Dans le cadre de la Consultation européenne des Citoyens en 2009, visant à mobiliser des internautes via des forums et des outils de vote, afin de formuler des recommandations politiques à destination des décideurs européens ; Romain Badouard décrypte les usages stratégiques des liens hypertextes au sein des pratiques de mobilisation…
La Consultation européenne des citoyens : une incarnation immatérielle d’une « expérimentation démocratique » détournée par la co-construction d’actions militantes
Par la mise en ligne de dispositifs participatifs au sein d’une plateforme en ligne déclinée en 28 sites nationaux, la Commission entend sensibiliser les internautes aux enjeux européens, favoriser un sentiment d’appartenance à l’UE et donner corps à une opinion publique européenne.
La procédure consultative en ligne visant à produire des recommandations plébiscitées par un nombre important d’internautes promeut une approche délibérative de la participation à l’échelle des Etats membres, et agrégative à l’échelle européenne.
En fait, la mobilisation de groupes militants pour faire voter des propositions spécifiques a véritablement détourné le projet destiné aux citoyens « ordinaires ». Au total, la stratégie de mobilisation de citoyens « ordinaires » portée par les responsables du projet a été débordée par celle des publics thématiques, plus militants.
L’impact de la mobilisation de publics thématiques sur le déroulement de la consultation est important car :
- la plupart des visites ont pour origine d’autres sites (et non pas des moteurs de recherche) ;
- ces sites invitent les internautes à réaliser différents types d’actions ;
- l’activité proposée par les sites thématiques (le vote), a été largement plébiscitée sur le site de la consultation, en comparaison des activités de débat valorisées par les autres sites européistes, citoyennistes ou généralistes ;
- les propositions bénéficiant de relais sur des sites thématiques ont accaparé la grande majorité des votes, les qualifiant de fait pour la seconde phase de la consultation.
L’européanisation des actions collectives : une déconnexion entre activisme et zones géographiques
L’action collective à l’échelle européenne présente des spécificités et une grande diversité de dynamiques :
- une coordination européenne d’acteurs qui protestent dans un cadre national ;
- une coalition transnationale qui prend directement pour cible l’Union ;
- des protestations intérieures contre des mesures communautaires.
Autrement dit, le caractère européen de l’action réside soit dans l’échelle de la mobilisation, soit dans la nature de l’institution dont on attend quelque chose ou contre laquelle on proteste.
L’originalité des dynamiques en ligne réside dans la déconnection entre les publics, les actions et les cadres géographiques :
- des mobilisations de publics nationaux pour mener des actions transnationales ;
- des mobilisations de publics internationaux pour mener des actions nationales ;
- la coordination d’acteurs nationaux pour mener une action transnationale.
L’articulation entre l’activité individuelle et le projet collectif rend possible une « coordination non coordonnée » d’individus quelque soit leur emplacement, qui de ce fait favorise l’européanisation des actions collectives.
Comment qualifier une « mobilisation de clavier » ?
C’est une agrégation d’actions individuelles dans le cadre d’une activité où l’hypertexte agit comme :
- « grappin » permettant de « drainer » des internautes vers une scène publique lors de la mobilisation d’un collectif ;
- « agrégateur » qui intègre des activités individuelles à un projet collectif lors de la conduite de l’action : cliquer le lien implique une interprétation par l’internaute et traduit ainsi une forme d’engagement ;
- « canal de communication » entre différents territoires thématiques lors de la constitution d’un espace public autour d’une scène.
Le lien hypertexte va de ce fait structurer un espace public de la consultation, en articulant à la plateforme participative différents territoires thématiques et dessiner ainsi un espace public opportuniste (il se construit à partir de l’opportunité offerte par la scène publique), temporaire (il ne dure que le temps de la consultation), hétérogène (il est constitué d’une multitude de territoires thématiques), et dont la forme est réticulaire (il est composé de réseaux de sites), indéterminable (il se constitue par abordages successifs et ne peut donc pas être planifié) et évolutive (il se transforme à chaque nouvel abordage).
En conclusion, l’usage stratégique du lien hypertexte constitue une ressource structurante à la fois lors de la mobilisation d’un collectif, la conduite de l’action et la structuration d’un espace public autour d’une scène.