Organisée par l’Académie des controverses et de la communication sensible, la conférence « Communication européenne : comment se faire entendre ? » est l’occasion de s’interroger, avec Georges Lewi, auteur en 2006 de « l’Europe, une mauvaise marque ? » sur les dernières tendances autour de la marque Europe…
Thierry Libaert introduit la problématique de la communication européenne à partir de deux réflexions :
D’une part, malgré les évolutions du contexte pour les élections européennes de juin prochain, la prise de conscience géopolitique entre l’Ukraine et Trump ou l’échec du Brexit ou encore le succès relatif de la réponse à la crise du covid, l’engouement européen n’est pas au rendez-vous – le sentiment pour ou contre l’Europe n’a pas vraiment évolué.
D’autre part, l’Europe souffre d’un triple blocage :
- Il n’y a pas d’émetteur unique ; l’UE, c’est un ensemble d’institutions, chacune fait la promotion de ses propres activités – sans une direction de la communication centrale ;
- Il n’y a pas de récit européen ; l’UE s’est figée dans le récit « l’Europe c’est la paix » – sans renouvellement du narratif européen, malgré les dimensions sociales ou environnementales uniques à notre continent ;
- Il n’y a pas d’incarnation ; l’UE, on n’en parle que tous les 5 ans lors des élections – sans présence sur le terrain, dans les médias…
Comment construire une nouvelle marque Europe en effaçant le passé des conflits ?
Pour Georges Lewi, Robert Schuman, le père fondateur du projet d’Europe, peut être considéré comme l’auteur initial de la marque Europe, puisque l’acte de naissance d’une marque, c’est la création d’un récit ex nihilo, d’une promesse, à partir d’une réalité, qui vise à la dépasser.
Toute marque fonctionne sur la base de 3 temps : les temps héroïque, de la sagesse et du mythe :
- Pour la marque Europe, le temps héroïque commence avec le 25 mars 1957, la signature du traité de Rome ; la marque Europe arrive avec une promesse : faire la guerre à la guerre, une promesse presque surhumaine, hors de la logique de domination ; le récit embarque les premières réalisations comme la PAC en 1962 ou les premiers élargissements en 1973.
- L’Europe passe au temps de la sagesse, avec les premières élections européennes au suffrage universel en 1979, l’Europe rentre dans une logique démocratique, dont le symbole sera l’intégration de la Grèce en 1981 ; le récit porte sur la construction avec de nouveaux traités, dont Maastricht en 1992, et de nouvelles politiques européennes ; mais comme le dit Mitterrand : « quand l’Europe ouvre la bouche, c’est pour bailler ».
- La marque Europe aujourd’hui arrive au terme de la 3e phase, celle de la pérennité et du mythe. Certes, la dynamique s’est bien poursuivie avec la naissance de l’euro en 1999 ou les élargissements à 10 nouveaux États-membres d’Europe centrale et de l’Est. Mais, ces empilements font aussi l’objet de craquements comme l’échec du référendum sur le projet de Constitution européenne en France en 2005 ou bien entendu le Brexit en 2016. Normalement, à ce stade la marque à trouver son récit, se réaffirme avec puissance. Les Européens refusent des dirigeants charismatiques et emblématiques. On se retrouve aujourd’hui, sur une 3e phase qui n’a pas été celle qu’elle aurait dû être. Ce n’est pas dramatique, la phase de consolidation peut durer plus longtemps que prévu, mais ça manque d’enthousiasme.
Que peut faire la marque Europe aujourd’hui ? Revenir à ses fondamentaux d’origine : la promesse de la rencontre humaine
Que reste-t-il de la marque Europe ? Une facilité d’échanges et de mobilité, illustrée par l’emblématique programme Erasmus et par l’euro, l’Europe dans nos proches.
L’Europe, sa véritable promesse, c’est une formidable rencontre entre les Européens, dont les différences culturelles, historiques, linguistiques, etc. sont très importantes.
Il faut continuer de développer l’Europe dans ce sens, faire ce que l’on a fait pour les étudiants, avec tous les métiers – ce que font les grandes entreprises pour leurs cadres.
Les peuples sont assoiffés de curiosité, comme le montre le succès du tourisme, c’est un besoin humain de rencontre, et celui-ci peut permettre de retrouver le lyrisme de la marque Europe avec l’Europe des rencontres.
Il existe schématiquement 3 types de marque :
- les marque-produit/service que l’on achète, comme par exemple Mikado ;
- les marques-caution, comme par exemple LU ;
- les marques-ombrelle, comme par exemple Danone.
L’Europe ne peut pas être une marque-produit/service avant plusieurs générations, on n’est pas prêt à jeter son passeport national et vouloir vendre la citoyenneté européenne alors que les Européens n’ont pas envie, besoin ou désir, c’est une erreur. Pourquoi cette erreur de marketing, que font beaucoup de marque ? Parce qu’à vouloir parler à tout le monde, on finit par parler à personne, tant que le marketing visera à forcer la marque Europe pour ce qu’elle n’est pas, ça ne pourra pas marcher.
L’Europe, si elle visait à être une marque-caution, qui est une marque pas très bien identifiée, sur un territoire large et englobant, il faudrait une incarnation, donc une direction de la communication. Mais, on n’arrivera pas à cette forme d’incarnation pour une marque-caution, aucune ne parvient à être incarnée, c’est plutôt l’insight qui doit pouvoir remplacer l’incarnation, l’implicite très fort de la marque-caution.
Pour qu’une marque puisse exister, il faut au moins l’un des éléments qui vont la faire acheter : un besoin, une menace ou un grand amour. Et comme le disait Jacques Delors « on ne tombe pas amoureux du marché commun ». Pour la marque Europe, il y a un déficit de réflexion des institutions européennes pour poser quels leviers activer.
Toutes les marques reposent sur un schéma narratif, une sorte de cycle de vie des marques : la marque-héros fait quelque chose pour le public, va défendre contre un fléau, pour la marque-Europe, c’est contre la guerre.
Pour la marque-Europe en tant que héros, le message pourrait être : si tu t’occupes pas de l’Europe, tu risques de te retrouver tout seul ». Si une majorité d’Européens devient moins pro-européenne, c’est le risque du détricotage de l’Europe. Dans tout récit, c’est la rencontre humaine qui fait la différence. On n’a pas envie de faire chacun son propre Brexit, on a besoin d’un parapluie pour se protéger, une marque-ombrelle Europe peut y trouver sa légitimité, encapsuler dans le paradigme de la rencontre, pour que l’Europe soit une marque les Européens vont ressentir.
Comment les Français perçoivent la marque Europe ?
Sans transition avec l’intervention de Georges Lewi, une enquête qualitative « Élections européennes : le grand brouillard » commandée par le Mouvement Européen – France avec Destin commun auprès des citoyens français en vue du scrutin européen complète la perception de l’Europe, si l’UE était un produit de consommation :