Comment émerge l’idée de « faire société européenne » par le sport, selon William Gasparini, titulaire de la chaire Jean Monnet « Le sport passeur d’Europe » dans « Vendre l’Europe ? Le sport comme vecteur de communication du projet européen (1966-1985) » au travers des premiers usages européistes du sport dans le cadre d’une nouvelle politique de communication et d’un processus d’européanisation informelle…
Donner un visage plus proche et plus humain à une Europe en quête de légitimité
Dans la presse britannique, la Commission européenne apparaît comme incapable de vendre la Communauté dans les pays membres : non seulement son action d’information n’atteindrait pas la cible visée mais se révélerait « lamentablement » insuffisante pour mettre favorablement en lumière la Communauté. En s’exprimant différemment : moins de technicisme, de statistiques et de raisonnements destinés aux experts, et davantage de références à l’aspect humain, susceptible de frapper l’imagination de l’opinion publique, l’homme de la rue s’intéresserait davantage.
Dès le milieu des années 1960 et surtout à partir des années 1970, le sport est progressivement perçu par la CEE comme le fer de lance de la diffusion d’une réalisation européenne concrète à même de créer une « identité européenne » contre le vent d’euroscepticisme qui souffle au sein des populations des pays fondateurs.
C’est dans ce contexte qu’en 1973, la déclaration de Copenhague introduit les termes d’identité européenne dans le lexique communautaire et préconise des mesures touchant directement et concrètement la vie des citoyens européens, comme le sport progressivement convoqué dans les discours pour « vendre l’Europe » et en donner une image plus attractive.
Une européanisation informelle par le sport
Visant à renforcer le pouvoir d’identification et la légitimité politique des institutions européennes, la politique symbolique de la Commission contribue à façonner un modèle européen du sport et à développer l’idée que le sport est un vecteur efficace de communication des « valeurs » et de « l’identité » européennes.
Pour comprendre comment émerge cette idée, il convient de la replacer dans un contexte d’interdépendance entre la sphère de la politique communautaire et celle du sport. L’utilisation du sport dans la construction européenne est ainsi autant le produit de transformations internes à la Communauté (l’élargissement, les nouvelles politiques communautaires, notamment en matière de communication, ou la professionnalisation des personnels) qu’externes (la médiatisation du sport européen à partir des années 1970, les enjeux géopolitiques du sport).
Populariser le projet européen à travers le sport et contribuer à faire circuler un modèle sportif européen
De 1966 à 1985 s’ouvre ainsi une période importante dans la constitution d’une politique symbolique des Communautés européennes dans laquelle s’inscrit la doxa sportive européenne. En effet, les institutions européennes déploient progressivement toute une série d’opérations d’information et de communication pour favoriser l’émergence d’une société civile, d’une opinion et d’un espace publics aux dimensions de la scène politique européenne.
Dès 1966, dans sa recherche d’une adhésion des peuples au projet européen, l’idée d’une Coupe du Marché commun s’inscrit dans les prémices d’une stratégie de communication de la CEE ayant pour objectif de fabriquer des euro-citoyens « ordinaires ». À l’origine, deux journalistes sportifs belges, Michel Szur et Raymond Arendt, qui multiplient les initiatives auprès de grands clubs européens de football. Mais, par suite de la fin de non-recevoir de l’UEFA, le projet avorte.
À partir des années 1970, les instruments et les objectifs de la communication sur les communautés européennes se diversifient. Avec le soutien du Parlement, la Commission adjoint à ses moyens traditionnels de communication (relations publiques, conférences de presse, brochures destinées au grand public) des outils d’analyse de l’opinion (programme Eurobaromètre) et des médias.
Les compétitions sportives comme vecteur de communication de l’identité européenne
La Commission puis le Parlement instrumentalisent progressivement le sport pour favoriser l’émergence d’une « identité européenne ». Après plusieurs tentatives de soutien à des événements sportifs, une note de synthèse sur « le sport comme vecteur de communication », en 1984, pose que « les compétitions sportives offrent de nombreuses opportunités de donner aux citoyens une image de la Communauté qui exprime sa vitalité et sa capacité d’expression. Le sport permet de donner un visage humain à l’Europe. Le sport permet de toucher, de sensibiliser, d’affilier des millions de personnes qu’on ne peut atteindre autrement ». Cette note constitue une sorte de guide de la politique de la Commission dans le domaine de la communication du projet européiste par le sport.
Le recours au sport pour consolider l’identité européenne et un espace sans frontières
Lors du Conseil européen de Fontainebleau (25-26 juin 1984), un comité ad hoc pour « l’Europe des citoyens » vise à renforcer l’identité et l’image de l’Europe auprès de ses citoyens et dans le monde. Le Comité insiste particulièrement sur l’éducation, la jeunesse et les sports. Pour la première fois, un rapport des institutions européennes souligne l’importance du sport comme puissant moyen de communication entre les peuples.
Parmi les réalisations, la « Course de l’Europe à la voile » en 1985 ou le « Tour de l’avenir de la Communauté Européenne » entre 1986 et 1991. En revanche, l’idée de constituer des équipes sportives communautaires n’a été acceptée ni par les États-membres, ni par les fédérations sportives, tout comme l’identification communautaire des athlètes aux Jeux olympiques, refusée par le CIO. Des résultats à première vue décevants par rapport aux ambitions affichées.
Au total, même si les réalisations concrètes de « l’Europe du sport » sont minimes, l’idée d’une identité européenne ou d’un attachement à l’Europe par le sport a fait son chemin, du moins dans les milieux européistes.