Directives de la présidente pour la communication de la Commission européenne

En complément des Orientations politiques : « Le choix de l’Europe » rédigées en vue de l’élection de la présidente de la Commission européenne au Parlement européen, Ursula von der Leyen partage dans les lettres de mission aux Commissaires-désignés des précisions pour « Travailler ensemble pour l’Europe, Se rapprocher des Européens » afin de garantir la réputation de l’institution et la confiance des Européens, autour de repères tels que ouverture, transparence et représentation…

1. Renforcer les relations avec les institutions de l’UE : un vœu pieux d’affichage ou une prise de conscience sérieuse ?

La Commission européenne renforcera ses relations avec les institutions de l’UE, en assurant une circulation de l’information avant les événements majeurs ou aux étapes clés et communiquera mieux son travail et son « planning ».

Souvent critiquée pour son manque de transparence et de clarté, le renforcement des relations avec les institutions de l’UE serait une initiative cruciale pour améliorer la coordination et la cohérence de la fabrique des politiques européennes. Cette intention, qui nécessite une mise en œuvre rigoureuse et continue pour être efficace, sera-t-elle suivie par la présidente de la Commission européenne qui a préféré dévoilée sa nouvelle Commission lors d’une conférence de presse après une réunion avec la Bureau du Parlement européen sans aucune fuite ; chacun jugera de son sens des priorités.

2. Présence accrue sur le terrain : la promesse de toutes les Commissions ; sera-t-elle tenue ?

La Commission européenne sera plus présente sur le terrain, plus souvent et dans plus de régions. Elle ira au niveau local, soutenue par le réseau de ses représentations et du réseau des « EU Local Councillors ». Elle donnera plus de visibilité aux projets de l’UE qui font une différence dans la vie des gens sur le terrain. Elle communiquera activement sur ses actions et décisions, expliquera les avantages et opportunités et luttera contre la désinformation, notamment en fournissant des informations claires et précises en tout temps.

Une présence accrue sur le terrain est essentielle pour rapprocher l’UE des citoyens. Les actions locales permettent de rendre les politiques européennes plus tangibles et compréhensibles. Cependant, cette stratégie nécessite des ressources importantes, dont les Représentations de la Commission européenne ne disposent pas, en particulier pour assurer la promotion de ces opportunités de communication dans la presse locale et régionale. La lutte contre la désinformation, nouveau serpent de mer de toute stratégie de communication, est tout autant cruciale, nécessite aussi des efforts engagés lors du mandat précédent.

3. Poursuite de l’ère de dialogue, dorénavant avec les jeunes : le narratif du lien jamais rompu entre l’UE et les citoyens

La Commission européenne lancera une nouvelle ère de dialogue avec les citoyens et les parties prenantes avec une première édition des « Annual Youth Policy Dialogues », un nouveau format d’événement annuel avec la jeunesse, annoncé dans les 100 premiers jours, afin que les jeunes puissent être entendus et aider à façonner le travail de l’institution.

Par ailleurs, l’institution intégrera la participation des citoyens, en s’appuyant sur la Conférence sur l’avenir de l’Europe pour instaurer une véritable et durable culture de démocratie participative, lui permettant de choisir des domaines politiques et des propositions où les recommandations d’un Panel de citoyens européens aura la plus grande valeur et suivront leurs propositions.

L’investissement continu et renforcé au cours du premier mandat d’Ursula von der Leyen dans la démocratie participative au travers de l’exercice imposé de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, puis d’une démarche autonome de panels citoyens thématiques, qui semble donc se généraliser avec d’une part un format récurrent pour les jeunes et un format à la carte pour oindre la moindre nouvelle initiative de la Commission européenne du sceau de la validation citoyenne issus des panels. C’est dorénavant la carte maîtresse dans le jeu de la Commission européenne pour engager ses parties prenantes citoyennes et les jeunes dans le processus décisionnel en vue d’améliorer la légitimité des politiques européennes, tout en évitant de devenir une simple mise en scène de communication.

4. Engagements envers l’indépendance, l’intégrité, l’impartialité, les règles éthiques, la transparence et la représentativité accrue

La Commission européenne doit montrer un véritable engagement européen envers l’indépendance, l’intégrité, l’impartialité, les règles éthiques et la transparence. La Commission européenne veillera à devenir plus représentative des citoyens.

L’engagement envers la transparence serait fondamental pour renforcer la confiance des citoyens. Cependant, cet engagement doit être soutenu par des actions concrètes et des mécanismes de contrôle efficaces pour garantir que les citoyens aient accès à des informations claires et précises sur les décisions de la Commission.

Devenir plus représentative des citoyens est une priorité pour améliorer la légitimité de la Commission européenne. Cependant, cette représentativité doit aller au-delà de la simple diversité démographique et inclure une diversité d’opinions de parcours pour que les voix plus minoritaires soient réellement entendues et prises en compte dans le processus décisionnel.

En fin de compte, la réussite de ces directives dépendra de la capacité de la Commission européenne à transformer ces engagements en actions tangibles et durables.

Bulle médiatique bruxelloise : influence croissante de Politico Europe

Au cours de la semaine écoulée, plusieurs mouvements dans les rédactions de médias européens manifestent l’influence croissante de Politico Europe et de sa maison mère, Axel Springer – une tendance inquiétante – dans le paysage médiatique bruxellois. Cette évolution soulève des questions importantes sur la diversité des voix couvrant les affaires de l’UE…

Les faits clés :

  • Claus Strunz, ancien rédacteur en chef de BILD (Axel Springer), est nommé nouveau PDG et directeur de l’information de Euronews, une double fonction surprenante, remplaçant Guillaume Dubois dans un mouvement surprise. Cette nomination suscite des inquiétudes dans divers médias : tandis que Lyon Capitale décrit Strunz comme un « journaliste controversé », Le Monde note que son profil suscite des inquiétudes parmi certains employés et Mediapart craint qu’Euronews puisse devenir « un CNews bis ».
  • Matthew Karnitschnig, correspondant en chef de Politico Europe, est nommé nouveau rédacteur en chef de Euractiv, à partir de 2025. Le communiqué de presse d’Euractiv sur la nomination de Karnitschnig adopte un ton positif, soulignant son engagement envers « un esprit inlassable de professionnalisme et de camaraderie » et sa dévotion aux « meilleures traditions d’une presse libre et indépendante ».
  • Jakob Hanke Vela, ancien auteur de la newsletter quotidienne Brussels Playbook pour Politico, devient le chef du bureau bruxellois de Handelsblatt en 2025.

Ces récits contrastés mettent en lumière la nature complexe et potentiellement conflictuelle de ces changements de direction dans le paysage médiatique bruxellois. Ces mouvements de haut niveau signalent une « Politico-isation » croissante des médias bruxellois, avec des postes clés dans des médias influents désormais occupés par des journalistes ayant des liens avec Politico ou sa maison mère.

Quelques conséquences potentielles

  1. Homogénéisation de la couverture médiatique : Avec plus de médias dirigés par des individus ayant des parcours issus d’un même média, l’un des plus importants à Bruxelles, il existe un risque d’approche plus uniforme de la couverture de l’UE.
  2. Changement de focus éditorial : Politico est connu pour une approche qui privilégie la politique plutôt que les politiques publiques, contrairement à Contexte, ce style pourrait de plus en plus influencer la manière de traiter les affaires de l’UE par plusieurs médias européens.
  3. Préoccupations sur l’indépendance : Avec l’influence croissante d’Axel Springer, des questions se posent sur les éventuels conflits d’intérêts et la capacité de ces médias à maintenir leur indépendance éditoriale.
  4. Impact sur la diversité journalistique : La concentration du pouvoir entre les mains de quelques groupes médiatiques pourrait limiter la diversité des perspectives et des voix dans la couverture de l’UE.
  5. Changement du paysage médiatique : Cette tendance pourrait redessiner l’écosystème médiatique bruxellois, marginalisant potentiellement les derniers plus petits médias indépendants.

Bien qu’il soit important de noter que les journalistes individuels maintiennent leur intégrité professionnelle, des implications plus larges de ce changement méritent une attention particulière. Alors que l’UE fait face à des défis critiques, un paysage médiatique diversifié et indépendant est crucial pour tenir le pouvoir responsable et informer le public.

À mesure que cette tendance à la politico-isation de la sphère médiatique se développe, observateurs, institutions de l’UE et citoyens devront surveiller de près son impact sur la qualité et la diversité du journalisme politique européen. La santé de notre démocratie européenne en dépend.

Ingérence étrangère, manipulation de l’information et désinformation

Confrontation Europe consacre un dossier complet au phénomène des ingérences étrangères, dont 81% des Européens estiment que c’est un problème grave dans un Eurobaromètre. Mais trop peu d’avancées législatives, le jeu d’influence, souvent relais de discours critiques contre l’Europe, est une menace réelle et directe au développement de l’action de l’Union pour la prochaine mandature. Comment développer stratégies et réformes afin de protéger le cœur battant de nos systèmes démocratiques ?

Nicolas Quénel, Journaliste indépendant et auteur du livre « Allô Paris ?! Ici Moscou »

La lutte contre l’ingérence étrangère force à se poser des questions qui vont de la préservation de liberté d’expression jusqu’à celui de l’absence chronique de moyens dans la justice.

Il faut se concentrer sur l’aspect systémique du phénomène, au lieu de chercher à annihiler le dernier maillon de la chaîne : mettre en place de vraies politiques publiques, soutenir les médias, plus d’exemplarité en politique, investir dans l’éducation aux médias pour résoudre cette crise de confiance. Pour lutter efficacement contre ce phénomène, il faut remonter aux racines du problème et réinvestir le champ public.

La guerre de l’information, c’est un phénomène qui ne touche pas que la sphère étatique, mais bien l’ensemble des acteurs. Si la guerre de l’information est l’affaire de tous, tous ont une responsabilité sur la manière dont ils s’informent, tout le monde est acteur de cette guerre, en ce que les puissances étrangères, chinoises ou russes, ont pour projet de faire des citoyens français des victimes de cette guerre. A chacun de lutter.

Christine Dugoin-Clément Chercheuse à la Chaire Risque de l’IAE Paris-Sorbonne, à l’Observatoire de l’Intelligence Artificielle de Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Les opérations peuvent être multiples, mais participent généralement à façonner les opinions publiques pour qu’elles soient plus réactives sur des sujets clivants, ou plus sceptiques vis-à-vis des pouvoirs publics, quand il ne s’agit pas d’instiller le doute dans les personnes publiques, voire dans les processus démocratiques eux-mêmes.

Si l’usage de trolls sur les réseaux sociaux est maintenant de notoriété publique quand il s’agit d’influencer les opinions publiques, de même que l’usage de faux profils ou « sockpuppets », les méthodes utilisant les technologies de l’information ont connu une importante diversification. La récente opération Döppelganger remettait au goût du jour une méthode connue pendant la période soviétique qui consiste à usurper l’identité graphique d’un tiers, en particulier des journaux de confiance et des institutions publiques, afin de bénéficier de la confiance qui leur est accordée pour disséminer des contenus servant une stratégie informationnelle précise.

Plus récemment encore, on a pu observer certaines opérations qui visaient à saturer les groupes chargés de vérifier des contenus et éléments diffusés, comme l’opération « Matriochka » visant à saturer les structures de fact checking. La massification a pu être notée lors de la mise à nu de « Portal Kombat » par Viginum, un réseau de plus de 190 sites visant à diffuser de la désinformation.

Enfin, les développements connus par l’IA, et plus particulièrement par sa branche de Deep Learning, permettent de créer des « deep fakes », des contenus générés par des systèmes algorithmiques, que l’on parle de contenus visuels, audio, ou écrits.

Ophélie Omnes Fondatrice d’Omnes Legal & Positiv Lobbying, autrice de l’étude « Ingérence étrangère et jeux vidéo en Europe : Jouer est-il politique ? »

Le jeu vidéo est sujet à l’ingérence étrangère principalement par le biais des divers canaux de communication que l’on peut retrouver entre les joueurs. Ces canaux sont vecteurs de propagation de désinformation qui peut parfois aller jusqu’à une forme d’endoctrinement. Quelles solutions ? Donner aux communautés les outils de l’auto-régulation pour les jeux communautaires

Nathalie Loiseau Députée européenne (Renew), Rapporteuse à la Commission INGE 2 sur l’ingérence étrangère

Cette guerre des ingérences étrangères que des régimes autoritaires et inamicaux nous mènent dans le but d’influencer, de diviser, d’affaiblir et de neutraliser nos systèmes démocratiques, n’est pas nouvelle, c’est notre prise de conscience qui l’est. Le doute, ce poison lent, c’est ce que tente d’instiller la désinformation russe dans nos esprits. L’objectif est aussi de nous faire douter de nous-mêmes et de la validité même de notre modèle démocratique :

  1. Exposer les commanditaires, les méthodes et les objectifs des ingérences étrangères constituent une première étape dans la mise au point d’un antidote à cette véritable pandémie.
  2. Soutenir ceux qui, journalistes, associations, startups, se sont spécialisés dans la vérification des faits et le renseignement en source ouverte représente le deuxième stade.
  3. Assumer les choix politiques nécessaires au niveau national comme européen en protégeant les libertés tout en luttant contre ceux qui en abusent pour nous abuser est une nécessité.

VIGINUM, le Service technique et opérationnel de l’État chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères

Les manœuvres informationnelles malveillantes s’immiscent désormais dans tous les champs du débat public, en exploitant de manière opportuniste des faits d’actualité ou de société marquants. S’appuyant sur un large éventail de stratégies et de techniques destinées à modifier les perceptions et à altérer l’information des citoyens, elles ont pour principaux objectifs d’éroder la confiance du public dans les institutions, de polariser le débat autour de sujets clivants, de créer ou d’amplifier des tensions au sein des populations, jusqu’à générer des troubles à l’ordre public.

Une ingérence numérique étrangère est constituée par quatre critères : une atteinte potentielle aux intérêts fondamentaux de la Nation, soit au cœur de la souveraineté nationale ; un contenu manifestement inexact ou trompeur ; une diffusion artificielle ou automatisée, massive et délibérée ; l’implication, directe ou indirecte d’un acteur étranger (étatique, paraétatique ou non-étatique).

Chine Labbé, Rédactrice en chef et vice-présidente chargée des partenariats Europe et Canada pour News Guard, qui produit des évaluations et scores de fiabilité des sites d‘informations et d‘actualité, censés traduire leur crédibilité et transparence

Comment retisser la confiance dans les médias ? Dans un monde où la défiance envers les institutions n’épargne pas les médias, et où la prolifération des contenus synthétiques, des médias de propagande se faisant passer pour des sites d’actualité traditionnels, ou encore des sites générés par IA sans supervision humaine, menace le débat démocratique, en brouillant toujours davantage la frontière entre information d’un côté, et communication, propagande, et faux de l’autre.

Dans ce contexte, faire œuvre de pédagogie, de transparence, mais aussi d’humilité, est une question de survie pour les médias, qui se doivent de rappeler leur valeur et leur rôle démocratique, qui ne vont plus de soi.

Chez NewsGuard, nous recensons les sites générés par IA sans supervision humaine : fin mai 2023, déjà 49 mais mi-mars 2024, plus de 750 dans une quinzaine de langues. Selon un audit réalisé en août 2023, ChatGPT-4 et Bard (depuis renommé Gemini) répètent des récits connus de désinformation dans respectivement 98 et 80% des cas.

Élargissement de l’Europe : le plus est-il l’ennemi du bien ?

L’Union européenne, lauréate du prix Nobel de la paix en 2012, est un espace de paix et de prospérité, comme le souligne Laurence Boone, membre du Cercle des économistes lors des Rencontres économiques d’Aix en Provence. Malgré le retour de la guerre, l’aspiration à l’Europe reste toujours aussi ardente. Comment garantir la bonne intégration des pays candidats et préserver la cohésion européenne ?

Quels candidats pour les élargissements ?

Les pays des Balkans occidentaux sont les plus prêts à l’adhésion. La Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, la Macédoine du Nord, le Monténégro sont sur la liste des candidats les plus susceptibles de rejoindre l’Union tandis que la Serbie et l’Albanie ainsi que l’Ukraine et la Géorgie sont également candidats.

Pourquoi devons-nous élargir l’UE ?

Karoline Edtstadler, Ministre fédérale de l’UE et de la Constitution en Autriche, souligne que la crédibilité de l’Europe est en jeu. Les pays candidats bénéficient d’incitations financières et l’Union peut exercer une pression constructive pour des réformes afin de les rapprocher des standards européens.

Paschal Donohe, Ministre des Comptes publics et de la Réforme d’Irlande et Président de l’Eurogroup, ajoute que nous devons choisir d’« exporter la stabilité plutôt que d’importer l’instabilité ». L’élargissement de l’UE est dans notre intérêt primordial pour couvrir nos besoins pratiques dans les domaines de l’énergie, de l’alimentation, des personnes et des matières premières. « Nos libertés politiques seraient menacées si le projet européen n’avançait plus. »

Quels défis ?

Christian Danielsson, Secrétaire d’État aux Affaires européennes & Conseiller International du Premier Ministre de Suède, souligne que « nous devons réformer nos politiques, comme la PAC et le budget, et améliorer notre prise de décision » avec notamment la majorité qualifiée et à traité constant ainsi que mettre en place de manière progressive « l’acquis communautaire », en renforçant les instruments pour s’assurer en particulier de l’état de droit. Nous devons également approfondir le marché unique et réduire les obstacles pour être plus compétitif avec une économie dynamique.

« Nous devons convaincre l’opinion publique qu’il est dans l’intérêt de l’Europe d’élargir. »

Il est crucial que l’élargissement de l’UE soit un succès. L’UE est un modèle pour la démocratie, le commerce, la croissance et l’état de droit. Il est également important que l’UE continue à fonctionner et puisse décider rapidement. Nous devons créer des sociétés inclusives et inclure tous les pays dans l’Europe au sens des valeurs et des modèles de vie. C’est un enjeu de croissance, mais aussi d’égalité et d’espérance de vie.

« Nos défis d’aujourd’hui seront nos grands problèmes demain, avec la certitude de l’appauvrissement de l’UE sans les élargissements. »

« L’UE a aujourd’hui un seul instrument politique : les normes. Un vrai budget de l’UE demain sera la réponse aux élargissements », selon Laurence Boone.

« L’UE est une machine à fabriquer des démocraties, faire avancer les progrès, les critères de gouvernance, de transparence », selon Stéphane Dion, Ambassadeur du Canada, Envoyé spécial auprès de l’Union européenne et de l’Europe. L’élargissement de l’UE est un défi à relever ce défi avec détermination et conviction, pour le bien de tous les Européens.

Comment démocratiser, sans politiser, les institutions indépendantes de l’Union, dernière chance de succès de l’Europe ?

Avec le recul d’une décennie après sa publication, la lecture du manuel d’Antoine Vauchez, « Démocratiser l’Europe » offre la bonne distance pour évaluer l’épineuse problématique de la démocratisation de l’Union européenne…

Le « malentendu européen »

L’expression d’Albert Camus « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » est sans doute le talisman pour bien comprendre le malentendu européen. Si l’on s’inscrit seulement dans le paradigme de la démocratie représentative, celui des États-membres, qui fonde la légitimité sur l’élection, alors pour juger de la démocratie européenne, ce sera la résolution du « déficit parlementaire » pointé par le rapport du doyen Vedel qui corrigera le péché originel, d’un projet technocratique en renforçant les pouvoirs du Parlement européen.

Il est clair que ce paradigme, par sa simplicité du fait d’une sorte de correspondance entre les démocraties nationales et la démocratie européenne a connu un vrai succès. La parlementarisation du projet européen est belle et bien vue comme la condition de la démocratisation de l’Europe. Ce narratif s’est très largement imposé ces derniers temps dans les pratiques. Ou plutôt, cette mystique qui portait une certaine ambition s’est transformée en politique, avec ses dérives en termes de politisation.

Prenons l’actualité politique européenne de cette rentrée pour en juger de ce paradigme de la politisation comme progrès de la construction européenne.

  1. Du côté de la Commission européenne, cette politisation incarnée par la présidente reconduite Ursula von der Leyen s’exerce avec des pressions publiques et controversées sur les capitales européennes dans la sélection de leurs candidats, au point qu’elle a demandé la démission de Thierry Breton qu’Emmanuel Macron lui a accordé, ce qui fait qu’aucune personnalité d’envergure de la sa première Commission ne poursuivra après les départs tant de son numéro 2 Timmermans que le départ de la danoise Vestager.
  2. Du côté du Parlement européen, cette politisation se traduit aussi par un jeu exacerbé qui s’annonce dans les auditions des Commissaires-désignés. Nonobstant la presse qui dresse déjà des listes des Commissaires-désignés les plus fragiles, dès le lendemain de l’annonce de leur portefeuille, il est déjà annoncé que la Commission européenne pourrait être nommée avec retard non plus en novembre mais décembre prochain, plus de 6 mois après les élections européennes, en considérant l’éventualité prévue dans les traités comme l’évidence du calendrier, que des personnalités seront forcément écartées par les eurodéputés.

Cette forme de politisation de l’Union européenne, qui hérite des pires pratiques des démocraties nationales en Europe constitue-elle un progrès dans la voie d’une légitimation et d’un renforcement de la confiance des citoyens ?

Démocratiser l’indépendance

Au-delà de la démocratisation « politique » quel que soit les raccourcis qu’on peut donner à cette expression, demeure la question de faire lever le verrou de la démocratisation réelle, en profondeur d’un système institutionnel, d’un écosystème qui n’est pas réductif aux schémas de pensée binaires et limitatifs.

Le défi au cœur de la réflexion d’Antoine Vauchez repose sur la démocratisation des institutions spécifiques à la construction européenne : la haute-autorité (actuelle Commission), la cour de justice et la banque centrale européenne – autant d’institutions qui fonctionnent avec leur propre agenda, et selon leurs propres repères :

  • Un mandat : une fonction prévue par les traités, une sorte de souveraineté qui s’impose ;
  • Une compétence : une langue, l’eurospeak qui véhicule une sorte de rationalité qui prédomine ;
  • Une indépendance : une pratique, une sorte de neutralité à distance des intérêts politiques.

Face à cette trinité qui donne une sorte d’immunité qui rend intouchable, le travail doit consister à lancer un réveil dogmatique et démocratique, une remise en question qui soit à la fois une critique intellectuelle, théorique et doctrinale :

  • Débat autour du paradigme exclusif du « marché » qui apparaît encore plus nécessaire avec les problématiques géopolitiques posées à l’Europe aujourd’hui ;
  • Débat public organisé, concurrentiel et inclusif autour de la communication des décisions, qui pourrait viser à introduire des « opinions dissidentes » ;
  • Débat scientifique contre les « vérités scientifiques » gravées dans le marbre des traités avec des controverses entre chercheurs sur les finalités, les formes et les résultats des institutions européennes.

Démocratiser vraiment l’Union européenne nécessite de mettre en récit contributif, qui « soumettent à la question » les poncifs de la construction européenne, dans une démarche de révolte civilisée contre l’Europe des clercs.