Unpacking les élections européennes

Normalisation de la politique européenne
Une normalisation de la politique européenne, pas complètement nouveau, encore moins étonnant, mais les élections européennes ont été vécues, en particulier en France et en Allemagne comme des « mid-terms elections », des scrutins pour sanctionner les gouvernements en place ; tandis que d’autres campagnes, comme en Italie et en Pologne ont consolidé des leaders comme Meloni et Tusk récemment installés au pouvoir. La France est entrée fébrile en campagne pour en sortir en crise politique avec la dissolution.

Banalisation des radicalités
Une banalisation des radicalités, avec des votes pour les différentes forces de droite extrême qui sont des votes de conviction sur une ligne dure identitaire et nationaliste, autour d’une mentalité d’assiégé-persécuté, dont les électeurs estiment en fait qu’ils sont eux-mêmes les premières victimes.

Politique spectacle et solutions simplistes
Une politique spectacle, en selfie, sur TikTok, de mise en spectacle sans pudeur des têtes de liste d’extrême-droite avec des solutions simplistes et immédiates, avec un simple vote, on peut renverser la table, notamment la facture de l’énergie ou la « paix » en Europe.

Décalage entre agenda médiatique et résultats électoraux
Un « agenda-framing » encore décalé entre des résultats électoraux finaux pourtant globalement prévus par les sondages, qui ont toujours confirmé la victoire de la majorité pro-européenne et l’agenda médiatique dominé par la vague « populiste » qui ne s’est guère confirmée, à l’échelle paneuropéenne, mais dans les principales démocraties des États-membres fondateurs en Europe occidentale, tandis que l’Europe centrale est moins touchée par le phénomène.

Accumulation des tensions et violence physique
Une accumulation des tensions, avivée par des cyberattaques attendues et, cela est malheureusement plus nouveau dans son ampleur, la violence physique, avec des attaques de candidats par des extrémistes, en particulier en Allemagne avec des victimes pour le SPD, les libéraux, les Verts et même l’AFD.

Participation en hausse
Une participation électorale en hausse, ce n’est plus une « second-order election », mais une élection de premier plan, considérée peut-être même comme plus importante par les électeurs-citoyens, qui la prenent vraiment au sérieux, par rapport aux principales forces politiques qui semblent dépassées par les attentes et les envies d’Europe sans savoir y répondre.

Controverse autour de l’Ukraine
Une controverse autour de l’Ukraine, avec la visite du président Volodymyr Zelensky à l’occasion des cérémonies du D-Day à la fois en France et en Allemagne à la veille du scrutin, avec un discours au Parlement dans chaque pays qui aura été boycotté par les extrémistes.

Vote des jeunes et glissement à droite
Un vote des jeunes, ça n’existe pas. Les jeunes évoluent comme le reste de la société qui glisse à droite. Le pessimisme, l’angoisse et la peur, voire de troubles mentaux et psychologiques pèsent sur leurs préoccupations : inflation, logement, polarisation, changement climatique mais aussi forcément sur leurs votes plus autoritaires et populistes pour les extrêmes tant d’extrême-gauche que d’extrême-droite.

Clivages géographiques
Des clivages géographiques qui confirment des lignes de fractures fortes, anciennes ; songeons aux résultats du RN en France en tête dans plus de 90% des communes, hormis Paris et quelques métropoles, les résultats communautarisés de LFI dans les banlieues ou les résultats de l’AFD très forts dans l’ancienne Allemagne de l’Est, avec des scrutins régionaux dans ces Lander à l’automne.

Absence de programme commun des partis proeuropéens
Une carte de l’Europe que les partis proeuropéens n’ont pas joué, pas de programme commun, pas de projets partagés, il faudrait essayer l’Europe, ce serait en fait la nouveauté. L’Europe, c’est le terrain pour vraiment agir, d’autant que les budgets des États-nationaux, avec le frein à la dette en Allemagne et les déficits excessifs en France, ne peuvent plus répondre aux besoins de financement pour le climat et la défense.

Échec des têtes de liste des grandes familles politiques européennes
Un échec des têtes de liste des grandes familles politiques européennes, avec la « fake Spitzenkandidat » Ursula von der Leyen qui aura fait semblant de faire campagne sans vraiment de programme, sans vraiment d’opposition de ses partenaires de coalition, sans conviction.

Intérêt pour les sujets de société sous l’angle européen
Un intérêt porté pour des sujets de société, relativement nouveaux, sous l’angle européen, dans le registre de la protection tant externe (re/dé-globalisation, sécurité/défense, climat) ou interne (santé, pouvoir d’achat, santé, égalité/travail) même si les campagnes partisanes ont été animées autour de débats nationaux et sans que les sujets de fond comme les rapports Dragui et Letta autour de la compétitivité et des financements des investissements n’aient été discutés.

Voix de la vieille Europe et défi du leadership
Une voix de la vieille Europe à l’Ouest et du moteur franco-allemand qui doit trouver des solutions pour éviter les scénarios de l’inertie voire du pire, là où les extrémistes progressent, tant la fuite en avant que le surplace, tandis que le centre de gravité proeuropéen se déplace vers l’Est et le Sud, c’est un saut dans l’inconnu, qui va avoir besoin de leadership.

Comment des médias paneuropéens abordent la couverture des élections européennes ?

Les médias d’information continent de jouer un rôle dans l’élaboration du récit autour des élections européennes ainsi que dans l’émergence d’une opinion publique européenne. Quelles stratégies pour couvrir la campagne, selon Amélie Reichmuth dans « How pan-European news organisations are approaching EU election coverage » pour VoxEurop et The European Correspondent, sans oublier de commencer par Politico Europe ?

L’approche analytique Politico Europe : une couverture « data-driven » des élections européennes

Politico Europe, lancée en 2015, basé à Bruxelles, offre une couverture approfondie de la politique, des politiques et des personnalités de l’UE. Pour les élections européennes, outre le narratif de la course électorale dans ses newsletters, podcasts et articles, Politico Europe adopte notamment une approche analytique « By the numbers » basée sur les données pour couvrir la campagne : enquête sur l’usage de Tiktok des députés européens ou les dépenses publicitaires des partis politiques.

De plus, Politico Europe développe un outil interactif, « Poll of Polls », qui regroupe les dernières données de sondages de toute l’UE et fournit des estimations de la répartition des sièges au Parlement européen. Cet outil, mis à jour quotidiennement, vise à aider les citoyens et les parties prenantes à mieux comprendre la dynamique de la course électorale et les implications potentielles des résultats.

L’approche communautaire de The European Correspondent : un traitement « crowd-sourcé » des questions du public autour des sujets européens

Lancée en 2022, The European Correspondent est une newsletter qui se concentre sur les grands défis sociétaux, les changements politiques et les idées à travers le continent. Forte d’un réseau de plus de 140 correspondants locaux, la plateforme a pour objectif de proposer à ses lecteurs les meilleures histoires de chaque pays.

Pour The European Correspondent, les élections européennes constituent une opportunité essentielle de dialoguer avec son public. Julius Fintelmann, co-fondateur et directeur de la rédaction, estime que les élections sont importantes non seulement par leur résultat, mais aussi parce qu’elles génèrent un élan européen, avec des citoyens manifestant davantage d’intérêt pour les affaires européennes.

Leur stratégie pour couvrir les élections consiste à se concentrer sur les grandes questions qui intéressent les citoyens européens, plutôt que de suivre la campagne électorale à Bruxelles. Ils utilisent des explications et des articles approfondis pour aborder des sujets tels que le processus électoral, la montée des partis d’extrême droite et le Green Deal.

L’approche semble trouver un écho auprès de son public, qui reçoit de nombreuses questions sur les élections qui ne sont pas abordées ailleurs. Ils capitalisent sur cela à travers des campagnes d’engagement communautaire, visant à développer leur communauté et à élargir leur audience globale.

L’approche coopérative de Voxeurop : un traitement en mode « série » éditoriale

Voxeurop, lancé en 2014, se positionne comme le premier média géré par une société coopérative européenne afin de couvrir des sujets transnationaux, traduits dans les principales langues européennes, pour refléter la diversité des regards et toucher un public plus large.

L’année 2024 marque les 10 ans de Voxeurop, ce qui en fait une opportunité idéale pour élargir son lectorat. Voxeurop adopte plusieurs séries éditoriales pour couvrir les élections. L’un de leurs projets les plus réussis est « Voices of Europe« , où ils collaborent avec 27 grands médias nationaux pour publier des articles sur les principales questions en jeu dans les élections européennes de chaque pays. Ces articles sont ensuite traduits et publiés en cinq langues sur la plateforme Voxeurop.

Au total, les médias paneuropéens adoptent des stratégies diverses et innovantes pour couvrir les élections européennes, interagir avec leur public et contribuer au développement d’une sphère publique européenne, jouant un rôle crucial pour répondre aux préoccupations et aux questions de leur public et utiliser les élections comme une opportunité pour élaborer des nouvelles formes de récit autour d’un avenir de l’UE plus informé et plus engagé.

Publicité politique sur les réseaux sociaux : vers une régulation européenne pour plus de transparence et de protection des citoyens

Les réseaux sociaux sont devenus un terrain de jeu privilégié pour les acteurs politiques qui cherchent à influencer l’opinion publique. Cependant, la publicité politique sur ces plateformes soulève de nombreuses problématiques, notamment en termes de transparence, de protection des données personnelles et de manipulation de l’information. Face à ces enjeux, les institutions européennes ont décidé d’intervenir en proposant un nouveau règlement sur la transparence et le ciblage de la publicité à caractère politique.

Risques et dérives de la publicité politique sur les réseaux sociaux en termes de microciblage et de bulles algorithmiques de filtre

La publicité politique sur les réseaux sociaux permet de cibler très précisément les électeurs en fonction de leurs centres d’intérêt, de leur âge, de leur localisation géographique ou encore de leur historique de navigation. Cette pratique de « micro-ciblage », peut être utilisée à des fins d’influencer l’opinion publique, en diffusant des messages différents (plusieurs milliers pour les campagnes Brexit et Trump) à des groupes de personnes différents, voire contradictoires autant pour inciter à voter pour un candidat que désinciter à voter pour un autre candidat.

Par ailleurs, la publicité politique sur les réseaux sociaux soulève des questions de protection des données personnelles. En effet, les plateformes collectent et traitent des données sensibles sur les utilisateurs, qui peuvent être utilisées à des fins politiques sans leur consentement explicite. De plus, les algorithmes utilisés pour cibler les publicités peuvent renforcer les biais cognitifs et les bulles de filtre, en ne présentant aux utilisateurs que des informations qui confortent leurs opinions.

Nouveau règlement européen sur la transparence et le ciblage de la publicité à caractère politique : vers plus de transparence et de protection des citoyens

La future règlementation européenne, en cours de discussion entre les institutions européennes, après les positions du Conseil de l’UE en novembre dernier, le Parlement européenne vient d’adopter ses amendements en plénière en février, l’intention vise à renforcer la transparence et la protection des citoyens en matière de publicité politique sur les réseaux sociaux :

  1. Une définition claire de la publicité à caractère politique, qui devra être clairement identifiée comme telle ;
  2. L’obligation pour les plateformes de tenir un registre public des publicités politiques diffusées, avec des informations détaillées sur l’annonceur, le budget, la durée et le ciblage ;
  3. L’interdiction de cibler les publicités politiques en fonction de données sensibles, telles que l’orientation politique, la religion, l’origine ethnique ou l’orientation sexuelle ;
  4. L’obligation pour les plateformes de fournir des informations claires et compréhensibles sur les raisons pour lesquelles une publicité politique est diffusée à un utilisateur en particulier ;
  5. La possibilité pour les utilisateurs de signaler des publicités politiques trompeuses ou illégales ;
  6. L’interdiction de parrainage d’annonces provenant de l’extérieur de l’UE au cours des trois mois précédant une élection ou un référendum.

Comment préserver la démocratie tout en permettant une diffusion responsable des messages politiques ?

Protéger l’intégrité des élections : La proposition est élaborée dans le contexte des élections du Parlement européen de 2024, même si elle ne pourra pas être mise en œuvre dans les délais. L’objectif est de protéger l’intégrité des élections en prévenant toute tentative de manipulation des comportements de vote à travers l’utilisation de médias sociaux.

Se prémunir des ingérences électorales étrangères : L’émergence et la multiplication des médias sociaux ont ouvert de nouvelles possibilités d’ingérence dans les processus démocratiques. Des scandales tels que l’affaire Cambridge Analytica ont mis en lumière la capacité à exploiter les données personnelles pour influencer les élections.

Appliquer le Digital Services Act (DSA) : La proposition s’inscrit dans le cadre plus large du Digital Services Act, qui vise à réglementer les plateformes en ligne. Le DSA prévoit des règles communes pour garantir un environnement en ligne sûr et transparent, ces dispositions renforceront la transparence de la publicité politique en ligne.

Uniformiser la définition de la publicité politique sur les réseaux sociaux : La proposition vise à mettre fin à la fragmentation des dispositions nationales en matière de publicité politique avant 2024, assurant ainsi une approche uniforme au sein de l’Union européenne. La Commission souligne la nécessité d’harmoniser les définitions de la publicité politique pour assurer un processus démocratique équitable. Le règlement introduit la première définition européenne de la publicité politique, couvrant un large éventail de moyens de communication.

Assurer des obligations de transparence : Les plateformes qui vendent de la publicité politique devront assurer la transparence dès les premiers échanges avec les annonceurs, reste à savoir comment ces plateformes procéderont pour les mentions spécifiques dans les annonces publicitaires qui sont prévus.

Surveillance et sanctions : Les autorités de contrôle des États membres sont habilitées à surveiller l’application du règlement, enquêter sur les violations, et infliger des sanctions en cas de non-respect des obligations.

Approches changeantes des médias sociaux envers le contenu politique et d’actualité

Selon certains spécialistes des réseaux sociaux, alors que Meta cherche à réduire la présence de contenu politique dans ses applications Facebook et Instagram, en revanche X-Twitter se tourne davantage vers le débat politique, tandis que Tiktok ne s’interdit plus les sujets plus politiques, au point de pousser Biden à s’y inscrire pour sa campagne de réélection. Bien que Meta cherche à éviter les coûts et les dommages réputationnels associés au contenu d’actualité et politique, la réduction de ce type de contenu pourrait avoir un impact sur les électeurs et l’influence politique voire les démarches de propagation de la désinformation.

Au total, en se concentrant sur la transparence des annonces publicitaires et l’encadrement du ciblage, la règlementation européenne ne devrait pas faire obstacle à la diffusion des messages politiques protégés par la liberté d’expression et indispensables en démocratie, tout en régulant une activité sensible ayant connue des dérives.

Élections européennes : une campagne peu médiatique et franco-centrée

Les Français comptent parmi les Européens les plus mal informés sur l’Union européenne, au dernier rang des 27 États-membres. Théo Verdier, avec la Fondation Jean-Jaurès et Confrontations Europe et les données de l’INA se lance dans une étude pour identifier, à chaud, l’image que les médias offrent aux Français de la couverture TV, radio, presse et web de la campagne en cours : « Une campagne française : étude de la couverture médiatique des élections européennes ».

Une couverture médiatique moindre des élections européennes de 2024 qu’en 2019 et des personnalités visibles qui ne sont pas les têtes de liste candidates

A période de campagne similaire, la visibilité des élections européennes de 2024 est inférieure de près de 23 % à celles de 2019 en volume de sujets TV/ radios diffusés et d’articles publiés. Pire, en prenant en compte leur audience et leur durée, on constate une baisse de 30 % de la visibilité générale de la campagne.

Les élections européennes constituent un objet médiatique de second rang, qui se positionnent au bas de la hiérarchie des événements récents tels que vus par les Français à travers les médias généralistes, devant la COP28 et derrière le décès de la reine Elisabeth II, très loin derrière le football et la politique nationale, les vraies passions médiatiques françaises en haut du classement.

Médiatisation comparée d’une série d’événements

Les candidats tête de liste sélectionnés par leurs partis, pourtant souvent déjà eurodéputés, sont depuis la dernière élection européenne peu visibles des Français. Seuls Jordan Bardella et Marion Maréchal bénéficient d’une relative exposition médiatique tandis que Raphaël Glucksmann et François-Xavier Bellamy dispose d’une visibilité chroniquement faible.

L’omniprésence des soutiens, comme le président de la République, « deuxième personnalité la plus médiatisée de la campagne et première personnalité la plus mentionnée dans les contenus télévisés liés aux européennes », en particulier lors du second discours de la Sorbonne. À une échelle moindre, le phénomène se répète pour le Rassemblement national, La France insoumise ou Reconquête dont les dirigeants rivalisent avec leurs propres têtes de liste à la télévision.

Une campagne franco-centrée : débat strictement national et absence d’incarnation européenne

Non seulement la visibilité médiatique du Parlement européen et de ses membres est faible, mais il en va de même pour l’échelon européen de la campagne des élections européennes : personnalités politiques et actualités européennes sont très peu visibles dans la campagne, ce qui « ne favorise pas la confrontation des idées par un échange entre responsables politiques européens qui pourraient incarner les résultats du vote », « avec le risque d’une décorrélation entre les attentes des votants, le résultat des urnes dans l’Hexagone et la réalité du débat sur la scène communautaire ».

Les Spitzenkandidaten sont complètement absents de la campagne telle que vue par les Français dans les médias généralistes. La campagne prolonge l’effet d’invisibilisation de la politique européenne dans les médias généralistes français, notamment audiovisuels.

Une spécialisation partisane des médias dans le choix des thèmes traités

Les principaux sujets abordés dans les médias qui relatent la campagne dessinent quelques thèmes à enjeux qui semblent avoir su retenir l’attention des journalistes : pouvoir d’achat, immigration, guerre en Ukraine et climat.

La médiatisation des candidats n’obéit pas à une confrontation uniforme aux différents dossiers, les journalistes semblent pratiquer une priorisation thématique selon les familles politiques : à Jordan Bardella l’immigration avec un tiers de la couverture médiatique, à Marie Toussaint, les enjeux climatiques et environnementaux où elle totalise 55 % des mentions de candidats sur ce thème et écrase le reste de la visibilité liée au sujet par rapport aux autres têtes de liste.

Médiatisation des candidats selon les thématiques

Un choix éclairé est-il possible aux élections européennes ?

La campagne est centrée sur les personnalités nationales, voire les forces partisanes, bien plus que sur les équilibres politiques qui présideront effectivement aux destinées de l’Union au point que la campagne européenne n’existe pas en France.

Avec la couverture médiatique que nous avons, nous sommes donc en train de jouer la partie d’un scrutin parfaitement français, une forme de seconde élection législative dont le thème serait les questions européennes. D’où la place importante des têtes de l’exécutif et le rôle des figures d’appui pour soutenir des têtes de liste largement méconnues dans le paysage médiatique hexagonal.

Quelles seront les conséquences de l’absence médiatique d’un débat politique paneuropéen, partisan, polarisé et vivant sur les résultats du scrutin des élections européennes de juin prochain ?

L’Europe, une bonne marque ?

Organisée par l’Académie des controverses et de la communication sensible, la conférence « Communication européenne : comment se faire entendre ? » est l’occasion de s’interroger, avec Georges Lewi, auteur en 2006 de « l’Europe, une mauvaise marque ? » sur les dernières tendances autour de la marque Europe…

Thierry Libaert introduit la problématique de la communication européenne à partir de deux réflexions :

D’une part, malgré les évolutions du contexte pour les élections européennes de juin prochain, la prise de conscience géopolitique entre l’Ukraine et Trump ou l’échec du Brexit ou encore le succès relatif de la réponse à la crise du covid, l’engouement européen n’est pas au rendez-vous – le sentiment pour ou contre l’Europe n’a pas vraiment évolué.

D’autre part, l’Europe souffre d’un triple blocage :

  1. Il n’y a pas d’émetteur unique ; l’UE, c’est un ensemble d’institutions, chacune fait la promotion de ses propres activités – sans une direction de la communication centrale ;
  2. Il n’y a pas de récit européen ; l’UE s’est figée dans le récit « l’Europe c’est la paix » – sans renouvellement du narratif européen, malgré les dimensions sociales ou environnementales uniques à notre continent ;
  3. Il n’y a pas d’incarnation ; l’UE, on n’en parle que tous les 5 ans lors des élections – sans présence sur le terrain, dans les médias…

Comment construire une nouvelle marque Europe en effaçant le passé des conflits ?

Pour Georges Lewi, Robert Schuman, le père fondateur du projet d’Europe, peut être considéré comme l’auteur initial de la marque Europe, puisque l’acte de naissance d’une marque, c’est la création d’un récit ex nihilo, d’une promesse, à partir d’une réalité, qui vise à la dépasser.

Toute marque fonctionne sur la base de 3 temps : les temps héroïque, de la sagesse et du mythe :

  1. Pour la marque Europe, le temps héroïque commence avec le 25 mars 1957, la signature du traité de Rome ; la marque Europe arrive avec une promesse : faire la guerre à la guerre, une promesse presque surhumaine, hors de la logique de domination ; le récit embarque les premières réalisations comme la PAC en 1962 ou les premiers élargissements en 1973.
  2. L’Europe passe au temps de la sagesse, avec les premières élections européennes au suffrage universel en 1979, l’Europe rentre dans une logique démocratique, dont le symbole sera l’intégration de la Grèce en 1981 ; le récit porte sur la construction avec de nouveaux traités, dont Maastricht en 1992, et de nouvelles politiques européennes ; mais comme le dit Mitterrand : « quand l’Europe ouvre la bouche, c’est pour bailler ».
  3. La marque Europe aujourd’hui arrive au terme de la 3e phase, celle de la pérennité et du mythe. Certes, la dynamique s’est bien poursuivie avec la naissance de l’euro en 1999 ou les élargissements à 10 nouveaux États-membres d’Europe centrale et de l’Est. Mais, ces empilements font aussi l’objet de craquements comme l’échec du référendum sur le projet de Constitution européenne en France en 2005 ou bien entendu le Brexit en 2016. Normalement, à ce stade la marque à trouver son récit, se réaffirme avec puissance. Les Européens refusent des dirigeants charismatiques et emblématiques. On se retrouve aujourd’hui, sur une 3e phase qui n’a pas été celle qu’elle aurait dû être. Ce n’est pas dramatique, la phase de consolidation peut durer plus longtemps que prévu, mais ça manque d’enthousiasme.

Que peut faire la marque Europe aujourd’hui ? Revenir à ses fondamentaux d’origine : la promesse de la rencontre humaine

Que reste-t-il de la marque Europe ? Une facilité d’échanges et de mobilité, illustrée par l’emblématique programme Erasmus et par l’euro, l’Europe dans nos proches.

L’Europe, sa véritable promesse, c’est une formidable rencontre entre les Européens, dont les différences culturelles, historiques, linguistiques, etc. sont très importantes.

Il faut continuer de développer l’Europe dans ce sens, faire ce que l’on a fait pour les étudiants, avec tous les métiers – ce que font les grandes entreprises pour leurs cadres.

Les peuples sont assoiffés de curiosité, comme le montre le succès du tourisme, c’est un besoin humain de rencontre, et celui-ci peut permettre de retrouver le lyrisme de la marque Europe avec l’Europe des rencontres.

Il existe schématiquement 3 types de marque :

  1. les marque-produit/service que l’on achète, comme par exemple Mikado ;
  2. les marques-caution, comme par exemple LU ;
  3. les marques-ombrelle, comme par exemple Danone.

L’Europe ne peut pas être une marque-produit/service avant plusieurs générations, on n’est pas prêt à jeter son passeport national et vouloir vendre la citoyenneté européenne alors que les Européens n’ont pas envie, besoin ou désir, c’est une erreur. Pourquoi cette erreur de marketing, que font beaucoup de marque ? Parce qu’à vouloir parler à tout le monde, on finit par parler à personne, tant que le marketing visera à forcer la marque Europe pour ce qu’elle n’est pas, ça ne pourra pas marcher.

L’Europe, si elle visait à être une marque-caution, qui est une marque pas très bien identifiée, sur un territoire large et englobant, il faudrait une incarnation, donc une direction de la communication. Mais, on n’arrivera pas à cette forme d’incarnation pour une marque-caution, aucune ne parvient à être incarnée, c’est plutôt l’insight qui doit pouvoir remplacer l’incarnation, l’implicite très fort de la marque-caution.

Pour qu’une marque puisse exister, il faut au moins l’un des éléments qui vont la faire acheter : un besoin, une menace ou un grand amour. Et comme le disait Jacques Delors « on ne tombe pas amoureux du marché commun ». Pour la marque Europe, il y a un déficit de réflexion des institutions européennes pour poser quels leviers activer.

Toutes les marques reposent sur un schéma narratif, une sorte de cycle de vie des marques : la marque-héros fait quelque chose pour le public, va défendre contre un fléau, pour la marque-Europe, c’est contre la guerre.

Pour la marque-Europe en tant que héros, le message pourrait être : si tu t’occupes pas de l’Europe, tu risques de te retrouver tout seul ». Si une majorité d’Européens devient moins pro-européenne, c’est le risque du détricotage de l’Europe. Dans tout récit, c’est la rencontre humaine qui fait la différence. On n’a pas envie de faire chacun son propre Brexit, on a besoin d’un parapluie pour se protéger, une marque-ombrelle Europe peut y trouver sa légitimité, encapsuler dans le paradigme de la rencontre, pour que l’Europe soit une marque les Européens vont ressentir.

Comment les Français perçoivent la marque Europe ?

Sans transition avec l’intervention de Georges Lewi, une enquête qualitative « Élections européennes : le grand brouillard » commandée par le Mouvement Européen – France avec Destin commun auprès des citoyens français en vue du scrutin européen complète la perception de l’Europe, si l’UE était un produit de consommation :