Archives de catégorie : Communication sur l’Europe

Billets sur la communication européenne des États-membres et de la société civile

Publicité politique sur les réseaux sociaux : vers une régulation européenne pour plus de transparence et de protection des citoyens

Les réseaux sociaux sont devenus un terrain de jeu privilégié pour les acteurs politiques qui cherchent à influencer l’opinion publique. Cependant, la publicité politique sur ces plateformes soulève de nombreuses problématiques, notamment en termes de transparence, de protection des données personnelles et de manipulation de l’information. Face à ces enjeux, les institutions européennes ont décidé d’intervenir en proposant un nouveau règlement sur la transparence et le ciblage de la publicité à caractère politique.

Risques et dérives de la publicité politique sur les réseaux sociaux en termes de microciblage et de bulles algorithmiques de filtre

La publicité politique sur les réseaux sociaux permet de cibler très précisément les électeurs en fonction de leurs centres d’intérêt, de leur âge, de leur localisation géographique ou encore de leur historique de navigation. Cette pratique de « micro-ciblage », peut être utilisée à des fins d’influencer l’opinion publique, en diffusant des messages différents (plusieurs milliers pour les campagnes Brexit et Trump) à des groupes de personnes différents, voire contradictoires autant pour inciter à voter pour un candidat que désinciter à voter pour un autre candidat.

Par ailleurs, la publicité politique sur les réseaux sociaux soulève des questions de protection des données personnelles. En effet, les plateformes collectent et traitent des données sensibles sur les utilisateurs, qui peuvent être utilisées à des fins politiques sans leur consentement explicite. De plus, les algorithmes utilisés pour cibler les publicités peuvent renforcer les biais cognitifs et les bulles de filtre, en ne présentant aux utilisateurs que des informations qui confortent leurs opinions.

Nouveau règlement européen sur la transparence et le ciblage de la publicité à caractère politique : vers plus de transparence et de protection des citoyens

La future règlementation européenne, en cours de discussion entre les institutions européennes, après les positions du Conseil de l’UE en novembre dernier, le Parlement européenne vient d’adopter ses amendements en plénière en février, l’intention vise à renforcer la transparence et la protection des citoyens en matière de publicité politique sur les réseaux sociaux :

  1. Une définition claire de la publicité à caractère politique, qui devra être clairement identifiée comme telle ;
  2. L’obligation pour les plateformes de tenir un registre public des publicités politiques diffusées, avec des informations détaillées sur l’annonceur, le budget, la durée et le ciblage ;
  3. L’interdiction de cibler les publicités politiques en fonction de données sensibles, telles que l’orientation politique, la religion, l’origine ethnique ou l’orientation sexuelle ;
  4. L’obligation pour les plateformes de fournir des informations claires et compréhensibles sur les raisons pour lesquelles une publicité politique est diffusée à un utilisateur en particulier ;
  5. La possibilité pour les utilisateurs de signaler des publicités politiques trompeuses ou illégales ;
  6. L’interdiction de parrainage d’annonces provenant de l’extérieur de l’UE au cours des trois mois précédant une élection ou un référendum.

Comment préserver la démocratie tout en permettant une diffusion responsable des messages politiques ?

Protéger l’intégrité des élections : La proposition est élaborée dans le contexte des élections du Parlement européen de 2024, même si elle ne pourra pas être mise en œuvre dans les délais. L’objectif est de protéger l’intégrité des élections en prévenant toute tentative de manipulation des comportements de vote à travers l’utilisation de médias sociaux.

Se prémunir des ingérences électorales étrangères : L’émergence et la multiplication des médias sociaux ont ouvert de nouvelles possibilités d’ingérence dans les processus démocratiques. Des scandales tels que l’affaire Cambridge Analytica ont mis en lumière la capacité à exploiter les données personnelles pour influencer les élections.

Appliquer le Digital Services Act (DSA) : La proposition s’inscrit dans le cadre plus large du Digital Services Act, qui vise à réglementer les plateformes en ligne. Le DSA prévoit des règles communes pour garantir un environnement en ligne sûr et transparent, ces dispositions renforceront la transparence de la publicité politique en ligne.

Uniformiser la définition de la publicité politique sur les réseaux sociaux : La proposition vise à mettre fin à la fragmentation des dispositions nationales en matière de publicité politique avant 2024, assurant ainsi une approche uniforme au sein de l’Union européenne. La Commission souligne la nécessité d’harmoniser les définitions de la publicité politique pour assurer un processus démocratique équitable. Le règlement introduit la première définition européenne de la publicité politique, couvrant un large éventail de moyens de communication.

Assurer des obligations de transparence : Les plateformes qui vendent de la publicité politique devront assurer la transparence dès les premiers échanges avec les annonceurs, reste à savoir comment ces plateformes procéderont pour les mentions spécifiques dans les annonces publicitaires qui sont prévus.

Surveillance et sanctions : Les autorités de contrôle des États membres sont habilitées à surveiller l’application du règlement, enquêter sur les violations, et infliger des sanctions en cas de non-respect des obligations.

Approches changeantes des médias sociaux envers le contenu politique et d’actualité

Selon certains spécialistes des réseaux sociaux, alors que Meta cherche à réduire la présence de contenu politique dans ses applications Facebook et Instagram, en revanche X-Twitter se tourne davantage vers le débat politique, tandis que Tiktok ne s’interdit plus les sujets plus politiques, au point de pousser Biden à s’y inscrire pour sa campagne de réélection. Bien que Meta cherche à éviter les coûts et les dommages réputationnels associés au contenu d’actualité et politique, la réduction de ce type de contenu pourrait avoir un impact sur les électeurs et l’influence politique voire les démarches de propagation de la désinformation.

Au total, en se concentrant sur la transparence des annonces publicitaires et l’encadrement du ciblage, la règlementation européenne ne devrait pas faire obstacle à la diffusion des messages politiques protégés par la liberté d’expression et indispensables en démocratie, tout en régulant une activité sensible ayant connue des dérives.

L’Europe, une bonne marque ?

Organisée par l’Académie des controverses et de la communication sensible, la conférence « Communication européenne : comment se faire entendre ? » est l’occasion de s’interroger, avec Georges Lewi, auteur en 2006 de « l’Europe, une mauvaise marque ? » sur les dernières tendances autour de la marque Europe…

Thierry Libaert introduit la problématique de la communication européenne à partir de deux réflexions :

D’une part, malgré les évolutions du contexte pour les élections européennes de juin prochain, la prise de conscience géopolitique entre l’Ukraine et Trump ou l’échec du Brexit ou encore le succès relatif de la réponse à la crise du covid, l’engouement européen n’est pas au rendez-vous – le sentiment pour ou contre l’Europe n’a pas vraiment évolué.

D’autre part, l’Europe souffre d’un triple blocage :

  1. Il n’y a pas d’émetteur unique ; l’UE, c’est un ensemble d’institutions, chacune fait la promotion de ses propres activités – sans une direction de la communication centrale ;
  2. Il n’y a pas de récit européen ; l’UE s’est figée dans le récit « l’Europe c’est la paix » – sans renouvellement du narratif européen, malgré les dimensions sociales ou environnementales uniques à notre continent ;
  3. Il n’y a pas d’incarnation ; l’UE, on n’en parle que tous les 5 ans lors des élections – sans présence sur le terrain, dans les médias…

Comment construire une nouvelle marque Europe en effaçant le passé des conflits ?

Pour Georges Lewi, Robert Schuman, le père fondateur du projet d’Europe, peut être considéré comme l’auteur initial de la marque Europe, puisque l’acte de naissance d’une marque, c’est la création d’un récit ex nihilo, d’une promesse, à partir d’une réalité, qui vise à la dépasser.

Toute marque fonctionne sur la base de 3 temps : les temps héroïque, de la sagesse et du mythe :

  1. Pour la marque Europe, le temps héroïque commence avec le 25 mars 1957, la signature du traité de Rome ; la marque Europe arrive avec une promesse : faire la guerre à la guerre, une promesse presque surhumaine, hors de la logique de domination ; le récit embarque les premières réalisations comme la PAC en 1962 ou les premiers élargissements en 1973.
  2. L’Europe passe au temps de la sagesse, avec les premières élections européennes au suffrage universel en 1979, l’Europe rentre dans une logique démocratique, dont le symbole sera l’intégration de la Grèce en 1981 ; le récit porte sur la construction avec de nouveaux traités, dont Maastricht en 1992, et de nouvelles politiques européennes ; mais comme le dit Mitterrand : « quand l’Europe ouvre la bouche, c’est pour bailler ».
  3. La marque Europe aujourd’hui arrive au terme de la 3e phase, celle de la pérennité et du mythe. Certes, la dynamique s’est bien poursuivie avec la naissance de l’euro en 1999 ou les élargissements à 10 nouveaux États-membres d’Europe centrale et de l’Est. Mais, ces empilements font aussi l’objet de craquements comme l’échec du référendum sur le projet de Constitution européenne en France en 2005 ou bien entendu le Brexit en 2016. Normalement, à ce stade la marque à trouver son récit, se réaffirme avec puissance. Les Européens refusent des dirigeants charismatiques et emblématiques. On se retrouve aujourd’hui, sur une 3e phase qui n’a pas été celle qu’elle aurait dû être. Ce n’est pas dramatique, la phase de consolidation peut durer plus longtemps que prévu, mais ça manque d’enthousiasme.

Que peut faire la marque Europe aujourd’hui ? Revenir à ses fondamentaux d’origine : la promesse de la rencontre humaine

Que reste-t-il de la marque Europe ? Une facilité d’échanges et de mobilité, illustrée par l’emblématique programme Erasmus et par l’euro, l’Europe dans nos proches.

L’Europe, sa véritable promesse, c’est une formidable rencontre entre les Européens, dont les différences culturelles, historiques, linguistiques, etc. sont très importantes.

Il faut continuer de développer l’Europe dans ce sens, faire ce que l’on a fait pour les étudiants, avec tous les métiers – ce que font les grandes entreprises pour leurs cadres.

Les peuples sont assoiffés de curiosité, comme le montre le succès du tourisme, c’est un besoin humain de rencontre, et celui-ci peut permettre de retrouver le lyrisme de la marque Europe avec l’Europe des rencontres.

Il existe schématiquement 3 types de marque :

  1. les marque-produit/service que l’on achète, comme par exemple Mikado ;
  2. les marques-caution, comme par exemple LU ;
  3. les marques-ombrelle, comme par exemple Danone.

L’Europe ne peut pas être une marque-produit/service avant plusieurs générations, on n’est pas prêt à jeter son passeport national et vouloir vendre la citoyenneté européenne alors que les Européens n’ont pas envie, besoin ou désir, c’est une erreur. Pourquoi cette erreur de marketing, que font beaucoup de marque ? Parce qu’à vouloir parler à tout le monde, on finit par parler à personne, tant que le marketing visera à forcer la marque Europe pour ce qu’elle n’est pas, ça ne pourra pas marcher.

L’Europe, si elle visait à être une marque-caution, qui est une marque pas très bien identifiée, sur un territoire large et englobant, il faudrait une incarnation, donc une direction de la communication. Mais, on n’arrivera pas à cette forme d’incarnation pour une marque-caution, aucune ne parvient à être incarnée, c’est plutôt l’insight qui doit pouvoir remplacer l’incarnation, l’implicite très fort de la marque-caution.

Pour qu’une marque puisse exister, il faut au moins l’un des éléments qui vont la faire acheter : un besoin, une menace ou un grand amour. Et comme le disait Jacques Delors « on ne tombe pas amoureux du marché commun ». Pour la marque Europe, il y a un déficit de réflexion des institutions européennes pour poser quels leviers activer.

Toutes les marques reposent sur un schéma narratif, une sorte de cycle de vie des marques : la marque-héros fait quelque chose pour le public, va défendre contre un fléau, pour la marque-Europe, c’est contre la guerre.

Pour la marque-Europe en tant que héros, le message pourrait être : si tu t’occupes pas de l’Europe, tu risques de te retrouver tout seul ». Si une majorité d’Européens devient moins pro-européenne, c’est le risque du détricotage de l’Europe. Dans tout récit, c’est la rencontre humaine qui fait la différence. On n’a pas envie de faire chacun son propre Brexit, on a besoin d’un parapluie pour se protéger, une marque-ombrelle Europe peut y trouver sa légitimité, encapsuler dans le paradigme de la rencontre, pour que l’Europe soit une marque les Européens vont ressentir.

Comment les Français perçoivent la marque Europe ?

Sans transition avec l’intervention de Georges Lewi, une enquête qualitative « Élections européennes : le grand brouillard » commandée par le Mouvement Européen – France avec Destin commun auprès des citoyens français en vue du scrutin européen complète la perception de l’Europe, si l’UE était un produit de consommation :

Désinformation lors des élections en Europe : décryptage des campagnes de manipulation des opinions

Le groupe de travail EDMO sur les élections européennes de 2024 publie un rapport sur les discours de désinformation lors des élections de 2023 en Europe, des recherches utiles sur ce qui s’est passé lors des campagne électorales passées lors des votes en 2023…

Près d’un millier d’articles de fake news, faisant l’objet de fact-checking publiés dans le contexte de 8 élections dans des États-membres de l’UE différents

L’analyse révèle une désinformation généralisée au cours des campagnes électorales dans tous les pays considérés, en particulier sur le processus électoral, avec de faux récits visant souvent à délégitimer les élections par des allégations infondées de fraude électorale, d’influences étrangères et de pratiques déloyales. Chaque pays présente également des tendances uniques en matière de désinformation, influencées par les contextes nationaux et les événements mondiaux actuels. Les thèmes clés incluent la guerre en Ukraine, l’économie, le changement climatique et les questions sociales (par exemple, les thèmes de genre, la religion et l’immigration). La nature omniprésente de ces récits souligne leur impact probablement significatif sur les débats démocratiques en Europe et souligne la nécessité cruciale de solides initiatives de vérification des faits et de sensibilisation pour préserver l’intégrité électorale et les valeurs démocratiques.

Classification des faux récits de désinformation sur le processus électoral dans les pays de l’UE en 2023 :

  • République tchèque – élection présidentielle – janvier : les questions militaires et liées à la défense ont occupé une place centrale dans le discours public, tout en étant affectées par une quantité significative de désinformation ;
  • Estonie – élection parlementaire – mars : en amont des élections, des fausses statistiques ont circulé sur les hausses de prix, tandis que des récits de désinformation sur la guerre en Ukraine et le changement climatique ont été largement diffusés ;
  • Bulgarie – élection parlementaire – avril : des vidéos ont été mal interprétées comme des preuves d’ingérence américaine, et des informations fausses ont circulé sur les positions des partis politiques concernant les questions LGBTQ+ ;
  • Finlande – élection parlementaire – avril : des histoires fausses ont porté sur les affiliations politiques des journalistes et la présentation erronée de directives de l’UE sur la performance énergétique des bâtiments ;
  • Grèce – élection parlementaire – mai/juin ( 2e tour) : des images trompeuses ont été utilisées pour propager des rumeurs, notamment sur la Vierge Marie, tandis que des fausses histoires ont cherché à discréditer les LGBTQ+ et les immigrants ;
  • Espagne – élection parlementaire – juillet : la désinformation a touché divers sujets, notamment le changement climatique, l’immigration et les questions LGBTQ+, avec de fausses allégations sur les positions des partis ;
  • Slovaquie – élection parlementaire – septembre : des récits de désinformation ont joué sur les sentiments anti-occidentaux, insinuant la présence de soldats américains ;
  • Pologne – élection parlementaire – octobre : la guerre en Ukraine a été au cœur des fausses histoires, avec des accusations diffamatoires contre les Ukrainiens et des théories du complot sur la guerre.

Paysage de la désinformation affectant les processus pré- et post-électoral à travers l’Europe

Les récits de désinformation sur le processus électoral en tant que tel émerge comme l’un des récits les plus courants, comme la suggestion de fraudes électorales ou de pratiques injustes présumées qui invalideraient les résultats des élections, avec pour objectif apparent de délégitimer les représentants élus démocratiquement.

Aucune des élections examinées n’est exempte de ce type de désinformation, utilisé de manière célèbre par Donald Trump lors de la campagne présidentielle américaine de 2020. Des accusations similaires infondées ont parfois été formulées par des membres nationaux du Parlement. Avant les élections en Slovaquie, par exemple, l’ancien Premier ministre et leader de SMER, Robert Fico, et le président du parti d’extrême droite Republika, Milan Uhrík, ont averti les électeurs d’une possible fraude électorale.

Les affirmations spécifiques utilisées pour suggérer des irrégularités dans le processus électoral étaient très différentes selon les pays où elles étaient diffusées. Les plus courantes font référence à des tentatives présumées d’ajouter ou de soustraire illégalement des votes ; des dysfonctionnements ou des fraudes causés par le vote électronique ou postal ; et des procédures de comptage supposément étranges dans les registres pour augmenter le nombre de votants (par exemple, dépassant celui des résidents locaux).

D’autres fausses affirmations sur les procédures de vote comprenaient l’utilisation de crayons de vote effaçables, des bulletins prémarqués, et même des erreurs survenues réellement dans les isoloirs présentées comme une tentative organisée de manipuler le vote populaire, allant même jusqu’à prétendre que les commissions électorales pouvaient annuler des bulletins à volonté. En Pologne, où un référendum a eu lieu en conjonction avec les élections parlementaires, on prétendait que les deux bulletins utilisés lors des élections seraient agrafés ensemble, forçant ainsi les électeurs à s’exprimer lors du référendum.

Ces prétendues irrégularités ne sont pas seulement liées à la période post-électorale. La désinformation sur le processus électoral était significativement présente même avant le vote. Par exemple, le fait que dans certains pays, le vote postal est possible avant la fin de la campagne électorale a été utilisé par les désinformateurs pour semer le doute et la méfiance envers le vote. Des erreurs triviales ont également été exploitées à cette fin, comme un chronomètre défectueux lors d’un débat électoral, que certains ont prétendu être la preuve d’élections truquées. Des « marques étranges » supposées sur les bulletins de vote, des urnes prétendument déplacées vers des endroits inhabituels ou la possibilité de voter plusieurs fois sont parmi les informations fausses et inexactes potentiellement propagées dans le but de créer de la confusion et/ou d’encourager les gens à commettre des erreurs qui invalideraient leurs votes.

Dans plusieurs pays, des histoires fausses affirmaient que les immigrants ou les réfugiés ukrainiens étaient autorisés à voter, exploitant des sentiments xénophobes pour suggérer une tentative de sous-évaluer les choix politiques des citoyens réels. En Pologne, ces fausses théories circulaient avant et le jour même des élections. En Espagne – le pays où la désinformation sur le processus électoral a été la plus détectée et quantitativement traitée par les vérificateurs de faits – on prétendait également que Pedro Sánchez et le PSOE empêchaient les trains de quitter Valence pour que les passagers ne puissent pas voter, ou que le gouvernement offrait des emplois pendant la campagne électorale pour plaire aux électeurs. Une histoire similaire a également été prouvée fausse en Estonie, impliquant cette fois une prétendue augmentation de salaire pour les fonctionnaires publics.

La tentative de susciter des doutes sur la légitimité du processus électoral est souvent accompagnée d’allégations fausses sur des déploiements « suspects » de forces armées ou d’une prétendue ingérence de pays étrangers et d’organisations. Dans ce sens, le cas le plus significatif est à nouveau celui des élections espagnoles, où des conspirations présumées sur la validité de l’élection ont été diffusées sur divers médias sociaux, y compris TikTok. Des histoires fausses conformes à ce récit prétendaient que les institutions européennes (en particulier la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen) et des États voisins tels que le Maroc faisaient campagne activement en faveur de Pedro Sánchez. Dans ce contexte, le roi Felipe VI a également été faussement accusé d’abandonner la neutralité politique de la couronne pour appeler à l’élection de « progressistes ». D’autres histoires fausses suggéraient des réunions secrètes présumées de l’OTAN visant à manipuler les résultats des élections. De nombreuses histoires fausses alléguant une fraude électorale ont également été largement diffusées après l’élection. Un fact-checking par AFP Fakty (Slovaquie). « Les experts disent que l’enregistrement présumé d’un appel téléphonique entre le leader du PS et un journaliste de l’agence Denník N. montre de nombreux signes de manipulation ». En Bulgarie, une ingérence des États-Unis a été affirmée avec un contenu trompeur. En Slovaquie – un pays où la population est très méfiante à l’égard de l’ingérence occidentale dans les élections, selon un sondage récent – un prétendu appel téléphonique circulait dans lequel Michal Šimečka, le leader du parti social-libéral Progressive Slovakia, discutait avec un journaliste de fraudes électorales. Selon plusieurs experts, il s’agissait d’un audio généré artificiellement.

La désinformation étant étroitement liée aux événements actuels et aux sujets de débat public, des thèmes communs de désinformation peuvent être retracés à travers toutes les élections analysées pour les questions qui ont touché toute l’Europe. En général, les principaux sujets intéressés par les récits de désinformation sont souvent économiques, y compris les impôts, les prêts hypothécaires, le coût de la vie dû à l’inflation ou à la crise énergétique, mais aussi des attentes générales/qualité de vie. Les alliances politiques actuelles et passées sont également souvent le sujet d’histoires fausses. Dans certains pays, les questions de sécurité ou de défense contre l’intervention extérieure sont centrales, souvent en référence à la guerre en Ukraine. D’autres sujets (tels que le changement climatique, les lois et institutions de l’UE, l’immigration) qui sont des cibles bien connues de la désinformation au niveau européen émergent dans le débat public de manière très différente d’un pays à l’autre. Dans certains pays où la religion est une caractéristique prédominante de la vie publique, elle a également été une cible fréquente de désinformation. Dans ces cas, des histoires fausses sur les questions de genre et la communauté LGBTQ+ ont proliféré de manière significative.

Les questions militaires et liées à la défense ont été au centre du discours public et ont été fortement affectées par une quantité significative de désinformation en République tchèque. Andrej Babiš, l’ancien Premier ministre battu au second tour, a tenté de capitaliser sur les craintes associées à l’expansion potentielle de la guerre en Ukraine. Cette question était également centrale dans les récits de désinformation. AFP Na pravou míru (République tchèque). « Un article manipulé propage des mensonges sur les projets de Petr Pavel de rétablir le service militaire ». Plusieurs fausses histoires portaient sur des sujets tels que la réintroduction du service militaire, le déploiement de soldats à l’étranger et à l’intérieur des frontières nationales, et d’autres mesures anti-guerre. Dans ce contexte, plusieurs récits familiers sur la guerre ont été revisités, dont beaucoup faisaient écho à la propagande russe.

Au total, cette recension un peu longue vise à lever définitivement le doute sur la présence hélas généralisée de la désinformation dans les campagnes électorales des démocraties européennes. Certains thèmes sont privilégiés, tels que le climat ou la sécurité, comme des cibles fréquentes de la désinformation pour susciter la peur, semer la confusion et influencer le résultat du scrutin. Les tactiques de désinformation varient, allant de fausses informations sur les politiques à la création de fausses histoires liées à des personnalités politiques, en passant par des allégations de conspiration et des manipulations visant à semer la méfiance.

Des efforts sont indispensables pour contrer la désinformation, que ce soit par le biais de la sensibilisation du public, du renforcement de la cybersécurité, ou de la collaboration entre les gouvernements, les plateformes de médias sociaux et les organisations de vérification des faits.

Élections européennes : comment les partis d’extrême droite montent en puissance sur TikTok ?

Une récente étude menée par POLITICO Europe révèle que les partis politiques d’extrême droite et d’extrême gauche ont su tirer leur épingle du jeu sur TikTok ; mais, ce sont les députés européens d’extrême droite du groupe Identité et Démocratie (ID) au Parlement européen qui se démarquent. Avec les élections européennes approchant à grands pas et l’enjeu de la problématique de la mobilisation des jeunes électeurs, l’Europe politique risque-t-elle de basculer vers l’extrême droite sous l’emprise de TikTok ? Quels impacts sur le paysage politique européen ?

Les euro-députés ID, leaders incontestés sur TikTok

Selon les données recueillies, les députés du groupe ID cumulent 1 383 000 abonnés sur TikTok, en contraste avec les Verts, qui ne comptent que 62 000 abonnés cumulés, tandis que la plateforme dénombre 142 millions d’utilisateurs actifs mensuels dans l’Union au second semestre 2023.

Nombre total de comptes et par groupe politique sur TikTok

De plus, le groupe ID se distingue par une activité plus soutenue sur le réseau, avec près de 3 000 publications entre mi-février et début mars 2024, contre environ 2 000 publications pour les groupes Renew, S&D et la Gauche.

Une stratégie d’influence ciblée pour séduire les jeunes électeurs

Les partis d’extrême droite européens ont bien compris l’importance d’être présents sur TikTok, une plateforme dominée par des utilisateurs en âge de voter. En effet, en 2023, 73 % des utilisateurs à l’échelle mondiale avaient entre 18 et 34 ans.

Nombre de posts total par groupe politique sur TikTok

À deux mois des élections européennes, la mobilisation de cette tranche d’âge s’annonce particulièrement difficile, notamment en France où seuls 42 % des 18-24 ans et 40 % des 25-34 ans ont déclaré qu’ils étaient « certains » d’aller voter.

Une bataille culturelle menée sur les réseaux sociaux »

Pour Romain Fargier, chercheur sur la radicalisation politique au Centre d’études politiques et sociales (CEPEL) de l’université de Montpellier, cité par Politico : « le premier objectif du mouvement d’extrême droite est de gagner ce qu’ils appellent une bataille culturelle ». En maîtrisant les codes de TikTok et en étant très actifs sur la plateforme, les partis d’extrême droite européens parviennent à toucher un public jeune et à influencer le débat politique.

Portées, likes et activités cumulés par groupe politique sur TikTok

Qu’en est-il des candidats aux élections européennes en France ?

Au niveau des principales têtes de liste aux élections européennes en France, le match est très inégal, dominé par la figure de Jordan Bardela qui cumule à la fois le plus d’abonnés 1,2M et de « J’aime » avec 28,4M tandis que la deuxième personnalité la plus « populaire » sur TikTok n’est autre que Marion Maréchal avec 10 fois moins d’abonnés 115,3k et seulement 1,4M de likes, sans oublier, ce qui montre l’avance des forces politiques à la droite extrême, Florian Philippot avec 135,1k abonnés et 1,3M de likes.

Têtes de liste françaises sur TikTok

Derrière le trio de tête de l’extrême-droite, le candidat Raphaël Glucksmann a suspendu son compte au début de la campagne et s’en est expliqué dans la presse, alors qu’il avait 60k abonnés pour se montrer cohérent (enfin ?) avec ses positions très critiques sur la Chine. A gauche, il faut donc compter d’abord sur Manon Aubry avec 41,3k abonnés et 473,3k likes et les comptes quasi anonymes de Marie Toussaint avec 1,3k abonés et 6,5k likes et Léon Deffontaines avec 1,8l abonnés et 23,3k likes.

Reste deux cas à part, d’une part, François-Xavier Bellamy qui est belle et bien présent sur TikTok avec 3,2k abonnés et 40,5k likes mais s’il en critique leur usage dans ses meetings tandis que Valérie Hayer n’est donc plus que la seule à ne jamais avoir encore été activement présente sur TikTok.

Tiktok, terrain de jeu des deepfakes de l’extrême droite avec Amandine Le Pen et Léna Maréchal

Nouvelles stars, les prétendues nièces de Marine Le Pen sont deux deepfakes, des vidéos générées par une IA qui nous font croire que ces jeunes femmes sont les nouvelles égéries politiques, alors qu’elles sont des hologrammes sortis tout droit d’un film de science-fiction : « Prête à défendre la France » et « Chez les Le Pen, on défend l’agriculture française ».

Rassemblement National et Reconquête jurent leurs grands dieux ne pas être derrière cette mystérieuse machination, c’est juste une petite expérience sociale un test grandeur nature pour voir si les Français sont prêts à élire des avatars virtuels plutôt que des êtres de chair et d’os.

Des milliers d’abonnés, des centaines de milliers de likes, même si la modération de TikTok a fini par arriver, un peu trop tard comme pour une fête, où la police débarque quand le gâteau est déjà mangé. Un bel exemple où le mélange entre politique et divertissement.

Quels impacts pour la campagne électorale et le prochain Parlement européen ?

La présence et l’influence des partis d’extrême droite sur TikTok témoignent de leur capacité à s’adapter aux nouveaux médias et à tirer parti des réseaux sociaux pour diffuser leur message et élargir leur audience.

Les élections européennes approchant, la maîtrise des réseaux sociaux et notamment de TikTok devrait jouer un rôle crucial dans la mobilisation des jeunes électeurs, une tranche d’âge souvent difficile à atteindre et à convaincre.

La bataille culturelle menée par les partis d’extrême droite sur les réseaux sociaux souligne l’importance pour tous les autres partis politiques de développer des stratégies de communication adaptées et efficaces pour contrer leur influence grandissante.

Enjeux et défis des élections européennes de 2024

A l’occasion d’une invitation du think tank européen IIEA, the Institut of International European Affairs, le professeur de droit européen à la chaire Jean Monnet à HEC Paris, Alberto Alemanno, s’est interrogé sur comment rendre intéressant aux médias et aux citoyens les élections européennes de juin prochain ?

Enjeux en route vers les élections européennes de 2024 : une démocratie sans politique

A la question quelque peu provocante de savoir ce que les Européens ne font vraiment jamais ensemble, la seule réponse, en vrai, c’est la politique. Pour les élections européennes, les Européens vont voter à des jours différents, pour des partis nationaux, sur des programmes nationaux et avec des candidats nationaux. Il s’agit d’une compétition domestique, qui est artificiellement agrégée ex-post au sein d’une institution européenne, le Parlement européen.

Toujours ni système européen de partis politiques, ni espace public européen. D’une part, les partis politiques existants sont des alliances légères, sans que quiconque sache qu’elles sont les affiliations des partis politiques nationaux au niveau des groupes politiques du Parlement européen, souvent méconnu avant le résultat et parfois encore après le scrutin. D’autre part, les actualités européennes sont encore largement traitées sous l’angle et les intérêts nationaux.

Par conséquent, l’Union européenne ne souffre pas d’un déficit démocratique, mais d’un déficit d’intelligibilité. Pour le dire autrement, dans l’UE, chaque décision est démocratique mais aucune décision n’est compréhensible, débouchant sur un anti-modèle de démocratie sans politique.

Défis des élections européennes de 2024 : européanisation de la politique

La démocratie européenne sans politique n’est pas sans conséquences. D’une part, un manque d’affectation des responsabilités. Par exemple, au sujet du programme du Green Deal, qui est vraiment responsable des succès ou des échecs, et donc pour qui voter pour approuver ou sanctionner. D’autre part, la politique n’existe pas de manière transnationale, alors que l’européanisation avance plus vite que la politique. Pour le comprendre, deux chiffres illustrent la situation : alors que seuls 3% des citoyens résidents dans un autre pays que celui de leur nationalité dans l’UE, 50% des Européens au contraire sont exposés quotidiennement au projet européen.

Le principal défi des élections européennes de juin prochain réside dans l’européanisation du scrutin. Ce qui veut dire que la première règle, c’est d’embrasser toute forme timide mais nécessaire de parlementarisation. Cela requière que les décisions doivent tenir compte des résultats électoraux dans les prochaines nominations aux principaux postes de responsabilité dans l’UE ; et que la Commission européenne soit responsable devant le Parlement européen.

Le principe des Spitzenkandidaten, que les familles politiques choisissent leur tête de liste choisie en fonction du résultat des élections européennes pour présider la Commission européenne est en question. Seul Juncker, en 2014, est le seul et unique Spitzenkanditat tandis qu’en 20219, les libéraux n’avaient même pas participé, à cause d’En Marche se situant à mi-chemin entre le Fidesz et La Legua.

Pourquoi les citoyens devraient-ils aller voter s’ils n’ont aucun impact, ni sur les politiques publiques, ni sur les leaders politiques en Europe ?

La tentative de modifier la loi européenne pour une réforme électorale a échoué, c’était la première promesse de la nouvelle présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, mais elle n’a même pas été considérée pendant toute la mandature. Tous les amendements pour européaniser le scrutin comme les listes transnationales et les Spitzenkandidaten ont été rejetés.

Le réveil après les élections prendra du temps puisque les élections courent du mercredi au lundi matin. Le premier résultat attendu est la baisse des partis sortants des principales forces politiques du PPE, des S&D et de Renew, tandis que les Verts seront le plus lourdement sanctionnés et risquent d’être les premiers perdants. Le second résultat sera la progression des députés européens non rattachés à des groupes politiques ainsi que l’extrême droite divisée entre les groupes ID et ECR. Le troisième résultat sera que 58% des députés européens sont des nouveaux élus sans mandat précédent, ce qui pourrait être aussi un facteur déterminant pour la suite.

Les prédictions sont doubles. D’une part, une plus grande européanisation puisque la présidente de la Commission européenne, accidentelle s’étant montrée résiliente, se positionne comme la candidate du TINA, il n’y a pas d’alternative faute de meilleur candidat, endosse le rôle de tête de liste du PPE. D’autre part, une dé-européanisation se manifeste tant par l’absence de partis politiques transnationaux que par l’absence de candidats européens dans d’autres pays que les leurs.

Le risque d’une paralysie de l’ensemble du cycle politique est à craindre. Avec des Commissaires européens nommés par des partis populistes, le défi pour une institution ou le consensus du collège des Commissaires est déterminant est mis en risque, au point de perdre l’intérêt européen qui devrait être au cœur de l’institution supranationale dominée par les intérêts nationaux. Le soutien politique plus faible risque de réduire la capacité de la Commission européenne à produire des décisions politiques, rendant tout plus difficile à négocier et moins facile à délivrer.

Au final, assisterons-nous à un réveil tardif des partis politiques traditionnels pour sauver le projet européen ou au contraire prenons-nous le risque d’une prise d’otage par les populistes qui risquent de paralyser la capacité à produire des politiques publiques européennes, voire à mettre en danger la nature même du projet européen.