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Nouveaux portefeuilles à la Commission européenne : intérêts et limites d’une communication européenne entre ambition politique et défis institutionnels

Comme prévu par l’agenda institutionnel européen, Ursula von der Leyen est réélue présidente de la Commission européenne pour un second mandat, le 18 juillet, avec une majorité plus confortable qu’attendue. Dans son discours devant les députés européens, elle dévoile ses orientations politiques pour la prochaine Commission : « Le choix de l’Europe » pour les cinq prochaines années, mettant l’accent sur cinq priorités majeures.

Une communication politique hyper-sobre : piliers du programme von der Leyen II

Le travail de consolidation de sa majorité parlementaire, entre les groupes politiques du centre-droit (PPE), centre-gauche (S&D), centristes (Renew), mais aussi les Verts qui ont joué le jeu de la coalition tandis que les conservateurs (ECR) se sont divisés :

  1. Un nouveau plan pour la prospérité et la compétitivité durables, visant à stimuler l’économie européenne, en mettant l’accent sur la facilitation de l’activité des entreprises, l’élaboration d’un pacte pour une industrie propre, et le renforcement de la recherche et de l’innovation. Elle souligne également l’importance de combler le déficit de compétences et de main-d’œuvre.
  2. Une nouvelle ère pour la défense et la sécurité européennes : Face aux défis géopolitiques actuels, von der Leyen promet de faire de l’Union européenne de la défense une réalité, tout en renforçant la préparation aux crises et la sécurité intérieure. Le renforcement des frontières communes et une approche équitable mais ferme en matière de migration sont également au programme.
  3. Soutien aux personnes et renforcement du modèle social européen : La présidente de la Commission s’engage à promouvoir l’équité sociale, à restaurer l’unité des sociétés et à soutenir les jeunes. L’égalité et la préservation de la qualité de vie, notamment en termes de sécurité alimentaire et d’accès à l’eau.
  4. Protection de la démocratie et défense des valeurs européennes : un autre « bouclier européen de la démocratie » propose de renforcer l’état de droit et de placer les citoyens au cœur du processus démocratique.
  5. Renforcement du rôle de l’Europe dans le monde : La présidente de la Commission prévoit de poursuivre l’élargissement de l’UE, d’adopter une approche plus stratégique envers les pays voisins et de mettre en place une nouvelle politique économique étrangère.

Une nouvelle forme de communication politique par la création de nouveaux postes de Commissaires

La nouvelle présidente de la Commission européenne von der Leyen, dont la créativité n’est plus à démontrer si l’on se souvient de la configuration autour de Vice-Présidence aux titres ronflant, se montre de nouveau généreuse dans la création de nouveaux postes de Commissaires, notamment :

  • « chargé de la défense »
  • « spécialement chargé de l’élargissement »
  • «  pour la Méditerranée »
  • « dont le portefeuille inclura le logement »
  • «  chargé de l’égalité »
  • «  chargé de l’équité intergénérationnelle »
  • « chargé de la pêche et des océans »

Ces propositions soulèvent des questions sur l’équilibre entre visibilité politique et efficacité institutionnelle. La création de ces nouveaux postes présente des avantages en termes de visibilité politique et d’adaptabilité face aux défis émergents. Cela peut servir de « marqueur » qui font tant défaut dans la liste des priorités, sur le fond largement consensuel au vue des résultats du vote à bulletin secret pour son investiture, mais sans aspérité, pour les valoriser les porter à la connaissance du grand public.

Cependant, ces nouveaux postes soulèvent également des interrogations. Le respect du cadre juridique, la création de nouveaux postes doit s’inscrire dans le cadre fixé par les traités européens, sinon, le risque de fragmentation augmente avec une multiplication des portefeuilles qui pourrait nuire à la cohérence de l’action de la Commission. Mais surtout, l’alignement avec la structure administrative est crucial afin d’assurer une bonne coordination entre les portefeuilles des Commissaires et l’organisation des directions générales.

En revanche, la communication via les portefeuilles peut se montrer nuisible, en raison de son illisibilité pour le public. La multiplication des postes pourrait paradoxalement rendre moins lisibles les responsabilités réelles de l’UE pour les citoyens européens. Sans compter les contraintes pratiques où la répartition des postes devra se faire en fonction des candidatures présentées par les États membres, ce qui pourrait limiter la flexibilité dans l’attribution des nouveaux portefeuilles en fonction des profils.

Au total, la proposition d’Ursula von der Leyen de créer de nouveaux postes de Commissaires reflète une volonté d’adapter l’institution aux défis contemporains et d’envoyer des signaux politiques forts. Cependant, la mise en œuvre de cette vision devra naviguer entre les contraintes juridiques, les impératifs d’efficacité administrative et les besoins de communication politique. Dans l’équilibre à trouver entre ambition politique et pragmatisme institutionnel, où il s’agira de traduire les nouvelles priorités en actions concrètes, peut-on suggérer que cela ne se fasse pas au détriment de la cohérence et de l’efficacité de l’institution européenne, d’autres formes de communication devraient être privilégiées.

Le processus d’audition des nouveaux Commissaires par le Parlement européen permet d’évaluer la faisabilité et la pertinence de cette nouvelle structure, et aurait pu conduire à des ajustements avant la prise de fonction effective de la nouvelle Commission européenne.

« Storytelling Shift » : évolution des stratégies de communication de l’UE entre 2019 et 2024

Face au défi permanent de communiquer efficacement ses priorités, actions et valeurs à un public diversifié de plus de 400 millions de citoyens répartis dans 27 États membres, la communication de l’Union européenne est définie dans les documents stratégiques les plus importants : les agendas stratégiques du Conseil européen rédigé avant les élections européennes et les lignes directrices politiques de la Commission européenne rédigées par la nouvelle présidence. Quelles évolutions des stratégies de communication de l’UE peuvent être déduites en comparant deux ensembles de documents pivotaux : les agendas stratégiques du Conseil européen pour 2019-2024 et 2024-2029, et les lignes directrices politiques de la Commission européenne présentées par Ursula von der Leyen en 2019 et 2024 ? Ces documents ne définissent pas seulement la direction politique de l’UE, mais révèlent également comment les institutions cadrent leurs messages et prévoient de s’engager avec les citoyens dans un paysage géopolitique en constante évolution.

En une phrase, notre analyse révèle un changement significatif dans les stratégies de communication, reflétant l’adaptation de l’UE aux nouveaux défis mondiaux et aux attentes changeantes du public. L’UE se dirige vers une approche de communication plus affirmée, axée sur la sécurité et l’engagement des citoyens, tout en s’efforçant de maintenir ses valeurs fondamentales et son unité dans un monde de plus en plus complexe.

1. Changement des cadres narratifs : le passage d’un récit d’aspiration à un récit de nécessité et d’urgence

Le changement le plus frappant dans la communication de l’UE est le passage d’un récit d’aspiration à un récit de nécessité et d’urgence. En 2019, les lignes directrices de von der Leyen étaient encadrées autour du concept d’une Union qui « aspire à plus », mettant l’accent sur l’ambition et le progrès. L’agenda stratégique de 2019 se concentrait également sur « la construction de notre avenir ensemble ». En revanche, les documents de 2024 encadrent les actions de l’UE en termes de force, de souveraineté et de sécurité. L’agenda stratégique de 2024 s’ouvre sur une évaluation sévère des défis mondiaux, soulignant la nécessité d’une « Europe forte et souveraine ». Ce changement reflète une reconnaissance de la réalité géopolitique modifiée à la suite d’événements comme la pandémie de COVID-19, la crise énergétique et l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Le Pacte vert pour l’Europe, une pièce maîtresse de l’agenda de 2019, était initialement encadré principalement en termes de protection de l’environnement et d’opportunité économique. En 2024, bien qu’il reste une priorité, il est de plus en plus encadré en termes d’autonomie stratégique et de compétitivité, soulignant la nécessité pour l’Europe de diriger les technologies vertes pour assurer la sécurité économique.

2. Évolution des Messages clés : un passage vers une communication plus affirmée sur le rôle de l’UE dans la garantie de la sécurité

La sécurité et l’autonomie stratégique sont devenues des thèmes centraux en 2024, reflétant une évolution significative par rapport à 2019. Bien que la défense et la sécurité aient été mentionnées dans les documents de 2019, elles n’avaient pas la même importance. L’agenda stratégique de 2019 mentionnait brièvement la nécessité de « prendre une plus grande responsabilité pour notre propre sécurité et défense ». En revanche, l’agenda de 2024 consacre une section entière au « Renforcement de notre sécurité et de notre défense », détaillant des plans pour augmenter les dépenses de défense, les achats conjoints et le développement des capacités industrielles de défense de l’UE. Ce changement indique un passage vers une communication plus affirmée sur le rôle de l’UE dans la garantie de la sécurité de ses citoyens et sa place sur la scène mondiale.

3. Stratégies de ciblage et d’engagement du public : un engagement citoyen plus soutenu et significatif pour construire la légitimité et le soutien

Les deux ensembles de documents montrent une importance accrue de l’engagement direct des citoyens, mais les documents de 2024 vont plus loin, reflétant les leçons tirées d’initiatives comme la Conférence sur l’avenir de l’Europe. En 2019, von der Leyen envisageait la Conférence sur l’avenir de l’Europe comme un moyen de donner aux citoyens une voix dans les priorités de l’UE. Les lignes directrices de 2024 semblent avoir plus d’ambition, s’engageant à « faire de la participation des citoyens une pratique régulière dans l’UE », y compris des dialogues annuels avec les commissaires. Cette évolution suggère une reconnaissance de la nécessité d’un engagement citoyen plus soutenu et significatif pour construire la légitimité et le soutien aux actions de l’UE.

4. Communication de crise et résilience

Les documents de 2024 montrent une augmentation marquée autour de la préparation aux crises et de la résilience, reflétant les expériences de l’UE depuis 2019. Bien que les documents de 2019 mentionnent la nécessité d’une réponse aux crises dans des domaines spécifiques comme la migration, l’agenda stratégique de 2024 appelle à « une approche plus robuste et agile » de la gestion des crises dans tous les domaines, des urgences sanitaires aux cyberattaques. Ce changement indique une tentative de rassurer les citoyens sur la capacité de l’UE à gérer les crises futures, tout en justifiant une intégration accrue dans des domaines comme la santé et la cybersécurité.

5. Équilibre entre unité et diversité

Les deux ensembles de documents luttent avec le défi de promouvoir l’unité de l’UE tout en reconnaissant la diversité des États membres. Cependant, les documents de 2024 montrent une approche plus nuancée de cet équilibre. L’agenda stratégique de 2019 mettait l’accent sur « l’unité dans la diversité » comme une force. L’agenda de 2024, tout en continuant à promouvoir l’unité, reconnaît plus explicitement les circonstances nationales différentes, en particulier dans des domaines comme la transition verte et la politique migratoire, reflétant les changements des forces politiques élues lors des élections du Parlement européen. Cette évolution suggère une tentative de répondre aux préoccupations concernant l’empiètement de l’UE tout en promouvant une action collective.

Ces changements dans les stratégies de communication de l’UE ont plusieurs implications :

  1. Légitimité et perception publique : Le passage à une communication plus affirmée sur la sécurité et l’autonomie stratégique peut aider à justifier une intégration accrue de l’UE dans ces domaines. Cependant, cela risque également d’aliéner ceux qui sont méfiants vis-à-vis de l’expansion des pouvoirs de l’UE.
  2. Positionnement mondial : Le ton plus affirmé positionne l’UE comme un acteur mondial plus fort, mais peut également créer des tensions avec les alliés, partenaires, concurrents et rivaux systémiques internationaux.
  3. Engagement des citoyens : L’accent accru sur la participation directe des citoyens est une promesse durable, mais son efficacité dépend toujours de la mise en œuvre et de la capacité de l’UE à démontrer que l’apport des citoyens influence réellement la politique.

Notre analyse révèle que les institutions de l’UE adaptent leurs stratégies de communication à un environnement plus complexe et difficile. Le passage à une communication plus affirmée sur la sécurité et l’autonomie stratégique, couplé à un accent accru sur l’engagement des citoyens, représente une tentative de construire un soutien pour une UE plus intégrée et globalement influente, tout en ne négligeant pas la nécessité de respecter la diversité des États membres et de répondre aux préoccupations des citoyens concernant la souveraineté. À l’avenir, les stratégies de communication de l’UE devront probablement devenir encore plus agiles et intégrées entre les institutions pour relever le défi de maintenir un message cohérent tout en s’adressant à des publics nationaux diversifiés et à des situations mondiales en évolution rapide.

Alors que l’UE continue d’évoluer en réponse aux défis mondiaux, sa capacité à communiquer efficacement ses actions, valeurs et vision aux citoyens sera cruciale pour façonner son avenir et sa place dans le monde.

Références

European Council. (2019). A new strategic agenda 2019-2024.

European Council. (2024). Strategic Agenda 2024-2029.

von der Leyen, U. (2019). A Union that strives for more: My agenda for Europe.

von der Leyen, U. (2024). Political Guidelines for the next European Commission 2024-2029.

Directives de la présidente pour la communication de la Commission européenne

En complément des Orientations politiques : « Le choix de l’Europe » rédigées en vue de l’élection de la présidente de la Commission européenne au Parlement européen, Ursula von der Leyen partage dans les lettres de mission aux Commissaires-désignés des précisions pour « Travailler ensemble pour l’Europe, Se rapprocher des Européens » afin de garantir la réputation de l’institution et la confiance des Européens, autour de repères tels que ouverture, transparence et représentation…

1. Renforcer les relations avec les institutions de l’UE : un vœu pieux d’affichage ou une prise de conscience sérieuse ?

La Commission européenne renforcera ses relations avec les institutions de l’UE, en assurant une circulation de l’information avant les événements majeurs ou aux étapes clés et communiquera mieux son travail et son « planning ».

Souvent critiquée pour son manque de transparence et de clarté, le renforcement des relations avec les institutions de l’UE serait une initiative cruciale pour améliorer la coordination et la cohérence de la fabrique des politiques européennes. Cette intention, qui nécessite une mise en œuvre rigoureuse et continue pour être efficace, sera-t-elle suivie par la présidente de la Commission européenne qui a préféré dévoilée sa nouvelle Commission lors d’une conférence de presse après une réunion avec la Bureau du Parlement européen sans aucune fuite ; chacun jugera de son sens des priorités.

2. Présence accrue sur le terrain : la promesse de toutes les Commissions ; sera-t-elle tenue ?

La Commission européenne sera plus présente sur le terrain, plus souvent et dans plus de régions. Elle ira au niveau local, soutenue par le réseau de ses représentations et du réseau des « EU Local Councillors ». Elle donnera plus de visibilité aux projets de l’UE qui font une différence dans la vie des gens sur le terrain. Elle communiquera activement sur ses actions et décisions, expliquera les avantages et opportunités et luttera contre la désinformation, notamment en fournissant des informations claires et précises en tout temps.

Une présence accrue sur le terrain est essentielle pour rapprocher l’UE des citoyens. Les actions locales permettent de rendre les politiques européennes plus tangibles et compréhensibles. Cependant, cette stratégie nécessite des ressources importantes, dont les Représentations de la Commission européenne ne disposent pas, en particulier pour assurer la promotion de ces opportunités de communication dans la presse locale et régionale. La lutte contre la désinformation, nouveau serpent de mer de toute stratégie de communication, est tout autant cruciale, nécessite aussi des efforts engagés lors du mandat précédent.

3. Poursuite de l’ère de dialogue, dorénavant avec les jeunes : le narratif du lien jamais rompu entre l’UE et les citoyens

La Commission européenne lancera une nouvelle ère de dialogue avec les citoyens et les parties prenantes avec une première édition des « Annual Youth Policy Dialogues », un nouveau format d’événement annuel avec la jeunesse, annoncé dans les 100 premiers jours, afin que les jeunes puissent être entendus et aider à façonner le travail de l’institution.

Par ailleurs, l’institution intégrera la participation des citoyens, en s’appuyant sur la Conférence sur l’avenir de l’Europe pour instaurer une véritable et durable culture de démocratie participative, lui permettant de choisir des domaines politiques et des propositions où les recommandations d’un Panel de citoyens européens aura la plus grande valeur et suivront leurs propositions.

L’investissement continu et renforcé au cours du premier mandat d’Ursula von der Leyen dans la démocratie participative au travers de l’exercice imposé de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, puis d’une démarche autonome de panels citoyens thématiques, qui semble donc se généraliser avec d’une part un format récurrent pour les jeunes et un format à la carte pour oindre la moindre nouvelle initiative de la Commission européenne du sceau de la validation citoyenne issus des panels. C’est dorénavant la carte maîtresse dans le jeu de la Commission européenne pour engager ses parties prenantes citoyennes et les jeunes dans le processus décisionnel en vue d’améliorer la légitimité des politiques européennes, tout en évitant de devenir une simple mise en scène de communication.

4. Engagements envers l’indépendance, l’intégrité, l’impartialité, les règles éthiques, la transparence et la représentativité accrue

La Commission européenne doit montrer un véritable engagement européen envers l’indépendance, l’intégrité, l’impartialité, les règles éthiques et la transparence. La Commission européenne veillera à devenir plus représentative des citoyens.

L’engagement envers la transparence serait fondamental pour renforcer la confiance des citoyens. Cependant, cet engagement doit être soutenu par des actions concrètes et des mécanismes de contrôle efficaces pour garantir que les citoyens aient accès à des informations claires et précises sur les décisions de la Commission.

Devenir plus représentative des citoyens est une priorité pour améliorer la légitimité de la Commission européenne. Cependant, cette représentativité doit aller au-delà de la simple diversité démographique et inclure une diversité d’opinions de parcours pour que les voix plus minoritaires soient réellement entendues et prises en compte dans le processus décisionnel.

En fin de compte, la réussite de ces directives dépendra de la capacité de la Commission européenne à transformer ces engagements en actions tangibles et durables.

Comment porter et incarner la prise de parole de la marque Europe ?

A l’occasion de la conférence « Communication européenne, comment se faire entendre ? », hébergée par l’Académie des Controverses et de la Communication Sensible, Nicolas Baygert, chercheur, enseignant à Sciences Po Paris, aborde la question du « leadership européen et (de) son influence sur la “marque UE”»…

Une rivalité systémique et systématique entre les présidences

Depuis 5 ans, s’est glissée une relation dysfonctionnelle au cœur du projet européen, un leadership européen concurrentiel avec la relation entre Charles Michel, président du Conseil européen, l’institution réunissant les chefs d’État et de gouvernement qui prennent les orientations stratégiques pour l’UE et Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, qui est l’institution gardienne des traités, seule habilitée au pouvoir d’initiative à proposer de nouvelles législations.

Une certaine ambiguïté des rôles existe, une marge d’interprétation quant aux compétences respectives des présidents, qui s’est traduite par une rivalité pour la visibilité politique et médiatique avec des conflits à l’agenda et une affirmation du leadership politique européen faisant l’objet d’une rivalité personnelle et politique. LA question d’Henry Kissinger « qui dois-je appeler pour parler avec l’Europe ? » demeure encore d’actualité.

Une réinvention de la fonction à chaque nouvelle personnalité

Alors que pour la fonction présidentielle française, les candidats sont conduits à « rentrer dans les habits du président », à incarner l’autorité et la légitimé de la fonction à partir d’un idéal-type gaullien sous la Ve République, il n’en est rien au niveau européen. Chaque dirigeant européen doit réinventer la fonction à chaque prise de responsabilités – c’est autant une chance qu’une menace.

La présidente de la Commission européenne – Queen of Europe – s’est construit un personnage, à coup de centralisation des efforts de communication et de personnalisation à haute dose de la communication. Ainsi, alors qu’elle n’était pas une Spitzenkandidat, elle s’est offert une construction médiatique à travers une « illusion biographique » liant son parcours au Collège d’Europe, son multilinguisme, en somme, son européanité.

Cet investissement dans la communication n’est pas sans conséquence sur la marque UE. Outre l’impact sémiotique en termes de signes, plusieurs autres leviers comme la capacité à définir l’agenda, l’impulsion initiale de la « Commission géopolitique » ; mais aussi la gestion des crises (covid, Ukraine, climat…) et enfin la mise à l’agenda, le rôle d’agenda-setting leadership, de capacités à trouver des réponses institutionnelles pour rallier un consensus, trouver un agenda normatif, fournir une grille de lecture fondée sur des principes ou des justifications idéologiques. Cette conception personnelle au service d’un agenda politique se traduit aussi par une dimension axiologique, les valeurs de l’UE sont instrumentalisées à l’occasion des discours annuels sur l’état de l’Union sans compter que pour incarner l’agenda politique, Von der Leyen utilise sa personne comme une vitrine communicationnelle.

Faut-il tendre vers une seule présidence ?

Suggéré par Jean-Claude Juncker dans son dernier discours sur l’état de l’Union, la fusion des deux fonctions présidentielles permettrait d’accroitre l’efficacité. En termes de communication, il s’agirait d’un repère mental sur le marché hyperconcurrentiel du leadership européen, mais aussi une possibilité de mieux sélectionner des éléments dans le flux des signes au sein d’un espace plus géopolitique, pourquoi pas même un remède au déficit d’incarnation même si cela ne résorberait pas pour autant le déficit de légitimité et le manque de transparence dans la nomination des présidents.

Dans la bataille des égos, il faut réussir à inscrire un style, un personnage pouvant incarner la marque Europe.

Rapport Draghi : quelle stratégie de communication au service de la compétitivité européenne ?

Face aux défis démographiques, technologiques et géopolitiques qui menacent sa croissance et sa productivité, l’Europe se trouve à un carrefour crucial pour éviter  » une lente agonie ». Le tant attendu rapport Draghi sur l’avenir de la compétitivité européenne, propose une nouvelle stratégie industrielle ambitieuse pour relancer la croissance et la productivité reposant en grande partie sur sa capacité à être comprise, acceptée et appropriée par l’ensemble des acteurs européens. Une communication efficace sera donc cruciale pour relever ce défi et donner corps à l’avenir du projet européen. Que faire ?

Expliquer la nouvelle stratégie : la pédagogie du changement… et le changement de la pédagogie

Le premier défi est d’expliquer de manière claire et pédagogique les grands axes de la stratégie proposée : vulgariser des enjeux complexes, montrer la cohérence d’ensemble du plan, afin de mettre en lumière les piliers clés du plan :

  • Combler le retard d’innovation, surtout dans les technologies numériques : démontrer l’urgence d’investir massivement dans la recherche et l’innovation (IA, quantique, semi-conducteurs) à la condition d’améliorer la collaboration entre les institutions de recherche, les entreprises et les investisseurs.
  • Décarboner l’économie tout en préservant la compétitivité industrielle : la transition vers une économie neutre en carbone représente une opportunité pour l’Europe de devenir un leader mondial, tout en expliquant les défis liés à la concurrence internationale, notamment chinoise, et les mesures prises pour garantir un terrain de jeu équitable.
  • Réduire les dépendances stratégiques et renforcer l’autonomie européenne : sensibiliser aux risques liés à la dépendance excessive des ressources critiques, en diversifiant les sources d’approvisionnement, renforçant les capacités de production européennes et développant des partenariats stratégiques alliés.
  • Mobiliser des investissements massifs publics et privés : la nécessité d’investissements massifs pour financer la transition numérique et écologique, ainsi que renforcer les capacités de défense, tout en mobilisant des investissements privés.

Cette première séquence visant à s’adresser aux différentes parties prenantes doit être l’occasion de renouveler les modalités, les supports, les réflexes dans la communication pour s’assurer d’une meilleure adéquation avec les usages des publics.

Susciter l’adhésion et l’engagement : l’appropriation, condition de l’application

Au-delà de l’explication, la communication doit viser à susciter l’adhésion et l’engagement des différentes parties prenantes. Il s’agit de créer un sentiment d’appropriation collective du projet européen et de mobiliser les énergies autour d’objectifs communs. Pour ce faire, la communication doit :

  • Convaincre de l’urgence d’agir et de la pertinence des solutions proposées : La communication doit utiliser des arguments percutants et des exemples concrets pour démontrer l’impact positif de la nouvelle stratégie sur la vie quotidienne des citoyens européens, ainsi la baisse de la productivité, c’est du pouvoir d’achat en moins. Il est important de mettre en avant les bénéfices en termes de création d’emplois, de croissance économique, de protection de l’environnement et de sécurité.
  • Mobiliser les différentes parties prenantes autour d’objectifs communs : La communication doit les impliquer dans la mise en œuvre de la stratégie. Il est important de créer des plateformes de dialogue et de consultation, d’organiser des événements et des campagnes de sensibilisation, et de mettre en place des mécanismes de suivi et d’évaluation.
  • Inciter à l’action et au changement de comportements : La communication doit encourager les citoyens, les entreprises et les investisseurs à adopter des comportements plus responsables et à s’engager activement dans la transition numérique et écologique. Il est important de proposer des solutions concrètes et des incitations, de valoriser les initiatives positives et de promouvoir les bonnes pratiques.

Faire évoluer les représentations et canaliser les émotions

La mise en œuvre de la stratégie de compétitivité implique de faire évoluer certaines représentations et de lutter contre les idées reçues. La communication doit contribuer à façonner un nouveau récit européen, plus positif et plus ambitieux. Pour ce faire, il est nécessaire de :

  • Dépasser l’opposition entre écologie et économie : La communication doit démontrer que la transition écologique est compatible avec la croissance économique et la création d’emplois. Il est important de mettre en avant les exemples d’entreprises européennes qui ont réussi à concilier performance économique et respect de l’environnement.
  • Promouvoir une vision positive de l’industrie et de l’innovation : La communication doit lutter contre l’image critiquée de l’industrie et valoriser son rôle dans la création de richesse et d’emplois. Il est important de mettre en avant les innovations technologiques européennes et de montrer comment elles contribuent à améliorer la vie quotidienne des citoyens.
  • Renforcer le sentiment d’appartenance européenne : La communication doit rappeler les valeurs et les principes fondamentaux de l’UE, tels que la solidarité, la coopération et la paix. Il est important de mettre en avant les réussites de l’intégration européenne et de montrer comment l’UE peut apporter des solutions aux défis mondiaux.
  • Valoriser la coopération face aux tentations du repli national : La communication doit souligner l’importance de la coopération entre les États membres pour relever les défis communs. Il est important de mettre en avant les exemples de projets européens réussis et de montrer comment la coopération permet d’obtenir des résultats plus ambitieux.

Propositions d’activation :

  • Lancer une grande campagne de communication paneuropéenne multi-supports : Cette campagne utiliserait différents canaux de communication (télévision, radio, presse écrite, affichage, réseaux sociaux, etc.) pour diffuser des messages clés dans un langage clair et accessible.
  • Créer une plateforme digitale interactive présentant la stratégie et ses avancées : Cette plateforme permettrait aux citoyens, aux entreprises et aux investisseurs de s’informer sur la stratégie, de suivre ses avancées et de participer à des consultations. La plateforme pourrait également proposer des outils interactifs, tels que des cartes, des graphiques et des vidéos, pour rendre l’information plus attractive et plus accessible.
  • Organiser des consultations citoyennes dans toute l’Europe : Ces consultations permettraient aux citoyens de s’exprimer sur la stratégie et de proposer des idées pour sa mise en œuvre. Il est important de s’assurer que les consultations sont organisées de manière transparente et inclusive, et que les résultats sont pris en compte par les institutions européennes.
  • Mettre en place un réseau d’ambassadeurs de la stratégie dans différents secteurs : Ces porte-paroles seraient des personnalités reconnues dans leur domaine (entrepreneurs, chercheurs, artistes, etc.) qui s’engageraient à promouvoir la stratégie auprès de leur public. Il est important de choisir des ambassadeurs qui sont crédibles et qui ont une forte influence sur leur audience.
  • Développer des serious games et outils de simulation pour sensibiliser le grand public : Ces outils permettraient aux citoyens de comprendre les enjeux de la stratégie de manière ludique et interactive. Il est important de s’assurer que les jeux et les simulations sont bien conçus et qu’ils sont adaptés aux différents publics cibles.
  • Produire une série documentaire grand public sur les enjeux et solutions : Cette série documentaire permettrait de sensibiliser le grand public aux défis de la compétitivité européenne et de présenter les solutions proposées par la nouvelle stratégie. Il est important de s’assurer que la série documentaire est de qualité et qu’elle est diffusée sur des chaînes de télévision grand public.
  • Lancer un concours d’innovation ouvert aux citoyens et entreprises européennes : Ce concours permettrait de stimuler l’innovation et de promouvoir les solutions créatives pour relever les défis de la compétitivité européenne. Il est important de s’assurer que le concours est bien organisé et qu’il est doté de prix attractifs, en particulier pour les jeunes entrepreneurs.

Réussir la communication autour de la nouvelle stratégie de compétitivité européenne représente une opportunité unique pour l’UE de relancer tant sa croissance et sa productivité, tout en renforçant son autonomie et sa résilience que de créer un véritable sentiment d’appropriation collective du projet européen et de donner corps à une nouvelle Europe.