Quelles sont les bonnes résolutions pour la communication de l’UE ?

En guise de vœux pour cette nouvelle année, quoi de mieux que de faire le tour des bonnes résolutions que devraient prendre au plus vite la communication des institutions européennes sur l’Union européenne…

Parvenir à communiquer moins de signes, plus de signifiants

La 1e résolution, la plus importante, donc, serait de parvenir à faire moins mais mieux : faire moins de bruit, pour être davantage entendu. C’est peut-être paradoxal de primes abords mais c’est fondamental. La communication de l’UE est aujourd’hui trop bavarde, trop diffractée, trop insignifiante.

Comment y parvenir ? D’abord et avant tout, en sachant faire de la communication sur-mesure, c’est-à-dire qui soit capable de mieux comprendre en compte les mentalités afin de répondre aux attentes et besoins spécifiques à chaque segment des publics. De même, parvenir à plus de signifiants passe par un apprentissage visant à davantage capitaliser sur data et insights pour concevoir et déployer la communication européenne.

Mais surtout, le récit mobilisateur et fédérateur de l’Europe doit être profondément revu. Il s’agit de redéfinir les finalités et les priorités en vue du prochain scrutin européen ; ainsi que les modalités pour faire prévaloir le respect de la diversité sans antagoniser et la quête de l’unité sans indifférencier. Les 5 scénarios du Livre blanc de la Commission européenne ne sont pas d’une grande clarté pour le grand public. Un effort de pédagogie est indispensable.

La voie est particulièrement étroite.

Sortir de l’économisme, de la prééminence des échanges marchands et de la loi de marché

Au sujet de l’économisme et de la nécessité d’en sortir, qui a longtemps plombé l’Europe auprès du public, on peut dire que dans les faits, c’est fait, mais dans les têtes, on en est loin. C’est la 2nde priorité de la communication européenne qui ne doit pas s’endormir sur ses lauriers en imaginant qu’aucun « service après-vente » des nouvelles et nombreuses politiques publiques européennes n’est pas nécessaire.

D’une certaine manière, l’autre Europe – qui plaidait pour que l’UE ne soit pas qu’un projet économique et financier, longtemps fantasmée par une large partie de la classe politique française – est là, sous nos yeux, en grande partie devenue la réalité :

  • « l’Europe régalienne » : défense, migration, sécurité, lutte contre le terrorisme – tout cela fait dorénavant partie du quotidien des institutions européennes ;
  • la politique de cohésion, le 2e budget de l’UE après la PAC est de plus en plus perçue comme la « politique sociale » de l’Europe auprès des territoires en difficultés.

En somme, dans la dialectique entre préserver et bouleverser, la communication européenne doit parvenir à certaine quadrature du cercle en parvenant à préserver l’acquis communautaire, en sortant du cercle vicieux de l’UE cantonnée dans la case « TINA : There is no alternative » et en brisant l’intégration uniformisatrice à marche forcée.

Réussir le multilinguisme

La 3e résolution devrait être une évidence, mais il convient de la rappeler tant la définition d’Humberto Eco n’est plus respectée par les institutions européennes : la langue de l’Europe, c’est la traduction. Donc, souhaitons que dès cette année, il soit fait un usage systématique et immédiat de toutes les langues européennes pour toute communication importante.

Le Brexit aura-t-il le résultat paradoxal d’instaurer une victoire « posthume » à l’anglais comme langue vernaculaire de l’UE pour les débats et les réunions communautaires ?

Pourquoi et comment réussir le multilinguisme ? Parce que le multilinguisme permet de fuir toute figure d’autorité, tant « sachante » qu’institutionnelle – qui sont de plus en plus exécrées par le public. Parce que le multilinguisme permet de mettre l’accent sur une communication de proximité, à visage humain, de nature non seulement à sensibiliser, expliquer mais aussi écouter et partir de la base en délocalisant le débat au plus près des populations et en laissant parler les gens pour que chacun se sente partie prenante et coresponsable.

Accomplir vraiment une communication à la fois centrale et au cœur des territoires

La 4e résolution pour la communication européenne porte sur son articulation entre Bruxelles et le reste de l’Europe, autrement dit, toute l’Europe.

Au niveau central, il convient de rendre plus intelligible le message de l’UE et tenter de davantage se connecter avec les leaders d’opinion et les décideurs dans les espaces publics nationaux tandis qu’au cœur des territoires, l’essentiel de la communication devrait être réalisée.

A tout prix, il faut éviter la confusion entre l’Europe et les institutions européennes : on entend souvent à Bruxelles, ville des négociations entre Européens qui si vous n’avez pas accès au menu, c’est que vous êtes sur la carte – autrement dit que vous pouvez vite changer de statut.

Pour reprendre cette métaphore du repas, en matière de communication européenne, les gens sont plus intéressés par ce qu’il y a sur la table « l’Europe », que ce qu’il y a dans la cuisine « les institutions européennes ».

Rebondir face à l’écosystème des nouveaux médias

La 5e résolution vise à ce que la communication européenne parvienne à s’inscrire pleinement dans le paysage médiatique le plus contemporain, ce qui veut dire :

  • Jouer la carte des nouveaux acteurs, tester des nouveaux formats comme les stories ;
  • Entrer dans le quotidien de la vie des gens via des communautés d’intérêt…

Cette capacité à rebondir face aux nouveaux médias repose sur la maîtrise des exigences médiatiques de rapidité et de simplification qui sont deux qualités indispensables pour la communication européenne.

Franchir le cap de la créativité, de l’émotion, de la gamification

La 6e résolution porte sur un enjeu mille fois entendu. Franchir le cap de la créativité, de l’émotion et/ou de la gamification est à la fois une question de relation, c’est-à-dire que la communication doit faire face à la désorientation liée aux transformations qui déboussole tout le monde et, en même temps, d’incarnation, de mise en scène, de spectaculaire, d’émotionnel sans démagogie, sans caricature, et surtout sans travestissement des valeurs.

Ce cap ne sera pas franchi tant que la communication européenne ne saura pas prendre le risque d’aborder des sujets de fond, liés aux habitudes, aux valeurs, à l’identité de nations très diverses, donc à toucher le dur des opinions publiques européenne.

Saisir l’air du temps

Dernière résolution, la communication européenne doit apprendre à saisir l’air du temps, non pas uniquement au sens des tendances créatives comme par exemple le retour et l’attachement aux emblèmes mais au sens de savoir donner des repères et une identité, qui s’inscrire dans le paysage fragmenté, facturé des sociétés européennes tout en parvenant à poser des éléments qui résistent à la durée du temps qui passe. 

En conclusion, une communication européenne réussie, c’est la somme de toutes ces résolutions, en vue d’un véritable dialogue des citoyens européens entre eux autour de leurs visions de l’UE, de son sens et de ses solidarités.

Best of : le top 10 des billets les plus lus depuis 10 ans

Pour fêter avec la nouvelle année les 10 ans du blog Lacomeuropéenne, voici les 10 billets que vous avez préféré lire et partager au cours de la décennie passée…

2007 : la préparation et le budget de la présidence française de l’UE

Au cours du dernier trimestre de l’année 2007, après un lancement en septembre, l’actualité porte sur la préparation de la Présidence française de l’UE : précisions sur le budget consacré à la PFUE et les moyens mis à disposition sont sans précédent.

2008 : la ratification du traité de Lisbonne

Après la ratification officielle par la France, le 14 février 2008, le gouvernement met en ligne un outil de communication interactif et pédagogique pour mieux comprendre le Traité de Lisbonne.

2009 : les élections européennes et…

Un top autour d’une campagne en France pour communiquer sur les produits laitiers : « J’aime le lait d’ici »… sans oublier une interview exclusive de Luuk van Middelaar, auteur de « Passage à l’Europe : histoire d’un commencement ».

2010 : réseaux sociaux et communication de l’UE : les liaisons numériques dangereuses

Le billet « Égocratie et communication européenne : les liaisons numériques dangereuses » discute l’ouvrage d’Alban Martin « Égocratie et démocratie, la nécessité de nouvelles technologies politiques » et héberge une discussion en commentaires très riche avec l’auteur.

2011 : le « journalisme européen » existe-t-il ?

Dans le billet le plus lu de l’année, une réflexion sur le journalisme européen : pour répondre de manière schématique les journalistes européens existent tandis que les médias européens n’existent pas ; de manière plus précise quelques titres de presse spécialisés et une presse anglo-américaine ayant une influence sur les « décideurs européens ».

2012 : l’opération transparence sur le lobbying à Bruxelles

La grande opération transparence sur les plus importants cabinets de lobbying européen se place en tête des articles les plus lus de l’année avec un panorama des principaux cabinets de lobbying à Bruxelles, inscrits sur le registre de la transparence de l’UE.

2013 : l’information européenne sur Twitter

Le classement des journalistes européens des médias français sur Twitter, à l’époque où la Commission européenne n’avait qu’un seul compte à environ 100 000 abonnés, autant que la quarantaine des journalistes français à Bruxelles, dont déjà la moitié de l’audience pour Jean Quatremer.

2014 : l’image de l’Union européenne auprès des citoyens

Année électorale européenne, l’article le plus consulté ne porte pas sur la communication politique des Spitzenkandidaten ou la communication institutionnelle du Parlement européen mais sur l’image de l’UE auprès des citoyens représentatifs de la plupart des Etats-membres.

2015 : l’infographie, nouvelle grammaire de la communication européenne

Le benchmark des infographies (ou eurographics) à partir d’une simple requête sur Google « infographic European Union » remonte de multiples exemples très instructifs et décroche ainsi la première place sur le poduim de l’année.

2016 : la cartographie des principaux Think Tanks européens

La présentation de la scène bruxelloise des principaux think tank européens, de plus en plus nombreux et influents dans le débat politique européen se place en tête des consultations sur l’année.

2017 : la cartographie des civic techs européennes

La première tentative de cartographier les initiatives de civic tech européennes autour des 4 grandes familles proposées par Clément Mabi, encore émergentes mais en plein développement se trouve être l’article le plus lu de l’année.

Un grand merci pour votre fidélité au fil des publications. Très belle année 2018 !

Feuille de route pour la communication sur l’Europe des institutions de l’UE

Une étude prospective de la commission Culture et Education du Parlement européen formule des recommandations pour améliorer la stratégie de communication sur l’Europe à ses citoyens, en informant et en engageant ses citoyens ainsi qu’en promouvant le travail de l’UE.

Mettre l’accent sur l’importance d’engager un dialogue avec des citoyens responsabilisés, de développer une sphère politique et publique européenne et interconnectée, et de communiquer en partenariat

En termes d’objectifs, les institutions européennes doivent poursuivre la démarche de s’engager localement dans des dialogues avec les citoyens tout en continuant l’ambition de développer une sphère politique et publique interconnectée.

S’agissant des publics, les institutions de l’UE doivent davantage inclure une planification stratégique pour différencier les groupes cibles, en tenant compte :

  • des cultures nationales ;
  • des orientations intellectuelles entre valeur/opinion et vision économique/pragmatique ;
  • des cohortes générationnelles ;
  • des dispositions entre attitude passive et communication active dans les médias sociaux.

Repenser les canaux de communication en fonction des usages :

  • Les segments d’audience plus jeunes ne se tournent plus vers les médias traditionnels tels que la télévision ou les journaux. Les auteurs du rapport précisent que la couverture des affaires européennes par les médias traditionnels servira de plus en plus un public vieillissant.
  • Reconsidérer la manière dont l’Europe est présentée sur Internet, en utilisant les médias sociaux et en mettant l’accent sur les consultations mobiles, donc en suivant de près les nouveaux développements, comme les stories.

Évaluer le rapport coût-efficacité des services de communication et des instruments en place : portée et impact. S’ils servent tous le même public d’« élites », il convient de reconsidérer soigneusement la valeur ajoutée apportée par la communication plus traditionnelle (par exemple, le financement des chaînes de télévision et de radio, l’une des catégories de coûts les plus chères). Une plus grande utilisation d’Internet et des médias sociaux pourrait entraîner des économies dans le budget de communication.

Mieux cibler les efforts de communication et éviter une approche unique

Porter une attention particulière aux jeunes. Les jeunes sont le groupe le plus touché par les défis actuels de l’UE, les plus inquiets, les plus éduqués et les plus frustrés par la crise économique et financière. Cette génération est la plus reconnaissante de l’Europe, mais elle risque de perdre son soutien, compte tenu de toutes les pressions auxquelles elle est confrontée. La crise a réduit l’appréciation de l’Europe. Cependant, c’est exactement la raison pour laquelle les problèmes à long terme rencontrés par ces jeunes doivent être abordés au niveau politique.

Mieux adresser les non-votants et les groupes privés de leurs droits. Généralement, ces groupes ont un faible statut économique, des intérêts localisés étroits, manquent de mobilité sociale et font face à une insécurité sociale générale. De plus, ces groupes constituent un vivier pour le populisme et, en particulier, sont susceptibles de partager une pensée anti-européenne.

Etablir une distinction claire entre la communication pour informer et la communication pour engager

Comme c’est le cas pour toutes les administrations publiques, les institutions de l’UE devraient veiller à ce que les citoyens aient facilement accès à des informations neutres et objectives sur les aspects institutionnels de l’Union et ses résultats politiques. C’est une fonction de base que les institutions devraient remplir. Néanmoins, il ne faut pas s’attendre à ce que ces efforts de communication conduisent à plus d’engagement (en tenant compte des limites de la communication traditionnelle).

Il appartient aux politiques et à la société civile de promouvoir l’Europe et d’impliquer les citoyens dans les affaires européennes, avec ou sans financement des programmes de l’UE. Ces acteurs peuvent adopter un style plus ou moins implicite ou explicite de promotion de l’UE, des valeurs européennes, des produits, etc. Ces activités de financement de la mobilité et des événements et festivals politiques / culturels / sportifs devraient faire en sorte que l’Europe fasse l’objet de débats, de reportages et d’attention publique. Ici, les conflits et les conflits d’opinions sont des ingrédients importants.

Repenser le contenu et le ton de la communication afin d’établir une meilleure connexion avec les citoyens

Rendre les messages de communication moins techniques et moins formels tout en fournissant plus d’informations générales. Les modèles de communication émanant des institutions de l’UE ont tendance à expliquer et à transférer les décisions et les problèmes dans leur cadre d’origine (juridique, économique, technologique, etc.). Les effets pratiques, quotidiens et directs de la prise de décision de l’UE, sur place et là où vivent les citoyens, ne sont que rarement visualisés.

Par conséquent, ces lacunes dans la qualité de l’information doivent être traitées, notamment via des « tests d’audience » pour toutes les communications importantes. En outre, il conviendrait de mieux utiliser les preuves tangibles montrant la valeur ajoutée de la coopération européenne, telle que celle recueillie dans les études sur les coûts de la non-Europe, ou sur l’impact local du marché unique, de la réglementation et programmes de financement.

Les efforts devraient être accrus pour présenter plus de toute la structure de l’iceberg et pas seulement son extrémité.

Mieux adapter les messages au contexte national et mieux expliquer pourquoi certaines politiques fonctionneront dans un pays donné.

Diversifier l’information pour différents groupes cibles : ceux qui sont des initiés (décideurs ou techniciens), des représentants d’entreprises et des citoyens.

Investir dans une communication basée sur l’action, en engageant réellement les citoyens de l’UE, et augmenter sa portée

Augmenter les allocations budgétaires pour des programmes tels que Citoyenneté, Erasmus +, Europe créative et autres stimulant l’interaction entre les citoyens à travers les frontières, car ces programmes sont beaucoup plus efficaces pour engager les citoyens vers l’UE que les campagnes de communication verbales.

Investir dans les programmes scolaires et la formation des enseignants pour faire en sorte que les jeunes se familiarisent avec l’Europe dès leur plus jeune âge. La plupart des pays ont intégré le sujet de l’Europe dans leurs programmes nationaux, mais dans une plus grande mesure que d’autres. Les bonnes pratiques entre les pays devraient être partagées, et davantage d’enseignants devraient participer aux actions de mobilité.

Doter les institutions de l’UE d’un « visage humain » en demandant aux Commissaires et aux hauts fonctionnaires de visiter les États membres et de participer à des manifestations publiques au lieu de rester dans la « bulle bruxelloise »

Cela devrait également s’appliquer dans certains cas à tout le personnel, qui devrait être mieux formé à la manière de communiquer les politiques et les valeurs de l’UE aux différents groupes cibles (aux citoyens de l’UE mais aussi aux médias). Les fonctionnaires qui ne travaillent pas pour la communication des institutions de l’UE, sont souvent des spécialistes et ont du mal à communiquer les politiques en dehors de l’organisation.

Améliorer la coopération entre les institutions de l’UE et entre les sous-unités au sein des institutions dans le domaine de la communication sur l’Europe, tout en respectant la diversité et le rôle spécifique des institutions

Améliorer la coordination entre les institutions de l’UE (mais aussi entre les DG et les programmes de financement de l’UE). Développer une refonte de la stratégie de communication pour toutes les institutions en même temps, et mettre en place un groupe de travail pour le faire dans les années à venir. Assurer un meilleur partage des bonnes pratiques en matière de sensibilisation à l’Europe. Coopérer à la mise en œuvre des recommandations.

Au total, avec un tel programme, les institutions européennes ont leur feuille de route écrite pour les prochaines années afin d’améliorer vraiment la communication sur l’Europe, en particulier auprès des citoyens.

Défis et opportunités de la communication de l’Union européenne

Lors de la 8e conférence Europcom, le rendez-vous annuel des communicants européens, l’Ambassadeur des États-Unis auprès de l’Union européenne de 2014 à 2017 Anthony Luzzatto Gardner est intervenu dans un discours d’ouverture plein d’inspiration…

Quel discours sur l’Europe ?

Non sans humour, l’ex-ambassadeur américain revient sur l’un des discours du président Obama qui a su porter un message sur les avantages de l’intégration européenne que la plupart des responsables politiques européens et nationaux échouent à communiquer :

Une Europe forte et unie est une nécessité pour le monde entier. L’Europe reste vitale pour notre ordre international. L’Europe aide à maintenir les normes et les règles qui peuvent maintenir la paix et promouvoir la prospérité dans le monde.

Votre accomplissement – plus de 500 millions de personnes parlant 24 langues dans 28 pays, 19 avec une monnaie commune et l’Union européenne – reste l’une des plus grandes réussites politiques et économiques des temps modernes.

Allocution du président Obama devant les peuples d’Europe à Hanovre le 25 avril 2016

« C’était un discours formidable, mais il y avait un seul problème : il aurait dû être prononcé par un politicien européen, pas par le président des États-Unis. Aucun politicien européen ne donne des discours comme ça. Malheureusement, nous n’avons plus de président aux États-Unis qui prononce des discours comme celui-là non plus. »

A contrario, les discours des responsables nationaux et européens sont pleins de mots défensifs qui mettent l’accent sur la protection contre les menaces et le changement. L’Europe ne peut pas inspirer un sentiment de solidarité avec un récit défensif.

Les histoires personnelles et les images sont des outils puissants. Par exemple, la comparaison de l’UE à une fenêtre est éclairante : invisible dans la plupart des cas mais visible quand elle est obstruée ou cassée.

Les faits ne suffisent pas. Quand la passion rencontre les faits, la passion l’emporte presque toujours. Nous avons besoin de passion pour soutenir nos arguments. Contrairement à l’ancien chancelier allemand Helmut Schmidt qui dit « quiconque a des visions devrait aller chez le médecin », nous avons besoin de vision pour inspirer et justifier le sacrifice pour le bien de tous.

Quels messages de l’Union européenne ?

C’est facile. Tous les domaines dans lesquels les Etats-Unis reculent et où la fierté européenne devrait être à la hauteur de la place de l’UE comme l’un des acteurs les plus importants du monde dans ces domaines : aide au développement, aide humanitaire, changement climatique, bonne gouvernance et la protection de l’ordre multilatéral fondé sur des règles.

Dans de nombreux domaines, l’UE agit comme un « multiplicateur de force » des États membres :

  • Dans le commerce mondial, où l’UE possède l’expertise et le pouvoir de négociation nécessaires pour parvenir à des accords de libre-échange équilibrés ;
  • Dans l’industrie contre les distorsions du commerce international ;
  • Dans l’aide au développement et l’aide humanitaire, où l’UE peut assurer la cohérence et l’efficacité des programmes à long terme ;
  • En matière de sécurité énergétique, où l’UE a favorisé l’intégration des marchés de l’électricité et du gaz ;
  • Dans la protection des frontières extérieures…

Les messages positifs ne se vendent pas tout seuls. Ils doivent être promus. Il est inutile de faire du bon travail si peu de gens le savent. La pédagogie doit être portée par les bons messagers, des tiers qui inspirent confiance : ce qui est important n’est pas ce que vous dites, mais ce que les gens entendent.

Quels défis pour la communication ?

D’abord, la communication européenne devrait être moins timide. L’UE devrait cesser de soutenir des acteurs de la société civile qui sapent le message de l’UE.

Trop longtemps, l’UE a poursuit une politique de non-réfutation : ne pas répondre aux inexactitudes dans les médias, alors que quand il n’y a pas de réfutation, les faussetés deviennent acceptées comme des faits.

Ensuite, les États membres compliquent les efforts visant à communiquer efficacement sur l’Europe et les institutions de l’UE. Les États membres ne se considèrent pas comme des actionnaires dans un projet commun et considèrent l’UE ou parlent de l’UE comme s’il s’agissait d’une force étrangère qui fait des choses (généralement négatives) aux États membres.

Trop longtemps, le « blame game » contre Bruxelles pour tout ce qui est difficile ou mauvais, tout en s’appropriant tout le crédit pour les choses qui vont bien a été un des discours les plus insidieux.

L’accusation d’un programme économique « ultra-libéral » selon lequel, les peuples d’Europe ont souffert des vents froids de la mondialisation et du libre-échange par le choix de bureaucrates non élus, plutôt que par des nécessités économiques est l’un des principaux défis de l’UE pour expliquer que la mondialisation est une réalité et que l’UE fournit aux États membres et à ses citoyens les outils nécessaires pour mieux gérer la mondialisation. Le projet européen et les institutions européennes ont contribué de manière significative à la création d’une zone de démocratie, de stabilité et de prospérité qui fait l’envie du monde entier.

Enfin, l’Europe cherche généralement à communiquer son but avec les invocations rituelles des 70 ans de paix après la Seconde Guerre mondiale. Mais peut-être l’Europe devrait prendre au sérieux l’idéal européen d’une partie de la jeunesse, notamment des pays voisins. L’Europe peut et doit présenter des arguments plus solides à la jeunesse européenne, qui peut considérer la paix comme acquise.

Quelles opportunités pour les actions et outils de communication ?

Les outils de communication doivent clairement changer. Les institutions européennes connaissent-elles vraiment l’impact des euros qu’elles consacrent à la communication – par thème et par canal ?

Un tel audit permettrait d’investir en fonction de l’impact réel, de prendre en compte l’évolution de la consommation des médias : moins de TV, beaucoup moins de presse et beaucoup plus de vidéos en ligne et de médias sociaux. Les institutions européennes devraient investir dans les médias sociaux, y compris via de courts clips vidéo dans les tweets.

Les relations avec les médias doivent également évoluée afin que les affaires européennes fassent partie du débat national. Davantage de ressources devraient être consacrées à la formation des journalistes nationaux aux affaires de l’UE afin d’assurer que davantage de nouvelles nationales incluent les affaires européennes. Les articles de l’UE ne devraient pas seulement être écrits par des journalistes postés à Bruxelles pour se concentrer sur les affaires européennes. Ce devrait être un sujet pour tous les journalistes.

Les messages doivent changer pour se concentrer sur deux thèmes essentiels, qui doivent être répétés dans tout ce que fait l’UE : la sécurité (physique et économique) et le choix à moindre coût et immédiat.

Pourquoi ne pas reprendre les obligations de communication imposées aux bénéficiaires des fonds européens dans d’autres domaines comme l’interdiction des frais d’itinérance pour les téléphones portables, la portabilité des données pour les sites de contenu en ligne (tels qu’Apple iTunes, Amazon, Netflix), la garantie de dépôt de 100 000 euros, les garanties de confidentialité avec le droit à l’oubli et les limites d’utilisation, les mesures de sauvegarde et les droits antidumping…

En résumé, il n’y a jamais eu de moment plus urgent pour les institutions de l’UE pour renforcer les messages positifs sur les contributions de l’UE à la paix, la stabilité, la démocratie, la sécurité, la prospérité et le choix.

Quels besoins de formation pour mieux parler d’Europe ?

Lors des 12èmes Rendez-vous européens de Strasbourg, l’ENA a organisé une table ronde pour réfléchir afin de mieux répondre aux besoins de formation initiale ou continue en matière européenne. La tâche est immense et les solutions aussi…

La formation des journalistes à l’Europe : « mettre des lunettes avec une vision européenne », selon Didier Desormeaux

L’Université France Télévisions est le seul dispositif de formation continue de cet ampleur : un millier de journalistes formés chaque année issus du service public de l’audiovisuel en France, en Europe (RTBF, BBC, radio/TV suisse romande…) et les pays en conversion démocratique.

Pour Didier Desormeaux, président de l’association des responsables de formations des radios et télévisions européens francophones, assurer la place de l’Europe dans la formation des journalistes est un combat sur tous les fronts :

  • Dans la formation initiale, en tant que secrétaire général de la commission professionnelle qui reconnaît les cursus des écoles de journalistes en France (CPNEJ) pour exiger Erasmus des candidats ;
  • Dans la formation continue, qu’elle soit stratégique (l’Europe cède devant la transformation digitale), collective ou individuelle via le cadre du plan de formation de France Télévisions en vue de réduire le décalage entre les jeunes journalistes de la génération Erasmus et les « chefs ».

La place de l’Europe dans la formation pose des difficultés à plusieurs niveaux pour les journalistes :

  • Faut-il surinvestir dans la formation autour des tech » pour adapter les journalistes aux évolutions, comme c’est la tendance ces dernières années au point de négliger les contenus, en particulier la formation sur l’Europe, qui leur permet pourtant de reprendre du terrain sur le fond ?
  • Faut-il être proche ou éloigné d’institutions européennes, qui sont très ouvertes pour accueillir les journalistes à Bruxelles au point de faire craindre une connivence entre l’Europe et les journalistes ?
  • Faut-il être adossé au pouvoir, en tant que partenaire des institutions européennes qui comptent sur l’audiovisuel public ou critique pour éviter toute relation de compromission avec le pouvoir ?

En somme, l’Europe dans la formation (et dans l’information d’ailleurs) soulève un problème journalistique de posture :

  • Quelle est l’importance de l’Europe dans la structure : un sujet généraliste (au sein de chaque équipe) ou spécialisé (qui justifie son propre service et personnel) ?
  • Quelle est la place de l’Europe dans le conducteur du journal : un sujet d’ouverture ? de fin ? de décisions politiques ? de dossiers techniques ?

En résumé, les formations journalistiques sur l’Europe qui fonctionnent reposent sur des enjeux de production de contenus :

  • Les échanges de correspondants, même si la barrière de la langue pour faire bouger les Français est un vrai défi ;
  • Les rédactions transfrontalières, comme par exemple « euro-reporter » organisée pendant le référendum de 2005 entre des médias européens, dont Arte, Radio France et France Télévisions pour la France ;
  • La reconstruction d’une chaîne de télévision nationale, comme par exemple en ex-Yougoslavie pour réapprendre à travailler ensemble et à partager une vision commune, notamment sur la construction européenne (et idéalement en Catalogne aujourd’hui pour reconstruire un avenir désirable, à la fois espagnol et européens aux Catalans).
  • Le journalisme « constructiviste », une vision issue du Danemark pour parler des choses positives avec une nouvelle hiérarchie, davantage bottom-up, pour redonner espoir et confiance…

Réforme du BAC : l’opportunité d’une formation des lycéens à l’Europe pour François Laval

Pour le Directeur du campus européen franco-allemande de Nancy de Sciences-Po Paris, deux constats s’imposent quand on parle d’Europe :

  • D’une part, la force du déficit démocratique et de l’abstention lors des scrutins européens viennent en partie d’une méconnaissance de l’UE ;
  • D’autre part, le rejet du projet européen et les campagnes pour la sortie de Schenghen, de l’euro, voire de l’UE (Brexit) par les partis populistes ne cessent de progresser.

Face à un tel rejet contre Bruxelles, est-ce que nous avons failli dans la formation sur l’Europe ?

Pour éviter les faux discours d’une Europe contre les peuples et expliquer au quotidien l’action de l’UE suivant ses compétences exclusives ou partagées avec les Etats-membres, les efforts doivent porter sur les journalistes, mais surtout auprès de la jeunesse, qui bénéficie des avantages de l’UE sans qu’ils ne soient perçus et attribués à l’UE.

Pour profiter de la réforme du BAC et programmer une formation sur l’Europe dans les lycées, plusieurs réflexions :

  • En Seconde, une semaine européenne autour de la Journée de l’Europe en mai, avec un soutien des professeurs d’histoire/géographie pour conforter leurs connaissances de l’UE ;
  • En Première, une simulation du fonctionnement des institutions européennes, comme à Sciences-Po ;
  • En Terminale, un grand Oral et/ou un grand écrit autour d’un thème commun.

Qu’est-ce qu’il faut pour être Européen ? Si l’on réfléchit à ce qui unit le sentiment américain, c’est d’une part l’attachement au drapeau américain et d’autre part l’identification au président des Etats-Unis ? Donc, pour l’Europe, cela se traduit par l’enjeu des symboles mais surtout de l’incarnation.

Au total, les solutions de formation initiales (auprès des lycéens) ou continues (auprès des journalistes et des professeurs) existent. Reste plus que la volonté politique et les moyens de les mettre en œuvre, au plus vite.