Archives par étiquette : communication de crise

La communication, « une bataille que nous ne gagnons pas »

Propos très forts sur la communication de l’Union européenne sur la scène internationale du haut représentant de la politique étrangère européenne, Josep Borrel lors de la conférence annuelle des ambassadeurs auprès de l’UE en 2022

La communication diplomatique européenne est un combat

Le message de Josep Borell aux ambassadeurs de l’UE à travers le monde est sans aucune ambiguïté : « nous devons nous battre sur la communication ».

Rares sont les Commissaires qui mentionnent leur blog officiel, pourtant ils sont près de la moitié à animer un blog. Jospe Borell le fait avec une précision de taille sans doute valable pour tous les membres de la Commission européenne : ce « n’est pas « mon » blog. Ce n’est pas mon amusement intellectuel, c’est ma « consigna » », c’est en quelque sorte, sa feuille de route, pour ses équipes, au quotidien.

La communication est « une bataille que nous ne gagnons pas parce que nous ne nous battons pas assez. Nous ne comprenons pas que c’est un combat. En plus de conquérir un espace, il faut conquérir les esprits ».

Rares sont les officiels à Bruxelles à mentionner les activités de manipulation de puissances étrangères. Josep Borell précise ses propos : « Les Russes et les Chinois sont très bons là-dedans. Ils s’industrialisent, ils ont des fermes [de trolls] qui se répètent systématiquement, atteignant tout le monde dans le monde (…) Nous n’avons ni Russia Today ni Spoutnik, pas même Radio Liberty ».

La communication diplomatique européenne doit être moderne et multilingue

Aux ambassadeurs de l’UE postés dans le monde entier, Josep Borell estime que « vous devez tous faire beaucoup plus en matière de communication. Nous vous fournissons du matériel et j’ai le sentiment que vous ne transmettez pas assez fort le message ».

Les délégations de l’UE doivent interviennir sur les réseaux sociaux, à la télévision, dans les débats, en les adaptant aux circonstances locales et bien entendu en utilisant les langues locales.

Le premier problème est que nous parlons anglais mais beaucoup de gens dans le monde ne parlent pas anglais et ne comprennent pas si nous nous adressons à eux en anglais. Faites-le dans les langues locales. Nous avons toujours un « réflexe » de culture européenne : nous parlons nos langues, et nous attendons du reste du monde qu’il nous comprenne. Beaucoup, beaucoup de gens dans le monde ne comprennent pas.

Qui va gagner les esprits et les âmes des gens ?

Josep Borell estime à très juste titre qu’il faut que l’UE soit plus engagée dans la bataille de récits entre les modèles en compétition sur la scène internationale. La démocratie n’est plus une vérité révélée qui s’impose d’elle-même.

Pour le haut-représentant, il est très clair que « nous devons expliquer quels sont les liens entre la liberté politique et une vie meilleure. Nous, Européens, nous avons cette chance extraordinaire. Nous vivons dans cette partie du monde où la liberté politique, la prospérité économique et la cohésion sociale sont la meilleure combinaison. Mais le reste du monde n’est pas comme ça. Notre combat est d’essayer d’expliquer que la démocratie, la liberté, la liberté politique ne sont pas quelque chose qui peut être échangé contre la prospérité économique ou la cohésion sociale. Les choses doivent aller de pair. Sinon, notre modèle périra, ne pourra pas survivre dans ce monde ».

Pour conclure, Josep Borell estime : « nous sommes trop kantiens et pas assez hobbesiens », nous essayons trop de rêver le monde tel qu’il devrait être plutôt que de porter la voix de l’Europe.

Choc des imaginaires apocalyptiques en Europe

Imaginaire écologiste cosmopolite contre imaginaire nationaliste nativiste, les tensions autour de la démographie sont à l’origine d’un nouveau choc Est-Ouest en Europe, selon Ivan Krastev dans « Démographie : le nouveau clivage » sur Le Grand Continent

Les prophéties de l’apocalypse démographique des sociétés occidentales

Pour Ivan Krastev, « la politique européenne post-Covid n’est plus structurée par l’opposition traditionnelle gauche-droite ; elle est désormais structurée par le choc entre deux imaginaires apocalyptiques » :

D’une part, l’imaginaire écologique, suscité par la perspective de la catastrophe environnementale à venir, donnant le sentiment que si nous ne faisons rien pour changer nos modes de vie et de production, il n’y aura plus de vie humaine sur Terre. L’imaginaire écologiste est un imaginaire cosmopolite, il part du principe que l’humanité ne pourra être sauvée que si nous agissons ensemble.

D’autre part, l’imaginaire démographique nationaliste, guidé par la peur que « mon peuple » disparaisse et que son mode de vie soit détruit. L’imaginaire démographique, quant à lui, est nativiste, il suppose que d’autres veulent nous remplacer et que nous devons les arrêter.

Tandis que les militants écologistes doutent de la moralité d’avoir des enfants dans un monde qui court à sa propre destruction, les nationalistes voient toute famille de moins de trois enfants comme une famille de « traîtres ». Mais les deux imaginaires traduisent un même sentiment d’extrême urgence. Militants écologistes et populistes nationalistes partagent en effet le sentiment qu’ils vivent les derniers jours d’un monde.

Le clivage culturel des imaginaires Est-Ouest en Europe

Pour Ivan Krastev, le vieux continent souffrirait d’une « boulimie démographique » – c’est-à-dire d’une panique suscitée par la crainte qu’« à la fois trop et trop peu de personnes puissent simultanément exister sur un même territoire » – trop d’entre eux et trop peu d’entre nous.

Du coup, la question principale de l’avenir de l’Union européenne se structure entre ceux qui veulent « sauver la vie » face à l’apocalypse écologique et ceux qui veulent « sauver notre mode de vie » face à l’apocalypse démographique.

Si l’imaginaire écologiste et l’imaginaire démographique sont présents dans toutes les sociétés européennes, c’est surtout le premier qui influence la politique dans les pays d’Europe de l’Ouest, et surtout le second qui influence la politique dans les pays d’Europe de l’Est.

Autrement dit, pour paraphraser la célèbre expression « les missiles sont à l’Est ; les pacifistes sont à l’Ouest », on pourrait dire « les illibéraux natalistes sont à l’Est ; les cosmopolitiques écologistes sont à l’Ouest ». Et ces deux imaginaires vont continuer de progresser dans les mentalités, plaçant l’Europe au cœur des attentes contradictoires.

Comment assurer un destin commun et un relatif consensus avec ce choc des imaginaires écologique et démographique qui risque de déchirer l’avenir de l’Europe ?

GolfGate : décryptage d’une communication de crise désastreuse

En moins d’une semaine, avant même la fin de l’été, l’un des piliers de la Commission européenne, l’Irlandais Phil Hogan, à la tête du Commerce, l’une des rares compétences exclusives de l’UE, a remis sa démission. Que s’est-il passé pour que la gestion et la communication de crise soit si désastreuse ?

La stratégie de réponse à la crise : incomplète et insincère ; donc pas crédible

Face aux accusations apparues dans la presse irlandaise sur la présence du Commissaire à une réception mondaine dans un club de golf qui n’aurait pas respecté les consignes sanitaires en vigueur, la première séquence – la plus importante – est trop faible. Pourquoi ? Parce que les explications du Commissaire sont incomplète et insincère, ce que l’on apprendra ultérieurement.

Alors que la première règle de la communication de crise consiste à parler rapidement et clairement pour dire la vérité, seule chance d’éventuellement pouvoir s’en sortir, le Commissaire européen ne mesure pas initialement l’étendue du problème ; ses propos sont vagues, imprécis et ses excuses pas suffisamment empathiques et naturelles. La première séquence, qui devait permettre d’inverser le mouvement ne va générer que doutes et suspicion.

La stratégie de résistance : neutralisée et isolée ; donc trop fragile

Si le Commissaire européen était parvenu à rassembler des soutiens à la fois au sein de son institution, au Parlement européen ou dans son pays en tant que cautions qui garantissent ses propos, la pression aurait pu se réduire en partie.

Mais, toute la classe politique irlandaise, y compris des membres du gouvernement, est vent debout contre un Phil Hogan, déjà fragilisé par sa candidature avortée à la tête de l’OMC et qui ne semble pas avoir convaincu ses collègues et surtout sa boss, la présidente de la Commission européenne qui a semblé ne pas vouloir prendre position en sa faveur en demandant des éclaircissements, une manière de ne pas trancher, ce qui ne peut ne fait que déstabiliser encore davantage le Commissaire.

La ligne de défense est donc clairsemé, Phil Hogan est neutralisé par l’absence de renfort et son isolement ne cesse de se renforcer à mesure que les révélations sur ses comportements en Irlande tombent dans la presse : il n’a pas respecté la quatorzaine en vigueur à son arrivée, il s’est déplacé dans des zones reconfinées donc interdites aux déplacements, il a été contrôlé par la police alors qu’il téléphonait au volant. S’il avait fait amende honorable, aurait-il au moins pu ne pas prêter le flanc à « l’affaire dans l’affaire ».

La stratégie de reconstruction : tardive et inédite, donc problématique

Dès la démission du Commissaire Hogan remise, tous les regards se sont naturellement tournés vers la présidente de la Commission européenne qui s’est plutôt montrée inactive, qui n’a pas semblé avoir la main ferme pour trancher dans un sens ou dans l’autre et qui a dû communiquer à deux reprises, après une première prise de parole trop sèche et brutale pour accuser réception de la démission. Le sentiment de flottement et d’indécision risque de laisser des traces.

Mais surtout, Ursula von der Leyen ne semble pas avoir montré qu’elle savait quelle boussole suivre ; la voie tardive de fixer des règles éthiques valables pour tout le Collège des Commissaires ne sera pas sans poser des problèmes de déplacements avec l’épidémie en cours.

En enfin, le remaniement attendu des portefeuilles au sein de la Commission, ce qui semblerait le plus vraisemblable pour remplacer un pilier à un poste stratégique, serait politiquement moins coûteux à long terme que de considérer le portefeuille du Commerce acquis pour le mandat à l’Irlande, laissant un précédent problématique, selon Jean Quatremer.

Au total, la séquence du #GolfGate est révélatrice non seulement qu’il n’y a plus de « silly season » en été à Bruxelles, ce que l’on savait déjà depuis longtemps, mais surtout que les règles de la communication de crise s’y applique ici comme ailleurs, une sorte de normalisation déjà largement entamée avec le précédent unique de la démission individuelle du Commissaire Dalli. Souhaitons que ce progrès dans la responsabilité ne s’accompagne pas d’une fragilisation des Commissaires face aux Etats-membres.

Communication de crise : soupçonné de trafic d’influence le Commissaire John Dalli démissionne ou est démissionné ?

Aujourd’hui, le Commissaire européen à la Santé et à la Consommation, le maltais John Dalli mis en cause dans une affaire de trafic d’influence présumé liée à la législation contre le tabac a démissionné avec effet immédiat…

La version officielle de la démission du Commissaire selon la Commission européenne

Dans un communiqué, la Commission européenne annonce que le Commissaire John Dalli a remis sa démission à José Manuel Barroso « afin d’être en mesure de défendre sa réputation et celle de la Commission ».

Une enquête de l’Office de lutte antifraude de l’UE (OLAF) – dont les conclusions ont été transmises à la Commission le 15 octobre – constate qu’un homme d’affaires maltais aurait tenté de monnayer les contacts dont il se prévalait avec John Dalli auprès d’un producteur de tabac, Swedish Match, en échange d’une influence sur une éventuelle proposition législative future sur le tabac.

L’Office de lutte antifraude de l’UE ne « dispose d’aucune preuve concluante de la participation directe de M. Dalli, mais considère qu’il était au courant de ces agissements ».

Selon le communiqué, « après que le Président a informé M. Dalli sur le rapport reçu de l’OLAF, M. Dalli a décidé de démissionner, quoiqu’il rejette catégoriquement ces résultats ».

La version officieuse du Commissaire démissionné selon New Europe

Le site d’information New Europe publie une déclaration du Commissaire européen John Dalli, qu’il aurait transmis au service de presse de la Commission qui ne l’a pas diffusée, « faute d’être techniquement équipé » (sic).

Dans cette déclaration, John Dalli refuse la démission pré-annoncée par Barroso en confirmant que l’OLAF ne se fonde que sur des « preuves circonstancielles » et conclut : « Je vais continuer à travailler pour que tous les efforts faits par moi-même et mes services de réviser la directive sur le tabac se déroule comme prévu ».

Ainsi, avant que le rapport de l’OLAF soit rendu public et contrairement à ce qui semble avoir été l’intention initiale du Commissaire de rester à son poste, la démission de John Dalli a été promptement annoncée par José Manuel Barroso.

Communication de crise : les réactions de la Commission européenne face à la polémique contre une vidéo sexiste

Réagir ou pas ? Comment et sur quel terrain ? Face à la polémique suscitée par la sortie d’une vidéo « Science, it’s a girl thing ! » jugée sexiste, la Commission européenne s’est montrée relativement réactive, jouant même de manière inédite le jeu de la conversation dans les médias sociaux…

Première réaction sur Twitter : la création d’une liste « real woman in science » face à #sciencegirlthing

Alors que la vidéo critiquée circule d’abord sur Twitter (via le hashtag #sciencegirlthing), la Commission européenne s’est lancée dans la constitution d’une liste de « real woman in science » : « EC tries to fix offensive #sciencegirlthing campaign with #realwomeninscience fix« . En quelques jours, la liste a atteint la limite maximale des 500 membres et une seconde liste est constituée en renfort.

Cette première réaction sur Twitter illustre une relative maturité de la Commission qui s’est emparée des fonctionnalités de la plateforme pour contrer le « bad buzz » avec une démarche d’écoute et de considération tout à fait inédite.

Deuxième réaction : la publication d’un communiqué de questions/réponses expliquant le retrait de la vidéo

Alors que lors de la précédente polémique à cause d’une vidéo jugée raciste, la Commission s’était contentée de retirer la vidéo et de quelques commentaires du porte-parole dans la presse, aujourd’hui, un communiqué de questions/réponses a été publié.

Le communiqué répond aux interrogations sur le coût de la vidéo (102 000 €) ainsi que sur la conception de la vidéo, en s’excusant, ce qui est là encore une démarche tout à fait inédite :

La Commission européenne endosse toute la responsabilité pour cette vidéo. Nous comprenons les réactions et présentons des excuses à ceux qui se sont sentis offensés. Il n’a jamais été notre intention d’offenser des professionnels qui travaillent déjà dans la science.

Selon les focus groupes (réalisés pour tester la campagne), les adolescentes associent les sciences à des gens isolés dans leur laboratoire ayant des contacts limités avec la société. Elles pensent aussi qu’elles manquent d’intérêt et / ou de capacité à faire de la science, beaucoup préférant l’idée d’un travail créatif ou social.

Le clip de 45 secondes est destiné à mettre les choses dans un contexte plus léger pour attirer l’attention des adolescentes âgées de 13 à 18 ans qui ont jusqu’à présent été très difficiles à atteindre avec des messages sur la science. L’objectif est d’attirer leur attention afin qu’elles puissent s’intéresser à la campagne en détail.

Le concept de la vidéo trailer est de combiner des images de la science avec des images de cosmétiques et de mode pour montrer aux adolescentes que la science fait déjà partie de leur vie.

L’idée d’écrire le slogan avec le rouge à lèvres est considérée comme amusante et originale.

Finalement, avec cette vidéo montrant très maladroitement que la science, c’est aussi un « truc de fille », la Commission européenne est parvenue à la fois à attirer – pour le pire – l’attention de la communauté scientifique et des adolescentes mais également à réaliser une démarche de transparence et de conversation – pour le meilleur.