Les générations futures, point aveugle démocratique de l’Europe ?

Dès l’origine, l’Union européenne est conçu comme un projet destiné à transcender les générations actuelles pour protéger les futures, selon Alberto Alemanno, professeur Jean Monnet de droit européen à HEC Paris, l’ancien Premier ministre italien, Mario Monti, a célèbrement qualifié l’UE de « syndicat » qui défend les intérêts des générations futures. Cependant, les crises, en plaçant l’Union dans un mode d’urgence permanent, suscitent des doutes quant à la capacité de l’UE à penser et à agir à long terme…

Les générations futures, les grandes absentes de la construction européenne

Les traités fondateurs de l’UE ne reconnaissent ni ne définissent les générations futures. Les générations futures n’ont aucun droit ni représentation dans la prise de décision de l’UE aujourd’hui, sans place à la table, les dirigeants politiques ne sont pas incités à penser et à agir à long terme mais à répondre aux souhaits des générations actuelles d’électeurs.

Si l’UE a reconnu au fil du temps l’émergence de principes de droit orientés vers l’avenir, tels que le développement durable ou le principe de précaution, ceux-ci sont loin de sanctionner un principe d’équité intergénérationnelle. Seul un tel principe pourrait exiger que les décideurs politiques, les tribunaux et l’administration de l’UE adoptent une considération systématique des intérêts des générations futures.

Le système de « meilleure réglementation » de la Commission européenne s’efforce d’évaluer les impacts économiques, sociaux et environnementaux prospectifs de l’élaboration des politiques de l’UE. Cependant, il ne parvient pas à prendre en compte les implications au-delà d’un horizon temporel de vingt ans au maximum ; c’est-à-dire moins d’une génération. Quant au Parlement européen et au Conseil de l’UE, leurs membres sont des élus qui élaborent des politiques dans la logique du cycle électoral quinquennal de l’UE. 

Quoique le Pacte vert européen s’engage à soutenir la transition vers une société juste et prospère qui répond aux défis posés par le changement climatique en améliorant « la qualité de vie des générations actuelles et futures », son « avenir » politique est en question dans un avenir proche.

Les générations futures, un point aveugle dans le modèle démocratique de l’UE, malgré la nature originale à long terme du projet européen

Avec le changement climatique et les pandémies, le public est plus sensibilisé à l’importance de la réflexion à long terme en tant que priorité civilisationnelle. L’émergence de l’idée d’intégrer les générations futures dans les écosystèmes politiques existants gagne du terrain.

Serait-il temps de créer une architecture institutionnelle qui fera du « syndicat » pour les générations futures une réalité en Europe ? Avec l’UE qui entame un nouveau cycle politique en 2024, c’est le moment de relancer une réflexion à long terme originale en intégrant les intérêts des générations futures dans sa prise de décision.

Le programme pour la prochaine mandature européenne autour des générations futures

Un bureau de l’UE dédié aux générations futures : une approche symbolique et substantielle pour remédier à la négligence des intérêts des générations futures par l’UE serait la création d’une nouvelle institution au niveau de l’union qui agirait comme un gardien des personnes futures, à l’exemple d’institutions nationale dans l’UE ou au niveau international avec la récente proposition de nommer un envoyé spécial des Nations Unies pour les générations futures.

Un médiateur européen pour les générations futures : un choix d’examiner de manière substantielle les décisions politiques quant à leur impact sur le bien-être des personnes futures, conformément à l’article 3 du traité sur l’Union européenne, qui stipule que l’objectif de l’UE est « de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples ».

Un Commissaire européen pour les générations futures : un portefeuille dédié aux générations futures à un « premier vice-président » pour conférer à ce rôle une autorité supérieure, travaillant au-dessus de tous les départements et agissant en tant que principal « prévisionniste » de l’UE, dirigeant une équipe d’experts qui donneraient leur avis sur les priorités politiques de la Commission européenne, les programmes législatifs annuels et les évaluations d’impact. Ce rôle de gardien des intérêts des générations futures à travers l’UE, serait complété par un rôle de « principal auditeur » des contributions directes des citoyens et des organisations préoccupés par les implications à long terme des actions et inactions de l’UE. Dans ce rôle, il pourrait également aider à renouveler la vision de l’UE de l’avenir de l’Europe, en adoptant des processus de « futurisation » citoyenne participative, pour assurer une transition planifiée vers un avenir qui reflète les intérêts des générations à venir.

Une évaluation d’impact pour les générations futures : depuis 2002, l’UE a effectué des évaluations d’impact sur ses initiatives les plus pertinentes, menées par la Commission européenne et de plus en plus par le Parlement européen et le Conseil de l’UE. Cependant, celles-ci ne prennent pas en compte un horizon temporel de plus de vingt ans en moyenne. Il y a donc une possibilité d’élargir considérablement la dimension temporelle des évaluations d’impact effectuées lors de la préparation d’une initiative de l’UE – dans les phases pré-législative et législative – avec une analyse documentée, diffusée et discutée parmi les personnes impliquées.

Un intergroupe du Parlement européen sur les générations futures : un mécanisme à faible coût pour orienter davantage le travail du Parlement européen vers l’avenir à long terme, pour tenter de généraliser la prise en compte des intérêts des générations futures dans l’examen quotidien des propositions législatives provenant de la Commission européenne.

Un accord interinstitutionnel sur les générations futures : un accord interinstitutionnel sur les générations futures serait un autre remède à l’omission représentative de l’UE des générations futures. Ce texte pourrait être modélisé sur l’accord interinstitutionnel sur une meilleure réglementation et sanctionner l’engagement envers les générations futures par la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l’UE. Il déterminerait les relations entre les divers mécanismes et organes envisagés au sein de ces institutions pour assurer leur coordination.

Le moment est venu de se préparer à gouverner des problèmes qui dépassent les frontières temporelles aussi bien que spatiales en jetant les bases pour une nouvelle génération de réflexes politiques et d’institutions orientées vers l’avenir. C’est exactement ce que l’UE doit acquérir de toute urgence pour être prête pour l’avenir sur le plan démocratique et potentiellement à l’épreuve du futur.

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