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Rapport Letta : comment passer de la vision à l’action avec une démarche de communication stratégique pour le marché unique européen ?

Le rapport Letta intitulé « Bien plus qu’un marché » présente un programme transformateur visant à revitaliser le marché unique européen face aux turbulences géopolitiques, aux disruptions technologiques et à la rivalité économique mondiale. Son succès dépend d’une stratégie de communication capable de combler le fossé entre les recommandations politiques de haut niveau et l’adhésion concrète du public et des acteurs politiques sur le terrain. En capitalisant l’accent mis sur la « 5ème liberté » (connaissance, innovation et éducation) et les enseignements tirés d’autres initiatives européennes, quelle approche en termes de communication offre des voies d’action concrètes pour assurer sa mise en œuvre ?

I/ Repenser la « 5ème liberté » : de l’abstraction aux bénéfices concrets

L’appel du rapport Letta pour une « 5ème liberté » vise à éliminer les barrières au partage des connaissances, à la collaboration en matière de recherche et à la mobilité des talents—une vision alignée avec la promotion par l’UE d’un « Bien commun européen de la connaissance ». La communication de ce concept nécessite sa traduction en récits compréhensibles :

  • Conceptualiser la 5e liberté avec des messages développés autour des avantages de cette liberté : une liberté pour la vie immatérielle, à l’ère des nouvelles technologies.
  • Valoriser les bénéfices en termes de productivité, seule solution au déclin démographique pour l’État-providence, l’innovation fragmentée coûte à l’Europe 180 milliards d’euros par an en perte de productivité (un chiffre extrapolé de l’analyse de la BCE sur l’écart de productivité UE-États-Unis).
  • Mobiliser les plateformes existantes : Intégrer la 5ème liberté dans la « Boussole de compétitivité » de l’UE, qui priorise déjà la réduction de l’écart d’innovation et l’harmonisation des règles pour les startups.

II/ Mobiliser les parties prenantes financières : construire un récit sur l’« Union de l’épargne et des investissements »

Le rapport Letta souligne la nécessité d’un écosystème financier unifié pour financer les transitions verte et numérique. Cela s’aligne avec l’« Union de l’épargne et des investissements » qui vise à canaliser l’épargne européenne vers des secteurs stratégiques. Pour communiquer efficacement un élément clé de la réussite dans l’ensemble :

  • Cibler les investisseurs institutionnels : Développer des études de cas mettant en avant des entreprises transfrontalières réussies, comme le programme d’investissement TechEU de l’UE pour l’expansion des startups.
  • Positionner le marché unique comme une référence mondiale en matière de finance durable (RSE), en s’appuyant sur le leadership de l’UE en matière de règlementations climatiques.
  • Résorber l’aversion au risque : La BCE note que les startups de l’UE ne reçoivent que 5 % du capital-risque mondial, contre 52 % aux États-Unis. Valoriser les licornes européennes pourrait démystifier le risque et attirer des capitaux privés.

III/ Mobilisation politique : des mandats du Conseil européen, au Parlement européen et à l’engagement citoyen

Susciter un engagement politique

Le rôle du Conseil européen sera crucial. Le succès du rapport Letta dépend de la capacité du Conseil à mandater la Commission pour élaborer une stratégie contraignante pour le marché unique avec des indicateurs clés de performance clairs, afin d’éviter l’inertie bureaucratique :

  • Utiliser l’« élan du rapport Draghi » : Associer la vision de Letta à l’urgence du rapport Draghi pour des réformes structurelles, en présentant le marché unique comme une nécessité géopolitique.
  • Mobiliser des « champions » inter-institutionnels : Construire un réseau de députés européens et de ministres nationaux « Ambassadeurs du marché unique » pour promouvoir les priorités législatives comme le 28ème régime réglementaire proposé pour les startups.

Développer la participation citoyenne : au-delà du symbolique

Une « Conférence permanente des citoyens » pourrait éviter les écueils de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe, qui n’est pas parvenue à obtenir une visibilité et une légitimité suffisantes pour vraiment avoir un impact sur les futures politiques publiques européennes. Comment parvenir à corriger ces limites ?

  • Partir des citoyens afin de recueillir leurs positions avant tout, en utilisant des plateformes numériques comme CitizenLab pour collecter des idées, comme sur la réduction des barrières du marché unique (par exemple, simplifier les règles de TVA).
  • Collaborer avec les municipalités pour organiser des ateliers sur l’impact des réformes du marché unique sur les PME—une tactique employée par Letta lors de sa tournée européenne incluant des échanges avec les syndicats ouvriers et patronaux ainsi que des organisations de la société civile instituée.

La création d’une Conférence permanente des citoyens offrirait une plateforme continue pour l’engagement citoyen et permettrait de rester ancré dans les besoins et aspirations du public.

Selon Enrico Letta, « la Conférence permanente des citoyens pourrait produire des recommandations sur la manière de mettre en œuvre le rapport, en fournissant une perspective précieuse, certainement plus large et mieux fondée. (…) Aucun progrès réel ne sera possible, compris et accepté par nos opinions publiques sans la participation active et l’engagement véritable des citoyens européens ».

IV/ Créer un récit unificateur : le marché unique comme « bouclier commun » de l’Europe

La vision du rapport Letta doit rivaliser avec la montée de l’euroscepticisme et des populismes, tant libertarien que techno-solutionniste. Un récit convaincant pourrait présenter le marché unique comme :

  • Un actif pour la sécurité : « Tout comme l’UE a mutualisé le charbon et l’acier pour prévenir la guerre, le marché unique d’aujourd’hui sécurise les chaînes d’approvisionnement contre les chocs géopolitiques ».
  • Un égalisateur social : Mettre en avant les initiatives de santé transfrontalières ou le principe « Once-Only » réduisant les charges administratives pour les citoyens.
  • Un leader mondial en matière de normes : Contraster le modèle réglementaire européen basé sur les valeurs (par exemple, le RGPD) avec le techno-autoritarisme américain et chinois.

V/ Surmonter les obstacles à la mise en œuvre : un retour à la réalité

Le talon d’Achille du rapport Letta est sa dépendance à l’unanimité politique, en particulier des États-membres. Les principaux obstacles à lever correspondent à :

  • Simplifier les règles européennes et réduire la fragmentation réglementaire, dans un contexte de rejet du technocratisme, 27 régimes nationaux retardent la croissance des entreprises par rapport aux États-Unis.
  • Réduire les écarts de ressources dans la recherche et l’innovation : L’UE investit 2 % de son PIB dans la R&D, loin derrière les États-Unis (3,5 %) et même la Chine (2,4 %). Un « label d’excellence » pour les régions atteignant les objectifs de R&D pourrait encourager la coo-pétition entre écosystèmes régionaux spécialisés répartis dans toute l’Europe.

Le potentiel transformateur du rapport Letta est évident, mais sa fenêtre d’impact est étroite et surtout son succès ne peut se faire sans d’une part, simplifier la complexité, en privilégiant des analogies du type « Le marché unique est le WiFi de l’Europe—invisible mais essentiel » et d’autre part, en visibilisant les indicateurs de performance, avec des tableaux de bord trimestriels accessibles à tous sur l’élimination des barrières.

Comme l’averti Enrico Letta lui-même, l’Europe fait face à une « lente agonie » de déclin sans action audacieuse. La communication doit refléter cette urgence, transformant le marché unique d’un idéal technocratique en une réalité vécue par 450 millions de citoyens.

L’UE à la croisée des chemins : faut-il plus ou moins de pouvoir ?

Débat sur la chaîne YouTube « Brussels Signal » : « Federalist VS Eurosceptic : Should we give the EU more Power? » entre Sophie in’t Veld, ex-députée européenne libérale, auteure de « Naked Power » et Thomas Fazi, auteur de « The Silent Coup » se présentant comme de gauche anti-UE.

Face-à-face : un europhobe contre le supranationalisme et une eurocritique d’un système dysfonctionnel

Sur le plan théorique, il y a de nombreuses déclinaisons du gris eurosceptique, mais les positions ne peuvent pas être plus éloignées entre les deux protagonistes. Pour Thomas Fazi, le discours que nous entendons de l’UE – la souveraineté nationale n’a plus de sens avec la mondialisation, nous ferions mieux de nous regrouper pour créer une super-puissance – a échoué avec pour résultat le déficit démocratique. L’échec n’est pas malgré une UE imparfaite mais parce que le supranationalisme ne fonctionne pas. Nous sommes donc dans les limbes, avec un non-État puissant, l’UE, et des conséquences politiques, enchaînant les erreurs.

Pour Sophie in’t Veld, l’UE a certainement donné des résultats, mais elle sous-performe en tant qu’économie innovante, acteur géopolitique et surtout entité démocratique. Les États-nations n’ont pas été inventés avec Adam et Ève, ce sont des créations récentes, et toute idéalisation des États-nations est un anachronisme naïf.

Le problème avec le pouvoir de l’UE est que les dirigeants nationaux ont confisqué le pouvoir au sein du Conseil européen, qui devrait fonctionner comme un « think tank » selon les traités européens mais qui agit comme un gouvernement dysfonctionnel, décidant sans transparence ni responsabilité. Le fait que la présidente de la Commission européenne soit membre du Conseil européen est problématique, elle devrait faire appliquer la législation européenne, pas se rapprocher des chefs d’État et de gouvernement. Pour Ursula von der Leyen, son ticket pour le pouvoir est d’être à la table du Conseil européen, pas en tant que présidente de la Commission européenne.

La démocratie fonctionne avec des élections et surtout des « checks and balances » : dans l’UE, la responsabilité s’est perdue au fil des ans. La révolution la plus importante aujourd’hui serait d’appliquer les traités européens. Premièrement, réduire la taille de la Commission européenne comme cela est envisagée. Deuxièmement, les Commissaires ne devraient plus représenter leurs pays, puisque la Commission européenne est chargée d’appliquer les traités et de mettre en œuvre les lois européennes, même les procédures d’infraction contre les États membres si nécessaire. Ces dernières années, l’application du droit est en fort déclin, von der Leyen en particulier l’a négocié contre du soutien politique. On ne peut plus faire confiance à la Commission européenne, et c’est le problème le plus urgent.

Que nous faut-il ? Plus de responsabilité et de contrôle des chefs d’État et de gouvernement s’engageant avec l’UE, dans les limites de l’État de droit. Dans le monde fragmenté d’aujourd’hui, nous devons rendre l’UE plus démocratique en tant que démocratie parlementaire à part entière. Nous vivons encore dans l’illusion que les États-nations peuvent faire face seuls aux défis comme le changement climatique, les défis géopolitiques, les migrations et la transition numérique. Dans le cadre des traités actuels de l’UE, le Conseil européen, l’organe des chefs d’État et de gouvernement, ne devrait plus prendre les décisions, et le Parlement européen devrait exercer plus de contrôle. Les pouvoirs ont été consciemment donnés aux institutions européennes, avec réticence par les États membres, car le pouvoir intergouvernemental ne fonctionnait pas, mais nous avons perdu cette mémoire et celle-ci revient avec force. C’est leur « coup d’État », s’il y a un « coup silencieux », il vient des dirigeants gouvernementaux européens. Nous devons ramener le pouvoir là où il devait être : la Commission européenne et le Parlement européen, loin de la boîte noire.

Visions opposées de l’avenir : désoccidentalisation vs. démocratisation

Thomas Fazi craint le risque d’un style nouvelle « Guerre froide » de la part de l’UE, alignée sur les USA, qui serait destinée à imploser. L’UE doit s’engager dans un monde multipolaire, avec le bloc non-occidental, les BRICS, qui s’éloignent de la vision suprémaciste occidentale, où une majorité mondiale construit un nouvel ordre basé sur les nations. Sophie in’t Veld se pose en optimiste très inquiète, car les sonnettes d’alarme des présidences Trump et de l’attaque russe de l’Ukraine n’ont pas suffi à apporter le leadership décent dont l’UE a besoin pour décider de notre avenir.

Nouveaux portefeuilles à la Commission européenne : intérêts et limites d’une communication européenne entre ambition politique et défis institutionnels

Comme prévu par l’agenda institutionnel européen, Ursula von der Leyen est réélue présidente de la Commission européenne pour un second mandat, le 18 juillet, avec une majorité plus confortable qu’attendue. Dans son discours devant les députés européens, elle dévoile ses orientations politiques pour la prochaine Commission : « Le choix de l’Europe » pour les cinq prochaines années, mettant l’accent sur cinq priorités majeures.

Une communication politique hyper-sobre : piliers du programme von der Leyen II

Le travail de consolidation de sa majorité parlementaire, entre les groupes politiques du centre-droit (PPE), centre-gauche (S&D), centristes (Renew), mais aussi les Verts qui ont joué le jeu de la coalition tandis que les conservateurs (ECR) se sont divisés :

  1. Un nouveau plan pour la prospérité et la compétitivité durables, visant à stimuler l’économie européenne, en mettant l’accent sur la facilitation de l’activité des entreprises, l’élaboration d’un pacte pour une industrie propre, et le renforcement de la recherche et de l’innovation. Elle souligne également l’importance de combler le déficit de compétences et de main-d’œuvre.
  2. Une nouvelle ère pour la défense et la sécurité européennes : Face aux défis géopolitiques actuels, von der Leyen promet de faire de l’Union européenne de la défense une réalité, tout en renforçant la préparation aux crises et la sécurité intérieure. Le renforcement des frontières communes et une approche équitable mais ferme en matière de migration sont également au programme.
  3. Soutien aux personnes et renforcement du modèle social européen : La présidente de la Commission s’engage à promouvoir l’équité sociale, à restaurer l’unité des sociétés et à soutenir les jeunes. L’égalité et la préservation de la qualité de vie, notamment en termes de sécurité alimentaire et d’accès à l’eau.
  4. Protection de la démocratie et défense des valeurs européennes : un autre « bouclier européen de la démocratie » propose de renforcer l’état de droit et de placer les citoyens au cœur du processus démocratique.
  5. Renforcement du rôle de l’Europe dans le monde : La présidente de la Commission prévoit de poursuivre l’élargissement de l’UE, d’adopter une approche plus stratégique envers les pays voisins et de mettre en place une nouvelle politique économique étrangère.

Une nouvelle forme de communication politique par la création de nouveaux postes de Commissaires

La nouvelle présidente de la Commission européenne von der Leyen, dont la créativité n’est plus à démontrer si l’on se souvient de la configuration autour de Vice-Présidence aux titres ronflant, se montre de nouveau généreuse dans la création de nouveaux postes de Commissaires, notamment :

  • « chargé de la défense »
  • « spécialement chargé de l’élargissement »
  • «  pour la Méditerranée »
  • « dont le portefeuille inclura le logement »
  • «  chargé de l’égalité »
  • «  chargé de l’équité intergénérationnelle »
  • « chargé de la pêche et des océans »

Ces propositions soulèvent des questions sur l’équilibre entre visibilité politique et efficacité institutionnelle. La création de ces nouveaux postes présente des avantages en termes de visibilité politique et d’adaptabilité face aux défis émergents. Cela peut servir de « marqueur » qui font tant défaut dans la liste des priorités, sur le fond largement consensuel au vue des résultats du vote à bulletin secret pour son investiture, mais sans aspérité, pour les valoriser les porter à la connaissance du grand public.

Cependant, ces nouveaux postes soulèvent également des interrogations. Le respect du cadre juridique, la création de nouveaux postes doit s’inscrire dans le cadre fixé par les traités européens, sinon, le risque de fragmentation augmente avec une multiplication des portefeuilles qui pourrait nuire à la cohérence de l’action de la Commission. Mais surtout, l’alignement avec la structure administrative est crucial afin d’assurer une bonne coordination entre les portefeuilles des Commissaires et l’organisation des directions générales.

En revanche, la communication via les portefeuilles peut se montrer nuisible, en raison de son illisibilité pour le public. La multiplication des postes pourrait paradoxalement rendre moins lisibles les responsabilités réelles de l’UE pour les citoyens européens. Sans compter les contraintes pratiques où la répartition des postes devra se faire en fonction des candidatures présentées par les États membres, ce qui pourrait limiter la flexibilité dans l’attribution des nouveaux portefeuilles en fonction des profils.

Au total, la proposition d’Ursula von der Leyen de créer de nouveaux postes de Commissaires reflète une volonté d’adapter l’institution aux défis contemporains et d’envoyer des signaux politiques forts. Cependant, la mise en œuvre de cette vision devra naviguer entre les contraintes juridiques, les impératifs d’efficacité administrative et les besoins de communication politique. Dans l’équilibre à trouver entre ambition politique et pragmatisme institutionnel, où il s’agira de traduire les nouvelles priorités en actions concrètes, peut-on suggérer que cela ne se fasse pas au détriment de la cohérence et de l’efficacité de l’institution européenne, d’autres formes de communication devraient être privilégiées.

Le processus d’audition des nouveaux Commissaires par le Parlement européen permet d’évaluer la faisabilité et la pertinence de cette nouvelle structure, et aurait pu conduire à des ajustements avant la prise de fonction effective de la nouvelle Commission européenne.

Comment porter et incarner la prise de parole de la marque Europe ?

A l’occasion de la conférence « Communication européenne, comment se faire entendre ? », hébergée par l’Académie des Controverses et de la Communication Sensible, Nicolas Baygert, chercheur, enseignant à Sciences Po Paris, aborde la question du « leadership européen et (de) son influence sur la “marque UE”»…

Une rivalité systémique et systématique entre les présidences

Depuis 5 ans, s’est glissée une relation dysfonctionnelle au cœur du projet européen, un leadership européen concurrentiel avec la relation entre Charles Michel, président du Conseil européen, l’institution réunissant les chefs d’État et de gouvernement qui prennent les orientations stratégiques pour l’UE et Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, qui est l’institution gardienne des traités, seule habilitée au pouvoir d’initiative à proposer de nouvelles législations.

Une certaine ambiguïté des rôles existe, une marge d’interprétation quant aux compétences respectives des présidents, qui s’est traduite par une rivalité pour la visibilité politique et médiatique avec des conflits à l’agenda et une affirmation du leadership politique européen faisant l’objet d’une rivalité personnelle et politique. LA question d’Henry Kissinger « qui dois-je appeler pour parler avec l’Europe ? » demeure encore d’actualité.

Une réinvention de la fonction à chaque nouvelle personnalité

Alors que pour la fonction présidentielle française, les candidats sont conduits à « rentrer dans les habits du président », à incarner l’autorité et la légitimé de la fonction à partir d’un idéal-type gaullien sous la Ve République, il n’en est rien au niveau européen. Chaque dirigeant européen doit réinventer la fonction à chaque prise de responsabilités – c’est autant une chance qu’une menace.

La présidente de la Commission européenne – Queen of Europe – s’est construit un personnage, à coup de centralisation des efforts de communication et de personnalisation à haute dose de la communication. Ainsi, alors qu’elle n’était pas une Spitzenkandidat, elle s’est offert une construction médiatique à travers une « illusion biographique » liant son parcours au Collège d’Europe, son multilinguisme, en somme, son européanité.

Cet investissement dans la communication n’est pas sans conséquence sur la marque UE. Outre l’impact sémiotique en termes de signes, plusieurs autres leviers comme la capacité à définir l’agenda, l’impulsion initiale de la « Commission géopolitique » ; mais aussi la gestion des crises (covid, Ukraine, climat…) et enfin la mise à l’agenda, le rôle d’agenda-setting leadership, de capacités à trouver des réponses institutionnelles pour rallier un consensus, trouver un agenda normatif, fournir une grille de lecture fondée sur des principes ou des justifications idéologiques. Cette conception personnelle au service d’un agenda politique se traduit aussi par une dimension axiologique, les valeurs de l’UE sont instrumentalisées à l’occasion des discours annuels sur l’état de l’Union sans compter que pour incarner l’agenda politique, Von der Leyen utilise sa personne comme une vitrine communicationnelle.

Faut-il tendre vers une seule présidence ?

Suggéré par Jean-Claude Juncker dans son dernier discours sur l’état de l’Union, la fusion des deux fonctions présidentielles permettrait d’accroitre l’efficacité. En termes de communication, il s’agirait d’un repère mental sur le marché hyperconcurrentiel du leadership européen, mais aussi une possibilité de mieux sélectionner des éléments dans le flux des signes au sein d’un espace plus géopolitique, pourquoi pas même un remède au déficit d’incarnation même si cela ne résorberait pas pour autant le déficit de légitimité et le manque de transparence dans la nomination des présidents.

Dans la bataille des égos, il faut réussir à inscrire un style, un personnage pouvant incarner la marque Europe.

Rapport Draghi : quelle stratégie de communication au service de la compétitivité européenne ?

Face aux défis démographiques, technologiques et géopolitiques qui menacent sa croissance et sa productivité, l’Europe se trouve à un carrefour crucial pour éviter  » une lente agonie ». Le tant attendu rapport Draghi sur l’avenir de la compétitivité européenne, propose une nouvelle stratégie industrielle ambitieuse pour relancer la croissance et la productivité reposant en grande partie sur sa capacité à être comprise, acceptée et appropriée par l’ensemble des acteurs européens. Une communication efficace sera donc cruciale pour relever ce défi et donner corps à l’avenir du projet européen. Que faire ?

Expliquer la nouvelle stratégie : la pédagogie du changement… et le changement de la pédagogie

Le premier défi est d’expliquer de manière claire et pédagogique les grands axes de la stratégie proposée : vulgariser des enjeux complexes, montrer la cohérence d’ensemble du plan, afin de mettre en lumière les piliers clés du plan :

  • Combler le retard d’innovation, surtout dans les technologies numériques : démontrer l’urgence d’investir massivement dans la recherche et l’innovation (IA, quantique, semi-conducteurs) à la condition d’améliorer la collaboration entre les institutions de recherche, les entreprises et les investisseurs.
  • Décarboner l’économie tout en préservant la compétitivité industrielle : la transition vers une économie neutre en carbone représente une opportunité pour l’Europe de devenir un leader mondial, tout en expliquant les défis liés à la concurrence internationale, notamment chinoise, et les mesures prises pour garantir un terrain de jeu équitable.
  • Réduire les dépendances stratégiques et renforcer l’autonomie européenne : sensibiliser aux risques liés à la dépendance excessive des ressources critiques, en diversifiant les sources d’approvisionnement, renforçant les capacités de production européennes et développant des partenariats stratégiques alliés.
  • Mobiliser des investissements massifs publics et privés : la nécessité d’investissements massifs pour financer la transition numérique et écologique, ainsi que renforcer les capacités de défense, tout en mobilisant des investissements privés.

Cette première séquence visant à s’adresser aux différentes parties prenantes doit être l’occasion de renouveler les modalités, les supports, les réflexes dans la communication pour s’assurer d’une meilleure adéquation avec les usages des publics.

Susciter l’adhésion et l’engagement : l’appropriation, condition de l’application

Au-delà de l’explication, la communication doit viser à susciter l’adhésion et l’engagement des différentes parties prenantes. Il s’agit de créer un sentiment d’appropriation collective du projet européen et de mobiliser les énergies autour d’objectifs communs. Pour ce faire, la communication doit :

  • Convaincre de l’urgence d’agir et de la pertinence des solutions proposées : La communication doit utiliser des arguments percutants et des exemples concrets pour démontrer l’impact positif de la nouvelle stratégie sur la vie quotidienne des citoyens européens, ainsi la baisse de la productivité, c’est du pouvoir d’achat en moins. Il est important de mettre en avant les bénéfices en termes de création d’emplois, de croissance économique, de protection de l’environnement et de sécurité.
  • Mobiliser les différentes parties prenantes autour d’objectifs communs : La communication doit les impliquer dans la mise en œuvre de la stratégie. Il est important de créer des plateformes de dialogue et de consultation, d’organiser des événements et des campagnes de sensibilisation, et de mettre en place des mécanismes de suivi et d’évaluation.
  • Inciter à l’action et au changement de comportements : La communication doit encourager les citoyens, les entreprises et les investisseurs à adopter des comportements plus responsables et à s’engager activement dans la transition numérique et écologique. Il est important de proposer des solutions concrètes et des incitations, de valoriser les initiatives positives et de promouvoir les bonnes pratiques.

Faire évoluer les représentations et canaliser les émotions

La mise en œuvre de la stratégie de compétitivité implique de faire évoluer certaines représentations et de lutter contre les idées reçues. La communication doit contribuer à façonner un nouveau récit européen, plus positif et plus ambitieux. Pour ce faire, il est nécessaire de :

  • Dépasser l’opposition entre écologie et économie : La communication doit démontrer que la transition écologique est compatible avec la croissance économique et la création d’emplois. Il est important de mettre en avant les exemples d’entreprises européennes qui ont réussi à concilier performance économique et respect de l’environnement.
  • Promouvoir une vision positive de l’industrie et de l’innovation : La communication doit lutter contre l’image critiquée de l’industrie et valoriser son rôle dans la création de richesse et d’emplois. Il est important de mettre en avant les innovations technologiques européennes et de montrer comment elles contribuent à améliorer la vie quotidienne des citoyens.
  • Renforcer le sentiment d’appartenance européenne : La communication doit rappeler les valeurs et les principes fondamentaux de l’UE, tels que la solidarité, la coopération et la paix. Il est important de mettre en avant les réussites de l’intégration européenne et de montrer comment l’UE peut apporter des solutions aux défis mondiaux.
  • Valoriser la coopération face aux tentations du repli national : La communication doit souligner l’importance de la coopération entre les États membres pour relever les défis communs. Il est important de mettre en avant les exemples de projets européens réussis et de montrer comment la coopération permet d’obtenir des résultats plus ambitieux.

Propositions d’activation :

  • Lancer une grande campagne de communication paneuropéenne multi-supports : Cette campagne utiliserait différents canaux de communication (télévision, radio, presse écrite, affichage, réseaux sociaux, etc.) pour diffuser des messages clés dans un langage clair et accessible.
  • Créer une plateforme digitale interactive présentant la stratégie et ses avancées : Cette plateforme permettrait aux citoyens, aux entreprises et aux investisseurs de s’informer sur la stratégie, de suivre ses avancées et de participer à des consultations. La plateforme pourrait également proposer des outils interactifs, tels que des cartes, des graphiques et des vidéos, pour rendre l’information plus attractive et plus accessible.
  • Organiser des consultations citoyennes dans toute l’Europe : Ces consultations permettraient aux citoyens de s’exprimer sur la stratégie et de proposer des idées pour sa mise en œuvre. Il est important de s’assurer que les consultations sont organisées de manière transparente et inclusive, et que les résultats sont pris en compte par les institutions européennes.
  • Mettre en place un réseau d’ambassadeurs de la stratégie dans différents secteurs : Ces porte-paroles seraient des personnalités reconnues dans leur domaine (entrepreneurs, chercheurs, artistes, etc.) qui s’engageraient à promouvoir la stratégie auprès de leur public. Il est important de choisir des ambassadeurs qui sont crédibles et qui ont une forte influence sur leur audience.
  • Développer des serious games et outils de simulation pour sensibiliser le grand public : Ces outils permettraient aux citoyens de comprendre les enjeux de la stratégie de manière ludique et interactive. Il est important de s’assurer que les jeux et les simulations sont bien conçus et qu’ils sont adaptés aux différents publics cibles.
  • Produire une série documentaire grand public sur les enjeux et solutions : Cette série documentaire permettrait de sensibiliser le grand public aux défis de la compétitivité européenne et de présenter les solutions proposées par la nouvelle stratégie. Il est important de s’assurer que la série documentaire est de qualité et qu’elle est diffusée sur des chaînes de télévision grand public.
  • Lancer un concours d’innovation ouvert aux citoyens et entreprises européennes : Ce concours permettrait de stimuler l’innovation et de promouvoir les solutions créatives pour relever les défis de la compétitivité européenne. Il est important de s’assurer que le concours est bien organisé et qu’il est doté de prix attractifs, en particulier pour les jeunes entrepreneurs.

Réussir la communication autour de la nouvelle stratégie de compétitivité européenne représente une opportunité unique pour l’UE de relancer tant sa croissance et sa productivité, tout en renforçant son autonomie et sa résilience que de créer un véritable sentiment d’appropriation collective du projet européen et de donner corps à une nouvelle Europe.