Le théâtre de l’Europe ou « quand l’Europe improvise », selon Luuk Van Middelaar

Après le Passage à l’Europe, Luuk Van Middelaar revient avec une nouvelle clé de lecture de l’actualité de la décennie européenne à partir de « la politique de l’événement », les décisions ne reposent plus toujours sur les traités et les règles mais sur des réponses communes aux besoins du moment qui engagent la responsabilité des chefs et captivent le public…

Mise en scène : lever de rideau sur la « nouvelle » Europe qui improvise

Le déroulé de l’histoire tient sommairement : l’Après-guerre impose la promesse de Communauté européenne avec ses tabous des intérêts, des différences et des frontières en une sorte d’« impuissance organisée » avec le marché commun pour les États grâce aux transferts de compétences et au consensus des règles ; tandis que l’Après-mur impose une nouvelle Union européenne avec ses devoirs de défendre les intérêts communs, de conjuguer les capacités d’action des membres et de définir sa place dans l’espace et le temps, bref, une sorte de « puissance en commun » où assumer des responsabilités politiques quand les règles n’ont pas le dernier mot.

Problème, « l’ancienne façon de penser empêche l’Europe de se penser soi-même », la chenille ne veut pas voir le papillon qui a pris son envol. « La croyance inflexible pour construire la « véritable » Europe contre les États-membres, plutôt qu’avec eux, nourrit précisément le scepticisme du public ».

Metteurs en scène de la « nouvelle » Europe : le Conseil européen

Pour Luuk Van Middelaar, la décennie de crises (euro, Ukraine, migrants et Brexit-Trump) tient lieu de lever de rideau sur la « nouvelle » Europe de la politique de l’événement qui improvise, grâce au Conseil européen, le cénacle des chefs d’État et de gouvernement dont il fut la plume du premier président Herman Van Rompuy.

A travers ses différentes figures de chef, le Conseil européen apparait :

  • Quand le danger menace, comme dompteur face à la tempête, notamment des marchés ;
  • Pour trancher, comme décideur, quoiqu’il ne soit pas forcément le plus compétent ;
  • Quand il faut une boussole, comme stratège pour impulser les grandes lignes ;
  • Pour changer les bases, comme concepteur, voire pouvoir constituant de l’UE ;
  • Quand l’Europe doit parler, comme porte-parole.

Au fils de ses figures de style, le Conseil européen concentre l’autorité qui vient du public grâce à la qualité dramatique sans équivalent du huis-clos, à l’importance des doorsteps, ces prises de parole qui démocratisent les enjeux, à la photo de famille, à la dramaturgie du sommet, aux conclusions politiquement contraignantes dont la volonté fait loi et enfin aux médias qui mettent la pression et incitent à plus d’unité et de détermination.

Entre scène et coulisses : la Commission européenne

Avec Luuk Van Middelaar, la Commission en prend pour son grade. Considérée comme un exécutif européen un peu trop galvaudé, la Commission est reconnue comme un procureur implacable du marché et une autorité politique fragile tant en raison de l’équilibrisme entre les nominations administratives des Commissaires dans les capitales et l’élection du président sur proposition du Conseil européen que de l’illusoire droit exclusif d’initiative puisque plus de 90% des propositions sont à la demande des autres – Parlement et Conseil.

Il est tiré argument, non sans conviction, du duo de l’exécutif en France entre le président de la République et le Premier ministre pour comprendre la répartition entre le Conseil européen pour agir et la Commission européenne pour règlementer. Les illusions de la troïka ou des quotas de migrants illustrent l’hubris et la suffisance bureaucratique de la machine administrative.

Pour Luuk Van Middelaar, point de doute, « lorsque la raison des intérêts, la conscience d’une souveraineté européenne adviendront, alors le moment machiavelien que l’UE traverse depuis une décennie sera terminé ».

Entrée en scène de l’opposition : la découverte de l’Europe par les publics

« Tant qu’il ne sera pas possible d’organiser une opposition au sein de l’UE, celle-là se mobilisera contre celle-ci », selon Luuk Van Middelaar qui distingue entre opposition classique aux policies et opposition de principe au polity, à la chose politique européenne en tant que telle. Autrement dit, « trouver une place à l’opposition classique est une question existentielle pour l’UE ».

Du coup, les publics doivent être capable de lire le jeu politique européen, de connaître les responsabilités des acteurs… alors que l’un des éléments de réussite repose sur une fabrique à l’écart de l’attention, avec une dépolitisation technique, constitutionnelle et procédurale de l’UE.

Pour Luuk Van Middelaar, « si l’UE veut gagner et conserver le soutien du public, il faut se libérer des dogmes » et trouver des « dissensus qui unissent », comme par exemple quelques idées très iconoclastes contre les zélateurs ou les hérétiques du dogme Europe :

  • La remise en question de l’intérieur contre l’interprétation souveraine de leur mandat aux institutions indépendantes : Commission, Banque centrale et Cour de justice…
  • La remise en cause des règles non constitutionnelles inscrites dans le traité de l’UE afin de créer un espace pour une contradiction légitime ;
  • Le passage de la gouvernance (des procédures et des règles) au gouvernement (le principe de responsabilité).

Plusieurs formes d’opposition se dessinent sous la plume de Luuk Van Middelaar :

  • L’opposition sénatoriale où une minorité des États-membres se coalisent au Conseil de l’UE ;
  • L’opposition strasbourgeoise où le Parlement européens se drapent dans une opposition fédérale ou civique contre les gouvernements nationaux réunis
  • L’opposition nationale classique contre un gouvernement national
  • L’opposition unie où plusieurs oppositions nationales s’unissent, comme fut la pâle vague rose à l’orée des années 2000 ;
  • L’opposition polémique où des dirigeants importent le combat à Bruxelles, comme Tsipras avec la crise de l’euro ou Orban et la crise des migrants.

Quelques obstacles demeurent à contourner :

  • Le Parlement européen ne contrôle qu’une partie de l’exécutif européen… en dehors des grands sujets comme les frontières ou la monnaie ;
  • Le Conseil européen prend les grandes décisions communes… mais les chefs en rendent compte individuellement ;
  • Les médias européens peinent à rendre lisibles les enjeux de la sphère politique européenne.

Avec talent, Luuk Van Middelaar illustre qu’une communauté politique est une communauté de récits, qui donne toute sa place à tous les acteurs sur scène, dans les tribunes et les coulisses.

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