposer, en collaboration avec le Commissaire à la Défense et à l’Espace, un Livre Blanc sur l’Avenir de la Défense européenne.
  • Organiser une première édition des Youth Policy Dialogues.
  • Raffaele Fitto, Cohésion et Réformes :
  • Organiser une première édition des Youth Policy Dialogues.
  • Roxana Mînzatu, Personnes, Compétences et Préparation :
  • Présenter un nouveau Plan d’Action sur la Mise en Œuvre du Socle Européen des Droits Sociaux
  • Organiser une première édition des Youth Policy Dialogues.
  • Stéphane Séjourné, Prospérité et Stratégie Industrielle :
  • Développer, avec le Commissaire au Climat, à la Neutralité Carbone et à la Croissance Verte, le Pacte Industriel Vert.
  • Présenter une loi d’Accélération de la Décarbonisation Industrielle. Mettre en place une plateforme dédiée aux Matières Premières Critiques de l’UE. Présenter l’Acte sur l’Économie Circulaire (conjointement avec le Commissaire à l’Environnement). Présenter un nouveau Paquet pour l’Industrie Chimique (conjointement avec le Commissaire à l’Environnement).
  • Teresa Ribera Rodríguez, Transition Propre, Juste et Compétitive :
  • Développer, avec le Commissaire au Climat, à la Neutralité Carbone et à la Croissance Verte, le Pacte Industriel Vert.
  • Réviser les Lignes Directrices sur le Contrôle des Fusions Horizontales.

L’Europe est à la croisée des chemins. Le succès de l’agenda de la nouvelle Commission dépendra de notre capacité à traduire ces ambitions en actions concrètes et tangibles afin que l’Europe ait les moyens de ses ambitions, c’est de notre responsabilité collective.