Les politiques publiques européennes ne sont-elles plus que des « politiques de la parole » ?

L’UE aujourd’hui n’est-elle devenue « que de la comm’ » ? C’est l’inquiétante conclusion de l’enquête de Sophie Jacquot et Pierre Muller « Des élites parlent aux élites » qui analysent que « la dimension essentiellement discursive et le caractère élitaire des politiques communautaires tendent à se renforcer mutuellement dans une « politique de la parole » »…

1. De moins en moins de souveraineté et de plus en plus de discursivité

La spécificité démocratique des institutions européennes fait que « les politiques de l’UE « n’existent » véritablement qu’à la condition de trouver des relais de souveraineté au sein des Etats membres ».

Selon les auteurs, « la fonction de production des matrices cognitives et normatives est en quelque sorte disproportionnée par rapport aux ressources de souveraineté de l’Union européenne ».

Autrement dit, la dissociation entre discursivité et souveraineté tend à s’accroître au cours des dernières années, faisant prendre aux politiques européennes la forme de « politiques de la parole ».

2. De politiques communautaires par des élites à des politiques européennes pour les élites

Là encore, la différence entre les politiques publiques nationales et européennes fait que les politiques de l’UE « ne reposent pas véritablement sur des processus d’expression des intérêts et de construction des rapports de force équivalents ».

« La faiblesse des ressources de souveraineté des institutions européennes, couplée à un manque de leadership conduit les promoteurs des politiques européennes à recourir à des stratégies de conviction et de mise en forme discursives afin de tenter de compenser la faiblesse de leurs pouvoirs par la force de leurs arguments. »

Du coup, les auteurs observent une évolution :

  • La phase élitaire des politiques européennes conçues par des élites sûres de la justesse de leur vision du monde, autour de « la constitution de petites élites se comportant comme des avant-gardes à travers ce que l’on pourrait appeler un effet commando » ;
  • La forme élitiste dans laquelle « des politiques européennes tendent à être élaborées, à travers des processus bureaucratiques, pour des élites en phase avec le référentiel dominant ».

3. D’une politique régulatrice à une politique incitative non contraignante

Aujourd’hui, « les politiques publiques européennes se concentrent sur la mise en place de nouveaux instruments de soft law qui prennent le pas sur les autres instruments traditionnels juridiques, plus susceptibles de construire ou de réformer ».

Le rôle de la Commission européenne « n’est plus de faire, mais de faire faire », par des actions d’échange d’informations, d’expériences, de « bonnes pratiques », par la réalisation d’études, par la diffusion d’information.

« On n’est plus en présence de l’activisme d’une petite élite militante parvenant à faire reconnaître sa parole comme légitime et à la faire déboucher sur la mise en place d’instruments de souveraineté, mais on assiste plutôt au développement de politiques procédurales et bureaucratiques élitistes qui débouchent de moins en moins sur la définition de normes juridiques contraignantes. »

Au total, « la légitimité des politiques de l’UE repose de moins en moins sur des mécanismes par lesquels les citoyens de base tendent à reconnaître comme « vraie » et « juste » la vision du monde qu’elles tentent d’imposer.

Les politiques européennes ne sont plus produites par une élite fonctionnant comme une avant-garde, ou un commando, mais s’adressent de plus en plus à des élites : ce sont des élites qui parlent aux élites ».

 

Comment les institutions européennes investissent les nouveaux réseaux sociaux ?

Quoiqu’encore leader dans le monde, Facebook n’est pas, et de loin, le seul réseau social aujourd’hui. D’ailleurs, quel est le réseau social de prédilection de la Commission européenne ou du Parlement européen ?

La présence de la Commission européenne et du Parlement européen dans les réseaux sociaux

Grâce à une base de données dynamique consultable en ligne, il est possible de dénombrer à ce jour 367 comptes de la Commission européenne et de ses démembrements dans les réseaux sociaux pour « seulement » 121 pour le Parlement européen.

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Rapporté au 13 réseaux sociaux utilisés (Twitter, Facebook, Google+, Youtube, LinkedIn, Flickr, Pinterest, Instagram, Spotify, Storify, Foursquare, Vine, MySpace), ce correspond à une moyenne de 28 comptes par réseau social pour la Commission européenne et 9 pour le Parlement européen.

Le palmarès des réseaux sociaux de la Commission européenne et du Parlement européen

Premier, loin devant, tant pour la Commission que le Parlement, Twitter se distingue comme le média social de prédilection des institutions européennes ; une confirmation chiffrée d’une réalité perceptible dans les milieux européens à Bruxelles.

Second, Facebook demeure incontournable tout en étant de plus en plus concurrencé par de nouveaux arrivants.

Parmi tous les autres réseaux sociaux, c’est Instagram qui se distingue, car malgré son arrivée tardive dans le paysage, Instagram a su conquérir une place de choix, notamment dans la communication du Parlement européen et du Conseil de l’UE.

Enfin, à égalité, les deux institutions se sont largement déployées puisque seuls trois réseaux sociaux pour chacune ne sont pas utilisé : Spotify, Foursquare et Myspace du côté de la Commission européenne et Google+, Youtube et Flickr pour le Parlement européen – l’absence du Parlement européen sur Youtube est une surprise que seule la webTV du Parlement européen EuroparlTV peut justifier.

Au total, le paysage des principales institutions européennes dans les réseaux sociaux dévoile une abondance insoupçonnée qui confirme l’importance que représente le web social dans la communication européenne aujourd’hui.

Quand le « data storytelling » réinvente le journalisme européen

Les innovations dans les médias, liées aux évolutions technologiques se multiplient. Encore faut-il que les journalistes soient équipés en compétences digitales et inspirés. Une série de 8 « News Impact Summits » qui fera le tour de l’Europe en 2015 grâce au partenariat entre le Centre du Journalisme Européen et le News Lab de Google devrait y remédier. Le premier événement organisé à Bruxelles le 27 février dernier a porté sur les nouvelles approches de « data storytelling » pour couvrir l’Union européenne…

Quels sont les secrets pour transformer des données en « stories » ?

D’abord, c’est sans doute évident, mais il faut « tuer le format PDF » qui ne permet pas d’exploiter les données capturées dans les fichiers, sauf si des innovations encore imparfaites d’OCR permettent de les extraire sans erreur ou omission.

Ensuite, pour produire de l’info issue de vastes bases de données et faire de l’« international data driven investigation », les journalistes doivent s’appuyer sur des outils collaboratifs sécurisés, comme par exemple le consortium international pour les journalistes d’investigation @ICIJorg représentant aujourd’hui plus de 185 reporters, dans 65 pays et surtout #SwissLeaks et #LuxLeaks.

Enfin, pour intéresser le public, les journalistes doivent utiliser des outils de visualisation, que ce soit via le « media toolkit » de Google, Datawrapper, qui permet de créer des visualisations en quelques minutes ou tout autre outil en ligne.

Quels sont les outils disponibles sur l’UE pour faire du journalisme de data storytelling ?

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EurActory, créé et animé par Euractiv, propose aux journalistes (et aux parties-prenantes) un annuaire des experts les plus pertinents et compétents sur les politiques de l’UE, classés selon :

  • Les influenceurs, la catégorie la plus subjective, mais également la plus intéressante ;
  • Les analystes
  • Les « policy-makers »

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Thumbs of Europe vise à renforcer la transparence sur les positions des différentes partieos prenantes aux affaires européennes :

  • Les textes législatifs européens (en cours, adoptés et rejettés) sont présentés de manière synthétique, un travail de simplification très intéressant ;
  • Les élus et les lobbyistes sont également présentés sous l’angle de leurs votes pour les uns ou de leurs positions pour les autres.

Au total, le « data storytelling » offre la possibilité d’une nouvelle forme de journalisme à partir des données, entre le hack (l’investigation et le leak) et le code (la data-visualisation).

Quelles sont les promesses de l’UE, selon les Européens ?

Afin de comprendre comment les citoyens perçoivent l’UE et ce que l’idée européenne signifie pour eux, en particulier au lendemain de la crise économique et financière et en vue de définir une orientation stratégique pour l’avenir de l’UE, l’enquête qualitative Eurobaromètre « La promesse de l’UE »

Être européen : une réalité géographique partagée, une identité en devenir

Si pour les participants favorables à l’UE et neutres, être européen est bien plus qu’une question de géographie, un grand nombre des eurosceptiques en parlent quant à eux en termes purement géographiques.

Pour la plupart, l’attachement à leur nationalité est plus fort que leur sentiment d’appartenance à l’Europe. Cependant, les plus jeunes – qui sont plus susceptibles d’étudier et de voyager à l’étranger, et qui ont toujours connu l’UE et l’euro – sont ceux qui ont le plus de chances de se considérer comme des Européens dans le futur.

Caractéristiques associées à l’appartenance européenne les plus fréquemment citées :

  • La tolérance
  • La paix
  • La diversité
  • Une histoire partagée
  • La liberté de circulation et la suppression des frontières
  • La démocratie
  • Une monnaie unique
  • Des valeurs communes
  • Un niveau de vie plus élevé
  • Le respect des droits de l’homme

Depuis quelque temps l’Europe évoque plus les turbulences économiques que la paix.

Pour l’avenir de l’Europe, les Européens, envisagent un continent sur lequel les nations s’efforcent d’instaurer une communauté pacifique et de favoriser la coopération économique sans avoir à renoncer à une trop grande part de leur identité, de leur diversité ou de leurs intérêts nationaux.

Unité et intégration : les avantages de l’UE l’emportent sur les aspects négatifs, mais les avancées futures sont limitées

Aspects positifs de l’appartenance à l’UE :

  • Une stabilité économique accrue, la croissance et des retombées favorables
  • Le marché libre
  • La liberté de circulation
  • Une monnaie commune
  • Le fait de bénéficier de la protection de l’UE
  • Le fait de pouvoir être compétitif dans une économie mondialisée
  • Une intégration plus poussée et davantage d’échanges culturels, comme le programme Erasmus
  • Les financements européens

Aspects négatifs de l’appartenance à l’UE :

  • Des réglementations trop nombreuses, inefficace et s’ingérant dans des sujets qui devraient être réglementés au niveau national.
  • L’incapacité à limiter les importations des pays de l’UE qui produisent des biens de qualité médiocre.
  • La crainte, en particulier parmi les eurosceptiques, que l’ouverture des frontières ne se traduise par un afflux de citoyens venant d’autres pays de l’UE pour prendre les emplois, ou tirer profit de prestations sociales élevées sans jamais avoir l’intention d’apporter leur contribution à la société.

Domaines de coopération les plus fréquemment mentionnés :

  • Le traitement de la question des réfugiés et des immigrés internationaux
  • La coopération économique
  • Le renforcement de la surveillance bancaire et financière commune dans l’UE
  • Un marché du travail commun assorti de mécanismes de médiation européenne

Le concept d’une armée européenne suscite des réactions mitigées.

Pas d’enthousiaste à l’idée d’une fiscalité européenne.

Personne ne souhaite que l’UE poursuive son expansion à l’avenir.

La solidarité, notamment financière entre Etats, suscite des réactions variées.

L’UE et la démocratie : un souhait théorique de participer, réduit par la faible information

La plupart a voté aux élections européennes, mais estime aussi ne pas être suffisamment informés au sujet des élections, du Parlement européen ou des différents partis politiques.

Globalement, il aurait été judicieux de mettre davantage d’informations à la disposition des citoyens, sachant que ceux se sentant suffisamment informés sur les élections avaient trouvé par eux-mêmes des informations sur Internet.

Si la plupart n’a entendu parler ni des « dialogues avec les citoyens » ni de l’« initiative citoyenne européenne », ces deux concepts ont en général leur faveur.

Moyens suggérés pour l’UE de dialoguer avec les citoyens :

  • La création d’une plateforme pour donner son opinion sur différents sujets
  • L’organisation d’initiatives telles que des référendums
  • La participation à des enquêtes/votes en ligne

Le rôle des médias : des doutes quant à l’indépendance et l’objectivité des médias lorsqu’ils s’expriment sur l’UE, et un sentiment général que les médias ont tendance à dresser un tableau négatif de l’UE

Les citoyens obtiennent des informations sur l’UE auprès d’une grande variété de sources, les plus courantes étant les médias, Internet et les discussions avec des amis.

S’agissant de la question de savoir s’il existe une différence entre la manière dont les radiodiffuseurs de service public et les radiodiffuseurs commerciaux dépeignent l’Europe, les participants sont partagés.

Souhaits des Européens en matière d’information :

  • Davantage d’articles sur l’UE traitant de questions qui ont un impact sur leur vie quotidienne, comme l’éducation et le chômage
  • Des informations sur la manière dont l’UE est construite et sur ce qu’elle a réalisé
  • Des informations sur la manière dont les citoyens peuvent participer à l’UE
  • Davantage d’articles qui rendent compte de l’action de l’UE

Les informations doivent être accessibles et faciles à comprendre.

Au total, l’enquête sur les promesses de l’UE dresse un portrait de l’avenir de l’UE qui confirme que le souhait des Européens de vivre « une unité dans la diversité » est la chose la mieux partagée en Europe.

La Commission européenne a-t-elle encore raté son rendez-vous avec les citoyens ?

Déjà que l’initiative citoyenne européenne en imposant de réunir en un an un million de signatures n’était pas un cadeau, les conditions imposées par la Commission européenne l’ont quasiment tuée. Sans une réforme en profondeur après trois ans d’existence, attendue le 1er avril 2015, le rendez-vous de la Commission européenne avec les citoyens est en état de mort clinique…

Le bilan sombre de l’initiative citoyenne européenne : querelles des chiffres, misère des volumes

Dans un rapport publié par le Parlement européen « Implementation of the European Citizens’ Initiative: the experience of the first three years », le bilan de l’initiative citoyenne européenne « apparaît mitigé », selon l’understatement usuel dans les institutions européennes.

Du côté du verre à moitié plein, l’accent est mis sur les 51 initiatives citoyennes européennes proposées à la Commission européenne et sur les 3 seules initiatives citoyennes européennes a avoir franchit la barrière du million de signatures.

Du côté du verre à moitié vide, la réalité impose de reconnaître que seules 46 initiatives citoyennes européennes n’ont été ni retirées ni rejetées par la Commission. D’un point de vue procédural, seules 2 initiatives citoyennes européennes ont été soumises en fin de parcours à la Commission : « Right2Water » et « One of us ».

Au total, le « track record » est dérisoire.

Non seulement à cause des conditions de collecte des signatures très contraignantes, mais surtout parce que la Commission a jusqu’à présent rejeté près de 40% de toutes les initiatives citoyennes européennes proposées avant qu’elles n’avaient même une chance de stimuler le débat public.

D’ailleurs, à ce jour, 5 organisateurs d’initiatives citoyennes européennes ont contesté le refus de la Commission devant la Cour de justice européenne, ce qui correspond à 25% de tous les rejets.

Ce qui à l’origine devait être un outil simple et convivial pour tous les citoyens s’est avéré être lourd et difficile à utiliser.

En refusant autant d’initiatives citoyennes européennes pour des raisons juridiques – un record pour une telle procédure à l’échelle du continent – la Commission européenne donne l’impression de vouloir limiter la liberté d’expression.

La réforme de la survie pour l’initiative citoyenne européenne

Lors d’un débat sur la future réforme de l’initiative citoyenne européenne jeudi 26 février 2015 au Parlement européen, des intentions et des pistes de réformes ont été esquissées.

Du côté des intentions, le premier Vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans s’est déclaré personnellement investi pour trouver des solutions techniques et politiques.

I have a personal commitment to find innovative ways to overcome practical and political concerns people have on the #ECI. #EPHearingonECI

— Frans Timmermans (@TimmermansEU) February 26, 2015

Sur un plan technique, les propos, cités sur EU Observer, de Franciso Polo de change.org, la plateforme de pétitions en ligne la plus importante au monde, devraient baliser ce qu’il faut faire : « les gens signent lorsque c’est simple à faire, qu’ils le considèrent utile et qu’ils y voient des résultats ».

La question politique – au-delà de réduire l’âge légal à 16 ans, de monter la durée de collecte à 18 ou 24 mois, d’aider les organisateurs ou de renforcer la transparence, autant d’actions éminemment nécessaires – demeure fondamentale.

Les initiatives citoyennes européennes représentent-elles une nouvelle voie permettant aux citoyens – à l’égal des autres institutions européennes – de demander une nouvelle proposition de législation à la Commission, une sorte de révolution copernicienne que la Commission ne semble pas mesurer, voire souhaiter ; ou bien les initiatives citoyennes européennes ne sont-elles qu’un outil d’agenda setting permettant de soulever des questions de préoccupations pour les citoyens ?

Au total, du choix que feront les institutions de l’UE, entre une initiative citoyenne européenne entre une procédure inédite d’introduire de nouvelles législation ou un énième outil de démocratie délibérative sans suite, dépendra l’avenir d’un rendez-vous avec les citoyens pour l’instant raté.