Les réseaux sociaux sont devenus un terrain de jeu privilégié pour les acteurs politiques qui cherchent à influencer l’opinion publique. Cependant, la publicité politique sur ces plateformes soulève de nombreuses problématiques, notamment en termes de transparence, de protection des données personnelles et de manipulation de l’information. Face à ces enjeux, les institutions européennes ont décidé d’intervenir en proposant un nouveau règlement sur la transparence et le ciblage de la publicité à caractère politique.
Risques et dérives de la publicité politique sur les réseaux sociaux en termes de microciblage et de bulles algorithmiques de filtre
La publicité politique sur les réseaux sociaux permet de cibler très précisément les électeurs en fonction de leurs centres d’intérêt, de leur âge, de leur localisation géographique ou encore de leur historique de navigation. Cette pratique de « micro-ciblage », peut être utilisée à des fins d’influencer l’opinion publique, en diffusant des messages différents (plusieurs milliers pour les campagnes Brexit et Trump) à des groupes de personnes différents, voire contradictoires autant pour inciter à voter pour un candidat que désinciter à voter pour un autre candidat.
Par ailleurs, la publicité politique sur les réseaux sociaux soulève des questions de protection des données personnelles. En effet, les plateformes collectent et traitent des données sensibles sur les utilisateurs, qui peuvent être utilisées à des fins politiques sans leur consentement explicite. De plus, les algorithmes utilisés pour cibler les publicités peuvent renforcer les biais cognitifs et les bulles de filtre, en ne présentant aux utilisateurs que des informations qui confortent leurs opinions.
Nouveau règlement européen sur la transparence et le ciblage de la publicité à caractère politique : vers plus de transparence et de protection des citoyens
La future règlementation européenne, en cours de discussion entre les institutions européennes, après les positions du Conseil de l’UE en novembre dernier, le Parlement européenne vient d’adopter ses amendements en plénière en février, l’intention vise à renforcer la transparence et la protection des citoyens en matière de publicité politique sur les réseaux sociaux :
- Une définition claire de la publicité à caractère politique, qui devra être clairement identifiée comme telle ;
- L’obligation pour les plateformes de tenir un registre public des publicités politiques diffusées, avec des informations détaillées sur l’annonceur, le budget, la durée et le ciblage ;
- L’interdiction de cibler les publicités politiques en fonction de données sensibles, telles que l’orientation politique, la religion, l’origine ethnique ou l’orientation sexuelle ;
- L’obligation pour les plateformes de fournir des informations claires et compréhensibles sur les raisons pour lesquelles une publicité politique est diffusée à un utilisateur en particulier ;
- La possibilité pour les utilisateurs de signaler des publicités politiques trompeuses ou illégales ;
- L’interdiction de parrainage d’annonces provenant de l’extérieur de l’UE au cours des trois mois précédant une élection ou un référendum.
Comment préserver la démocratie tout en permettant une diffusion responsable des messages politiques ?
Protéger l’intégrité des élections : La proposition est élaborée dans le contexte des élections du Parlement européen de 2024, même si elle ne pourra pas être mise en œuvre dans les délais. L’objectif est de protéger l’intégrité des élections en prévenant toute tentative de manipulation des comportements de vote à travers l’utilisation de médias sociaux.
Se prémunir des ingérences électorales étrangères : L’émergence et la multiplication des médias sociaux ont ouvert de nouvelles possibilités d’ingérence dans les processus démocratiques. Des scandales tels que l’affaire Cambridge Analytica ont mis en lumière la capacité à exploiter les données personnelles pour influencer les élections.
Appliquer le Digital Services Act (DSA) : La proposition s’inscrit dans le cadre plus large du Digital Services Act, qui vise à réglementer les plateformes en ligne. Le DSA prévoit des règles communes pour garantir un environnement en ligne sûr et transparent, ces dispositions renforceront la transparence de la publicité politique en ligne.
Uniformiser la définition de la publicité politique sur les réseaux sociaux : La proposition vise à mettre fin à la fragmentation des dispositions nationales en matière de publicité politique avant 2024, assurant ainsi une approche uniforme au sein de l’Union européenne. La Commission souligne la nécessité d’harmoniser les définitions de la publicité politique pour assurer un processus démocratique équitable. Le règlement introduit la première définition européenne de la publicité politique, couvrant un large éventail de moyens de communication.
Assurer des obligations de transparence : Les plateformes qui vendent de la publicité politique devront assurer la transparence dès les premiers échanges avec les annonceurs, reste à savoir comment ces plateformes procéderont pour les mentions spécifiques dans les annonces publicitaires qui sont prévus.
Surveillance et sanctions : Les autorités de contrôle des États membres sont habilitées à surveiller l’application du règlement, enquêter sur les violations, et infliger des sanctions en cas de non-respect des obligations.
Approches changeantes des médias sociaux envers le contenu politique et d’actualité
Selon certains spécialistes des réseaux sociaux, alors que Meta cherche à réduire la présence de contenu politique dans ses applications Facebook et Instagram, en revanche X-Twitter se tourne davantage vers le débat politique, tandis que Tiktok ne s’interdit plus les sujets plus politiques, au point de pousser Biden à s’y inscrire pour sa campagne de réélection. Bien que Meta cherche à éviter les coûts et les dommages réputationnels associés au contenu d’actualité et politique, la réduction de ce type de contenu pourrait avoir un impact sur les électeurs et l’influence politique voire les démarches de propagation de la désinformation.
Au total, en se concentrant sur la transparence des annonces publicitaires et l’encadrement du ciblage, la règlementation européenne ne devrait pas faire obstacle à la diffusion des messages politiques protégés par la liberté d’expression et indispensables en démocratie, tout en régulant une activité sensible ayant connue des dérives.