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La communication de crise d’Ursula von der Leyen face à la censure : décryptage d’une stratégie de contention

La motion de censure initiée contre la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, bien que politiquement vouée à l’échec, constitue un test majeur pour sa communication. Face à des accusations portant sur le manque de transparence (« Pfizergate ») et un style de gouvernance jugé trop centralisé, la Présidente déploie une stratégie de communication évasive. Celle-ci s’articule autour de quatre piliers : la polarisation du débat en diabolisant ses initiateurs d’extrême droite, la légitimation par le bilan en se posant en garante de la stabilité européenne, un appel à l’unité destiné à ressouder sa majorité pro-européenne fissurée, et une stratégie d’évitement sur les questions de transparence les plus sensibles. Si cette approche réussit à neutraliser la menace parlementaire à court terme, elle révèle des faiblesses structurelles : une déconnexion avec les critiques sur la gouvernance, une perte de contrôle du narratif sur les plateformes numériques et des tensions persistantes avec ses alliés centristes. Quelles stratégies et recommandations pour renforcer la légitimité communicationnelle de la Commission dans un paysage politique européen de plus en plus fragmenté ?

Contexte d’une motion de censure symbolique mais révélatrice

La motion de censure discutée le 7 juillet 2025, bien qu’initiée par l’extrême droite et manquant du soutien nécessaire pour aboutir, sert de caisse de résonance à un mécontentement plus large. Les griefs formulés, allant du « Pfizergate » – où le refus de divulguer des SMS est sanctionné par la Cour de justice de l’UE en mai 2025 – aux accusations de contournement du Parlement sur des législations clés, mettent en lumière une perception de gouvernance opaque et autoritaire.

Le vote du 10 juillet 2025 n’est pas l’enjeu principal ; le véritable théâtre est le débat en plénière. Pour Ursula von der Leyen, l’objectif n’est pas seulement de survivre politiquement, mais surtout de défendre sa légitimité et de contenir les fractures au sein de sa propre coalition majoritaire (PPE, S&D, Renew, Verts), dont plusieurs membres expriment leur frustration.

Analyse des stratégies rhétoriques et des messages clés

Lors de son intervention au Parlement européen, Ursula von der Leyen articule sa défense autour d’une rhétorique soigneusement calibrée :

La polarisation : l’extrême droite comme faire-valoir

La Présidente cadre d’emblée la motion comme une manœuvre de déstabilisation orchestrée par des « forces anti-européennes » et des « partisans de la Russie ». Cette tactique de polarisation vise à discréditer la source des critiques plutôt que leur contenu. En créant un clivage entre un « nous » pro-européen et un « eux » destructeur, elle contraint sa majorité à faire bloc.

Si cette stratégie est efficace pour mobiliser le cœur de sa coalition, elle est à double tranchant. L’accusation de collusion avec la Russie, non étayée, est perçue comme une diversion, affaiblissant son propos et risquant d’aliéner les franges modérées, notamment au sein du groupe ECR.

La légitimation par le bilan : l’Europe en action

Plutôt que de s’attarder sur les controverses, von der Leyen élève le débat en mettant en avant les réalisations de son mandat, notamment le soutien indéfectible à l’Ukraine et la réponse économique aux « turbulences mondiales ». Ce faisant, elle se positionne non pas comme une administratrice mise en cause, mais comme une leader visionnaire défendant l’intérêt supérieur du continent.

Cette approche renforce son statut mais peut paraître déconnectée des griefs spécifiques sur la gouvernance et la transparence, alimentant le reproche d’un « autoritarisme bureaucratique » formulé par ses opposants.

L’appel à l’unité : consolider une majorité fragile

Consciente des critiques émanant de ses propres alliés (Renew, S&D) concernant ses concessions au PPE sur les dossiers environnementaux, son discours est un appel implicite à la cohésion face aux menaces externes. Elle cherche ainsi à minimiser les divisions internes en rappelant à sa majorité sa responsabilité collective.

Cet appel est nécessaire mais sa portée reste limitée sans gestes politiques concrets. Les critiques publiques de figures comme Valérie Hayer (Renew) ou Iratxe Garcia Perez, (Socialists & Democrats) signalent que la loyauté de ses partenaires est conditionnelle et exigera des concessions programmatiques.

La stratégie de l’évitement : le silence sur le « Pfizergate »

Concernant l’accusation la plus emblématique de la motion, la Présidente opte pour la minimisation. En évitant toute explication directe sur la non-divulgation des SMS, elle préfère une défense générique des procédures de la Commission.

Ce silence, bien que tactiquement compréhensible pour ne pas raviver la polémique, constitue la principale faiblesse de sa communication. Il nourrit le procès en opacité et offre un angle d’attaque durable à ses détracteurs, qui l’exploitent pour dépeindre une technocratie agissant au-dessus des règles démocratiques.

Contrôle relatif du narratif

La stratégie de communication de la Présidente s’appuie principalement sur le cadre institutionnel, qu’elle maîtrise. Le discours en plénière est le point d’orgue, relayé et amplifié par le chef du groupe PPE, Manfred Weber, qui reprend la rhétorique. Les médias européens, en soulignant les faibles chances de succès de la motion, contribuent également à contenir la crise.

Cependant, une dissonance claire apparaît avec l’écosystème numérique. Sur les réseaux sociaux (notamment X), le narratif est largement dominé par les opposants. Les critiques sur le « Pfizergate » et les accusations de censure du débat y sont amplifiées, illustrant une perte de contrôle sur ces plateformes où le sentiment anti-establishment prospère. La communication de la présidente de la Commission y apparaît réactive et défensive plutôt que proactive.

Recommandations communicationelles

La communication d’Ursula von der Leyen est tactiquement efficace pour un objectif à court terme : neutraliser la motion de censure. Cependant, elle révèle des faiblesses stratégiques préoccupantes.

Forces :

– Contrôle du cadre institutionnel pour imposer son narratif officiel.

– Polarisation pour marginaliser l’opposition radicale et consolider sa base.

– Soutien politique solide du groupe PPE, agissant comme un bouclier médiatique et politique.

Faiblesses :

– Déficit de crédibilité sur les enjeux de transparence, alimenté par la stratégie de l’évitement.

– Rhétorique de diversion (accusations géopolitiques) perçue comme un aveu de faiblesse sur le fond.

– Carence stratégique sur les réseaux sociaux, laissant le champ libre aux narratifs hostiles.

– Confiance érodée auprès des partenaires centristes, dont le soutien futur est désormais conditionné.

Pour renforcer sa communication et sa légitimité à long terme, quelques recommandations  :

1. Adopter une transparence proactive : adresser directement et de manière argumentée les accusations comme le « Pfizergate ». Fournir des éléments de contexte, même partiels, est préférable au silence qui nourrit la suspicion.

2. Investir le champ numérique : déployer une stratégie de communication digitale offensive pour contrer la désinformation, expliquer les politiques de l’UE et humaniser l’institution, au lieu de laisser les plateformes devenir des chambres d’écho pour les eurosceptiques.

3. Reconstruire la confiance par des actes : traduire les appels à l’unité en engagements politiques concrets envers les partenaires de la coalition (S&D, Renew), notamment sur les dossiers où des reculs ont été observés (climat, état de droit).

4. Modérer la rhétorique de polarisation : réserver les accusations géopolitiques graves aux situations avérées pour ne pas banaliser leur portée et éviter d’aliéner les acteurs politiques modérés mais critiques.

La gestion de la motion de censure de juillet 2025 par Ursula von der Leyen illustre un paradoxe : une victoire à la Pyhrus obtenue au prix d’un affaiblissement de sa crédibilité communicationnelle. En privilégiant une stratégie de contention et de polarisation, elle survit à la tempête mais n’apaise pas les inquiétudes de fond sur la transparence et la gouvernance. 

Pour la seconde moitié de son mandat, dans une Europe politiquement fragmentée, passer d’une communication de défense à un dialogue proactif et transparent ne sera pas une option, mais une nécessité pour restaurer la confiance.

Campagne de communication pour les élections européennes 2014 : l’Europe tente l’électrochoc émotionnel (et découvre que l’engagement ne s’achète pas toujours)

Après le galop d’essai un peu timide de 2009 et son « It’s Your Choice! », le Parlement européen a compris une chose : pour faire vibrer la corde citoyenne, il faut plus qu’un slogan unique et des affiches bien traduites. Il faut du cœur, de l’émotion, du récit. Nous voici donc en 2014. L’ambiance a changé. La crise financière est passée par là, laissant derrière elle un goût amer de « crise, colère et frustration », pour reprendre les termes mêmes qui infusaient la réflexion stratégique de l’époque. Mais paradoxalement, le Parlement sort renforcé, avec de nouveaux pouvoirs et, surtout, une innovation politique majeure : le processus des Spitzenkandidaten. Pour la première fois, le vote des citoyens allait directement influencer le choix du Président de la Commission européenne. Le moment idéal pour tenter une nouvelle approche…

« Cette fois, c’est différent ! » : promesse électorale ou vœu pieux ?

Le contexte est donc double : une méfiance ambiante envers les institutions et une opportunité politique inédite. La campagne de 2014 va jouer sur ces deux tableaux. Son leitmotiv officieux, martelé dans les communications ? « This time it’s different ». Un message clair : votre vote n’est plus symbolique, il est décisif pour le leadership européen. Les objectifs sont ambitieux :

  • Faire connaître les nouveaux pouvoirs du Parlement européen : Expliquer l’enjeu des Spitzenkandidaten et montrer que l’institution n’est plus une simple chambre d’enregistrement.
  • Remotiver les troupes (et les autres) : S’adresser à un électorat large, mais avec un focus particulier sur les sceptiques et les jeunes désillusionnés par la crise, ceux qui pensent que « Bruxelles, c’est loin ». Il faut les convaincre que, justement, cette fois, ça les concerne directement.

« Act. React. Impact. » : l’Europe fait son cinéma

Pour porter ce message, changement de style. Fini l’approche purement informationnelle, place à l’émotion et à la connexion avec le réel. Le slogan officiel, décliné sur les supports visuels, est « Act. React. Impact. ». L’idée ? Montrer que le citoyen peut agir par son vote, réagir aux événements (la crise, par exemple) et impacter la direction que prend l’Europe. Une signature complexe à décrypter malgré tout.

La stratégie se professionnalise nettement :

  • Un narratif ancré dans le réel : On abandonne les représentations idéalisées ou « glossy » pour parler des vraies préoccupations, des difficultés, montrant un Parlement connecté aux réalités vécues. L’Europe n’est pas qu’une affaire de traités, c’est une affaire de vies.
  • Une production visuelle ambitieuse : Le Parlement s’offre les services de l’agence de publicité Ogilvy. Le résultat ? Des vidéos de haute qualité, dont un trailer au style cinématographique mettant en scène des moments de vie contrastés, diffusé dans les 24 langues officielles. On cherche à créer un choc visuel et émotionnel.
  • Premiers pas sérieux sur le digital : La campagne investit davantage les réseaux sociaux (Facebook et Twitter avec des hashtags dédiés) pour engager la conversation.
  • Ciblage des primo-votants : Un film et des actions de sensibilisation spécifiques sont dédiés aux jeunes électeurs, considérés, à juste titre, comme un public clé pour l’avenir.
  • Budget et Déploiement : Le budget alloué est d’environ 16 millions d’euros, soit légèrement moins qu’en 2009, représentant environ 0,03 € par citoyen. La coordination reste centrale, mais avec une tentative de localisation via des partenariats médias nationaux.

Les Spitzenkandidaten : la révolution silencieuse au cœur de la campagne

Introduit pour la première fois lors de ces élections de 2014, le processus des Spitzenkandidaten, les candidats têtes de liste représentait une petite révolution institutionnelle. L’idée était simple mais puissante : chaque grande famille politique européenne désignait avant les élections son candidat pour la présidence de la Commission européenne. Le parti arrivant en tête lors du scrutin européen aurait alors une légitimité démocratique pour que son candidat soit proposé par le Conseil européen et élu par le Parlement.

Ce mécanisme transformait fondamentalement la nature de l’élection : on ne votait plus seulement pour élire ses députés européens, mais aussi, indirectement, pour choisir le chef de l’exécutif européen. C’était l’argument massue pour justifier le « This time it’s different ». La campagne de communication du Parlement s’est donc largement appuyée sur cet élément, s’efforçant d’expliquer ce concept nouveau et de souligner l’impact direct du vote citoyen sur le choix du leader européen. Cela a notamment donné lieu aux premiers débats télévisés entre ces Spitzenkandidaten, ajoutant une dimension présidentielle inédite à la campagne européenne et contribuant à politiser davantage l’enjeu du scrutin.

Le verdict des urnes : la grande désillusion (et les nouvelles leçons apprises)

Malgré cette montée en gamme stratégique et créative, le résultat est une douche froide. La participation atteint un nouveau plancher historique : 42,54%. L’électrochoc émotionnel n’a pas eu lieu.

Que s’est-il passé ?

  • La communication ne peut pas tout : L’apathie structurelle, le manque d’incarnation politique transnationale, la complexité perçue de l’UE sont des obstacles que même la meilleure campagne peine à surmonter seule.
  • Le défi persistant du multilinguisme créatif : Créer un message émotionnel fort qui résonne de la même manière dans 24 langues et cultures reste un exercice périlleux. Le risque de la « médiocrité née du compromis » plane toujours, même si l’effort pour parler d’une seule voix est reconnu.
  • Un succès d’estime, quand même : Tout n’est pas noir. Le concept des Spitzenkandidaten gagne en notoriété publique. La campagne est remarquée pour son audace et sa volonté de sortir des sentiers battus. Les débats entre candidats têtes de liste, une première, marquent les esprits.

Surtout, 2014 est riche en enseignements pour le Parlement européen. La principale leçon, retenue en interne ? Il faut commencer encore plus tôt et trouver des moyens encore plus engageants pour mobiliser les citoyens. L’approche, bien que plus professionnelle, restait encore trop « descendante ». On avait montré de belles vidéos, mais avait-on vraiment impliqué les gens ?

La campagne de 2014, avec ses ambitions et ses résultats décevants, a paradoxalement préparé le terrain pour 2019. Elle a familiarisé le public avec l’idée que les élections européennes avaient un enjeu de pouvoir réel. Elle a montré les limites d’une communication centralisée, même créative. Elle a surtout créé un électrochoc… en interne, renforçant la conviction qu’il fallait oser une approche radicalement différente pour la prochaine échéance. Une approche qui mettrait le citoyen non plus seulement comme spectateur, mais comme acteur principal.

Et c’est précisément ce « big bang citoyen » de 2019 que nous explorerons dans notre prochain article. Préparez-vous, ça va secouer !

Il était une fois la communication du Parlement européen pour les élections européennes : 2009 : « It’s your choice! », quand on tente le grand saut (sans élastique)

Pour notre première série d’été, le choix c’est bien entendu porté sur les campagnes de communication autour des élections européennes : la grande Transformation au cours des quinze dernières années. Remontons le temps jusqu’en 2009. L’air est frais, l’iPhone 3GS vient de sortir, et à Bruxelles, une idée audacieuse germe dans les couloirs du Parlement européen : lancer LA première campagne de communication électorale vraiment unifiée pour les 27 États-membres. L’objectif affiché est herculéen : stopper l’hémorragie de la participation citoyenne, cette courbe descendante qui nargue l’idéal démocratique européen et qui venait de frôler les 43% (un chiffre qui, cruel destin, s’établira finalement à 42,6% après le scrutin). Le gant était jeté.

« It’s Your Choice! » : l’Europe ose (enfin) une campagne

Le nom de baptême de cette aventure ? « It’s Your Choice! ». L’ambition stratégique, documentée notamment par l’OSCE et les analyses de l’époque est claire comme de l’eau de roche (ou presque) :

  • Briser la spirale négative : Il fallait à tout prix « break the downward trend », redonner envie, ou du moins, freiner la désertion des urnes.
  • Reformuler l’acte de vote : Moins un pensum civique qu’une réelle opportunité d’« influencer le processus décisionnel ». On visait l’électorat général, mais avec une flèche décochée en direction des jeunes (primo-votants) et des abstentionnistes chroniques, ces fameux « apathiques » que toute campagne rêve de réveiller. Le message sous-jacent : l’Europe n’est pas une fatalité technocratique, c’est une construction dont vous détenez une clé. Votre bulletin.

Du dépliant à la « Choice Box » : l’arsenal hétéroclite d’une première offensive

Pour matérialiser cette ambition paneuropéenne, on sort l’artillerie… de l’époque. Une coordination inédite, mais des outils somme toute assez classiques, avec une touche de nouveauté :

  • Le kit de base unifié : Logo étoilé unique, slogan unique. La base d’une identité visuelle commune, déployée sur tous les supports. C’était la condition sine qua non pour parler d’une seule voix.
  • L’offensive visuelle : Dix affiches thématiques (emploi, environnement, etc.), conçues pour toucher différentes cordes sensibles, sont traduites dans les 23 langues officielles et placardées à travers le continent. Un effort linguistique et logistique considérable.
  • Les grands classiques médiatiques : Le gros des troupes est constitué de publicités télévisées, de spots radio et d’affichage urbain. On occupe le terrain médiatique traditionnel, là où l’on pense (encore) toucher le plus grand nombre.
  • L’étincelle d’interactivité avec la « Choice Box » : C’est LA petite innovation de 2009. Des cabines vidéo installées sur des places publiques invitent les passants à enregistrer leur message à l’Europe. Un ancêtre lointain et physique du User Generated Content, une tentative de créer du dialogue là où régnait le monologue.
  • La touche locale (contrôlée) : Les bureaux d’information du Parlement ont la tâche délicate de sélectionner, dans le catalogue central, les thèmes et les déclinaisons les plus pertinents pour leur public national. Une première tentative de décentralisation, même si le cadre restait très centralisé.
  • Le chef d’orchestre créatif : C’est l’agence allemande Scholz & Friends qui est chargée de mettre en musique cette partition complexe.
  • Le nerf de la guerre (ou plutôt, le petit pécule) : Le budget total avoisine les 18 millions d’euros. Impressionnant ? Pas tant que ça. Rapporté aux quelque 375 millions d’électeurs potentiels, cela équivaut à environ 0,05 € par citoyen. De quoi s’offrir une demi-sucette ? Cette relative modestie budgétaire, face à l’ampleur de la tâche et à la fragmentation médiatique et culturelle, pèsera lourd dans la balance.

La douche froide : pourquoi « It’s Your Choice! » n’a pas (encore) fait des étincelles pour faire reculer l’zbstention

Le verdict des urnes est sans appel : 42,6% de participation. Non seulement la tendance n’est pas inversée, mais elle continue sa légère érosion. L’objectif principal est manqué. Pourquoi ce rendez-vous passe à côté ?

Les analyses post-campagne pointent plusieurs faiblesses structurelles :

  • Un mur du son difficile à percer : Avec un budget limité et un démarrage jugé tardif, la campagne a eu du mal à émerger dans le brouhaha médiatique national de nombreux pays. La visibilité est restée insuffisante pour marquer les esprits en profondeur, d’autant qu’une telle campagne était relativement nouvelle pour les électeurs.
  • Le frein à main de la neutralité : Le Parlement a dû volontairement réduire l’intensité de sa campagne juste avant le scrutin pour ne pas être accusé d’interférer avec le jeu politique partisan. Une contrainte institutionnelle forte qui ampute la campagne de sa dernière ligne droite. La période de réserve, qui existe notamment en France est le principal responsable.
  • Un message trop rationnel ? Trop distant ? : Malgré l’accent mis sur le « choix », le message est peut-être resté trop abstrait, trop institutionnel, peinant à créer un lien émotionnel fort ou à démontrer une pertinence immédiate dans la vie quotidienne des citoyens. L’Europe restait perçue comme lointaine.

Les fondations malgré tout : les leçons essuyées sur les plâtres de 2009

Faut-il pour autant jeter le bébé « It’s Your Choice! » avec l’eau du bain de l’abstention ? Certainement pas. Cette campagne, malgré ses résultats décevants sur le thermomètre de la participation, fut une étape fondatrice et nécessaire. Elle a permis de :

  1. Poser le principe d’une communication européenne unifiée et d’en tester la faisabilité opérationnelle.
  2. Mesurer l’ampleur des défis : la complexité linguistique et culturelle, l’impératif de budgets conséquents, la nécessité d’anticiper bien en amont.
  3. Comprendre (douloureusement) les limites de l’approche top-down et purement informationnelle. Le citoyen de 2009 ne se mobilise plus sur simple injonction, même parée des meilleures intentions démocratiques. Il faut plus.

Ces leçons, gravées dans le marbre des évaluations post-campagne, vont nourrir la réflexion stratégique pour les années à venir. L’idée qu’il faut injecter plus d’émotion, plus de pertinence, plus d’engagement direct et peut-être moins de contrôle centralisé commence à faire son chemin.

Comme nous le verrons dans la suite de la série, la campagne de 2014 tentera d’intégrer certains de ces apprentissages, dans un contexte européen encore plus complexe. Rendez-vous pour notre prochain décryptage.

Élections européennes 2024 : quels impacts de l’IA générative dans les campagnes électorales ?

Selon un rapport de la Fondation Kofi Annan et de Democracy Reporting International, l’IA générative (GenAI) s’est immiscée dans les campagnes électorales. Bien que le déluge prédit de désinformation pilotée par l’IA ne se soit pas entièrement matérialisé, le rapport offre des conclusions sans ambiguïté : la GenAI n’est plus une menace hypothétique, mais un outil tangible activement exploré dans la sphère politique, principalement sous la forme d’images synthétiques, souvent déployée par des acteurs politiques populistes pour amplifier des récits préexistants. Le potentiel de manipulation sophistiquée est indéniable, même si son impact à grande échelle lors de ce cycle électoral aura été limité. Ce n’est pas le moment de l’alarmisme, mais de la prospective et de l’adaptation…

Principales conclusions sur la GenAI lors des élections européennes de 2024

Les préoccupations concernant l’utilisation abusive généralisée de l’IA générative étaient fortes mais aucune utilisation significative et généralisée n’a été observée. Cependant, la GenAI facilement identifiable a été le plus fréquemment utilisée en France, les partis politiques d’extrême droite en France, en Allemagne et en Italie s’avérant être les utilisateurs les plus constants, principalement pour la création d’images synthétiques non étiquetées promouvant des thèmes nationalistes, anti-islamiques et conservateurs. Les plateformes ont eu du mal à détecter et à étiqueter le contenu GenAI, malgré les cadres réglementaires tels que le DSA et les engagements volontaires pris par les plateformes. Les études sur la perception du public ont mis en évidence une faible confiance du public dans l’identification du contenu GenAI, soulignant le besoin urgent d’initiatives d’éducation aux médias. Malgré l’impact limité lors de ces élections, le rapport souligne que la GenAI est un facteur croissant dans le paysage de l’information, nécessitant des stratégies proactives pour atténuer les risques potentiels pour les processus démocratiques.

Transparence et détection sont primordiales, mais pas des panacées

Le rapport souligne les difficultés à détecter le contenu GenAI, même pour les plateformes équipées de technologies avancées. Bien que le règlement sur les services numériques de l’UE et l’AI Act soient des étapes essentielles pour établir un cadre réglementaire, se fier uniquement à la détection et à l’étiquetage est insuffisant.

Il faut développer des outils de détection robustes et évolutifs, tout en reconnaissant leurs limites inhérentes. La transparence, en particulier de la part des acteurs politiques, reste une pierre angulaire de l’intégrité démocratique. Le manquement constant à étiqueter le contenu GenAI, comme observé dans le rapport, est une tendance préoccupante qui exige une plus grande responsabilité et le respect de normes à sanctionner.

La culture médiatique est le fondement de la résilience, mais pas seule

Les conclusions du rapport sur la perception du public sont préoccupantes. La faible confiance du public dans l’identification du contenu GenAI, associée à une connaissance limitée de la technologie elle-même, crée une vulnérabilité que les acteurs malveillants peuvent exploiter. Investir dans des initiatives globales de culture médiatique n’est pas simplement une mesure réactive, mais une stratégie proactive pour autonomiser les citoyens.

Ces initiatives doivent aller au-delà de la simple vérification des faits pour englober les compétences en pensée critique, la vérification des sources et une compréhension de l’écosystème de l’information numérique en évolution. Le « pré-bunking« , mis en évidence dans le rapport, offre une voie prometteuse pour renforcer la résilience cognitive face à la désinformation.

La confiance dans les médias et les institutions est la monnaie ultime mais fragile

Le rapport souligne à juste titre que l’impact de la désinformation pilotée par la GenAI est intrinsèquement lié au niveau de confiance dans les institutions démocratiques et les médias. Dans une ère de paysages d’information fragmentés et d’érosion de la confiance, nos communications stratégiques doivent donner la priorité à la reconstruction et au renforcement de ces fondations.

Cela nécessite un engagement envers l’exactitude factuelle, des pratiques de communication transparentes et un dévouement manifeste à servir l’intérêt public. En renforçant la crédibilité des sources d’information établies et en favorisant un dialogue constructif, nous pouvons créer un environnement moins susceptible d’être manipulé, quels que soient les outils technologiques employés.

Facteurs de risque de la GenAI pour faire basculer une élection ?

Quant aux inquiétudes sur la désinformation et la manipulation de l’opinion publique, pour le professeur Thorsten Quandt, la GenAI aura un impact, mais ne sera pas forcément un « bouleversement » majeur. La confiance dans la démocratie, le système politique et le journalisme traditionnel reste déterminante pour la vulnérabilité d’une société. C’est pourquoi les acteurs populistes cherchent à saper la confiance dans les médias. Le « pré-bunking » s’avère plus efficace que le « débunking » pour renforcer la culture médiatique. La généralisation de la GenAI sur les réseaux sociaux pourrait paradoxalement renforcer la confiance envers les sources d’information fiables. La vulnérabilité à la désinformation est étroitement liée à la structure des systèmes médiatiques. La polarisation idéologique et les liens étroits entre les systèmes politiques et médiatiques augmentent également la susceptibilité à la désinformation. Ainsi, l’impact de la GenAI sur les élections dépendra largement du contexte médiatique et politique dans lequel elle est diffusée.

Focus sur des incidents en France, en Allemagne et en Italie

En France, des comptes TikTok se faisant passer pour des proches fictifs de Marine Le Pen et Marion Maréchal ont utilisé la GenAI avec la génération de fakes en « face-swapping » pour promouvoir des sentiments nationalistes, gagnant des centaines de milliers de vues (plus de 30 000 abonnés et jusqu’à 400 000 likes par vidéo) avant d’être supprimés. Amandine Le Pen, Léna Maréchal, des deepfakes qui entrent en campagne en se sont présentant comme des influenceuses nièces de Marine Le Pen, Amandine Le Pen et Léna Maréchal. De plus, le Rassemblement National et Reconquête ont largement utilisé des images GenAI non étiquetées dans leurs campagnes, se concentrant sur des thèmes nationalistes et anti-immigration. Des acteurs étrangers sont également intervenus, avec une vidéo GenAI de faible qualité imitant un journaliste de France24 pour affirmer faussement que le président Macron avait annulé une visite à Kiev en raison d’un complot d’assassinat, diffusée par des médias pro-russes.

En Allemagne, l’Alternative für Deutschland (AfD) a principalement utilisé la GenAI sur Facebook, déployant des images pour alimenter des sentiments anti-migrants et la nostalgie d’une Allemagne ethniquement homogène. Des branches régionales de l’AfD ont partagé des images de jeunes inexistants approuvant le parti et des contenus provocateurs comme une image de « fête allemande du barbecue » partagée pendant le Ramadan, dont aucune n’était étiquetée comme générée par l’IA.

En Italie, Matteo Salvini et son parti, la Lega, ont été identifiés comme des utilisateurs importants de la GenAI, déployant au moins 19 publications dans le cadre de leur campagne « Più Italia, Meno Europa » (Plus d’Italie, Moins d’Europe). Ces images, diffusées sur Facebook, X et Instagram, ont promu des opinions nationalistes et eurosceptiques, utilisant parfois des images controversées pour critiquer la gestation pour autrui et d’autres fois évoquant des sentiments anti-islamiques. Ni la Lega, ni les plateformes n’ont étiqueté ce contenu GenAI.

Perspectives pour une approche collaborative et adaptative

L’avenir de la communication électorale à l’ère de la GenAI exige une approche multidimensionnelle, collaborative et adaptative visant à :

  • Renforcer les cadres réglementaires : Mettre en œuvre vigoureusement les DSA et AI Act et évaluer en permanence son efficacité pour relever les défis évolutifs de la GenAI.
  • Favoriser l’innovation de détection et de vérification : Soutenir la recherche et le développement de technologies de détection et de vérification de l’IA, tout en reconnaissant le jeu du chat et de la souris en cours avec les acteurs malveillants.
  • Investir dans la culture médiatique : Développer et déployer des programmes complets de culture médiatique dans toutes les catégories démographiques, en mettant l’accent sur la pensée critique et la résilience numérique.
  • Promouvoir des pratiques éthiques en matière d’IA : Encourager l’auto-régulation et l’adoption de lignes directrices éthiques par les acteurs politiques, les entreprises technologiques et les développeurs d’IA.
  • Construire une collaboration intersectorielle : Faciliter le dialogue et la coopération entre les décideurs politiques, les plateformes, les organisations médiatiques, la société civile et le monde universitaire afin d’élaborer des stratégies coordonnées.

Les élections européennes de 2024 peuvent servir de signal que la GenAI n’est pas une menace à éradiquer, mais une technologie transformatrice qui remodèle le paysage de l’information. Notre défi, et notre opportunité, résident dans l’exploitation de son potentiel tout en atténuant ses risques en embrassant un engagement de toutes les parties-prenantes envers les valeurs démocratiques afin de franchir la frontière générative en garantissant que les communications lors des campagnes électorales restent dignes de confiance dans les années à venir.

Rapport Letta : comment passer de la vision à l’action avec une démarche de communication stratégique pour le marché unique européen ?

Le rapport Letta intitulé « Bien plus qu’un marché » présente un programme transformateur visant à revitaliser le marché unique européen face aux turbulences géopolitiques, aux disruptions technologiques et à la rivalité économique mondiale. Son succès dépend d’une stratégie de communication capable de combler le fossé entre les recommandations politiques de haut niveau et l’adhésion concrète du public et des acteurs politiques sur le terrain. En capitalisant l’accent mis sur la « 5ème liberté » (connaissance, innovation et éducation) et les enseignements tirés d’autres initiatives européennes, quelle approche en termes de communication offre des voies d’action concrètes pour assurer sa mise en œuvre ?

I/ Repenser la « 5ème liberté » : de l’abstraction aux bénéfices concrets

L’appel du rapport Letta pour une « 5ème liberté » vise à éliminer les barrières au partage des connaissances, à la collaboration en matière de recherche et à la mobilité des talents—une vision alignée avec la promotion par l’UE d’un « Bien commun européen de la connaissance ». La communication de ce concept nécessite sa traduction en récits compréhensibles :

  • Conceptualiser la 5e liberté avec des messages développés autour des avantages de cette liberté : une liberté pour la vie immatérielle, à l’ère des nouvelles technologies.
  • Valoriser les bénéfices en termes de productivité, seule solution au déclin démographique pour l’État-providence, l’innovation fragmentée coûte à l’Europe 180 milliards d’euros par an en perte de productivité (un chiffre extrapolé de l’analyse de la BCE sur l’écart de productivité UE-États-Unis).
  • Mobiliser les plateformes existantes : Intégrer la 5ème liberté dans la « Boussole de compétitivité » de l’UE, qui priorise déjà la réduction de l’écart d’innovation et l’harmonisation des règles pour les startups.

II/ Mobiliser les parties prenantes financières : construire un récit sur l’« Union de l’épargne et des investissements »

Le rapport Letta souligne la nécessité d’un écosystème financier unifié pour financer les transitions verte et numérique. Cela s’aligne avec l’« Union de l’épargne et des investissements » qui vise à canaliser l’épargne européenne vers des secteurs stratégiques. Pour communiquer efficacement un élément clé de la réussite dans l’ensemble :

  • Cibler les investisseurs institutionnels : Développer des études de cas mettant en avant des entreprises transfrontalières réussies, comme le programme d’investissement TechEU de l’UE pour l’expansion des startups.
  • Positionner le marché unique comme une référence mondiale en matière de finance durable (RSE), en s’appuyant sur le leadership de l’UE en matière de règlementations climatiques.
  • Résorber l’aversion au risque : La BCE note que les startups de l’UE ne reçoivent que 5 % du capital-risque mondial, contre 52 % aux États-Unis. Valoriser les licornes européennes pourrait démystifier le risque et attirer des capitaux privés.

III/ Mobilisation politique : des mandats du Conseil européen, au Parlement européen et à l’engagement citoyen

Susciter un engagement politique

Le rôle du Conseil européen sera crucial. Le succès du rapport Letta dépend de la capacité du Conseil à mandater la Commission pour élaborer une stratégie contraignante pour le marché unique avec des indicateurs clés de performance clairs, afin d’éviter l’inertie bureaucratique :

  • Utiliser l’« élan du rapport Draghi » : Associer la vision de Letta à l’urgence du rapport Draghi pour des réformes structurelles, en présentant le marché unique comme une nécessité géopolitique.
  • Mobiliser des « champions » inter-institutionnels : Construire un réseau de députés européens et de ministres nationaux « Ambassadeurs du marché unique » pour promouvoir les priorités législatives comme le 28ème régime réglementaire proposé pour les startups.

Développer la participation citoyenne : au-delà du symbolique

Une « Conférence permanente des citoyens » pourrait éviter les écueils de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe, qui n’est pas parvenue à obtenir une visibilité et une légitimité suffisantes pour vraiment avoir un impact sur les futures politiques publiques européennes. Comment parvenir à corriger ces limites ?

  • Partir des citoyens afin de recueillir leurs positions avant tout, en utilisant des plateformes numériques comme CitizenLab pour collecter des idées, comme sur la réduction des barrières du marché unique (par exemple, simplifier les règles de TVA).
  • Collaborer avec les municipalités pour organiser des ateliers sur l’impact des réformes du marché unique sur les PME—une tactique employée par Letta lors de sa tournée européenne incluant des échanges avec les syndicats ouvriers et patronaux ainsi que des organisations de la société civile instituée.

La création d’une Conférence permanente des citoyens offrirait une plateforme continue pour l’engagement citoyen et permettrait de rester ancré dans les besoins et aspirations du public.

Selon Enrico Letta, « la Conférence permanente des citoyens pourrait produire des recommandations sur la manière de mettre en œuvre le rapport, en fournissant une perspective précieuse, certainement plus large et mieux fondée. (…) Aucun progrès réel ne sera possible, compris et accepté par nos opinions publiques sans la participation active et l’engagement véritable des citoyens européens ».

IV/ Créer un récit unificateur : le marché unique comme « bouclier commun » de l’Europe

La vision du rapport Letta doit rivaliser avec la montée de l’euroscepticisme et des populismes, tant libertarien que techno-solutionniste. Un récit convaincant pourrait présenter le marché unique comme :

  • Un actif pour la sécurité : « Tout comme l’UE a mutualisé le charbon et l’acier pour prévenir la guerre, le marché unique d’aujourd’hui sécurise les chaînes d’approvisionnement contre les chocs géopolitiques ».
  • Un égalisateur social : Mettre en avant les initiatives de santé transfrontalières ou le principe « Once-Only » réduisant les charges administratives pour les citoyens.
  • Un leader mondial en matière de normes : Contraster le modèle réglementaire européen basé sur les valeurs (par exemple, le RGPD) avec le techno-autoritarisme américain et chinois.

V/ Surmonter les obstacles à la mise en œuvre : un retour à la réalité

Le talon d’Achille du rapport Letta est sa dépendance à l’unanimité politique, en particulier des États-membres. Les principaux obstacles à lever correspondent à :

  • Simplifier les règles européennes et réduire la fragmentation réglementaire, dans un contexte de rejet du technocratisme, 27 régimes nationaux retardent la croissance des entreprises par rapport aux États-Unis.
  • Réduire les écarts de ressources dans la recherche et l’innovation : L’UE investit 2 % de son PIB dans la R&D, loin derrière les États-Unis (3,5 %) et même la Chine (2,4 %). Un « label d’excellence » pour les régions atteignant les objectifs de R&D pourrait encourager la coo-pétition entre écosystèmes régionaux spécialisés répartis dans toute l’Europe.

Le potentiel transformateur du rapport Letta est évident, mais sa fenêtre d’impact est étroite et surtout son succès ne peut se faire sans d’une part, simplifier la complexité, en privilégiant des analogies du type « Le marché unique est le WiFi de l’Europe—invisible mais essentiel » et d’autre part, en visibilisant les indicateurs de performance, avec des tableaux de bord trimestriels accessibles à tous sur l’élimination des barrières.

Comme l’averti Enrico Letta lui-même, l’Europe fait face à une « lente agonie » de déclin sans action audacieuse. La communication doit refléter cette urgence, transformant le marché unique d’un idéal technocratique en une réalité vécue par 450 millions de citoyens.