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Campagne sur le Rapport Draghi : comment communiquer pour une Europe compétitive ?

Le rapport Draghi « Compétitivité de l’UE : Perspectives d’avenir » arrive à un moment charnière alors que les tensions géopolitiques, les disruptions technologiques et les impératifs climatiques redéfinissent les dynamiques mondiales, l’Europe fait face à un choix existentiel : s’adapter ou stagner. Comment traduire les recommandations en récits actionnables visant à ancrer la compétitivité comme priorité unificatrice de l’UE et à mobiliser toutes les parties prenantes ? Comment relier innovation, durabilité et sécurité, tout en répondant à la fragmentation, au scepticisme et à l’inertie ? Pour y parvenir, une stratégie de communication viserait à la construction de consensus autour des réformes, l’adoption effective des politiques par les États-membres, et l’engagement actif des citoyens et des acteurs économiques…

Un cadre stratégique

Première démarche en termes de communication, développer les arguments démontrant que le rapport Draghi s’articule autour des grandes priorités européennes, en proposant une feuille de route pour les concrétiser. Le « Pacte vert européen » y est présenté non comme une contrainte, mais comme un levier de création d’emplois et de leadership industriel, notamment dans les secteurs des énergies renouvelables et de l’économie circulaire. La « Décennie numérique » est réinterprétée à travers les technologies d’avenir (intelligence artificielle, calcul quantique), érigées en piliers de la résilience économique face aux géants américains et chinois. L’« autonomie stratégique » prend corps dans la réduction des dépendances critiques, comme les semi-conducteurs ou les matières premières, afin de sécuriser les chaînes d’approvisionnement. Enfin, l’« économie sociale de marché » trouve un équilibre renouvelé entre compétitivité et équité, grâce à des mesures d’apprentissage continu et de soutien aux PME, garantes d’une croissance inclusive.

Deuxième étape, construire des récits fondateurs qui viennent raconter les points clés de la démonstration et de la feuille de route spécifique au rapport Draghi :

  1. « Innover pour leader » : Ce récit met en lumière la nécessité pour l’Europe de combler son retard en matière d’innovation. En soutenant les technologies disruptives (IA, biotechnologies) et en accélérant la maturation des start-ups, le continent peut transformer ses laboratoires en moteurs économiques. Le slogan « Du laboratoire au marché : libérer le potentiel inexploité de l’Europe » incarne cette ambition.
  2. « Croissance verte, leadership global » : Loin d’être un fardeau, la décarbonation devient le fer de lance d’une renaissance industrielle. En dominant les technologies propres (éolien offshore, hydrogène vert), l’Europe peut concilier transition écologique et souveraineté énergétique, résumée par le mot d’ordre « L’action climatique comme renaissance industrielle de l’Europe ».
  3. « Unis dans la sécurité » : C’est l’urgence de réduire nos dépendances stratégiques et de renforcer nos capacités de défense en protégeant les infrastructures critiques et en investissant dans l’industrie militaire européenne, le récit « Souveraineté stratégique : protéger nos valeurs, sécuriser notre avenir » répond aux craintes géopolitiques.
  4. « Productivité pour la prospérité » : Face au vieillissement démographique, il faut la montée en compétences, la numérisation des services et l’approfondissement du marché unique. Le slogan « Autonomiser les citoyens, dynamiser la croissance » traduit une vision où chaque Européen devient acteur de la compétitivité.

Une stratégie de moyens entre innovation et co-création

Outre les médias traditionnels (tribunes, briefings presse) pour toucher les parties prenantes déjà engagées, de nouvelles actions de communication pourraient toucher les jeunes et les citoyens éloignés des cercles institutionnels, avec des débats en direct sur Twitch ou YouTube organisés en associant des figures européennes à des influenceurs ou des entrepreneurs pour stimuler des échanges intergénérationnels.

Comme les réseaux sociaux évoluent dans le contexte géopolitique, l’engagement pourrait se faire sur des plateformes décentralisées comme Bluesky ou Mastodon. Sur Discord, des « Quêtes de compétitivité » pourraient inviter à résoudre des défis virtuels avec des récompenses symboliques, des visites de sites innovants, des rencontres avec des experts européens.

Les sommets traditionnels pourraient être remplacés par des « non-conférences » hybrides, tant des hubs physiques accueillant citoyens, PME et ONG, que des ateliers virtuels permettant une participation plus large autour d’agendas co-créés en temps réel avec des votes en ligne et des experts chargés de transformer les idées en propositions politiques.

Des outils interactifs pourraient renforcer interaction et hyper-localisation, par exemple, un tableau de bord en temps réel « Pulsation de la compétitivité »afficherait les indicateurs clés (brevets déposés, investissements VC), permettant aux utilisateurs de simuler des scénarios (« Que se passe-t-il si le budget R&D double ? ») ou encore un simulateur de politiques alimenté par l’IA pour que les citoyens endossent le rôle de décideurs européens, arbitrant entre défense et transition verte, avec les conséquences sur l’investissement et le financement dans l’économie.

Pour passer de la consultation à l’activation des parties prenantes, au-delà des engagements symboliques comme des « Pactes de compétitivité » pour les entreprises qui s’engagent publiquement à des objectifs mesurables, avec un suivi transparent et des subventions conditionnées aux résultats. De même, les citoyens pourraient passer de spectateurs à décideurs grâce à des budgets participatifs lors de streams Twitch animés par des influenceurs, ils voteraient pour financer des projets emblématiques, tout en débattant des arbitrages avec des experts.

Pour éviter l’apathie, une communication décalée pourrait passer par des débats provocateurs comme « UE vs. Elon Musk » sur l’éthique de l’IA, tandis que des études transparentes (« Pourquoi l’Europe a perdu la guerre des panneaux solaires ») permettraient de restaurer la crédibilité. Des actifs open-source (visuels, données du rapport) pourraient être libérés sous licence Creative Commons, encourageant mèmes et parodies.

La compétitivité, une quête collective

Le rapport Draghi ne se résume pas à un catalogue de mesures techniques : c’est un appel à réinventer l’ambition européenne. En ancrant la compétitivité dans la culture, les territoires et les récits humains, la communication peut transformer un concept abstrait en mouvement populaire. L’Europe y incarne un nouveau modèle de leadership – agile, inclusif, audacieux – où la diversité des nations devient une force face aux incertitudes globales.

Le temps n’est plus aux diagnostics, mais à l’action, l’avenir de la compétitivité européenne s’écrit dès maintenant, tous ensemble.

Rapport Letta : comment passer de la vision à l’action avec une démarche de communication stratégique pour le marché unique européen ?

Le rapport Letta intitulé « Bien plus qu’un marché » présente un programme transformateur visant à revitaliser le marché unique européen face aux turbulences géopolitiques, aux disruptions technologiques et à la rivalité économique mondiale. Son succès dépend d’une stratégie de communication capable de combler le fossé entre les recommandations politiques de haut niveau et l’adhésion concrète du public et des acteurs politiques sur le terrain. En capitalisant l’accent mis sur la « 5ème liberté » (connaissance, innovation et éducation) et les enseignements tirés d’autres initiatives européennes, quelle approche en termes de communication offre des voies d’action concrètes pour assurer sa mise en œuvre ?

I/ Repenser la « 5ème liberté » : de l’abstraction aux bénéfices concrets

L’appel du rapport Letta pour une « 5ème liberté » vise à éliminer les barrières au partage des connaissances, à la collaboration en matière de recherche et à la mobilité des talents—une vision alignée avec la promotion par l’UE d’un « Bien commun européen de la connaissance ». La communication de ce concept nécessite sa traduction en récits compréhensibles :

  • Conceptualiser la 5e liberté avec des messages développés autour des avantages de cette liberté : une liberté pour la vie immatérielle, à l’ère des nouvelles technologies.
  • Valoriser les bénéfices en termes de productivité, seule solution au déclin démographique pour l’État-providence, l’innovation fragmentée coûte à l’Europe 180 milliards d’euros par an en perte de productivité (un chiffre extrapolé de l’analyse de la BCE sur l’écart de productivité UE-États-Unis).
  • Mobiliser les plateformes existantes : Intégrer la 5ème liberté dans la « Boussole de compétitivité » de l’UE, qui priorise déjà la réduction de l’écart d’innovation et l’harmonisation des règles pour les startups.

II/ Mobiliser les parties prenantes financières : construire un récit sur l’« Union de l’épargne et des investissements »

Le rapport Letta souligne la nécessité d’un écosystème financier unifié pour financer les transitions verte et numérique. Cela s’aligne avec l’« Union de l’épargne et des investissements » qui vise à canaliser l’épargne européenne vers des secteurs stratégiques. Pour communiquer efficacement un élément clé de la réussite dans l’ensemble :

  • Cibler les investisseurs institutionnels : Développer des études de cas mettant en avant des entreprises transfrontalières réussies, comme le programme d’investissement TechEU de l’UE pour l’expansion des startups.
  • Positionner le marché unique comme une référence mondiale en matière de finance durable (RSE), en s’appuyant sur le leadership de l’UE en matière de règlementations climatiques.
  • Résorber l’aversion au risque : La BCE note que les startups de l’UE ne reçoivent que 5 % du capital-risque mondial, contre 52 % aux États-Unis. Valoriser les licornes européennes pourrait démystifier le risque et attirer des capitaux privés.

III/ Mobilisation politique : des mandats du Conseil européen, au Parlement européen et à l’engagement citoyen

Susciter un engagement politique

Le rôle du Conseil européen sera crucial. Le succès du rapport Letta dépend de la capacité du Conseil à mandater la Commission pour élaborer une stratégie contraignante pour le marché unique avec des indicateurs clés de performance clairs, afin d’éviter l’inertie bureaucratique :

  • Utiliser l’« élan du rapport Draghi » : Associer la vision de Letta à l’urgence du rapport Draghi pour des réformes structurelles, en présentant le marché unique comme une nécessité géopolitique.
  • Mobiliser des « champions » inter-institutionnels : Construire un réseau de députés européens et de ministres nationaux « Ambassadeurs du marché unique » pour promouvoir les priorités législatives comme le 28ème régime réglementaire proposé pour les startups.

Développer la participation citoyenne : au-delà du symbolique

Une « Conférence permanente des citoyens » pourrait éviter les écueils de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe, qui n’est pas parvenue à obtenir une visibilité et une légitimité suffisantes pour vraiment avoir un impact sur les futures politiques publiques européennes. Comment parvenir à corriger ces limites ?

  • Partir des citoyens afin de recueillir leurs positions avant tout, en utilisant des plateformes numériques comme CitizenLab pour collecter des idées, comme sur la réduction des barrières du marché unique (par exemple, simplifier les règles de TVA).
  • Collaborer avec les municipalités pour organiser des ateliers sur l’impact des réformes du marché unique sur les PME—une tactique employée par Letta lors de sa tournée européenne incluant des échanges avec les syndicats ouvriers et patronaux ainsi que des organisations de la société civile instituée.

La création d’une Conférence permanente des citoyens offrirait une plateforme continue pour l’engagement citoyen et permettrait de rester ancré dans les besoins et aspirations du public.

Selon Enrico Letta, « la Conférence permanente des citoyens pourrait produire des recommandations sur la manière de mettre en œuvre le rapport, en fournissant une perspective précieuse, certainement plus large et mieux fondée. (…) Aucun progrès réel ne sera possible, compris et accepté par nos opinions publiques sans la participation active et l’engagement véritable des citoyens européens ».

IV/ Créer un récit unificateur : le marché unique comme « bouclier commun » de l’Europe

La vision du rapport Letta doit rivaliser avec la montée de l’euroscepticisme et des populismes, tant libertarien que techno-solutionniste. Un récit convaincant pourrait présenter le marché unique comme :

  • Un actif pour la sécurité : « Tout comme l’UE a mutualisé le charbon et l’acier pour prévenir la guerre, le marché unique d’aujourd’hui sécurise les chaînes d’approvisionnement contre les chocs géopolitiques ».
  • Un égalisateur social : Mettre en avant les initiatives de santé transfrontalières ou le principe « Once-Only » réduisant les charges administratives pour les citoyens.
  • Un leader mondial en matière de normes : Contraster le modèle réglementaire européen basé sur les valeurs (par exemple, le RGPD) avec le techno-autoritarisme américain et chinois.

V/ Surmonter les obstacles à la mise en œuvre : un retour à la réalité

Le talon d’Achille du rapport Letta est sa dépendance à l’unanimité politique, en particulier des États-membres. Les principaux obstacles à lever correspondent à :

  • Simplifier les règles européennes et réduire la fragmentation réglementaire, dans un contexte de rejet du technocratisme, 27 régimes nationaux retardent la croissance des entreprises par rapport aux États-Unis.
  • Réduire les écarts de ressources dans la recherche et l’innovation : L’UE investit 2 % de son PIB dans la R&D, loin derrière les États-Unis (3,5 %) et même la Chine (2,4 %). Un « label d’excellence » pour les régions atteignant les objectifs de R&D pourrait encourager la coo-pétition entre écosystèmes régionaux spécialisés répartis dans toute l’Europe.

Le potentiel transformateur du rapport Letta est évident, mais sa fenêtre d’impact est étroite et surtout son succès ne peut se faire sans d’une part, simplifier la complexité, en privilégiant des analogies du type « Le marché unique est le WiFi de l’Europe—invisible mais essentiel » et d’autre part, en visibilisant les indicateurs de performance, avec des tableaux de bord trimestriels accessibles à tous sur l’élimination des barrières.

Comme l’averti Enrico Letta lui-même, l’Europe fait face à une « lente agonie » de déclin sans action audacieuse. La communication doit refléter cette urgence, transformant le marché unique d’un idéal technocratique en une réalité vécue par 450 millions de citoyens.

La « défense psychologique », nouvelle arme technologique de lutte contre les manipulations de l’information

La possibilité imminente d’une seconde présidence quasi-impériale de Trump combiné au techno-populisme d’Elon Musk, sans oublier l’escalade des tactiques de guerre de l’information employées par des pays comme la Chine, l’Iran et la Russie, nécessite une stratégie holistique de « défense technologique » pour l’Union européenne. S’appuyant sur l’analyse de David Colon, enseignant et chercheur en histoire à Sciences Po, dans « La « défense psychologique » face aux manipulations de l’information », publiée dans la Revue Défense Nationale, à quoi cela pourrait-il correspondre ?

Le modèle suédois de la défense proactive et psychologique

La création d’une Agence suédoise de défense psychologique sert de modèle. Elle est chargée de protéger « la société ouverte et démocratique, et la libre formation d’opinions en identifiant, analysant et répondant aux influences inappropriées et autres informations trompeuses dirigées contre la Suède ou les intérêts suédois ».

Son objectif est « d’identifier, d’analyser et de répondre aux influences inappropriées et autres informations trompeuses » et souligne la nécessité d’une approche préventive, mettant l’accent sur la pensée critique et l’éducation aux médias.

Ses tâches comprennent la sensibilisation à la menace informationnelle, le développement de méthodes et de technologies permettant d’identifier et de contrer les ingérences informationnelles, la formation des journalistes et des institutions, ainsi que le financement de recherches liées à la défense psychologique.

Cette position proactive est essentielle pour construire une « immunité » sociétale aux campagnes de désinformation. La conception suédoise de la défense psychologique repose sur la résilience, l’analyse de la menace, la dissuasion et la communication stratégique.

Les nouvelles armes psychologiques de lutte contre les manipulations de l’information

Dans son papier, David Colon mentionne les travaux de Jon Roozenbeek et Sander van der Linden qui proposent un état des lieux des interventions visant à lutter à l’échelle individuelle et sociétale contre la désinformation.

D’abord des mesures destinées à renforcer les capacités des citoyens à résister à la désinformation :

  • Boosting, l’éducation aux médias et à l’information, le renforcement de l’esprit critique
  • Prebunking, la réfutation par anticipation une technique préventive de lutte contre la manipulation de l’information consistant à créer des « anticorps mentaux » en aidant le public à identifier et à réfuter par anticipation des récits faux et trompeurs de façon à l’immuniser contre les effets de campagnes de désinformation

Ensuite les nudges, ces incitations indirectes intégrées au design des pages Web et destinées à inciter les gens à se détourner de la désinformation en apportant des changements à l’architecture de leurs choix sur les médias sociaux et de dispositifs d’étiquetage des contenus (content labelling).

Enfin Debunking et Fact-Checking, dont l’efficacité est bien établie empiriquement.

Les nouvelles perspectives avec l’IA générative pour mettre en place rapidement et à grande échelle des mesures de « défense psychologique »

David Colon souligne le potentiel de l’IA pour étendre ces efforts. Il cite des exemples de chercheurs ayant testé avec succès à l’été 2024 le Prebunking assisté par IA générative de pré-démystification assistée par l’IA qui ont réussi à réduire la croyance en la désinformation liée aux élections et à accroître la confiance des électeurs. Les dialogues alimentés par l’IA se sont également avérés efficaces pour réduire les croyances en matière de complot. L’IA générative a été mise à profit pour identifier dans de vastes données comportementales d’utilisateurs de X-Twitter les facteurs psychologiques associés aux croyances dans les théories du complot.

En substance, se préparer au second mandat de Trump et à la guerre de l’information en cours nécessite que l’UE adopte une stratégie globale de « défense technologique » impliquant non seulement de renforcer les capacités de réflexion critique des citoyens, mais aussi de tirer parti des technologies de pointe comme l’IA pour contrer de manière préventive la désinformation, identifier les vulnérabilités et renforcer la résilience de la société, avec l’engagement des pouvoirs publics, des élus, de la communauté scientifique, des médias et de tous ceux qui veulent défendre la liberté cognitive, qui nous permettra de nous immuniser.

Exode informationnel et apathie européenne des Français : comment rallumer une flamme européenne vacillante ?

En cette période de nouvelle année, plutôt que de formuler des vœux, visons plus des résolutions : être résolu à regarder la réalité, même si cela peut être de plus en plus difficile à décrypter et être résolu à chercher des solutions réelles, c’est d’ailleurs la promesse de Lacomeuropéenne depuis son lancement et l’engagement que nous renouvelons pour 2025.

L’exceptionnalisme eurosceptique français : un État-membre qui se désolidarise

Une récente étude menée par Cluster17 pour Le Grand Continent : « Que pensent les Européens ? » dans cinq pays étudiés (France, Allemagne, Italie, Espagne et Belgique) révèle une tendance préoccupante : une fracture croissante au sein de l’Europe sur des questions clés, la France se distinguant souvent par des positions plus eurocritiques. « Deux tiers des répondants se disent favorables à l’Union tout en souhaitant « de grands changements » dans sa manière de fonctionner. » Ce désir de changement est particulièrement prononcé en France, où l’euroscepticisme est plus marqué que dans les autres pays étudiés. « La France est, sur cette question comme sur presque toutes les autres, le pays le plus sceptique à l’égard des bénéfices de l’Union. »

L’étude souligne également un point crucial : « La question européenne divise même au sein des électorats radicaux. » Si le sentiment anti-UE alimente le soutien aux partis radicaux, ces mêmes électorats sont divisés sur la question de l’intégration européenne. Ce conflit interne entrave la capacité de ces partis à capitaliser sur l’euroscepticisme et offre une opportunité – jusqu’à combien de temps ? – aux forces pro-européennes de consolider un soutien en déclin.

L’exode informationnel : une nation qui se déconnecte

À la difficulté posée par une Europe fracturée s’ajoute un désengagement croissant vis-à-vis de l’information elle-même en France. L’étude « L’exode informationnel » publiée par la Fondation Jean Jaurès révèle une nation aux prises avec le déluge informationnel, ce qui entraîne une fatigue et une méfiance généralisées. « 54% des Français se déclarent fatigués de l’information, 39% apparaissent même « très » fatigués », qui conduit à un sentiment de saturation et à une incapacité à établir des priorités. « Plus de huit Français sur dix ont l’impression de voir tout le temps les mêmes informations. »

Cette fatigue engendre la méfiance, beaucoup ayant le sentiment d’être manipulés et incapables de distinguer les faits de la fiction. « Plus d’un Français sur deux confie qu’il a désormais du mal à distinguer ce qui est une vraie information de ce qui est une fausse information. » Cette érosion de la confiance crée un vide, facilement comblé par des sources alternatives, qui propagent souvent de la désinformation et des théories du complot. L’étude révèle que « plus d’un quart des Français (27% précisément) se montrent perméables à la mécanique complotiste ».

Le prix de l’apathie : une menace pour l’intégration européenne

La conséquence la plus inquiétante de cet exode informationnel est peut-être le sentiment d’impuissance généralisé. « 80% des Français disent « se sentir impuissants face aux évolutions du monde » et 83% avouent « se désespérer de l’être humain lorsqu’ils regardent les actualités. » Ce sentiment d’impuissance alimente le désengagement, conduisant nombre d’entre eux à se retirer complètement de l’espace public. L’étude identifie cinq profils distincts de citoyens français dans leur relation à l’information, allant des « submergés », accablés par le déluge, aux « détachés », qui l’évitent activement – autant de catégories qui fonctionneraient parfaitement pour comprendre la relation des Français avec l’Europe.

Un appel à l’action : raviver la flamme européenne avec « Faut qu’on parle d’Europe »

La convergence de ces deux tendances – un euroscepticisme croissant et une nation qui se déconnecte – représente un danger pour l’avenir de l’intégration européenne. L’apathie et le désengagement sont un terreau fertile pour les mouvements nationalistes et populistes, menaçant de détricoter le tissu même du projet européen.

L’initiative « Faut qu’on parle » lancée conjointement par La Croix et Brut offre un modèle prometteur pour relever ce défi. L’idée est simple : réunir des personnes ayant des points de vue opposés pour des conversations en face à face, favorisant l’empathie et la compréhension. Adapter ce modèle aux questions européennes – « Faut qu’on parle d’Europe » – pourrait constituer un puissant antidote à l’exode informationnel et à l’apathie croissance en matière européenne. Il s’agirait de réunir des citoyens français d’horizons divers pour discuter de leurs espoirs et de leurs craintes quant à l’avenir de l’Union, à une échelle individuelle pour privilégier une vraie expérience convaincante, à défaut de campagnes à plus grande échelle.

Il ne s’agit pas simplement de fournir davantage d’informations ; il s’agit de créer des espaces de dialogue significatif, où les gens peuvent s’écouter, remettre en question leurs préjugés et trouver un terrain d’entente. Il s’agit de restaurer la confiance et de favoriser un sentiment d’appropriation collective du projet européen.

Face aux signaux d’alarme de la dégradation de la relation des Français à l’Europe, renforcée par l’exode informationnel nous devons agir maintenant pour raviver la flamme européenne avant qu’elle ne vacille et ne s’éteigne.

L’UE à la croisée des chemins : faut-il plus ou moins de pouvoir ?

Débat sur la chaîne YouTube « Brussels Signal » : « Federalist VS Eurosceptic : Should we give the EU more Power? » entre Sophie in’t Veld, ex-députée européenne libérale, auteure de « Naked Power » et Thomas Fazi, auteur de « The Silent Coup » se présentant comme de gauche anti-UE.

Face-à-face : un europhobe contre le supranationalisme et une eurocritique d’un système dysfonctionnel

Sur le plan théorique, il y a de nombreuses déclinaisons du gris eurosceptique, mais les positions ne peuvent pas être plus éloignées entre les deux protagonistes. Pour Thomas Fazi, le discours que nous entendons de l’UE – la souveraineté nationale n’a plus de sens avec la mondialisation, nous ferions mieux de nous regrouper pour créer une super-puissance – a échoué avec pour résultat le déficit démocratique. L’échec n’est pas malgré une UE imparfaite mais parce que le supranationalisme ne fonctionne pas. Nous sommes donc dans les limbes, avec un non-État puissant, l’UE, et des conséquences politiques, enchaînant les erreurs.

Pour Sophie in’t Veld, l’UE a certainement donné des résultats, mais elle sous-performe en tant qu’économie innovante, acteur géopolitique et surtout entité démocratique. Les États-nations n’ont pas été inventés avec Adam et Ève, ce sont des créations récentes, et toute idéalisation des États-nations est un anachronisme naïf.

Le problème avec le pouvoir de l’UE est que les dirigeants nationaux ont confisqué le pouvoir au sein du Conseil européen, qui devrait fonctionner comme un « think tank » selon les traités européens mais qui agit comme un gouvernement dysfonctionnel, décidant sans transparence ni responsabilité. Le fait que la présidente de la Commission européenne soit membre du Conseil européen est problématique, elle devrait faire appliquer la législation européenne, pas se rapprocher des chefs d’État et de gouvernement. Pour Ursula von der Leyen, son ticket pour le pouvoir est d’être à la table du Conseil européen, pas en tant que présidente de la Commission européenne.

La démocratie fonctionne avec des élections et surtout des « checks and balances » : dans l’UE, la responsabilité s’est perdue au fil des ans. La révolution la plus importante aujourd’hui serait d’appliquer les traités européens. Premièrement, réduire la taille de la Commission européenne comme cela est envisagée. Deuxièmement, les Commissaires ne devraient plus représenter leurs pays, puisque la Commission européenne est chargée d’appliquer les traités et de mettre en œuvre les lois européennes, même les procédures d’infraction contre les États membres si nécessaire. Ces dernières années, l’application du droit est en fort déclin, von der Leyen en particulier l’a négocié contre du soutien politique. On ne peut plus faire confiance à la Commission européenne, et c’est le problème le plus urgent.

Que nous faut-il ? Plus de responsabilité et de contrôle des chefs d’État et de gouvernement s’engageant avec l’UE, dans les limites de l’État de droit. Dans le monde fragmenté d’aujourd’hui, nous devons rendre l’UE plus démocratique en tant que démocratie parlementaire à part entière. Nous vivons encore dans l’illusion que les États-nations peuvent faire face seuls aux défis comme le changement climatique, les défis géopolitiques, les migrations et la transition numérique. Dans le cadre des traités actuels de l’UE, le Conseil européen, l’organe des chefs d’État et de gouvernement, ne devrait plus prendre les décisions, et le Parlement européen devrait exercer plus de contrôle. Les pouvoirs ont été consciemment donnés aux institutions européennes, avec réticence par les États membres, car le pouvoir intergouvernemental ne fonctionnait pas, mais nous avons perdu cette mémoire et celle-ci revient avec force. C’est leur « coup d’État », s’il y a un « coup silencieux », il vient des dirigeants gouvernementaux européens. Nous devons ramener le pouvoir là où il devait être : la Commission européenne et le Parlement européen, loin de la boîte noire.

Visions opposées de l’avenir : désoccidentalisation vs. démocratisation

Thomas Fazi craint le risque d’un style nouvelle « Guerre froide » de la part de l’UE, alignée sur les USA, qui serait destinée à imploser. L’UE doit s’engager dans un monde multipolaire, avec le bloc non-occidental, les BRICS, qui s’éloignent de la vision suprémaciste occidentale, où une majorité mondiale construit un nouvel ordre basé sur les nations. Sophie in’t Veld se pose en optimiste très inquiète, car les sonnettes d’alarme des présidences Trump et de l’attaque russe de l’Ukraine n’ont pas suffi à apporter le leadership décent dont l’UE a besoin pour décider de notre avenir.