Archives par étiquette : Commission européenne

Décryptage de la communication de crise au cœur déjà du second mandat d’Ursula von der Leyen

Après un premier mandat d’Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne profondément marqué par la gestion de crises successives, la communication de crise dans son second mandat demeure non seulement une nécessité opérationnelle mais aussi un enjeu politique. Les crises exigent des actions décisives, mais également une communication claire, rapide et rassurante pour préserver la confiance publique, justifier les réponses politiques et cultiver la solidarité. La capacité de l’Union européenne à (re)gagner le soutien citoyen en période de turbulence dépend intrinsèquement de la manière dont ses dirigeants communiquent. Alors que le style de communication du premier mandat a démontré une capacité à centraliser les réponses, comment cette approche évolue-t-elle face aux pressions continues et aux controverses potentielles, et quel équilibre sera trouvé entre la projection de force et la transparence nécessaire ?

Naviguer les turbulences externes et internes : études de cas

Si l’armure a brillé sous les projecteurs des sommets internationaux, elle a parfois grincé dans les couloirs feutrés de la politique intérieure européenne. Peut-on être à la fois le porte-étendard inflexible de l’UE à l’extérieur et maîtriser l’art de la posture (presque) martiale et ne pas être la championne de la transparence et de l’écoute à l’intérieur ? C’est tout l’enjeu.

Étude de cas 1 : la réponse aux menaces tarifaires américaines

Face aux mesures commerciales restrictives de la part des États-Unis, et a fortiori avec la dernière annonce de placer des tarifs à 50% sur les importations européennes aux Etats-Unis dès début juin, la stratégie de communication de crise n’apparaît pas suffisamment décisive pour réagir et riposter, alors qu’il s’agit d’une compétence exclusive confiée par les Etats-membres à l’UE.

Le défi de la stratégie de communication devrait viser à projeter force et unité pour dissuader, tout en maintenant la porte ouverte à la diplomatie et en atténuant les dommages économiques. Le risque d’apparaître dans une position objectivement de faiblesse essentiellement réactive devrait être compensé par une pédagogie sur les moyens à la disposition de l’UE et la démarche collective solidaire entre les États-membres.

Étude de cas 2 : la communication de crise continue sur la guerre en Ukraine

Alors que la guerre d’agression russe se poursuit et que des inquiétudes émergent quant à une possible « fatigue de la guerre » ou un affaiblissement du soutien international, la communication reste essentielle. La stratégie de von der Leyen consiste invariablement à présenter le conflit comme une menace existentielle non seulement pour l’Ukraine, mais pour l’Europe entière. Le message central est celui d’un soutien indéfectible de l’UE à l’Ukraine « aussi longtemps que nécessaire », en insistant sur l’unité et la résolution des États membres. La communication met activement en lumière les mesures de soutien concrètes : aide financière, coordination des fournitures militaires, sanctions contre la Russie, et efforts pour l’intégration du marché énergétique ukrainien à celui de l’UE. La lutte de l’Ukraine est constamment liée à la défense des valeurs et des intérêts sécuritaires européens. Les grandes initiatives de défense de l’UE, comme le plan « ReArm Europe », sont également présentées, en partie, comme des mesures nécessaires pour renforcer le soutien à l’Ukraine. Des actions symboliques, telles que les visites à Kyiv ou les déclarations conjointes avec les dirigeants ukrainiens, sont utilisées pour renforcer le message de solidarité

Le défi principal est de maintenir le soutien politique et public pour cet engagement à long terme, face aux pressions domestiques et internationales concurrentes. La communication de crise vise à persuader les opinions publiques européennes de la nécessité de ce soutien continu, tout en signalant une détermination sans faille aux acteurs externes comme la Russie et les États-Unis.

Étude de cas 3 : la gestion des controverses internes

Sur le front intérieur, l’armure se fissure et la communication de crise version von der Leyen montre ses limites. La tendance à la centralisation, au contrôle, voire au secret, peut se retourner contre elle :

L’incident de la pneumonie en janvier 2025 : Lorsque von der Leyen a été hospitalisée pour une pneumonie, son équipe de communication aurait minimisé ou occulté la situation. De plus, elle n’a pas formellement délégué le contrôle de la Commission pendant son absence. Cette approche suggère une stratégie privilégiant le maintien d’une image de leadership ininterrompu et de stabilité institutionnelle, potentiellement au détriment de la transparence. Cette gestion a suscité des critiques de la part d’observateurs qui l’ont jugée excessivement secrète.

La démission de Thierry Breton : Le départ du Commissaire Thierry Breton aurait été précipité par sa décision de publier sur X une lettre d’avertissement à Elon Musk concernant la mise en œuvre d’enquêtes, sans coordination préalable avec le cabinet de von der Leyen. Par la suite, celle-ci aurait informé le Président français Emmanuel Macron qu’elle ne pouvait plus travailler avec M. Breton. Cet incident, communiqué principalement par des canaux internes et diplomatiques plutôt que par des déclarations publiques, souligne le contrôle très centralisé de la communication au sein de son administration et suggère une faible tolérance pour les actions perçues comme sapant ce contrôle ou défiant son autorité.

L’affaire des SMS avec le PDG de Pfizer : D’emblée dotée d’un nom dédiée, l’une de plus importantes crises, le «Pfizergate » incarne tous les travers de la présidente de la Commission européenne : non seulement la classique culture du secret mais en l’occurrence la destruction des échanges de SMS. Le Tribunal de la Cour de justice vient de juger que ces SMS existaient bel et bien et qu’Ursula von der Leyen a menti et la Commission avec elle. La tactique de l’évitement et le traitement par le mépris n’ont pas suffit à faire taire les critiques, dorénavant légitimes, car confirmées par les juges européens.

Ces épisodes révèlent une constante : une préférence pour le contrôle, parfois au détriment de la transparence. Le « Kabinett » von der Leyen, souvent comparé à une forteresse bien gardée, a tendance à vouloir tout maîtriser, tout verrouiller. C’est humain, surtout en temps de crise. Mais c’est aussi un risque.

Pour une communication de crise (vraiment) éclairée

Si Ursula von der Leyen veut marquer son second mandat d’une pierre blanche en matière de communication, voici quelques modestes suggestions, garanties sans éléments de langage officiels :

1. Un soupçon d’humour et d’autodérision : Sérieux ne veut pas dire ennuyeux. L’Europe est souvent perçue comme une machine complexe et technocratique. Un peu de légèreté, une pointe d’humour (même sur soi-même !) peut rendre le message plus accessible, plus humain. Et franchement, ça nous ferait du bien à tous.

2. Ouvrir (un peu plus) les fenêtres du Berlaymont : La transparence n’est pas un gros mot. C’est même la meilleure amie de la confiance. Expliquer les décisions, même complexes, même impopulaires. Reconnaître les erreurs quand il y en a. Le public est plus intelligent qu’on ne le pense. Et un peu d’air frais n’a jamais fait de mal à personne.

3. Jouer la carte de l’empathie (la vraie, pas celle qui est calculée) : Les citoyens ne sont pas des statistiques. Derrière les grandes politiques, il y a des vies, des inquiétudes. Une communication qui parle au cœur autant qu’à la raison est une communication qui porte. Un zeste d’humilité ne ferait pas de mal non plus. La rencontre à Bruxelles avec les victimes des inondations en Espagne après le congrès du PPE va dans la bonne direction.

4. Faire confiance à son équipe (et au-delà) : La centralisation a ses vertus, mais elle a aussi ses limites. Déléguer la parole, encourager les Commissaires à s’exprimer (quitte à ce qu’ils fassent parfois une petite « boulette » – c’est ça aussi, la démocratie !), c’est montrer une Europe plurielle et vivante.

5. Accepter la critique et le débat : Le Parlement européen n’est pas un paillasson. Les journalistes ne sont pas (tous) des ennemis. Les ONG ne sont pas (toujours) des empêcheurs de tourner en rond. Le débat contradictoire est le sel de la démocratie. Une communication qui l’accepte, voire le stimule, est une communication mature.

La communication de crise reste donc un pilier central de la présidence von der Leyen, particulièrement efficace pour projeter l’unité et la détermination de l’UE face aux menaces extérieures comme la guerre en Ukraine ou les potentiels différends commerciaux. Cependant, la gestion des enjeux internes révèle une approche privilégiant le contrôle sur la transparence, une tendance à la centralisation potentiellement renforcée par la nature même des crises.

Le véritable leadership éclairé pour un second mandat pourrait résider dans la capacité à affiner l’équilibre entre d’une part, rapidité et centralisation nécessaires en pleine tempête et d’autre part, maintenir la confiance à long terme exige aussi une communication qui intègre davantage de transparence et de réceptivité, même lorsque les sujets sont sensibles. Naviguer les crises futures demandera non seulement de la résolution, mais aussi une communication subtile capable de maintenir la cohésion interne et la crédibilité externe dans un monde de plus en plus complexe et contesté.

En conclusion, Ursula von der Leyen a prouvé qu’elle savait être une « guerrière » de la communication en temps de crise externe. Le défi de son second mandat sera de devenir aussi une « pacificatrice » tissant des liens en interne, une championne de la transparence et de l’écoute. Car la véritable force de l’Union européenne ne réside pas seulement dans sa capacité à projeter une image d’unité face au monde, mais aussi dans sa capacité à convaincre ses propres citoyens de la justesse de son action, même (et surtout) quand les temps sont durs. Et pour cela, il faut plus qu’une armure : il faut une âme. Et une communication qui la révèle.

L’UE s’ambitionne « Continent de l’IA » mais se réalise en îlot de bonnes intentions dans l’océan technologique mondial face aux USA et à la Chine ?

Bruxelles nous invite à rêver : l’Europe deviendrait le « Continent de l’IA », une ambition parée des vertus de l’éthique, du respect des droits et de notre précieux humanisme. Le plan d’action de l’UE décline infrastructures (les fameuses « AI Factories » et « Gigafactories »), données (« une Union des données »), régulation des algorithmes, recrutement des talents et, bien sûr, révision de l’AI Act. Un édifice intellectuellement séduisant. Mais osons poser des questions qui fâchent. Cette vision, quoiqu’ambitieuse sur le papier, est-elle réellement calibrée pour la compétition féroce et quasi-existentielle qui se joue ? Sommes-nous en train de bâtir un leader mondial, ou de nous draper dans une supériorité morale pendant que d’autres définissent de facto l’avenir technologique ? Tout effort de communication, bien qu’indispensable pour faire la pédagogie, ne risque-t-elle pas de n’être qu’un murmure face au vacarme des investissements et des déploiements américains et chinois ?

L’ambition concrètement, entre réalité chiffrée et illusion d’échelle ?

Regardons les chiffres annoncés : 10 milliards d’euros (public/privé) pour le supercalcul et les AI Factories jusqu’en 2027, un objectif de mobilisation de 200 milliards via InvestAI. Impressionnant ? Peut-être à l’échelle européenne. Mais est-ce seulement comparable aux centaines de milliards injectés par les fonds de capital-risque américains dans une poignée de géants de la tech, ou aux investissements massifs et dirigés par l’État chinois pour intégrer l’IA à toutes les strates de son économie et de sa société ? Quand une seule entreprise américaine, Nvidia, pèse plus en bourse que l’ensemble du CAC 40, pouvons-nous sérieusement parler de jouer dans la même cour avec nos budgets actuels, même mobilisés ? Ne sommes-nous pas en train de financer des laboratoires là où d’autres construisent des empires ?

Le temps institutionnel de l’UE face à la vitesse quantique de l’IA aux USA et en Chine

Le plan mentionne l’urgence, la nécessité d’agir vite (« Swift policy action is of highest priority »). Pourtant, les échéances clés semblent s’étirer : fin 2025, début 2026 pour des appels ou des législations structurantes, une application complète de l’AI Act s’étalant jusqu’en… 2027. Pendant ce temps, chaque trimestre voit émerger de nouveaux modèles fondamentaux aux États-Unis, potentiellement disruptifs, tandis que la Chine déploie l’IA à une échelle et une vitesse qui défient l’entendement européen. Ne sommes-nous pas condamnés à réguler hier les technologies que d’autres inventent aujourd’hui et déploieront demain ? Notre sens de la mesure et du processus démocratique, si précieux soit-il, est-il compatible avec la temporalité brutale de cette révolution ?

La primauté réglementaire : un bouclier protecteur ou un frein à main ?

L’AI Act est présenté comme notre avantage compétitif : la confiance, l’éthique. Mais cette primauté accordée à la règle avant l’innovation massive n’est-elle pas un pari risqué ? Alors que les États-Unis misent sur une innovation largement débridée (quitte à en gérer les conséquences a posteriori) et que la Chine optimise pour l’efficacité et le contrôle, ne risquons-nous pas de créer l’écosystème d’IA le plus éthique… mais le moins pertinent économiquement et géopolitiquement ? L’intention de faciliter la conformité pour les PME est louable, mais suffit-elle à compenser la complexité inhérente et le signal envoyé au marché : « innovez, mais faîtes attention » ?

Le déficit narratif : peut-on « communiquer » avec succès un géant aux pieds d’argile ?

Au-delà des budgets et des agendas, il y a le récit. Le plan d’action est un document technique, pas une épopée mobilisatrice. Où est la vision vibrante qui peut inspirer nos chercheurs, attirer les meilleurs talents mondiaux face aux sirènes de la Silicon Valley, convaincre nos PME d’adopter l’IA avec audace, et rassurer un public européen légitimement perplexe ? Est-il même possible pour une structure aussi complexe et consensuelle que l’UE de produire un récit aussi puissant et direct que celui des GAFA ?

Le « Continent de l’IA » risque fort de rester un slogan technocratique si nous n’investissons pas massivement, non pas dans la « communication » au sens traditionnel, mais dans la construction culturelle et politique d’une ambition partagée.

Il s’agit de dépasser l’illusion que l’adhésion à un projet aussi transformateur que l’intelligence artificielle à l’échelle européenne puisse être obtenue par des techniques de communication classiques – campagnes d’information, relations publiques, vulgarisation technique. Ces approches sont nécessaires mais radicalement insuffisantes face à l’ampleur du défi.

Pourquoi la communication traditionnelle ne suffirait pas à transformer l’UE en « continent de l’IA » ?

  1. Les limites d’une communication descendante : L’IA n’est pas un produit de consommation ordinaire ou une simple politique sectorielle. Elle touche aux fondements de nos sociétés : travail, vie privée, démocratie, identité, éthique. Tenter de « vendre » une vision pré-définie par les institutions, aussi bien intentionnée soit-elle, se heurte inévitablement à un mélange d’incompréhension, d’anxiété légitime et de scepticisme. La communication traditionnelle informe, mais elle ne crée pas intrinsèquement l’appropriation ni la confiance profonde requises ici. Elle peine à répondre au besoin fondamental de sens et de contrôle des citoyens face à une technologie perçue comme complexe et potentiellement déstabilisante.
  2. Le besoin d’une « acculturation » à l’IA : Parler d’une construction culturelle, c’est reconnaître que l’IA doit devenir un sujet de société largement débattu, compris (même sans expertise technique) et intégré dans notre paysage mental collectif. Cela implique :
    • Une éducation massive : Aller bien au-delà des spécialistes et intégrer une compréhension critique et pratique de l’IA à tous les niveaux du système éducatif, de l’école primaire à la formation continue des adultes.
    • Une dialogue public structuré : Créer des espaces permanents et accessibles (forums citoyens, débats locaux et nationaux, plateformes en ligne dédiées) où les enjeux éthiques, sociaux et économiques de l’IA sont discutés ouvertement, sans jargon, et où les préoccupations peuvent être exprimées et entendues.
    • Un soutien à la création et à la médiation : Encourager les artistes, les écrivains, les cinéastes, les journalistes à s’emparer du sujet de l’IA, à explorer ses potentialités et ses ambiguïtés, contribuant ainsi à forger un imaginaire collectif européen autour de cette technologie. Soutenir les musées, les centres de science pour rendre l’IA tangible et compréhensible.
    • Une visibilité des bénéfices tangibles : Mettre en lumière non seulement les plans, mais surtout les réalisations concrètes et les histoires humaines qui montrent comment l’IA « made in Europe » améliorera la santé, l’environnement, le travail, la culture – ancrer la vision dans le réel vécu.
  3. L’indispensable ancrage politique : La construction politique va au-delà des déclarations de la Commission ou des votes au Parlement européen. Elle nécessite :
    • Un Consensus transpartisan et transnational : Faire de l’IA européenne une priorité partagée qui dépasse les clivages politiques habituels et les intérêts nationaux. Cela demande un engagement fort et constant des chefs d’État et de gouvernement, des parlements nationaux.
    • Une co-construction de la vision : Impliquer activement les citoyens, les partenaires sociaux, la société civile dans la définition même des priorités et des garde-fous de l’IA européenne. Le projet ne doit pas être perçu comme imposé par « Bruxelles », mais comme émanant d’une volonté collective.
    • L’IA comme élément structurant du projet européen : Intégrer explicitement la vision d’une IA européenne souveraine et éthique au cœur du narratif politique global de l’Union, au même titre que la paix, la démocratie ou le marché unique. Ce n’est pas juste un dossier technique, c’est une dimension essentielle de l’avenir de l’Europe.

Investir dans une construction européenne culturelle et politique, c’est reconnaître que la légitimité et le succès du « Continent de l’IA » ne se décrètent ni depuis des bureaux ministériels ni dans des laboratoires de recherche. C’est un mouvement de société qui se construit patiemment dans les esprits, les cœurs et les débats démocratiques de millions d’Européens. Sans cet investissement massif dans le « logiciel » humain, culturel et politique, le « matériel » – les supercalculateurs, les data centers, les algorithmes – risque de tourner à vide, faute d’une appropriation collective et d’une direction politique claire et partagée. Le slogan restera lettre morte s’il ne devient pas une ambition vécue et portée par la société européenne dans son ensemble.

Quelle audace raisonnable entre puissance et marché pour l’Europe de l’IA ?

L’heure n’est plus aux demi-mesures ou aux satisfecits sur nos intentions vertueuses. L’Europe veut-elle être un acteur de premier plan dans la définition de l’avenir technologique mondial, avec les risques et les investissements colossaux que cela implique ? Ou se contente-t-elle d’être le régulateur bienveillant d’innovations conçues ailleurs, un « marché » plutôt qu’une « puissance » ?

La véritable audace ne réside pas seulement dans l’écriture de plans ambitieux, mais dans la lucidité de nos diagnostics, la rapidité de nos actions, l’échelle de nos investissements et, surtout, dans notre capacité à forger et à porter un récit qui transcende la technique pour toucher à l’imaginaire collectif. Sans un sursaut radical sur tous ces fronts, le « Continent de l’IA » risque de n’être qu’une note de bas de page dans l’histoire que d’autres sont en train d’écrire. Avons-nous encore le temps et la volonté politique de changer la donne ? La question reste douloureusement ouverte.

Du « Blueprint » au « Battlefield », le virage de la communication stratégique des 100 premiers jours de la Commission européenne

La borne des 100 premiers jours sert de baromètre pour évaluer l’alignement entre les promesses initiales et les réalités sur le terrain. Pour la Commission von der Leyen II, marquer ses 100 premiers jours, par une conférence de presse organisée sans urgente raison le week-end, n’est pas seulement une étape symbolique, mais un moment pour évaluer le pivot stratégique en matière de communication. La comparaison entre le plan initial après le scrutin européen et le discours des 100 jours met en évidence un changement dans les priorités politiques, les messages clés et la feuille de route globale…

Alors : juillet 2024 – « Le choix de l’Europe » – une vision d’ambition équilibrée

Les « orientations politiques » d’Ursula von der Leyen, présentées à Strasbourg en juillet 2024, offraient une vision globale construite sur 4 piliers fondamentaux :

  • Prospérité et compétitivité durable : C’était la pierre angulaire, soulignant la nécessité d’un nouveau plan pour la prospérité européenne, axé sur l’approfondissement du marché unique, un pacte pour une industrie propre, la recherche et l’innovation, la productivité numérique, l’investissement durable et le développement des compétences. Le message portait sur le renforcement du moteur économique de l’Europe dans un paysage mondial en mutation, en mettant l’accent sur l’économie sociale de marché et une transition juste.
  • Une nouvelle ère pour la défense et la sécurité européennes : Bien que la sécurité ait été reconnue, l’accent était mis sur la construction d’une « véritable Union européenne de la défense » grâce à des capacités renforcées, au renforcement de la base industrielle et à la préparation aux crises. Le ton était proactif mais pas encore dominé par une perception de menace immédiate.
  • Soutenir les citoyens et renforcer les sociétés et le modèle social : Ce pilier mettait en lumière l’équité sociale, en se concentrant sur le socle européen des droits sociaux, en abordant la crise du logement, l’équité intergénérationnelle et l’égalité. Le message portait sur l’inclusion, la cohésion sociale et la préservation du mode de vie européen.
  • L’Europe dans le monde : tirer parti des partenariats : Ce pilier se concentrait sur le multilatéralisme, l’élargissement comme impératif géopolitique, une approche stratégique des pays voisins (en particulier la Méditerranée) et une nouvelle politique économique étrangère axée sur la sécurité économique, le commerce et les partenariats d’investissement. Le message portait sur une Europe confiante et affirmée sur la scène mondiale, plaidant pour un ordre international fondé sur des règles.

Les messages clés en juillet 2024 pouvaient se résumer à :

  • Choix et unité : L’Europe est confrontée à un choix clair : l’unité ou la fragmentation. Le message était de choisir la voie de l’Union pour relever les défis mondiaux.
  • Résilience et souveraineté : L’accent était mis sur la réduction des dépendances et l’action souveraine dans un monde turbulent.
  • Durabilité et transition numérique : L’engagement envers le Pacte Vert et la transformation numérique comme moteurs de prospérité et de compétitivité.
  • Équité sociale et égalité : Défendre le modèle social européen et assurer l’égalité pour tous.
  • Partenariat et multilatéralisme : Renforcer les alliances et réformer l’ordre mondial.

Maintenant : « Réarmer l’Europe » – une urgence de défense et de sécurité

Dans le discours de presse des 100 jours, le changement est palpable. Les 3 piliers de la prospérité, de la sécurité et de la démocratie sont réitérés comme principes directeurs, le ton et l’accent ont radicalement changé. Le monde décrit n’est plus celui d’un changement gérable, mais celui d’une « vitesse fulgurante », de « bouleversements géopolitiques ébranlant les alliances », de « certitudes qui s’effondrent » et d’une « guerre brutale qui fait rage à nos frontières ».

Priorités politiques actuelles :

  • Domination de la défense et de la sécurité : La sécurité est passée d’un pilier parmi quatre à la priorité absolue. La nomination d’un Commissaire à la défense, le paquet REARM Europe et l’accent mis sur une Union européenne de la défense ne sont pas seulement des initiatives, mais des nécessités existentielles. Le langage est cru : « nouvelle ère de concurrence géostratégique âpre », « la souveraineté et les engagements inébranlables sont remis en question », « tout est devenu transactionnel ».
  • Sécurité économique en tant que sécurité collective : La prospérité est désormais inextricablement liée à la sécurité. La force économique est présentée comme les « deux faces d’une même pièce ». L’accent est mis sur la construction d' »économies fortes » grâce à des partenariats de confiance pour éviter les « sur-dépendances, les vulnérabilités et le chantage ». La compétitivité est présentée comme essentielle à la sécurité collective.
  • Urgence et préparation : L’état d’esprit dominant est celui de l' »urgence » et de la « préparation ». L’appel à « passer à un état d’esprit de préparation » et la convocation du tout premier Collège de la sécurité soulignent ce changement. L’accent est mis sur la rapidité, l’ampleur et la détermination pour faire face aux « crises d’aujourd’hui ».
  • Migration en tant que question de sécurité : Bien que la migration ait toujours été un défi, elle est désormais explicitement encadrée dans le contexte de la sécurité. L’accent mis sur les « retours », l' »ordre européen de retour » et des mesures plus strictes pour les risques de sécurité met en évidence la sécurisation de la politique migratoire.

Les nouveaux messages clés actuels sont :

  • Crise et urgence : Le message primordial est celui de la crise et de l’urgence. Le monde est dangereux et l’Europe doit agir de manière décisive et rapide.
  • REARM Europe et Union de la défense : Le message central est la nécessité de réarmer l’Europe et de construire une Union européenne de la défense comme fondement de la sécurité et de la prospérité.
  • Ouverture et stabilité dans un monde transactionnel : L’Europe restera « ouverte » et défendra le « partenariat et le dialogue », offrant « stabilité et prévisibilité » dans un monde d’incertitude et de gains à court terme.
  • Force économique en tant que sécurité : La compétitivité économique est vitale pour la sécurité, et les investissements dans la défense stimuleront le marché unique.
  • Affirmation et détermination : La Commission est « prête à faire face aux crises d’aujourd’hui » avec « rapidité, ampleur et détermination ».

La feuille de route de la Commission européenneest plus axée sur l’action et motivée par les crises. Bien que les objectifs à long terme demeurent, l’accent immédiat est mis sur :

  • Mise en œuvre de REARM Europe : Faire avancer le paquet défense « avec toute la force nécessaire ».
  • Collège de la Sécurité : Établir un mécanisme de mises à jour régulières sur la sécurité et d’évaluation des menaces.
  • Proposition légale sur les retours de migrants : Adopter une proposition sur les retours comme élément clé du pacte sur la migration et l’asile.
  • Nouveaux paquets ommnibus : Simplifier davantage les règles et réduire les formalités administratives, y compris dans le secteur de la défense.
  • Union européenne de l’épargne et de l’investissement : Lancer cette initiative pour mobiliser des capitaux pour les investissements.
  • Dialogues sectoriels : Poursuivre les dialogues avec les industries clés (agriculture, automobile, acier) avec un sentiment d’urgence renouvelé.

Perspectives et implications en termes de communication stratégique :

Voici les principales perspectives de changement :

  • De la vision à la réaction : Les orientations initiales présentaient une vision proactive pour l’avenir de l’Europe. Le discours des 100 jours est plus réactif, motivé par les crises immédiates et les menaces extérieures. La communication est passée de la présentation d’un plan à long terme à la mise en évidence d’une action urgente dans un environnement volatile.
  • Sécurisation de la politique : La sécurité est devenue le prisme dominant à travers lequel toutes les politiques sont envisagées. De la compétitivité économique à la migration, le récit est de plus en plus encadré par des préoccupations de sécurité. Cela nécessite une stratégie de communication qui équilibre les impératifs de sécurité avec l’engagement de l’UE en faveur de l’ouverture, des valeurs et des droits fondamentaux.
  • Accent sur la puissance militaire (« Hard Power ») : L’accent mis sur REARM Europe et une Union européenne de la défense signale un changement significatif vers la mise en avant des capacités de puissance militaire. La communication stratégique doit désormais transmettre efficacement ce changement tout en rassurant les citoyens et les partenaires qu’il s’agit d’une mesure nécessaire pour la paix et la stabilité, et non d’une militarisation belliciste.
  • L’urgence comme outil de communication : L’insistance constante sur l' »urgence » est un outil de communication pour mobiliser l’action et recueillir le soutien. Cependant, elle comporte également le risque de créer de l’anxiété et potentiellement d’éroder la confiance si elle n’est pas gérée avec précaution. La communication doit équilibrer le message d’urgence avec un message de réassurance et une voie claire à suivre.
  • Partenariats redéfinis par la confiance : Les partenariats ne concernent plus seulement la coopération économique ou politique, mais sont de plus en plus définis par la « confiance ». Cela nécessite une stratégie de communication qui mette l’accent sur les valeurs partagées, la fiabilité et l’engagement à long terme dans la construction d’alliances.
  • Cohésion interne comme impératif de sécurité : L’appel à l’unité et à la cohésion sociale n’est pas seulement un objectif de politique sociale, mais un impératif de sécurité. Les divisions au sein des sociétés sont considérées comme des vulnérabilités qui peuvent être exploitées par des acteurs extérieurs. La communication doit renforcer le message d’unité et de solidarité européennes comme essentiels à la sécurité collective.
  • Nécessité d’un message clair et cohérent : Dans un environnement motivé par les crises, un message clair, cohérent et facilement compréhensible est primordial. La complexité des politiques de l’UE doit être traduite en récits accessibles qui trouvent un écho auprès des citoyens et des parties prenantes, en renforçant la confiance et la compréhension face à l’incertitude.

Les 100 premiers jours de la Commission von der Leyen marquent une transition d’une feuille de route pré-planifiée, le « blueprint » à un mode de réponse aux crises, le « battlefield ». Le défi de la communication stratégique consiste désormais à articuler efficacement ce changement, en équilibrant le besoin urgent de sécurité et de défense avec les valeurs fondamentales de l’UE.

Le récit européen doit transmettre la détermination tout en demeurant un « choix de l’Europe » le contexte nous pousse à nous réarmer, passant d’une décision stratégique à un impératif immédiat de survie et de résilience. La stratégie de communication de l’UE doit désormais refléter cette nouvelle réalité.

Quelle campagne idéale de communication stratégique de l’UE, selon le programme de travail de la Commission européenne en 2025 ?

À l’aube d’une nouvelle ère géopolitique, marquée par des défis complexes et interconnectés, la Commission européenne se doit de transcender le simple exercice de communication pour engager un dialogue avec les citoyens, les entreprises et les parties prenantes. Le programme de travail pour 2025 représente une feuille de route pour « une Union plus forte, plus unie et plus efficace ». Cependant, son impact réel dépendra de la capacité à traduire cette vision en une narration claire, inspirante et mobilisatrice. Une campagne de communication stratégique qui ambitionne de forger un récit européen commun, de susciter un sentiment d’appartenance renouvelé et de démontrer concrètement la valeur ajoutée de l’action européenne dans un monde en pleine mutation. En misant sur la force du collectif, la simplification des actions et une projection résolument tournée vers l’avenir, cette campagne viserait à réaffirmer le leadership de l’UE et à consolider le lien de confiance avec ses publics.

Un narratif principal : L’Europe façonne activement son destin collectif – unis dans l’action, ambitieux dans la vision

Pour transformer le programme de travail 2025 d’une richesse considérable, en une communication percutante, il est impératif de le condenser en un récit central, clair et convaincant. Le message fondamental doit être décliné :

1/ Une force proactive et anticipatrice, l’Europe en mode solutions, pas seulement en mode gestion de crise : transformer la perception d’une UE constamment en mode gestion de crise en celle d’une force proactive qui relève les défis de front et construit un avenir plus solide. Mettre en avant le concept d’une « Union plus audacieuse, plus simple et plus rapide ». Exemples concrets à exploiter autour de la défense commune, du bouclier cybernétique, de l’autonomie énergétique.

2/ L’unité c’est notre ADN, notre puissance vient du collectif : notre superpouvoir, c’est cette unité : souligner le message central de « l’Union » comme la meilleure option pour l’Europe. Illustrer comment l’action collective produit des résultats que les nations individuelles ne peuvent atteindre seules. Insister sur la solidarité, la coopération et les valeurs partagées. Simplifier pour un impact réel qui libère l’innovation : se concentrer sur les avantages tangibles des efforts de simplification pour les entreprises, en particulier les PME et les citoyens. Démontrer comment la rationalisation des normes se traduit par des améliorations concrètes en termes d’emplois, d’innovation et de croissance.

3/ L’Europe, un laboratoire du futur pour des bénéfices intergénérationnels : mettre en évidence la perspective à long terme, en se concentrant sur la construction d’un « avenir plus sûr, plus prospère et plus sain pour les générations futures ».  Relier les actions actuelles aux bénéfices futurs, en particulier pour les jeunes générations, avec des sujets comme la santé, la sécurité alimentaire ou la compétitivité technologique.

Des piliers fondamentaux pour une campagne transformatrice

Pilier 1 : Une Union de sécurité comme fondement de notre avenir collectif

Ce pilier vise à protéger ses citoyens et ses intérêts dans un monde de plus en plus instable.

L’UE ne se contente pas de réagir – elle réinvente la sécurité via une approche holistique (cyber, énergie, santé), tout en consolidant des partenariats stratégiques (alliances globales) et la résilience sociétale.

La campagne peut souligner que l’UE n’est pas complaisante mais qu’elle répond activement à des menaces réelles et significatives :

Construire une véritable Union européenne de défense avec une industrie de défense compétitive et un cadre pour les besoins d’investissement en matière de défense et les capacités de défense critiques.

Au-delà de la défense militaire, d’autres enjeux :

Mieux protéger nos infrastructures sous-marines, notamment les câbles de télécommunications, qui sont une partie essentielle de notre infrastructure numérique critique ;

Sur la cybersécurité des hôpitaux et des prestataires de soins de santé et réduire les dépendances dans les secteurs vitaux.

Pilier 2 : Une Union compétitive, l’innovation au service de la prospérité partagée

Ce pilier se concentre sur l’agenda économique de l’UE, en positionnant l’UE comme le continent de la durabilité rentable, où transition écologique rime avec création d’emplois high-tech et souveraineté industrielle.

Face aux défis de « la concurrence déloyale, des coûts énergétiques élevés, des pénuries de main-d’œuvre et de compétences et des obstacles à l’accès au capital », la réponse se situe dans la boussole de la compétitivité, la simplification des règles comprenant le reporting en matière de durabilité, le devoir de diligence en matière de durabilité et la taxonomie, le programme InvestEU et la politique agricole commune.

Mener les transitions verte et numérique pour un avantage économique et moteurs de la compétitivité future et un leadership technologique. Renforcer le marché unique, assurer l’Union de l’épargne et de l’investissement et soutenir les « start-ups et scale-ups ».

Pilier 3 : Une Union de valeurs et de bien-être : l’humain au cœur du projet européen

Ce pilier se concentre sur l’engagement de l’UE envers ses valeurs fondamentales, son modèle social et la qualité de vie de ses citoyens en vue d’une UE comme rempart des valeurs démocratiques et garant d’un progrès inclusif – où chaque citoyen, jeune ou senior, trouve sa place.

Justice sociale et modèle social européen : le modèle social unique et précieux de l’Europe constitue à la fois une pierre angulaire sociétale et un avantage concurrentiel qui garantit que les bénéfices du progrès économique sont partagés par tous les citoyens et que personne n’est laissé pour compte.

Qualité de vie et durabilité : l’agriculture, la sécurité alimentaire, l’eau et la nature représentent les engagements de l’UE en matière de protection de l’environnement et de gestion durable des ressources pour la durabilité environnementale et une qualité de vie élevée, afin d’améliorer le bien-être des citoyens et des générations futures.

Protection de la démocratie et des droits fondamentaux : la démocratie, l’état de droit et les droits fondamentaux sont les fondements de l’engagement de l’UE envers ses valeurs fondamentales, ses principes démocratiques, l’égalité et les droits fondamentaux pour tous les citoyens, en contrant les menaces à ces valeurs.

Engagement citoyen et inclusivité : avec les « dialogues politiques avec la jeunesse » pour s’assurer que « les perspectives des jeunes sont intégrées dans l’élaboration des politiques » et la nécessité de « soutenir, protéger et autonomiser la société civile » afin de veiller à ce que ses politiques reflètent les besoins et les aspirations de tous les Européens.

Comme toute campagne, il ne s’agit pas de se limiter à informer, il faut viser à inspirer une mobilisation collective en articulant force, innovation et valeurs, la communication pourrait offrir un cadre narratif pour restaurer la confiance via des preuves concrètes (simplification, investissements), anticiper les futurs (santé, climat, sécurité) plutôt que de les subir et célébrer l’unité dans la diversité comme marqueur géopolitique unique. Ce n’est pas une campagne de plus, mais un moment décisif pour reconfigurer l’imaginaire européen en s’appuyant sur des données en temps réel, des récits citoyens et une présence omnicanale, l’UE peut incarner une puissance globale ancrée dans le bien-être local. L’Europe n’est pas qu’un héritage à transmettre – c’est un projet en perpétuelle réinvention. L’UE peut s’affirmer comme laboratoire mondial d’idées et boussole éthique, prouvant une fois encore qu’ensemble on peut dessiner un avenir européen commun.

Rapport Letta : comment passer de la vision à l’action avec une démarche de communication stratégique pour le marché unique européen ?

Le rapport Letta intitulé « Bien plus qu’un marché » présente un programme transformateur visant à revitaliser le marché unique européen face aux turbulences géopolitiques, aux disruptions technologiques et à la rivalité économique mondiale. Son succès dépend d’une stratégie de communication capable de combler le fossé entre les recommandations politiques de haut niveau et l’adhésion concrète du public et des acteurs politiques sur le terrain. En capitalisant l’accent mis sur la « 5ème liberté » (connaissance, innovation et éducation) et les enseignements tirés d’autres initiatives européennes, quelle approche en termes de communication offre des voies d’action concrètes pour assurer sa mise en œuvre ?

I/ Repenser la « 5ème liberté » : de l’abstraction aux bénéfices concrets

L’appel du rapport Letta pour une « 5ème liberté » vise à éliminer les barrières au partage des connaissances, à la collaboration en matière de recherche et à la mobilité des talents—une vision alignée avec la promotion par l’UE d’un « Bien commun européen de la connaissance ». La communication de ce concept nécessite sa traduction en récits compréhensibles :

  • Conceptualiser la 5e liberté avec des messages développés autour des avantages de cette liberté : une liberté pour la vie immatérielle, à l’ère des nouvelles technologies.
  • Valoriser les bénéfices en termes de productivité, seule solution au déclin démographique pour l’État-providence, l’innovation fragmentée coûte à l’Europe 180 milliards d’euros par an en perte de productivité (un chiffre extrapolé de l’analyse de la BCE sur l’écart de productivité UE-États-Unis).
  • Mobiliser les plateformes existantes : Intégrer la 5ème liberté dans la « Boussole de compétitivité » de l’UE, qui priorise déjà la réduction de l’écart d’innovation et l’harmonisation des règles pour les startups.

II/ Mobiliser les parties prenantes financières : construire un récit sur l’« Union de l’épargne et des investissements »

Le rapport Letta souligne la nécessité d’un écosystème financier unifié pour financer les transitions verte et numérique. Cela s’aligne avec l’« Union de l’épargne et des investissements » qui vise à canaliser l’épargne européenne vers des secteurs stratégiques. Pour communiquer efficacement un élément clé de la réussite dans l’ensemble :

  • Cibler les investisseurs institutionnels : Développer des études de cas mettant en avant des entreprises transfrontalières réussies, comme le programme d’investissement TechEU de l’UE pour l’expansion des startups.
  • Positionner le marché unique comme une référence mondiale en matière de finance durable (RSE), en s’appuyant sur le leadership de l’UE en matière de règlementations climatiques.
  • Résorber l’aversion au risque : La BCE note que les startups de l’UE ne reçoivent que 5 % du capital-risque mondial, contre 52 % aux États-Unis. Valoriser les licornes européennes pourrait démystifier le risque et attirer des capitaux privés.

III/ Mobilisation politique : des mandats du Conseil européen, au Parlement européen et à l’engagement citoyen

Susciter un engagement politique

Le rôle du Conseil européen sera crucial. Le succès du rapport Letta dépend de la capacité du Conseil à mandater la Commission pour élaborer une stratégie contraignante pour le marché unique avec des indicateurs clés de performance clairs, afin d’éviter l’inertie bureaucratique :

  • Utiliser l’« élan du rapport Draghi » : Associer la vision de Letta à l’urgence du rapport Draghi pour des réformes structurelles, en présentant le marché unique comme une nécessité géopolitique.
  • Mobiliser des « champions » inter-institutionnels : Construire un réseau de députés européens et de ministres nationaux « Ambassadeurs du marché unique » pour promouvoir les priorités législatives comme le 28ème régime réglementaire proposé pour les startups.

Développer la participation citoyenne : au-delà du symbolique

Une « Conférence permanente des citoyens » pourrait éviter les écueils de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe, qui n’est pas parvenue à obtenir une visibilité et une légitimité suffisantes pour vraiment avoir un impact sur les futures politiques publiques européennes. Comment parvenir à corriger ces limites ?

  • Partir des citoyens afin de recueillir leurs positions avant tout, en utilisant des plateformes numériques comme CitizenLab pour collecter des idées, comme sur la réduction des barrières du marché unique (par exemple, simplifier les règles de TVA).
  • Collaborer avec les municipalités pour organiser des ateliers sur l’impact des réformes du marché unique sur les PME—une tactique employée par Letta lors de sa tournée européenne incluant des échanges avec les syndicats ouvriers et patronaux ainsi que des organisations de la société civile instituée.

La création d’une Conférence permanente des citoyens offrirait une plateforme continue pour l’engagement citoyen et permettrait de rester ancré dans les besoins et aspirations du public.

Selon Enrico Letta, « la Conférence permanente des citoyens pourrait produire des recommandations sur la manière de mettre en œuvre le rapport, en fournissant une perspective précieuse, certainement plus large et mieux fondée. (…) Aucun progrès réel ne sera possible, compris et accepté par nos opinions publiques sans la participation active et l’engagement véritable des citoyens européens ».

IV/ Créer un récit unificateur : le marché unique comme « bouclier commun » de l’Europe

La vision du rapport Letta doit rivaliser avec la montée de l’euroscepticisme et des populismes, tant libertarien que techno-solutionniste. Un récit convaincant pourrait présenter le marché unique comme :

  • Un actif pour la sécurité : « Tout comme l’UE a mutualisé le charbon et l’acier pour prévenir la guerre, le marché unique d’aujourd’hui sécurise les chaînes d’approvisionnement contre les chocs géopolitiques ».
  • Un égalisateur social : Mettre en avant les initiatives de santé transfrontalières ou le principe « Once-Only » réduisant les charges administratives pour les citoyens.
  • Un leader mondial en matière de normes : Contraster le modèle réglementaire européen basé sur les valeurs (par exemple, le RGPD) avec le techno-autoritarisme américain et chinois.

V/ Surmonter les obstacles à la mise en œuvre : un retour à la réalité

Le talon d’Achille du rapport Letta est sa dépendance à l’unanimité politique, en particulier des États-membres. Les principaux obstacles à lever correspondent à :

  • Simplifier les règles européennes et réduire la fragmentation réglementaire, dans un contexte de rejet du technocratisme, 27 régimes nationaux retardent la croissance des entreprises par rapport aux États-Unis.
  • Réduire les écarts de ressources dans la recherche et l’innovation : L’UE investit 2 % de son PIB dans la R&D, loin derrière les États-Unis (3,5 %) et même la Chine (2,4 %). Un « label d’excellence » pour les régions atteignant les objectifs de R&D pourrait encourager la coo-pétition entre écosystèmes régionaux spécialisés répartis dans toute l’Europe.

Le potentiel transformateur du rapport Letta est évident, mais sa fenêtre d’impact est étroite et surtout son succès ne peut se faire sans d’une part, simplifier la complexité, en privilégiant des analogies du type « Le marché unique est le WiFi de l’Europe—invisible mais essentiel » et d’autre part, en visibilisant les indicateurs de performance, avec des tableaux de bord trimestriels accessibles à tous sur l’élimination des barrières.

Comme l’averti Enrico Letta lui-même, l’Europe fait face à une « lente agonie » de déclin sans action audacieuse. La communication doit refléter cette urgence, transformant le marché unique d’un idéal technocratique en une réalité vécue par 450 millions de citoyens.