Archives par étiquette : web social

Consultations citoyennes européennes : quelle communication pour libérer la parole sur l’Europe ?

Inspirée de l’idée chère à Jurgen Habermas d’espace public européen, les consultations citoyennes européennes participent d’une délibération reposant sur la mise en commun des paroles citoyennes dans un débat contradictoire. Belle idée, effectivement. Mais, concrètement, comment parvenir à libérer la parole sur l’Europe largement mise sous le boisseau depuis l’échec du projet de Constitution pour l’Europe ?

Incarnation : une représentation incarnée des enjeux de l’Europe via des ambassadeurs européens

Première étape pour libérer la parole des Européens, il faut pouvoir porter les arguments et les visions de l’Europe, faire la pédagogie des projets. En somme, il faut créer un désir d’avenir qui soit porté dans la société et les médias.

Cette évidence doit être l’occasion de sortir des sentiers battus et des figures éculées de l’Europe et se traduire donc par de nouvelles personnalités représentatives de l’Union européenne qui agiraient en tant qu’ambassadeurs européens, de figures médiatiques, susceptibles d’intervenir dans les médias traditionnels/audiovisuels pour présenter les consultations démocratiques et encourager les gens à y participer.

Pour le rapport de l’Assemblée nationale « Conventions démocratiques de refondation de l’Europe : comment libérer la parole ? », « proposer « à des personnalités culturelles et sportives célèbres de devenir des ambassadeurs de l’Union » » permettrait « d’assurer un fort retentissement aux conventions tout en encourageant les citoyens à y participer, sans en faire un événement gouvernemental et de symboliser la prise en main par la société civile de ces événements ».

Labellisation : une discussion organisée via des événements labélisés

Deuxième étape pour libérer la parole de la majorité silencieuse, en particulier des indécis, des modérés et de tous les publics occasionnels de la cause européenne, il s’agit d’assurer une présence sur le terrain aussi large que possible pour faire en sorte que se rencontrent les sachants et les non-sachants.

Cette nécessité vise à recréer des liens entre les individus, assurer une meilleure écoute et prise en compte des réalités individuelles au-delà des arguments fédéralistes ou souverainistes et créer in fine une participation sans filtre, sans biais et sans tabou.

Au-delà de la représentativité des opinions qui participe immanquablement à renforcer la légitimité de la démarche dans son ensemble, une large consultation du public, en particulier celui qui se désintéresse de l’Union européenne, doit viser in fine la reconquête des abstentionnistes des élections européennes, tant par indifférence que par méconnaissance.

Là encore, le rapport parlementaire imagine une double démarche consistant à appuyer les événements correspondant à la méthodologie spécifique à la consultations démocratiques européennes par des divers événements populaires labellisés « à l’instar de concerts, d’événements sportifs, de rencontres entre étudiants ou encore de salons littéraires », de nuits blanches, de festivals, voire de commémorations d’événements historiques (…) afin de mobiliser le grand public et de démontrer in vivo la dimension européenne

Démultiplication : une réappropriation massive via une plateforme numérique et les réseaux sociaux

Troisième étape, le relais et l’amplification en ligne doit permettre d’assurer une démultiplication, une pollinisation positive – un good buzz – en mettant les technologies numériques, et en particulier les réseaux sociaux, au service de la diffusion et de la réappropriation massive du très grand public.

Les relais numériques peuvent permettre à moindre coût de consulter une masse critique de citoyens européens pour faire émerger une opinion représentative à condition de lutter contre plusieurs limites : éviter les effets liés au design de la plateforme, les biais d’interface et d’interaction, lutter contre la fracture numérique et surmonter l’appréhension devant la complexité des politiques européennes.

Au total, les défis pour libérer la parole et canaliser ses formes d’expression sont nombreux. Les fondamentaux d’une communication reposent sur une réelle incarnation, des événements populaires et une réapparition massive de la part des citoyens.

La parodie, nouvelle forme de communication sur l’Europe ?

Avec l’été, regardons du côté d’une nouvelle forme d’expression apparue essentiellement sur Twitter, à la fois sans doute un peu dérisoire mais aussi significative, par sa fraîcheur et son humour d’une sorte de consécration pour happy few de l’intérêt pour l’Europe…

parody_eu_twitter

Le précurseur satirique : Berlaymonster

Les ingrédients du succès ont été concoctés dès 2009 par @Berlaymonster, via un blog et un compte Twitter, très très bien informés, sans doute même au cœur de la salle de presse de l’UE, toujours juste et cruel ou plutôt cruel mais juste, avec des visuels percutants surfant sur les cultures du web.

L’inspiration de cette nouvelle forme de communication réduite à un public de connaisseurs, seuls capable d’apprécié un humour mêlé aux affaires bruxelloises, est d’ailleurs venue en partie de l’expérience d’une présence entièrement fictive mais reprenant tous les codes officiels, notamment les EUtweetchats, via un faux Commissaire : @KunardoczEU, une fausse porte-parole : @MarinaSpokesEU et un faux social media manager : @KindsterFre pilotés par Berlaymonster.

Avec une production moindre, en volume, intérêt et qualité, @Parliamonster, qui se concentre davantage sur les jeux politiques au Parlement européen, se présente comme une « imitation, la flatterie la plus sincère » de Berlaymonster.

Le détournement des politiques

Seule une minorité, sans doute secrètement enviée, fait l’objet d’un traitement parodique au sein de la classe politique européenne. Ces comptes parodiques ont d’ailleurs largement tendance à échanger dans leur propre bulle entre eux.

A tout seigneur, tout honneur. C’est Jean-Claude Juncker qui jouit du compte parodique – @Juncker_JC – le plus suivi avec près de 6 500 abonnés, quoique le Brexit ait sonné la fin, temporaire souhaitons-le, de son activité.

Le Vice-Président de la Commission est également très détourné avec plusieurs comptes parodiques à son actif : d’abord @FransUnderwood « Vice President of the United States of Europe » (750 abonnés), compte parodique de campagne en 2014, ensuite @Timmerfrans_EU (1 100 abonnés) aujourd’hui inactif et enfin @TimmerfransEU (400 abonnés) qui révèlent plusieurs de ses traits de caractères.

Quelques figures de la Commission ont également le rare privilège de faire l’objet d’un compte parodique :

  • Günther Oettinger, devient @GOettinger : « Kommissar for se Internet and a Digital-Irrläuferle »
  • Margrethe Vestager, devient @Vestager_EU : « The new Queen of Europe, a.k.a. #AuntieTrust »
  • Miguel Arias Cañete, est détourné en @MAC_europe : « EU Fuel & Pollution Commissioner. At 66, beginning new career that asks how do we clean-up all this mess we’ve made? »
  • Maroš Šefčovič, devient @SefcovicEU : « the #EnergyUnion guy »

La parodie des hauts fonctionnaires

Les hauts fonctionnaires bruxellois ne sont pas oubliés, avec des comptes parodiques qui s’en prennent à leurs travers :

  • Le chef de cabinet de Juncker devient « @mseltzermayr – Chef de Drinks Cabinet for @juncker_jc »
  • Le Secrétaire général de la Commission européenne devient « @ItalianerEU – Running the @EU_Commission since 1 September 2015. Secretary General. Filling @Cathy__Day’s big shoes”
  • Le porte-parole en chef est détourné en « @Margaritisville – I speak, you listen. Got it? Chief flack for @EU_Commission & @JunckerEU »
  • Les Gracques, Collectif de haut-fonctionnaires français, devient @lesgrecques, Collectif de bas-fonctionnaires européens

Au total, ces prises de parole décalées, inattendues ou improbables montrent une forme d’attachement qui s’adresse à une très faible minorité.

Quand l’Europe fait le buzz, ça donne quoi ?

Avec la période estivale, autorisons-nous de laisser sur le bas-côté les sites institutionnels de l’UE pour prendre les sentiers battus des pure players qui font le buzz en ligne. Qu’est-ce qui ressort, tant en termes de sujets que de recettes ?

Les clichés sur les Européens

Sans doute la catégorie la plus représentée, les listicles sur les clichés sur l’Europe et les Européens sont nombreux, comme cet exemple du pire où chaque nation européenne est revisitée par les autres Européens.

Brut : la micro-vidéo sur la colère de Juncker au Parlement européen

Brut sort en quelques heures la vidéo « Le Parlement européen est ridicule » sur la « grosse embrouille à propos de l’absentéisme des députés entre Jean-Claude Juncker, le président de la Commission et Antonio Tajani, le président du Parlement européen. ». Gros résultats (à l’échelle des affaires européennes) avec plus de 2 500 réactions, 2 100 partages et plus de 300 commentaires dans la journée.

Topito : un tour des avantages émanant de l’Europe

L’avertissement de l’article « Top 10 des trucs cools du quotidien que l’on doit à l’Union européenne, vive l’Europe » est sans détour. Il s’agit de « montrer que certains acquis de notre quotidien émanent directement des législations européennes sans qu’on le sache ; or, ces trucs sont vraiment avantageux. » :

  • Les avantages liés à la mobilité : fin du roaming, remboursement partiel du billet en cas de retard de trains dès 30 minutes, remboursement pour les problèmes aériens
  • Les avantages culturels : financement du cinéma et gratuité des musées nationaux pour les moins de 26 ans
  • Les avantages étudiants : Erasmus et harmonisation LMD des diplômes
  • Les avantages consuméristes : protection des données personnelles, traçabilité des OGM, garantie automatique de deux ans pour tous les biens électroménagers

Conclusion sentencieuse de Topito : « L’Europe, ça dépote ! » : « C’est aussi peut-être à cause de leurs slogans nuls et de leur communication triste qu’ils sont aussi détestés les Européens ».

Buzzfeed : un tour d’Europe culturel et sociétal autour de 28 cartes

Autant de cartes que d’Etats-membres, un choix subliminal chez Buzzfeed qui se révèle particulièrement instructif sur ce qui constitue l’identité européenne et les centres d’intérêt culturel et sociétaux :

  • Du classique, avec des cartes sur les langues les plus parlées après la langue maternelle ou encore la consommation de bière ;
  • De l’attendu, avec des cartes sur la richesse et le chômage, en particulier des jeunes mais aussi sur les vacances scolaires, le nombre de jours de congés mais aussi l’ensoleillement ;
  • Du « geek », avec le nombre de vidéos proposées par Netflix, ou le nombre de bandes de métal ;
  • Du sociétal avec le recyclage, les lois anti-gays, le mariage pour tous…

Au total, ces formats originaux sont riches d’enseignements sur ce qui fonctionne pour toucher un très large public.

Médias et réseaux sociaux les plus influents à Bruxelles

L’enquête 2017 « EU Media Survey » de ComRes/Burson-Marsteller a paru et les résultats, portant sur la lecture des médias et l’usage des réseaux sociaux auprès des élus européens, des fonctionnaires européens des « opinion formers » bruxellois sont éclairants…

Un paysage médiatique européen bousculé par Politico Europe

Dernier arrivé mais premier au classement des médias les plus consultés, dans les 3 catégories de publics, Politico Europe réalise une belle prouesse en coiffant au poteau à la fois les grands médias anglo-saxons (BBC, FT, The Economist, NYT) et les médias européens (Euractiv, Euronews, EU Observer).

top10_adiences_medias_europeens_2017

Un écosystème des réseaux sociaux dominé par Facebook

La fréquentation de Facebook domine les usages quotidiens, et progresse même, contrairement à Twitter et Youtube. Facebook est aujourd’hui utilisé par un eurodéputé européens sur trois contre seulement un eurocrate sur trois.

top_usages_medias_sociaux_bruxelles

Une influence média préemptée par Politico Europe et Twitter

Dans le « match » entre médias traditionnels et médias sociaux (qui peut largement se débattre), Politico Europe est là encore en tête du classement, mais à égalité avec Twitter pour la partie de ceux qui les considèrent « very influential ».

top_influence_media_europe_2017

A ce petit jeu, la presse anglo-saxonne culmine en termes d’influence tandis que Facebook disparaît en queue de peloton.

Dans le détail auprès des trois publics ciblés, ce qui frappe, c’est davantage l’influence très différente qu’octroie chaque public aux médias sociaux : pour les élus, les réseaux sociaux sont au top, mais pour les fonctionnaires, c’est l’inverse.

medias_europe_2017_influenceAu total, le paysage médiatique bruxellois est très largement impacté par l’arrivée récente de Politico Europe et par des usages de plus en plus différenciés des médias sociaux selon les audiences.

Top 10 de ce que les institutions européennes feraient en s’inspirant de la communication corporate des entreprises

Après l’analyse de ce que les institutions de l’UE auraient à apprendre de la façon dont les entreprises communiquent, place aux actions que les institutions européennes pourraient entreprendre pour faire évoluer la communication de l’UE, suivant les recommandations de Konrad Niklewicz dans « We Need to Talk about the EU – European Political Advertising in the Post-Truth Era »…

1. Raconter une « big idea », à l’échelle nationale

L’UE devrait suivre l’exemple de nombreuses entreprises et limiter ses messages. La nouvelle « Grande Idée » pour l’Union doit réunir plusieurs conditions : l’accord de tous les acteurs de l’UE, un récit positif, destiné aux Européens, étayé par des actes et lié à la vie quotidienne.

L’histoire de l’UE doit être racontée du point de vue d’un citoyen moyen, mais surtout dans un cadre national pour s’inscrire dans le juste référentiel pour raisonner avec les citoyens. Les mythes ne peuvent pas être dissipés avec des faits ennuyeux. Il faut des contre-récits qui sont puissants et émotionnels et qui sont fondés sur des faits.

2. Être visible, de façon persistante

Les entreprises qui réussissent n’arrêtent jamais le marketing et la publicité et enchaînent les campagnes. La communication doit être plus continue pour avoir un effet durable. Une campagne est efficace lorsque les gens croient en son efficacité. Et ils commencent à y croire sur la base de sa visibilité.

3. Cibler le bon public, via les bons canaux

Avant de lancer des campagnes publicitaires coûteuses, les entreprises identifient aussi précisément que possible le public principal et les canaux nécessaires pour les atteindre.

Le ciblage intelligent du public, basé sur une recherche sociale approfondie, devrait être la priorité absolue pour connaître leurs attentes, leurs habitudes de consommation de l’information, les personnes qui les influencent…

4. Être cash, mais aussi dans l’émotion

Le langage doit être sans langue de bois autour de messages factuels fondés sur la raison. Mais pour se faire respecter et gagner la confiance, l’UE doit défier les messages des populistes, qui sont chargés d’émotions négatives, avec un message imprégné d’émotions positives qui dynamisent et inspirent une identification émotionnelle et personnelle avec l’UE.

5. Communiquer sur l’Union, pas les institutions

Les citoyens ne perçoivent pas les différences entre les institutions européennes et ne comprennent pas le processus décisionnel de l’UE. La compétition intra-institutionnelle doit cesser. Les dirigeants de la Commission européenne, du Parlement européen et du Conseil devraient entamer le processus et montrer l’importance d’une telle coopération. C’est le minimum absolu de ce qui peut être fait à court terme.

6. Exploiter le big data

Collecter, stocker et analyser d’immenses quantités d’informations permet de cibler des individus avec des messages sur mesure, adaptés à la réceptivité particulière. Explorer et exploiter les tendances de recherche avec Google Trends peut notamment donner une meilleure compréhension de l’opinion publique.

7. Trouver les messagers et les relais de confiance

Le choix d’un messager crédible est crucial pour s’éloigner de l’univers des grandes entreprises (lobbying) et des élites internationales (corrompues) qui est trop souvent associé par le grand public à l’UE. Pour contourner la défiance actuelle, l’UE doit envisager d’utiliser des célébrités non politiques (sportifs, scientifiques, stars de cinéma…) pour transmettre son message.

Du côté des relais, des acteurs non gouvernementaux devraient être invités à financer des campagnes de sensibilisation pro-européennes sur une base volontaire et transparente. La responsabilité sociale des entreprises devrait se traduire par des efforts de communication pro-européens.

8. Engager des politiciens et des partis politiques au niveau européen

L’UE a besoin d’intégrer le récit positif et pro-européen dans les débats politiques nationaux via les parlements nationaux afin de renforcer sa visibilité médiatique et sa légitimité démocratique, sans craindre une polarisation des voix anti-européennes qui ont déjà une place bien établie dans le débat public.

9. Budgéter efficacement

Les institutions européennes consacrent environ 400 millions d’euros par an aux activités de communication. C’est une somme substantielle, comparable à ce que des grandes entreprises dépensent. Cependant, contrairement au monde des affaires, les institutions européennes ne procèdent pas à une évaluation sur la rentabilité des dépenses liées à la communication. Il est grand temps que les institutions de l’UE commencent à suivre une autre pratique commerciale et à mesurer le retour sur investissement, en pesant les coûts par rapport aux résultats en termes d’impact.

De manière optimale, les budgets de communication des institutions de l’UE devraient être augmentés, car une promotion sérieuse nécessite des budgets importants. Mais comme les dépenses accrues en matière de promotion sont inacceptables sur le plan politique, la meilleure solution consiste à économiser sur des projets inefficaces et à les consacrer à ceux qui ont un impact réel. Les budgets de communication actuels sont insignifiants par rapport aux quantités énormes d’argent en jeu si le projet européen s’effondre.

10. Intensifier l’utilisation des « nouveaux médias »

Les institutions européennes n’ont d’autre choix que d’apprendre à s’adapter aux nouveaux modes de communication et en particulier aux plateformes sociales, impliquant une modification de la position des porte-parole en ligne, au même niveau que les relations publiques et les relations avec les médias avec un engagement constant.

Les médias sociaux permettent d’obtenir une visibilité élevée à un coût relativement faible. Encore faut-il investir, même modestement, dans des dépenses de marketing puisque la portée organique des messages tend à se réduire. La Commission européenne dépenserait actuellement environ 100 000 euros sur les réseaux sociaux chaque année. Ce n’est pas suffisant pour avoir un impact important.

Au total, les institutions européennes devraient sérieusement remodeler la façon dont elles communiquent sur l’Europe. Non seulement leurs stratégies passées et actuelles ont échoué, mais l’environnement de communication a également changé.