A bas bruit, plusieurs signaux faibles pointent dans la même direction, vers une communication institutionnelle des institutions européennes, celle qui s’intéresse aux valeurs et au projet global, en voie de disparaître. Pourquoi ?
La communication « corporate » de la Commission européenne phagocytée par les politiques
Entre l’échec relatif de la campagne publicitaire vendue en lieu et place d’une véritable communication corporate et la multiplication des dialogues citoyens en lieu et place d’une véritable stratégie, à force de jouer à faire et défaire, le jouet s’est cassé ; la communication institutionnelle, la vraie, de la Commission européenne n’est plus audible.
Songeons aux régressions autour de la plupart des missions essentielles normalement confiées à la communication institutionnelle, aujourd’hui dépossédée, au profit d’une communication plus politique, davantage incarnée mais plus court-termiste et risquée :
- La définition de l’identité de la Commission européenne n’est plus entre les mains de l’institution mais davantage portée à bout de bras par Juncker et son entourage proche ;
- Le développement de l’image auprès des différents publics est davantage conditionné par la visibilité des principales têtes d’affiche du collège des Commissaires que par la notoriété des programmes et actions portés par l’institution ;
- La défense de la réputation, là encore, s’est ramassée autour de quelques porte-parole démonétisés auprès des journalistes.
Au total, c’est tout le cœur de la communication institutionnelle, qui repose normalement sur des stratégies relationnelles dynamiques et constructives, entre les publics internes et externes, qui est défaillant.
Sachons que la spirale est malheureusement connue. Lors de son mandat avec la responsabilité de la communication, Viviane Reding n’a cessé d’associer communication et citoyenneté, un enjeu lié à son portefeuille de la Justice et des Libertés fondamentales, au point d’asphyxier toute autre forme de communication au sein de l’institution que celle conçue et délivrée auprès des citoyens. Le même schéma se reproduit, mais dorénavant avec Juncker, le président, qui en prenant en charge la communication, n’a cessé de présidentialiser tous les sujets traités par la DG COMM au point de sonner le glas de la communication institutionnelle, nécessairement plus discrète, plus besogneuse, mais au final plus soutenable et durable.
La chute de la maison Juncker devra être l’occasion de réinterroger les choix initiaux et les dérives constatées pour corriger une communication devenue trop verrouillée et top-down.
Ryan Heath de Politico Europe estime dans un podcast pour ESharp que la communication de la Commission européenne s’est améliorée, notamment la communication visuelle mieux illustrée et chiffrée même si la communication politique, plus (trop ?) présente est source de frustration pour les journalistes (et les autres publics !).
En somme, la communication de la Commission européenne doit élargir sa « licence to operate » en se rendant là où les conversations se déroulent, notamment dans les espaces publics nationaux tout en en intégrant davantage les publics. Seule une communication véritablement construire avec et pour les publics parviendra à convaincre.
La communication institutionnelle du Parlement européen aspirée par les élections
Autre institution, même interrogation. En effet, les prochaines élections européennes seront l’occasion d’une profonde transformation pour la communication du Parlement européen. En lieu et place de la traditionnelle campagne institutionnelle neutre et pédagogique d’incitation à participer au vote, destiné à convaincre les citoyens de se rendre aux urnes, la future démarche du Parlement européen, approuvé par son Bureau politique sera fort différente. L’institution s’est engagée sur la voie d’une communication plus partisane et pro-intégrationniste.
Sylvie Guillaume, Vice-Présidente du Parlement européen, justement en charge de la communication, explique lors d’une table ronde organisée par Touteleurope sur « Comment parler d’Europe ? » que « la communication du Parlement européen doit sortir de l’indistinction par rapport aux autres institutions européennes ».
La production des slogans et messages de la communication à l’occasion des élections seront rapatriés en interne et les groupes politiques y seront associés. Enfin, « la fonction majoritaire ira vers un message englobant », manière de dire que la campagne reflétera davantage la vision pro-européenne, partagée par les principales forces politiques.
Pourtant, la communication institutionnelle du Parlement européen serait indispensable pour parvenir à la fois à simplifier certains messages qui sont trop complexifiés, sur les actions et bienfaits de l’UE tout en parvenant à complexifier certains messages qui sont très simplifiés, en particulier sur les acteurs qui bloquent ou facilitent les dossiers européens.
Au total, il semble que les institutions européennes semblent faire le deuil de leur communication institutionnelle, sans doute convaincue à force d’avoir entendu qu’aucune institution n’était bonne pour parler au grand public. Mais, il est somme toute paradoxal de se laisser convaincre de guerre lasse par une idée reçue qui tourne en boucle. La communication institutionnelle européenne, la vraie, non dépossédée par la politique, mérite mieux ; et vite.