Archives mensuelles : janvier 2016

De l’importance du « design » dans les projets de participation en ligne de l’UE

La fabrique de la participation des publics en ligne est largement conditionnée par le « design », selon Romain Badouard qui analyse plusieurs plateformes européennes dans « La mise en technologie des projets politiques : Une approche « orientée design » de la participation en ligne »…

Pourquoi le design compte dans la fabrique numérique de la participation politique ?

Dans l’univers « physique », la loi prime, alors que sur internet, c’est l’architecture qui domine : « code is law ». Les principes d’affichage et de fonctionnement d’un site font que « les web designers qui créent des sites participatifs construisent des modèles de participation » qui :

  • « font agir », c’est-à-dire cadrent, orientent, configurent les actions que les internautes réalisent ;
  • « font interagir », c’est-à-dire  rendent possible et contraignent certaines formes de communication ;
  • « font advenir » des pratiques participatives, en suscitant certaines formes d’engagement que les internautes choisissent (ou refusent) d’adopter (ou de bricoler).

Comment les ressources entrent en jeu dans la construction d’un modèle de participation en ligne ?

Les arborescences des sites balisent des parcours de navigation, qui peuvent s’apparenter à des procédures comme par exemple les étapes : information, débat et vote.

Les applications permettent d’agir sur les contenus : production, modification,  personnalisation, filtrage ou évaluation, et d’interagir entre internautes : fil de discussion chronologique ou organisation ante-chronologique.

La publicisation des données relatives à l’identité et aux activités des internautes dessinent une identité à la fois déclarative, agissante et calculée qui constitue également des formes de cadrage et d’incitation à l’action et à l’échange.

Les modèles de participation incorporés dans les consultations en ligne de la Commission européenne

Les plateformes consultatives de la Commission européenne constituent un bon exemple de la manière dont le design de dispositifs participatifs peut conduire à une mise en pratique de modèles de participation différents.

Ces plateformes sont à la fois mobilisées en tant qu’instruments de gouvernance dans le cadre de « nouveaux » processus de prise de décision, et comme outils de communication mettant en scène une participation citoyenne pour endiguer le « déficit démocratique ».

Votre point de vue sur l’Europe : une participation instrumentale

Votre Point de vue sur l’Europe, la plateforme qui héberge les consultations permanentes de la Commission européenne depuis 2001 vise à la fois à ouvrir et à réglementer les procédures consultatives.

La plateforme met en œuvre une participation « instrumentale », le modèle véhiculé est celui de l’expertise (profane ou organisée) : il s’agit de mobiliser des connaissances dispersées au sein de la « société civile » européenne comme autant de ressources pour la décision. Ce modèle est porté par des applications qui ne permettent qu’une participation individuelle à la consultation, qui valorisent la compétence et la responsabilité des internautes (via un passage « obligé » par une phase d’information et le recours aux identités civiles des participants) et la non-contrainte de leurs réponses (quand ceux-ci les envoient directement par mail).

La Consultation européenne des citoyens : une participation transformative

La Consultation européenne des citoyens vise à formuler des propositions de politiques publiques en vue des élections européennes de juin 2009 via une approche délibérative, où les positions sont discutées afin de produire des accords entre participants.

La plateforme met en œuvre une participation « transformative » pour sensibiliser les participants à leur citoyenneté européenne par des activités de débat et de vote. Elle valorise un citoyen actif et polyvalent (via la multitude des applications permettant de produire et d’agir sur les contenus). Pour autant, il n’est pas attendu de lui une quelconque expertise : il s’agit davantage de mettre en avant la dimension socialisante de la participation citoyenne (notamment par la place centrale des profils), et par un système de vote de faire émerger des préoccupations.

Dans ce cas précis, l’activité de participation compte davantage que ses résultats : on montre un espace public européen en train de se construire. Dans le cas précédent à l’inverse, les résultats de la participation comptaient davantage que l’activité : il s’agissait d’obtenir des informations pertinentes dans le cadre de la construction de directives.

Au total, le modèle de participation inscrit dans le design compte mais aussi les interprétations de l’internaute, qui peut adopter le projet ou manipuler les applications pour réaliser d’autres actions.

Les évolutions de la communication de l’UE tiennent-elles leurs promesses ?

Pour le grand public, c’est entendu, malgré les récentes évolutions de la communication de l’Union européenne, celle-ci n’est toujours pas audible. Nonobstant le temps – impératif – et les moyens – indispensables – pour que ces progrès portent leurs fruits, il est possible d’ores et déjà d’évaluer les premiers effets de cette nouvelle approche de la communication de l’UE…

1. Une coopération à la carte

La principale innovation sur laquelle la communication de l’UE s’est largement développée ces 10 dernières années fut le partenariat, introduit dans la déclaration politique du 22 octobre 2008 « Communiquer l’Europe en partenariat ». Avec les partenariats, ce sont de véritables campagnes de communication pilotées à la fois par les institutions européennes et les Etats-membres qui ont pu voir le jour. Mais, cette approche exigeante pour chacun des partenaires, a vécu.

Dorénavant, la coopération en matière de communication au sein de l’UE est beaucoup moins formalisée, donc moins interinstitutionnelle au profit de coopérations infra-étatiques à la carte, menées dans une logique plus opportunistique de « one shot » ou d’échange de visibilité entre organisations peu médiatisées. La promesse d’une audience captive plus réduite a eu raison de grandes opérations tout public sans garantie en termes de retour sur investissement.

2. Une décentralisation à fragmentation

Comme il existe des bombes à fragmentation qui dispersent leurs projectiles pour décupler leurs résultats, les réseaux et relais décentralisés de l’UE démultiplient la communication à l’échelle régionale et locale pour toucher les Européens. Le mouvement vers davantage de décentralisation, renforcé par les réseaux sociaux qui jouent la carte de la proximité, était irrésistible pour « Bruxelles », honnie par les grands médias et un large spectre des classes politiques nationales.

Mais, fragmentation doit également se comprendre comme une dispersion des messages entre le bras armé de la DG COMM « Europe Direct » chargé de répondre aux questions des Européens et la pléiade de réseaux thématiques pilotés par les différentes directions générales, notamment Your Europe Advice, Solvit, Fin-Net par la DG MARKT, Enterprise Europe Network par la DG ENTR, Eures par la DG EMPL, Eurodesk, Euroguidance ou Europass par la DG EAC, Euraxess par la DG RTD, etc. L’absence apparente de coordination nuit à l’harmonie de la voix européenne.

3. Une harmonisation à coup de corporate

Dernière évolution significative de la communication de l’UE ces dernières années, la rationalisation à marche forcée qui consiste, comme dans le lit de Procuste, à couper tout ce qui dépasse pour ne conserver qu’un brouet plutôt insipide. Cette démarche d’uniformisation qui correspond bien à une certaine culture administrative ne répond sans doute pas avec suffisamment d’agilité aux nécessaires adaptations exigées par le terrain et les circonstances.

Néanmoins, 2016 sera surtout marquée par la future campagne de communication corporate de la Commission européenne, qui prévoit – selon le document fuité par Politico Europe – de totaliser un budget pharaonique de près de 26 millions d’euros. Il est à la fois trop tôt avant les résultats de cette campagne, et surtout trop tard puisque le processus est largement entamé pour juger définitivement.

Reste que pour le moment, les promesses de l’année 2016 en matière de communication européenne sont nombreuses mais méconnues : les coopérations à la carte n’ont pas encore fait l’objet d’une évaluation aussi objective que les précédents partenariats de gestion ; les réseaux décentralisés, y compris « Share Europe Online » pour les community managers de l’UE non plus d’ailleurs ; et encore moins la campagne de communication corporate.