L’Union européenne à l’ère du podcast : une analyse de sa stratégie audio

Dans un monde où l’information circule à grande vitesse et où l’attention du public est de plus en plus difficile à capter, la Commission européenne décide de se lancer dans l’aventure du podcast pour communiquer sur ses activités et ses politiques. Cette stratégie s’inscrit dans une volonté plus large de moderniser sa communication et de toucher de nouveaux publics, notamment plus jeunes. Mais quelle est réellement l’offre de podcasts européens ?

Aperçu général de l’offre de podcasts de l’UE

L’offre de podcasts de l’Union européenne est vaste et diversifiée. D’après la base de données des contenus produits par la Commission européenne, on dénombre pas moins de 22 séries de podcasts différentes, couvrant un large éventail de sujets.

Diversité thématique

Les thèmes abordés vont des actualités européennes avec « Europe Calling » aux statistiques « Stats in a Wrap », en passant par le commerce « Trade-Off », la recherche scientifique « CORDIScovery », la finance « EU Finance – The Future of Finance », l’espace « Let’s Talk EU Space », l’agriculture « Food for Europe », l’environnement « Ocean Calls », ou encore la culture « European Tasty Tales ». Cette diversité thématique reflète la volonté de l’UE de communiquer sur l’ensemble de ses domaines d’action et de compétences.

Multilinguisme

Un autre aspect notable de cette offre est son multilinguisme. Bien que la majorité des podcasts soient en anglais, certains sont produits dans d’autres langues de l’UE. Par exemple, « Wij, Europeanen » est en néerlandais, s’adressant spécifiquement à ce public.

Fréquence et durée

La fréquence de publication varie selon les séries, allant d’un rythme hebdomadaire à mensuel, voire plus espacé pour certaines séries. La durée des épisodes est également variable, mais se situe généralement entre 20 et 40 minutes, un format adapté à une écoute pendant les trajets quotidiens ou les pauses.

Format et style

La plupart des podcasts de l’UE adoptent un format d’interview ou de discussion entre experts. C’est le cas par exemple de « Europe Calling », qui propose des entretiens avec des décideurs clés de l’UE et des experts sur les politiques européennes les plus ambitieuses.

D’autres séries optent pour un format plus narratif, comme « Ocean Calls » qui plonge l’auditeur dans les profondeurs des enjeux maritimes à travers des récits immersifs et des témoignages.

Certains podcasts se distinguent par leur approche plus ludique ou informelle. « Stats in a Wrap » par exemple, présente les statistiques européennes de manière divertissante, cherchant à rendre accessibles des données parfois complexes.

Contenu et messages clés

L’analyse du contenu des différentes séries révèle plusieurs messages clés récurrents :

  • L’importance de l’action européenne dans la vie quotidienne des citoyens
  • La promotion des valeurs européennes (démocratie, état de droit, solidarité)
  • L’explication des politiques et initiatives de l’UE
  • La mise en avant de l’expertise européenne dans divers domaines
  • La sensibilisation aux défis globaux (changement climatique, transition numérique, etc.)

Par exemple, la série « CORDIScovery » met en lumière les avancées de la recherche européenne, soulignant ainsi le rôle de l’UE dans l’innovation et le progrès scientifique. « Food for Europe » quant à lui, explique les politiques agricoles et alimentaires de l’UE, cherchant à rapprocher ces enjeux des préoccupations quotidiennes des citoyens.

Évaluation de l’efficacité de la stratégie podcast

Publics cibles

Chaque série de podcast semble viser un public spécifique. « Erasmus+ revealed » s’adresse clairement aux étudiants et jeunes professionnels intéressés par la mobilité en Europe. « EU Finance – The Future of Finance » cible plutôt les professionnels et experts du secteur financier. « European Tasty Tales » vise un public plus large, intéressé par la gastronomie européenne. Cette segmentation permet à l’UE d’adapter son message et son ton en fonction de l’audience visée, afin de maximiser l’impact.

Intérêts et audiences

Il est difficile d’évaluer précisément l’audience de ces podcasts sans avoir accès aux statistiques d’écoute. Cependant, plusieurs indicateurs suggèrent un certain succès :

  • La longévité de certaines séries : « CORDIScovery » en est à son 40ème épisode, « EU Finance » à son 23ème, ce qui indique une certaine fidélisation de l’audience.
  • La régularité des publications : la plupart des séries maintiennent un rythme de publication constant, signe d’un engagement continu de l’UE dans cette stratégie.
  • La diversification de l’offre : le lancement régulier de nouvelles séries comme récemment « Erasmus+ revealed » ou « The Pulse » suggère que l’UE perçoit un intérêt croissant pour ce format.

Diffusion des messages clés

L’analyse du contenu des podcasts montre une cohérence avec les priorités de communication de l’UE. Les thèmes abordés reflètent les grandes orientations politiques de la Commission (Green Deal, transition numérique, relance économique post-Covid, etc.).

La diversité des formats et des approches permet de décliner ces messages de manière adaptée à différents publics. Par exemple, « Ocean Calls » sensibilise aux enjeux environnementaux marins de manière accessible, tandis que « Trade-Off » explique les subtilités de la politique commerciale européenne à un public plus averti.

Limites et défis

Malgré ces aspects positifs, la stratégie podcast de l’UE fait face à plusieurs défis :

  • La visibilité : dans un marché du podcast très concurrentiel, il peut être difficile pour les séries de l’UE de se démarquer et d’atteindre un large public.
  • La barrière linguistique : bien que certains podcasts soient produits dans différentes langues, la majorité reste en anglais, limitant potentiellement leur audience.
  • La complexité des sujets : certains podcasts traitent de thèmes très techniques, ce qui peut rebuter un public non-initié.

Recommandations pour améliorer et développer l’utilisation des podcasts

Sur la base de cette analyse, voici quelques recommandations pour renforcer l’efficacité de la stratégie podcast de l’UE :

Diversifier davantage les formats

Bien que l’offre actuelle soit déjà variée, l’UE pourrait expérimenter de nouveaux formats pour toucher un public plus large :

  • Des séries de fiction audio basées sur des thèmes européens pour captiver un public plus jeune.
  • Des podcasts courts (5-10 minutes) pour une consommation rapide d’information.
  • Des séries collaboratives avec des créateurs de contenu populaires pour bénéficier de leur audience.

Renforcer le multilinguisme

Pour surmonter la barrière linguistique, l’UE pourrait :

  • Produire plus de séries dans différentes langues de l’UE.
  • Proposer des transcriptions traduites pour les podcasts en anglais.
  • Développer des partenariats avec des médias locaux pour adapter et diffuser le contenu dans différentes langues.

Améliorer la promotion et la visibilité

Pour accroître l’audience de ses podcasts, l’UE pourrait :

  • Intensifier la promotion sur les réseaux sociaux, en ciblant spécifiquement les communautés d’auditeurs de podcasts.
  • Collaborer avec des influenceurs et des personnalités publiques pour promouvoir les séries.
  • Organiser des événements en direct (enregistrements publics, Q&A avec les animateurs) pour créer une communauté autour des podcasts.

Mesurer et analyser l’impact

Pour affiner sa stratégie, l’UE devrait :

  • Mettre en place des outils de mesure d’audience plus précis.
  • Réaliser des enquêtes auprès des auditeurs pour évaluer la compréhension et la rétention des messages clés.
  • Analyser régulièrement les données pour ajuster le contenu et le format des podcasts en fonction des préférences du public.

Intégrer les podcasts dans une stratégie de communication plus large

Les podcasts ne devraient pas être considérés comme un outil isolé, mais comme partie intégrante d’une stratégie de communication multicanale. L’UE pourrait :

  • Créer des synergies entre les podcasts et d’autres supports (vidéos, infographies, articles de blog).
  • Utiliser les podcasts comme point d’entrée vers des ressources plus détaillées sur les sites web de l’UE.
  • Encourager l’utilisation des podcasts comme support pédagogique dans les écoles et universités.

L’utilisation des podcasts par l’Union européenne dans sa stratégie de communication représente une avancée significative vers une communication plus moderne et engageante. La diversité thématique et stylistique de l’offre actuelle démontre une volonté réelle de s’adapter aux nouvelles habitudes de consommation de l’information et de toucher des publics variés.

Cependant, pour maximiser l’impact de cette stratégie, l’UE doit relever plusieurs défis, notamment en termes de visibilité et d’accessibilité afin de renforcer l’efficacité des podcasts comme outil de communication, en les intégrant dans une approche plus globale et interactive.

À l’heure où la désinformation et l’euroscepticisme représentent des menaces sérieuses pour le projet européen, les podcasts offrent une opportunité unique de créer un lien direct et authentique avec les citoyens. En continuant à innover et à affiner sa stratégie audio, l’Union européenne peut non seulement informer, mais aussi engager et inspirer ses citoyens, contribuant ainsi à construire une identité européenne plus forte et partagée.

« The Podcast Election » : comment la présidentielle américaine introduit une nouvelle frontière dans la communication politique ?

L’élection présidentielle américaine de 2024 restera dans les mémoires comme l’élection de l’ère du podcast, marquant un changement dans la manière dont les campagnes politiques engagement les électeurs : contourner les médias traditionnels pour favoriser des relations plus intimes avec des auditeurs appartenant à des groupes démographiques spécifiques. Quel potentiel des podcasts dans la communication politique, en examinant la présidentielle américaine, ses résultats et ses conséquences, et en discutant des implications pour la politique européenne ?

Essor des podcasts en tant que plateforme politique

Les podcasts ont connu une ascension fulgurante en popularité au cours de la dernière décennie : « 44 % des Américains consomment régulièrement des podcasts (…) plus de 60 % chez les moins de 35 ans. », selon le décryptage de la campagne « Trump vs Kamala: Who’s winning online ? ». Cette croissance transforme les podcasts, passant d’un média de niche à une force dominante, attirant des publics divers et offrant une plateforme unique pour le discours politique. Contrairement aux médias traditionnels, les podcasts favorisent souvent un sentiment de communauté et de confiance entre les animateurs et les auditeurs : « 75 % des consommateurs de podcasts américains déclarent croire ce que disent les animateurs des programmes qu’ils écoutent. », selon une enquête Deloitte publiée dans le Wall Street Journal. Cette confiance, associée à la nature intime du média, crée un environnement où les messages politiques peuvent trouver un écho profond auprès du public.

La campagne présidentielle américaine de 2024 : la politique à l’ère du podcast

L’élection présidentielle américaine de 2024 a vu l’utilisation des podcasts de divertissement comme un élément clé des stratégies de campagne. Trump a adopté ce média, en apparaissant dans de nombreuses émissions, notamment « The Joe Rogan Experience », « Impaulsive » et « This Past Weekend ». Ces apparitions, souvent caractérisées par de longues conversations non scénarisées, contournant l’examen journalistique des médias traditionnels pour se connecter directement aux jeunes électeurs masculins. Harris, a adopté une approche plus prudente, dans des émissions aux audiences acquises comme « Call Her Daddy » et « All The Smoke », selon l’analyse publiée sur The Conversation « US election shows how podcasts are shaping politics – and what the risks are ».

Résultats et conséquences : un changement dans le paysage médiatique

L’adoption des podcasts lors des élections américaines de 2024 a eu des conséquences importantes sur le paysage médiatique. L’utilisation stratégique du média par Trump lui a permis de contourner les médias critiques et de contrôler son discours. Cette stratégie, associée au déclin de la confiance dans les médias traditionnels, contribue à remplacer complètement l’examen critique, les animateurs de podcasts, contrairement aux journalistes, ne sont pas tenus de respecter les mêmes normes éthiques d’objectivité et de neutralité, d’où un manque de questionnement critique et la diffusion de désinformation sur la vaccination ou la fraude électorale.

Implications pour la politique européenne et avenir des podcasts dans la communication politique

La fondation Jean-Jaurès se sait de ce sujet, avec une note de recherche « Faire campagne par le podcast : réalité américaine, prémices européennes  » qui envisage l’essor des podcasts en tant que plateforme politique et les implications pour la politique européenne. Si l’adoption des podcasts lors des élections européennes en juin dernier a été moins prononcée qu’aux États-Unis en novembre, le potentiel du média à influencer le discours politique est indéniable.

Le potentiel transformateur des podcasts dans la communication politique pour se connecter avec les électeurs, contourner les médias traditionnels et faire passer son discours sans contrôle posent des défis importants.

Face au respect des principes de pluralisme ou de neutralité inscrits dans la loi pour les médias traditionnels publics et privés, la responsabilité des podcasts, surtout pour des contenus politiques et à fortiori en période électorale va devoir se poser.

Outre la promotion de l’éducation aux médias auprès des auditeurs, l’établissement de lignes directrices éthiques pour les animateurs de podcasts et l’exploration de cadres réglementaires qui équilibrent la liberté d’expression avec la nécessité de lutter contre la désinformation devraient être étudiés pour renforcer leur responsabilité alors que la nature informelle et conversationnelle des podcasts peut brouiller les frontières entre divertissement et discours politique, ne permettant pas aux auditeurs de distinguer entre informations factuelles et opinions ou même désinformations.

Réussir à naviguer dans la relation complexe entre podcasts et communication politique conditionnera notre avenir démocratique.

Nouveaux portefeuilles à la Commission européenne : intérêts et limites d’une communication européenne entre ambition politique et défis institutionnels

Comme prévu par l’agenda institutionnel européen, Ursula von der Leyen est réélue présidente de la Commission européenne pour un second mandat, le 18 juillet, avec une majorité plus confortable qu’attendue. Dans son discours devant les députés européens, elle dévoile ses orientations politiques pour la prochaine Commission : « Le choix de l’Europe » pour les cinq prochaines années, mettant l’accent sur cinq priorités majeures.

Une communication politique hyper-sobre : piliers du programme von der Leyen II

Le travail de consolidation de sa majorité parlementaire, entre les groupes politiques du centre-droit (PPE), centre-gauche (S&D), centristes (Renew), mais aussi les Verts qui ont joué le jeu de la coalition tandis que les conservateurs (ECR) se sont divisés :

  1. Un nouveau plan pour la prospérité et la compétitivité durables, visant à stimuler l’économie européenne, en mettant l’accent sur la facilitation de l’activité des entreprises, l’élaboration d’un pacte pour une industrie propre, et le renforcement de la recherche et de l’innovation. Elle souligne également l’importance de combler le déficit de compétences et de main-d’œuvre.
  2. Une nouvelle ère pour la défense et la sécurité européennes : Face aux défis géopolitiques actuels, von der Leyen promet de faire de l’Union européenne de la défense une réalité, tout en renforçant la préparation aux crises et la sécurité intérieure. Le renforcement des frontières communes et une approche équitable mais ferme en matière de migration sont également au programme.
  3. Soutien aux personnes et renforcement du modèle social européen : La présidente de la Commission s’engage à promouvoir l’équité sociale, à restaurer l’unité des sociétés et à soutenir les jeunes. L’égalité et la préservation de la qualité de vie, notamment en termes de sécurité alimentaire et d’accès à l’eau.
  4. Protection de la démocratie et défense des valeurs européennes : un autre « bouclier européen de la démocratie » propose de renforcer l’état de droit et de placer les citoyens au cœur du processus démocratique.
  5. Renforcement du rôle de l’Europe dans le monde : La présidente de la Commission prévoit de poursuivre l’élargissement de l’UE, d’adopter une approche plus stratégique envers les pays voisins et de mettre en place une nouvelle politique économique étrangère.

Une nouvelle forme de communication politique par la création de nouveaux postes de Commissaires

La nouvelle présidente de la Commission européenne von der Leyen, dont la créativité n’est plus à démontrer si l’on se souvient de la configuration autour de Vice-Présidence aux titres ronflant, se montre de nouveau généreuse dans la création de nouveaux postes de Commissaires, notamment :

  • « chargé de la défense »
  • « spécialement chargé de l’élargissement »
  • «  pour la Méditerranée »
  • « dont le portefeuille inclura le logement »
  • «  chargé de l’égalité »
  • «  chargé de l’équité intergénérationnelle »
  • « chargé de la pêche et des océans »

Ces propositions soulèvent des questions sur l’équilibre entre visibilité politique et efficacité institutionnelle. La création de ces nouveaux postes présente des avantages en termes de visibilité politique et d’adaptabilité face aux défis émergents. Cela peut servir de « marqueur » qui font tant défaut dans la liste des priorités, sur le fond largement consensuel au vue des résultats du vote à bulletin secret pour son investiture, mais sans aspérité, pour les valoriser les porter à la connaissance du grand public.

Cependant, ces nouveaux postes soulèvent également des interrogations. Le respect du cadre juridique, la création de nouveaux postes doit s’inscrire dans le cadre fixé par les traités européens, sinon, le risque de fragmentation augmente avec une multiplication des portefeuilles qui pourrait nuire à la cohérence de l’action de la Commission. Mais surtout, l’alignement avec la structure administrative est crucial afin d’assurer une bonne coordination entre les portefeuilles des Commissaires et l’organisation des directions générales.

En revanche, la communication via les portefeuilles peut se montrer nuisible, en raison de son illisibilité pour le public. La multiplication des postes pourrait paradoxalement rendre moins lisibles les responsabilités réelles de l’UE pour les citoyens européens. Sans compter les contraintes pratiques où la répartition des postes devra se faire en fonction des candidatures présentées par les États membres, ce qui pourrait limiter la flexibilité dans l’attribution des nouveaux portefeuilles en fonction des profils.

Au total, la proposition d’Ursula von der Leyen de créer de nouveaux postes de Commissaires reflète une volonté d’adapter l’institution aux défis contemporains et d’envoyer des signaux politiques forts. Cependant, la mise en œuvre de cette vision devra naviguer entre les contraintes juridiques, les impératifs d’efficacité administrative et les besoins de communication politique. Dans l’équilibre à trouver entre ambition politique et pragmatisme institutionnel, où il s’agira de traduire les nouvelles priorités en actions concrètes, peut-on suggérer que cela ne se fasse pas au détriment de la cohérence et de l’efficacité de l’institution européenne, d’autres formes de communication devraient être privilégiées.

Le processus d’audition des nouveaux Commissaires par le Parlement européen permet d’évaluer la faisabilité et la pertinence de cette nouvelle structure, et aurait pu conduire à des ajustements avant la prise de fonction effective de la nouvelle Commission européenne.

Divergence atlantique entre politique astrologique de l’Amérique contre défi astronomique de l’Europe

Deux décennies après l’œuvre de Robert Kagan, « Of Paradise and Power : America and Europe in the New World Order », qui dépeignait les Européens comme des idéalistes habitant Vénus et les Américains comme des réalistes vivant sur Mars, la fracture transatlantique s’est transformée en une scission épistémologique encore plus fondamentale. Si la métaphore de Kagan capturait les dynamiques de pouvoir de l’après-Guerre froide, le schisme d’aujourd’hui va plus loin – jusqu’à la manière même dont chaque société traite et valide la vérité politique. Aujourd’hui, nous observons l’Amérique pratiquant une sorte de politique comme de l’astrologie – cherchant à deviner la vérité à partir de la résonance émotionnelle et des croyances personnelles – tandis que l’Europe maintient une approche astronomique, tentant de tracer un cours rationnel par l’observation objective des politiques publiques pour une bonne gouvernance.

Le nouveau zodiaque américain : quand la vérité émotionnelle éclipse la réalité politique

À la suite des récentes élections américaines, nous assistons à une transformation qui aurait été inimaginable. La politique américaine a évolué au-delà de la simple projection de la puissance pour embrasser ce que le politologue Francis Fukuyama appelle « l’individualisme expressif » – une politique de l’identité et du sentiment plutôt que du fait et de la raison.

Le rejet de l’expertise et des preuves empiriques au profit des « sentiments viscéraux » et des convictions personnelles marque un changement fondamental dans la conscience politique américaine. Comme le soutiennent Ivan Krastev et Stephen Holmes dans « The Light That Failed », cela représente non seulement un choix politique, mais un rejet total du consensus libéral de l’après-Guerre froide.

Le paysage électoral américain récent révèle cette tendance astrologique de manière frappante. La campagne de Trump, à l’instar d’un astrologue habile, a offert des récits confortables qui parlaient aux espoirs et aux craintes profondément personnels, même lorsqu’ils étaient déconnectés de la réalité vérifiable. Ses partisans, comme des lecteurs d’horoscopes avides, ont trouvé du sens et de la validation dans ces messages, indépendamment de leur mérite factuel. Ce phénomène transcende le discours politique traditionnel, créant un nouveau paradigme où la vérité émotionnelle, « weaponized » par le populisme, l’emporte sur la réalité objective.

Le moment copernicien de l’Europe : réconcilier la politique rationnelle avec la réalité émotionnelle

Pour l’Europe, cela représente à la fois un avertissement et une opportunité. Tout en maintenant son approche « astronomique » de l’élaboration des politiques – fondée sur les données, l’expertise et l’analyse rationnelle – l’Europe doit apprendre à mieux communiquer sa vision de manière à résonner émotionnellement avec ses citoyens. La récente caractérisation d’Emmanuel Macron de l’Europe comme « un herbivore dans un monde de carnivores » capture bien ce défi de combler l’écart entre la compétence technocratique et l’attrait populaire sans sacrifier la vérité pour le confort.

Au-delà de la division Mars-Vénus, l’Union européenne doit apprendre à tracer une nouvelle orbite européenne pour rester pertinente et renforcer sa position, l’Europe doit :

Développer des récits convaincants pour des politiques complexes : Au lieu de simplement présenter des arguments statistiques sur les besoins démographiques et les avantages économiques, encadrer l’immigration à travers des histoires de réussite d’intégration avec une campagne « European Success Stories » mettant en avant des entrepreneurs immigrants qui ont créé des emplois ou des médecins immigrants servant dans des communautés rurales.

Promouvoir une identité européenne partagée : Le programme « NextGenerationEU » pourrait être enrichi au-delà de la reprise financière pour devenir un repère culturel, mettant en avant des projets de jeunesse transfrontaliers, des initiatives de citoyenneté numérique et des actions climatiques partagées voire un « European Heritage Future Lab » connectant les valeurs culturelles avec des innovations tournées vers l’avenir.

Communication stratégique combinant faits et narration : Transformer le Pacte Vert de l’UE d’une politique technique en une narration inspirante combinant des données concrètes sur l’action climatique avec des histoires convaincantes de transformation locale, voire un « EU Impact Navigator » une plateforme interactive montrant les bénéfices en temps réel des politiques de l’UE au niveau local, rendant les politiques abstraites tangibles.

Renforcer la résilience institutionnelle avec la légitimité populaire : Poursuivre les dispositifs combinant démocratie délibérative traditionnelle avec participation citoyenne numérique et pourquoi pas lancer une plateforme numérique « MyEurope » pour centraliser les services pratiques européens comme la carte européenne d’assurance maladie et une sorte de portefeuille numérique de l’UE rassemblant les droits numériques.

Le chemin à suivre nécessite que l’Europe maintienne son engagement envers les politiques basées sur les preuves tout en apprenant de la maîtrise américaine de la narration et de l’engagement émotionnel. Cela ne signifie pas adopter la « politique astrologique », mais plutôt trouver des moyens de rendre la « réalité astronomique » aussi convaincante que le confort astrologique. Après le concept de soft power du politologue Joseph Nye, l’Europe doit développer ce que l’on pourrait appeler son « reality power 2.0 » – combinant la gouvernance à l’européenne avec la capacité narrative et l’intelligence émotionnelle.

Dans ce moment critique, l’Europe doit tracer son propre cours créant un modèle d’engagement politique ancré dans la réalité qui sert à la fois la vérité et la nature humaine. Seulement alors pourra-t-elle efficacement contrer le chant des sirènes du populisme tout en construisant un avenir européen plus fort et plus uni. Le défi à venir n’est pas seulement politique mais existentiel afin de déterminer non seulement l’avenir de l’Europe, mais la nature même de la gouvernance démocratique au 21e siècle.

Naviguer dans des eaux turbulentes : communiquer l’UE à l’ère de la désinformation, du populisme et de la fragmentation

Comment l’UE adapte ses messages et ses stratégies d’engagement pour répondre à la convergence de facteurs redéfinissant le paysage de la communication ?

  • Montée des réseaux sociaux et fragmentation des écosystèmes médiatiques traditionnels
  • Prolifération de la désinformation, des « fake news » et des ingérences étrangères dans les processus démocratiques
  • Émergence de nouvelles formes de populisme, souvent alimentées par les technologies numériques et de mouvements radicaux
  • Tendance générale à la désinstitutionalisation des sociétés et érosion de la confiance dans les institutions traditionnelles et les connaissances expertes

Bien que l’UE ait fait des progrès significatifs dans l’adaptation de ses approches de communication à ces nouvelles réalités, elle continue de lutter avec la tension fondamentale entre storytelling centralisé et nécessité de s’adresser à des contextes nationaux diversifiés et à des publics de plus en plus fragmentés.

Paysage de communication évoluant et stratégies adaptatives de communication de l’UE

1. Lutte contre la désinformation et les ingérences étrangères

Les dernières élections du Parlement européen ont vu des niveaux sans précédent de campagnes de désinformation, souvent liées à des acteurs étrangers. L’UE y répond avec de nouveaux outils, comme l’East StratCom Task Force, démontrant une prise de conscience accrue de la menace posée par la guerre de l’information. L’ »Approche européenne pour lutter contre la désinformation en ligne » marque un changement significatif vers un engagement proactif avec le problème avec des initiatives de vérification des faits.

2. Réponse aux nouvelles formes de populisme

L’émergence du « populisme numérique » présente un défi significatif aux efforts de communication de l’UE. Les narrations populistes simplifient souvent les processus complexes de l’UE. Le passage du langage technocratique à une communication plus émotive et basée sur les valeurs dans les messages de l’UE peut contribuer à répondre aux messages simplistes des populistes. De même, l’émergence de mouvements de jeunes à la fois d’extrême droite (le mouvement identitaire) et d’extrême gauche (par exemple, l’activisme climatique) créé de nouveaux défis pour l’engagement autour de l’UE avec des mouvements qui s’engagent souvent intensivement dans la politique, même si les formes de participation traditionnelle reste limitées.

3. Rebâtir la confiance institutionnelle face à la post-vérité

Les données Eurobaromètre montrent une baisse de la confiance dans l’UE de 57 % en 2007 à 43 % en 2022, reflétant une tendance plus large d’érosion de la confiance dans les institutions traditionnelles. Cela présente un défi fondamental à l’autorité et à la légitimité de l’UE. Les initiatives de transparence accrue, telles que le Registre de Transparence de l’UE, visent à reconstruire la confiance dans les institutions de l’UE, avec un succès limité, plaidant pour un besoin de réformes des structures de gouvernance de l’UE.

Le concept de « déclin de la vérité » progresse où les faits jouent un rôle décroissant dans la vie publique au profit d’une tendance à l’emphase croissante aux appels émotionnels. L’UE adopte une approche hybride, combinant la communication basée sur les faits avec un storytelling narratif reposant sur de vraies histoires personnelles. L’utilisation de l’humour pour démystifier les idées fausses pourrait engager davantage par rapport aux communications traditionnelles de l’UE.

Défis technologiques et efforts de communication de l’UE

1. Contraintes de cadrage

Les médias nationaux privilégient encore le cadrage national des questions de l’UE, limitant la portée des messages centralisés de l’UE, rendant la restitution du processus de prise de décision de l’UE le principal défi de communication.

2. Dilemmes technologiques et éthiques

L’utilisation de l’IA et des big data dans les stratégies de communication soulève des préoccupations en matière de confidentialité et de manipulation de données personnelles. Équilibrer le besoin de réponse rapide avec l’assurance de l’exactitude et de la nuance demeure crucial pour l’exemplarité de la communication.

3. Besoins diversifiés des publics

L’UE doit mieux connaître la diversité des niveaux variés de connaissance et d’engagement des citoyens envers l’UE, au-delà des seules différences générationnelles ou des habitudes de consommation des médias, qui complexifient les stratégies de communication.

Approches innovantes pour les futures stratégies de communication de l’UE

1. Prévision Participative

Impliquer les citoyens dans des exercices de planification de scénarios pour l’avenir de l’UE pourrait augmenter l’engagement et créer une co-construction et une propriété partagée des narratifs de l’UE. Des programmes pilotes pourraient tester cette approche.

2. Gamification des processus de l’UE

Développer des jeux éducatifs immersifs, des serious games, simulant la prise de décision de l’UE auraient le potentiel d’augmenter la compréhension des processus de l’UE, en particulier parmi les jeunes, même s’il faut éviter la simplification excessive des questions complexes.

3. Réseaux de communication décentralisés

Autonomiser les influenceurs locaux et les organisations de la société civile en tant que communicateurs de l’UE pourrait augmenter la confiance et la pertinence des messages de l’UE. Un programme « EU Local Voices » pourrait former et soutenir ces nouveaux créateurs de contenus.

4. IA Éthique dans la communication publique

Développer une personnalisation des communications de l’UE basée sur l’IA avec des algorithmes transparents pourrait permettre une dissémination plus ciblée et pertinente, équilibrée avec le besoin d’un discours public partagé et la nécessité de prendre en compte les préoccupations en matière de confidentialité des données.

Les défis de communication de l’UE reflètent des tendances sociétales plus larges de fragmentation, de méfiance et de surcharge d’informations. Bien que l’UE ait fait des progrès significatifs dans l’adaptation de ses stratégies de communication à cette nouvelle réalité, le succès futur dépendra de la capacité de l’UE à :

  • Favoriser une véritable sphère publique paneuropéenne tout en respectant les diversités nationales ;
  • Utiliser la technologie de manière éthique pour améliorer l’engagement sans exacerber les divisions sociales ;
  • Équilibrer la communication basée sur les faits avec des narratifs convaincants qui résonnent émotionnellement avec les citoyens ;
  • S’adapter aux paysages médiatiques en évolution rapide tout en maintenant les valeurs démocratiques fondamentales.

Une communication efficace ne concerne pas seulement l’amélioration de l’image de l’UE, mais aussi le maintien de la légitimité démocratique du projet européen lui-même à une époque de défis sans précédent pour la communication européenne.