Archives mensuelles : juin 2019

Quelles sont les stratégies de communication en ligne des eurodéputés ?

Après les élections européennes, essayons de comprendre comment la communication en ligne est utilisée par les députés européens, avec Darren G. Lilleker et Karolina Koc-Michalska dans « Online political communication strategies: MEPs e-representation and self-representation »…

Quel équilibre entre les stratégies web de communication des eurodéputés ?

Trois modèles de communication se distinguent parmi les pratiques de communication des députés européens dans le web et les réseaux sociaux :

Premièrement, une communication traditionnelle axée sur la représentation, mettant en valeur le travail et les réalisations au sein du Parlement européen afin de démontrer son service actif et en quoi ce service profite à celles et ceux qu’il ou elle représentent.

Cette prédominance – facilitée par les plateformes sociales permettant de développer des liens entre l’élu et ses électeurs – suggère néanmoins peu d’innovation dans la communication des législateurs européens.

Deuxièmement, une stratégie de communication autour de la gestion de la réputation, de l’image personnelle, des caractéristiques individuelles du législateur, afin de valoriser la personnalité et le charisme de l’individu, comme éléments déterminants dans le choix des électeurs et des électrices.

Troisièmement, une stratégie de communication participative qui permet aux mandants de contacter l’élu, d’examiner des questions politiques et de contribuer à la réflexion du législateur ou de la législatrice.

Les députés européens qui permettent un certain degré de commentaires, sollicitent des réactions et sont proactifs en encourageant la participation sont les plus susceptibles de pouvoir améliorer la perception de leur efficacité politique.

Quels facteurs influencent les eurodéputés dans leurs stratégies de communication en ligne ?

La cartographie de la communication en ligne des députés européens se révèlent statistiquement significative :

Rien n’indique que les députés représentant des petits partis utilisent Internet pour attirer davantage l’attention des citoyens ou des médias que leurs homologues représentant des grands partis.

Une relation positive existe pour les députés élus selon des systèmes de vote plus personnalisés, contrairement au vote par liste. Le fait que le système de vote semble important pour la performance globale en ligne indique que les députés européens élus en tant qu’individus, et non à partir d’une liste de parti, voient dans une présence en ligne plus innovante un avantage pour l’électorat ou, à tout le moins, ne nuisent pas à leurs chances de réélection, mettant en évidence un choix rationnel dans leur stratégie.

L’âge et la durée du mandat sont des prédicteurs clés de l’innovation en ligne : les plus jeunes députés européens et ceux qui siègent au Parlement européen pour leur premier mandat sont plus susceptibles de poursuivre une stratégie de communication participative.

Les partis de gauche semblent plus susceptibles de suivre la fourniture d’informations, tandis que, globalement, les partis de droite sont les plus susceptibles de suivre la stratégie de gestion de la réputation. Les députés européens des partis mineurs surclassent toutes les stratégies.

La différence de génération n’est pas statistiquement significative pour la 1e stratégie d’information, contrairement à la stratégie de communication participative, où l’âge du député européen est un indicateur fort, les plus jeunes étant les plus susceptibles d’être interactifs. En termes de gestion de l’image, il existe également un net fossé générationnel, les plus jeunes étant les plus susceptibles d’avoir recours à cette stratégie.

Au total, la stratégie de communication participative est en train de constituer un capital politique, puisqu’elle s’avère payante en permettant à l’eurodéputé(e) de trouver un public qui discutera politique, échangera des idées et amplifiera ses campagnes.

#EP09vs19 : bilan d’une décennie de communication pour les élections européennes

La « blog chain » #EP09vs19 lancée par quelques eurobloggeurs vétérants, comme Laurence Modrego, Macarena Rodriguez, Ronny Patz ou Mathew Lowry autour des transformations au cours de la décennie écoulée, est une excellente occasion de faire le bilan des stratégies de communication lors des 3 dernières élections européennes…

2009 : une communication très marketing : plus tactique autour du « buzz game » que stratégique

Lors des élections européennes de 2009, la campagne de communication du Parlement européen tente de faire l’impossible synthèse entre des priorités contradictoires avec des modalités plus parallèles que complémentaires.

Conscient que l’ère des campagnes traditionnelles d’information institutionnelle sur le Parlement européen et d’incitation civique au vote touche à sa fin, l’approche de la campagne « A vous de choisir » s’est davantage orientée vers la promotion des élections européennes visant à attirer l’attention des médias et des citoyens avec des « coups » comme le buzz autour de vidéos virales ou les ’“Eurostudios”, des cahiers de doléance « high tech » itinérants…

Du coup, en 2009, plutôt que de tenter d’intéresser les citoyens aux offres électorales, aux programmes et aux candidats, la campagne de communication du Parlement européen a semblé littéralement divertir les citoyens – en particulier avec les innovations technologiques, la nouveauté des médias sociaux et des vidéos en ligne – sans parvenir à combler le déficit d’animation partisane voire d’opposition idéologique de la campagne électorale, résultant sur une hausse de l’abstention.

2014 : une communication plus politique : le « head game » des Sptizenkandidaten

Tirant les leçons, la campagne de communication du Parlement européen « Cette fois-ci, c’est différent » en 2014 se saisit d’une matière très politique pour sensibiliser les électeurs à l’importance du scrutin. La stratégie autour des Spitzenkandidaten institutionnellement risquée sera politiquement gagnante pour l’institution parlementaire européenne mais pas pour lutter contre l’abstention qui progresse encore.

Pourquoi ces résultats contrastés ? Parce que la tentative du Parlement européen, portée par les partis politiques européens, à l’échelle européenne, de proposer un embryon de campagne électorale paneuropéenne et européo-centrée n’a pas réussi à mobiliser en masse le corps électoral, n’est pas parvenu à s’imposer dans les grands médias, notamment audiovisuels nationaux, ne s’est pas imposé dans les conversations nationales lors de la campagne électorale.

Du coup, en 2014, le succès d’estime pour le Parlement européen avec les Sptizenkandidaten – salué à sa juste mesure dans l’Eurobubble – n’a pas eu d’impact suffisant sur la mobilisation électorale des citoyens. Les médias sociaux auront été à la fois le terrain de la campagne des Spitzenkanditaten pour les publics hyper-connectés à l’Europe et le champ de bataille politique aux effets limités de renforcement des prédispositions partisanes et d’activation de la participation électorale jusqu’au moment de « surchauffe symbolique » le jour du scrutin.

2019 : une communication assez équilibrée entre le « air game » et le « ground game »

Cette année, entre la narration privilégiée par les médias traditionnels d’une pression populiste extrême et l’omniprésence des médias sociaux pourtant frappé par un relatif désenchantement démocratique, la campagne de communication du Parlement européen remet une nouvelle fois l’ouvrage sur le métier pour recentrer l’approche sur les fondamentaux de l’exercice.

Plutôt qu’une communication qui « spin » pour vendre les Spitzenkandidaten aux journalistes ou qui divertit les citoyens avec du « buzz », la campagne de communication se met au service et en position de ressource pour répondre aux attentes de ses publics :

  • D’une part, pour le « air game », des éléments d’information sur les réalisations du Parlement européen, ses principaux votes, les avancées afin de nourrir la couverture médiatique, sans influencer sur les angles et les sujets ;
  • D’autre part, pour le « ground game », des contenus pédagogiques, synthétiques, utiles pour savoir « ce que l’UE fait pour vous » autour d’une plateforme web et d’une mobilisation de helpers désireux de partager à leurs proches leurs raisons de participer : « Cette fois, je vote », sans influencer sur leurs propos et leurs dynamiques personnelles.

Du coup, en 2019, les élections européennes auront été davantage présentes dans les articles des médias traditionnels et dans les conversations naturelles en ligne, même si l’investissement publicitaire s’est poursuivi au travers d’une vidéo officielle « Choose your Future » (34 millions de vues).

Au final, chaque scrutin est l’occasion, sous l’angle de la communication, de tirer les enseignements du précédent pour tenter d’améliorer l’approche des élections européennes : un exercice de plus en plus difficile compte-tenu des évolutions technologiques et de la diversification des publics.

Quels sont les effets des médias pour la confiance dans l’Union européenne ?

Est-ce que l’information des médias, en particulier la visibilité et la tonalité, joue un rôle dans la confiance des citoyens dans l’Union européenne, selon Anna Brosius, Erika J van Elsas et Claes H de Vreese dans“Trust in the European Union: Effects of the information environment” ?

Pourquoi les citoyens font confiance ou ne font pas confiance à l’UE ?

Du côté des arguments traditionnels, avec d’une part, la « logique d’identité », qui conceptualise la confiance comme une conséquence de l’attachement émotionnel à l’UE et d’autre part, la « logique de rationalité », qui suppose que la confiance des citoyens repose sur des éléments rationnels, des considérations utilitaires relatifs à la performance perçue de l’UE.

L’argument de recherche porte plutôt sur la « logique d’extrapolation », qui envisage que les citoyens fondent leur confiance sur l’UE en fonction de substituts comme par exemple la confiance dans des institutions nationales plus familières.

Comment l’information des médias influe sur la confiance politique dans l’UE ?

Les preuves sur les effets du contenu des médias sur la confiance politique dans l’UE ne sont guère concluantes.

Quelques observations tirées d’une analyse dans une dizaine d’États-membres sur une dizaine d’années tendent à confirmer certaines intuitions : La confiance dans l’UE est plus forte lorsque l’UE est plus visible dans les médias et lorsque la couverture est plus positive. Une couverture négative de l’UE atténue la relation entre confiance dans le gouvernement national et confiance dans l’UE, tandis qu’une couverture positive de l’UE et une visibilité accrue de l’UE amplifient cette relation.

Cependant, la vision trop souvent dominante que les citoyens utilisent les médias pour acquérir des connaissances grâce aux informations – la couverture médiatique aidant les citoyens à porter des jugements plus éclairés sur les institutions européennes – n’est pas toujours vérifiée.

Bien au contraire, tout le monde n’apprend pas des médias en toutes circonstances. Certains citoyens, ceux souffrant d’un manque de connaissances et d’opinions sur l’UE, renforcent leur extrapolation et utilisent le climat médiatique négatif pour redoubler leur défiance.

Même, l’information positive et la visibilité de l’UE exercent une fonction polarisante, qui créé un fossé plus grand entre ceux qui font confiance et ceux qui ne font confiance à aucune institution. Nombreux sont les citoyens qui se méfient des deux institutions – l’UE et les médias – et les médias ne modifient pas leurs opinions.

Principal enseignement pour l’UE et sa communication auprès des journalistes : compte tenu du « déficit de communication » de l’UE et du fait que l’UE ne devient généralement visible dans les médias que pendant les crises, la visibilité de l’UE dans les médias risque de renforcer le jugement de citoyens méfiants dont l’opinion peut difficilement être influencée par le contenu des médias.

Élections européennes : comment expliquer la divine surprise de la participation ?

Dans l’ensemble, le taux de participation a augmenté de 8 points dans l’UE, le plus élevé depuis 1994, soit davantage que la plupart des élections législatives nationales et alors qu’un seul pays organisait un scrutin national en même temps. Cette victoire contre l’abstention qu’aucun sondage n’avait vu venir nécessite d’y trouver des éléments d’explication. Quelles les mauvaises et les bonnes raisons de la hausse significative de la participation électorale ?

Les mauvaises raisons qu’on aimerait pourtant vraies

La première raison à laquelle on aimerait forcément croire serait de penser que l’intérêt intrinsèque pour l’Europe – que les Eurobaromètres ont plutôt bien mesurés avec une hausse récente mais marquée de la confiance dans l’UE – justifierait en soi la hausse de la participation. Néanmoins, il est à craindre que ni les campagnes des partis nationaux, ni les programmes spécifiquement, ni les Spitzenkandidaten des partis européens ne sont parvenus à vraiment faire la différence auprès des électeurs européens.

La seconde raison à laquelle les institutions européennes aimeraient nous faire croire, considère du point de vue de la Commission européenne que le travail de personnalisation et de politisation renforcées aurait porté la vague tandis que du point de vue du Parlement européen il s’agirait de la campagne reposant sur une communication émotionnelle avec une vidéo forte et une démarche de mobilisation de pas moins de 25 000 volontaires « helpers ». Tous ces efforts ont évidemment contribué aux résultats des élections européennes sans néanmoins permettre d’affirmer qu’eux seuls en sont la cause sûre et certaine.

Les bonnes raisons qu’on trouverait plus justes

Une continentalisation des « agendas » 

Au cours des dernières années, les sujets qui ont été à l’agenda médiatique et dans les esprits ont davantage porté sur des enjeux européens (quel que soient les jugements personnels) qu’il s’agisse de l’effet des crises : euro, Trump, Brexit et migrants – fort bien analysé par Luuk van Middelaar dans « Quand l’Europe improvise » – ou encore de la prééminence d’enjeux paneuropéens de plus en plus sensibles dans le quotidien des Européens : environnement, immigration-terrorisme, sécurité, numérique, commerce international… sans même parler du sujet de la place de l’Europe dans le monde qui redimmensionne d’emblée l’importance quasi géopolitique du scrutin par rapport aux enjeux globaux et planétaires.

Autrement dit, le poids des événements, la pression des crises et la place de l’Europe dans le monde ont contribué à former la première véritable émergence d’une sphère publique européenne grand public autour de thèmes communs où les élections européennes ont généré une forte augmentation de l’intérêt, de l’engagement et donc de la participation des citoyens.

Une polarisation du scrutin

Les électeurs se sont portés sur les listes qui se positionnaient clairement sur des enjeux européens : pour ou contre certaines orientations politiques en Europe et non plus de manière caricaturale pour ou contre l’UE. Au sein des forces qui progressent, comme les Verts ou les Libéraux, la nuance ou la mesure dans leur posture en matière européenne est moindre que dans les familles politiques traditionnelles qui rassemblaient au moins 50 nuances de soutien différent à la construction européenne.

Du coup, les résultats du scrutin se traduisent d’abord par une représentativité renforcée plus pluraliste et moderne dans la composition du Parlement européen au sens où les groupes politiques seront plus réduits et au moins aussi nombreux, et donc ensuite, sans doute, par une imprévisibilité accrue des votes, qui se feront encore plus qu’hier sur la base de majorité d’idées et de coalitions ad hoc. Bref, une promesse d’incarnation des choix beaucoup plus fertiles avec davantage d’acteurs et d’histoires à raconter.

Les résultats du scrutin de 2019 traduisent un renforcement du rôle de Parlement afin de dessiner des majorités (en l’occurrence à plus des deux tiers pro-européennes) face à des oppositions plus visibles et mieux incarnées tandis que le rôle traditionnel dévolu au Parlement européen correspondait à une institution « en dialogue » avec le Conseil et la Commission dans le triangle institutionnel de l’UE.

Une européanisation de la politique

La hausse de la participation traduit un mouvement dans les opinions publiques européennes d’européanisation de la politique que l’UE soit perçue comme la solution à des problèmes difficiles à résoudre à l’échelle nationale : protection des libertés, modèle économique pour un avenir plus vert, équitable et inclusif ; intérêts et valeurs de l’Europe dans le monde… ou l’inverse est tout aussi exact d’ailleurs.

Le regain des électeurs européens ne doit pas pour autant être sur-interprété. Il serait inexact d’en déduire que les citoyens ont délivré un blanc-seing au « business as usual » de la vie politique parlementaire européenne. Au contraire, l’exigence de participation, d’accountability devraient être renforcée au cours de la prochaine mandature. Les Européens semblent ouvert à l’idée de confier plus de compétences à l’UE : protection de l’environnement et lutte contre le changement climatique, politique étrangère et défense… L’Union doit s’en saisir pour relancer le projet européen et faire face à de nouveaux défis tant internes qu’externes sous le regard d’électeurs qui seront également au moins aussi soucieux du bilan législatif acquis.

Au total, les lauriers du succès de la hausse de la participation électorale ne sauraient être tressés à la gloire des formes anciennes de la parlementarisation progressive de l’Union européenne, mais bien davantage comme une pierre blanche vers une européanisation de la politique.