La communication de crise d’Ursula von der Leyen face à la censure : décryptage d’une stratégie de contention

La motion de censure initiée contre la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, bien que politiquement vouée à l’échec, constitue un test majeur pour sa communication. Face à des accusations portant sur le manque de transparence (« Pfizergate ») et un style de gouvernance jugé trop centralisé, la Présidente déploie une stratégie de communication évasive. Celle-ci s’articule autour de quatre piliers : la polarisation du débat en diabolisant ses initiateurs d’extrême droite, la légitimation par le bilan en se posant en garante de la stabilité européenne, un appel à l’unité destiné à ressouder sa majorité pro-européenne fissurée, et une stratégie d’évitement sur les questions de transparence les plus sensibles. Si cette approche réussit à neutraliser la menace parlementaire à court terme, elle révèle des faiblesses structurelles : une déconnexion avec les critiques sur la gouvernance, une perte de contrôle du narratif sur les plateformes numériques et des tensions persistantes avec ses alliés centristes. Quelles stratégies et recommandations pour renforcer la légitimité communicationnelle de la Commission dans un paysage politique européen de plus en plus fragmenté ?

Contexte d’une motion de censure symbolique mais révélatrice

La motion de censure discutée le 7 juillet 2025, bien qu’initiée par l’extrême droite et manquant du soutien nécessaire pour aboutir, sert de caisse de résonance à un mécontentement plus large. Les griefs formulés, allant du « Pfizergate » – où le refus de divulguer des SMS est sanctionné par la Cour de justice de l’UE en mai 2025 – aux accusations de contournement du Parlement sur des législations clés, mettent en lumière une perception de gouvernance opaque et autoritaire.

Le vote du 10 juillet 2025 n’est pas l’enjeu principal ; le véritable théâtre est le débat en plénière. Pour Ursula von der Leyen, l’objectif n’est pas seulement de survivre politiquement, mais surtout de défendre sa légitimité et de contenir les fractures au sein de sa propre coalition majoritaire (PPE, S&D, Renew, Verts), dont plusieurs membres expriment leur frustration.

Analyse des stratégies rhétoriques et des messages clés

Lors de son intervention au Parlement européen, Ursula von der Leyen articule sa défense autour d’une rhétorique soigneusement calibrée :

La polarisation : l’extrême droite comme faire-valoir

La Présidente cadre d’emblée la motion comme une manœuvre de déstabilisation orchestrée par des « forces anti-européennes » et des « partisans de la Russie ». Cette tactique de polarisation vise à discréditer la source des critiques plutôt que leur contenu. En créant un clivage entre un « nous » pro-européen et un « eux » destructeur, elle contraint sa majorité à faire bloc.

Si cette stratégie est efficace pour mobiliser le cœur de sa coalition, elle est à double tranchant. L’accusation de collusion avec la Russie, non étayée, est perçue comme une diversion, affaiblissant son propos et risquant d’aliéner les franges modérées, notamment au sein du groupe ECR.

La légitimation par le bilan : l’Europe en action

Plutôt que de s’attarder sur les controverses, von der Leyen élève le débat en mettant en avant les réalisations de son mandat, notamment le soutien indéfectible à l’Ukraine et la réponse économique aux « turbulences mondiales ». Ce faisant, elle se positionne non pas comme une administratrice mise en cause, mais comme une leader visionnaire défendant l’intérêt supérieur du continent.

Cette approche renforce son statut mais peut paraître déconnectée des griefs spécifiques sur la gouvernance et la transparence, alimentant le reproche d’un « autoritarisme bureaucratique » formulé par ses opposants.

L’appel à l’unité : consolider une majorité fragile

Consciente des critiques émanant de ses propres alliés (Renew, S&D) concernant ses concessions au PPE sur les dossiers environnementaux, son discours est un appel implicite à la cohésion face aux menaces externes. Elle cherche ainsi à minimiser les divisions internes en rappelant à sa majorité sa responsabilité collective.

Cet appel est nécessaire mais sa portée reste limitée sans gestes politiques concrets. Les critiques publiques de figures comme Valérie Hayer (Renew) ou Iratxe Garcia Perez, (Socialists & Democrats) signalent que la loyauté de ses partenaires est conditionnelle et exigera des concessions programmatiques.

La stratégie de l’évitement : le silence sur le « Pfizergate »

Concernant l’accusation la plus emblématique de la motion, la Présidente opte pour la minimisation. En évitant toute explication directe sur la non-divulgation des SMS, elle préfère une défense générique des procédures de la Commission.

Ce silence, bien que tactiquement compréhensible pour ne pas raviver la polémique, constitue la principale faiblesse de sa communication. Il nourrit le procès en opacité et offre un angle d’attaque durable à ses détracteurs, qui l’exploitent pour dépeindre une technocratie agissant au-dessus des règles démocratiques.

Contrôle relatif du narratif

La stratégie de communication de la Présidente s’appuie principalement sur le cadre institutionnel, qu’elle maîtrise. Le discours en plénière est le point d’orgue, relayé et amplifié par le chef du groupe PPE, Manfred Weber, qui reprend la rhétorique. Les médias européens, en soulignant les faibles chances de succès de la motion, contribuent également à contenir la crise.

Cependant, une dissonance claire apparaît avec l’écosystème numérique. Sur les réseaux sociaux (notamment X), le narratif est largement dominé par les opposants. Les critiques sur le « Pfizergate » et les accusations de censure du débat y sont amplifiées, illustrant une perte de contrôle sur ces plateformes où le sentiment anti-establishment prospère. La communication de la présidente de la Commission y apparaît réactive et défensive plutôt que proactive.

Recommandations communicationelles

La communication d’Ursula von der Leyen est tactiquement efficace pour un objectif à court terme : neutraliser la motion de censure. Cependant, elle révèle des faiblesses stratégiques préoccupantes.

Forces :

– Contrôle du cadre institutionnel pour imposer son narratif officiel.

– Polarisation pour marginaliser l’opposition radicale et consolider sa base.

– Soutien politique solide du groupe PPE, agissant comme un bouclier médiatique et politique.

Faiblesses :

– Déficit de crédibilité sur les enjeux de transparence, alimenté par la stratégie de l’évitement.

– Rhétorique de diversion (accusations géopolitiques) perçue comme un aveu de faiblesse sur le fond.

– Carence stratégique sur les réseaux sociaux, laissant le champ libre aux narratifs hostiles.

– Confiance érodée auprès des partenaires centristes, dont le soutien futur est désormais conditionné.

Pour renforcer sa communication et sa légitimité à long terme, quelques recommandations  :

1. Adopter une transparence proactive : adresser directement et de manière argumentée les accusations comme le « Pfizergate ». Fournir des éléments de contexte, même partiels, est préférable au silence qui nourrit la suspicion.

2. Investir le champ numérique : déployer une stratégie de communication digitale offensive pour contrer la désinformation, expliquer les politiques de l’UE et humaniser l’institution, au lieu de laisser les plateformes devenir des chambres d’écho pour les eurosceptiques.

3. Reconstruire la confiance par des actes : traduire les appels à l’unité en engagements politiques concrets envers les partenaires de la coalition (S&D, Renew), notamment sur les dossiers où des reculs ont été observés (climat, état de droit).

4. Modérer la rhétorique de polarisation : réserver les accusations géopolitiques graves aux situations avérées pour ne pas banaliser leur portée et éviter d’aliéner les acteurs politiques modérés mais critiques.

La gestion de la motion de censure de juillet 2025 par Ursula von der Leyen illustre un paradoxe : une victoire à la Pyhrus obtenue au prix d’un affaiblissement de sa crédibilité communicationnelle. En privilégiant une stratégie de contention et de polarisation, elle survit à la tempête mais n’apaise pas les inquiétudes de fond sur la transparence et la gouvernance. 

Pour la seconde moitié de son mandat, dans une Europe politiquement fragmentée, passer d’une communication de défense à un dialogue proactif et transparent ne sera pas une option, mais une nécessité pour restaurer la confiance.

Campagne de communication pour les élections européennes 2014 : l’Europe tente l’électrochoc émotionnel (et découvre que l’engagement ne s’achète pas toujours)

Après le galop d’essai un peu timide de 2009 et son « It’s Your Choice! », le Parlement européen a compris une chose : pour faire vibrer la corde citoyenne, il faut plus qu’un slogan unique et des affiches bien traduites. Il faut du cœur, de l’émotion, du récit. Nous voici donc en 2014. L’ambiance a changé. La crise financière est passée par là, laissant derrière elle un goût amer de « crise, colère et frustration », pour reprendre les termes mêmes qui infusaient la réflexion stratégique de l’époque. Mais paradoxalement, le Parlement sort renforcé, avec de nouveaux pouvoirs et, surtout, une innovation politique majeure : le processus des Spitzenkandidaten. Pour la première fois, le vote des citoyens allait directement influencer le choix du Président de la Commission européenne. Le moment idéal pour tenter une nouvelle approche…

« Cette fois, c’est différent ! » : promesse électorale ou vœu pieux ?

Le contexte est donc double : une méfiance ambiante envers les institutions et une opportunité politique inédite. La campagne de 2014 va jouer sur ces deux tableaux. Son leitmotiv officieux, martelé dans les communications ? « This time it’s different ». Un message clair : votre vote n’est plus symbolique, il est décisif pour le leadership européen. Les objectifs sont ambitieux :

  • Faire connaître les nouveaux pouvoirs du Parlement européen : Expliquer l’enjeu des Spitzenkandidaten et montrer que l’institution n’est plus une simple chambre d’enregistrement.
  • Remotiver les troupes (et les autres) : S’adresser à un électorat large, mais avec un focus particulier sur les sceptiques et les jeunes désillusionnés par la crise, ceux qui pensent que « Bruxelles, c’est loin ». Il faut les convaincre que, justement, cette fois, ça les concerne directement.

« Act. React. Impact. » : l’Europe fait son cinéma

Pour porter ce message, changement de style. Fini l’approche purement informationnelle, place à l’émotion et à la connexion avec le réel. Le slogan officiel, décliné sur les supports visuels, est « Act. React. Impact. ». L’idée ? Montrer que le citoyen peut agir par son vote, réagir aux événements (la crise, par exemple) et impacter la direction que prend l’Europe. Une signature complexe à décrypter malgré tout.

La stratégie se professionnalise nettement :

  • Un narratif ancré dans le réel : On abandonne les représentations idéalisées ou « glossy » pour parler des vraies préoccupations, des difficultés, montrant un Parlement connecté aux réalités vécues. L’Europe n’est pas qu’une affaire de traités, c’est une affaire de vies.
  • Une production visuelle ambitieuse : Le Parlement s’offre les services de l’agence de publicité Ogilvy. Le résultat ? Des vidéos de haute qualité, dont un trailer au style cinématographique mettant en scène des moments de vie contrastés, diffusé dans les 24 langues officielles. On cherche à créer un choc visuel et émotionnel.
  • Premiers pas sérieux sur le digital : La campagne investit davantage les réseaux sociaux (Facebook et Twitter avec des hashtags dédiés) pour engager la conversation.
  • Ciblage des primo-votants : Un film et des actions de sensibilisation spécifiques sont dédiés aux jeunes électeurs, considérés, à juste titre, comme un public clé pour l’avenir.
  • Budget et Déploiement : Le budget alloué est d’environ 16 millions d’euros, soit légèrement moins qu’en 2009, représentant environ 0,03 € par citoyen. La coordination reste centrale, mais avec une tentative de localisation via des partenariats médias nationaux.

Les Spitzenkandidaten : la révolution silencieuse au cœur de la campagne

Introduit pour la première fois lors de ces élections de 2014, le processus des Spitzenkandidaten, les candidats têtes de liste représentait une petite révolution institutionnelle. L’idée était simple mais puissante : chaque grande famille politique européenne désignait avant les élections son candidat pour la présidence de la Commission européenne. Le parti arrivant en tête lors du scrutin européen aurait alors une légitimité démocratique pour que son candidat soit proposé par le Conseil européen et élu par le Parlement.

Ce mécanisme transformait fondamentalement la nature de l’élection : on ne votait plus seulement pour élire ses députés européens, mais aussi, indirectement, pour choisir le chef de l’exécutif européen. C’était l’argument massue pour justifier le « This time it’s different ». La campagne de communication du Parlement s’est donc largement appuyée sur cet élément, s’efforçant d’expliquer ce concept nouveau et de souligner l’impact direct du vote citoyen sur le choix du leader européen. Cela a notamment donné lieu aux premiers débats télévisés entre ces Spitzenkandidaten, ajoutant une dimension présidentielle inédite à la campagne européenne et contribuant à politiser davantage l’enjeu du scrutin.

Le verdict des urnes : la grande désillusion (et les nouvelles leçons apprises)

Malgré cette montée en gamme stratégique et créative, le résultat est une douche froide. La participation atteint un nouveau plancher historique : 42,54%. L’électrochoc émotionnel n’a pas eu lieu.

Que s’est-il passé ?

  • La communication ne peut pas tout : L’apathie structurelle, le manque d’incarnation politique transnationale, la complexité perçue de l’UE sont des obstacles que même la meilleure campagne peine à surmonter seule.
  • Le défi persistant du multilinguisme créatif : Créer un message émotionnel fort qui résonne de la même manière dans 24 langues et cultures reste un exercice périlleux. Le risque de la « médiocrité née du compromis » plane toujours, même si l’effort pour parler d’une seule voix est reconnu.
  • Un succès d’estime, quand même : Tout n’est pas noir. Le concept des Spitzenkandidaten gagne en notoriété publique. La campagne est remarquée pour son audace et sa volonté de sortir des sentiers battus. Les débats entre candidats têtes de liste, une première, marquent les esprits.

Surtout, 2014 est riche en enseignements pour le Parlement européen. La principale leçon, retenue en interne ? Il faut commencer encore plus tôt et trouver des moyens encore plus engageants pour mobiliser les citoyens. L’approche, bien que plus professionnelle, restait encore trop « descendante ». On avait montré de belles vidéos, mais avait-on vraiment impliqué les gens ?

La campagne de 2014, avec ses ambitions et ses résultats décevants, a paradoxalement préparé le terrain pour 2019. Elle a familiarisé le public avec l’idée que les élections européennes avaient un enjeu de pouvoir réel. Elle a montré les limites d’une communication centralisée, même créative. Elle a surtout créé un électrochoc… en interne, renforçant la conviction qu’il fallait oser une approche radicalement différente pour la prochaine échéance. Une approche qui mettrait le citoyen non plus seulement comme spectateur, mais comme acteur principal.

Et c’est précisément ce « big bang citoyen » de 2019 que nous explorerons dans notre prochain article. Préparez-vous, ça va secouer !

Il était une fois la communication du Parlement européen pour les élections européennes : 2009 : « It’s your choice! », quand on tente le grand saut (sans élastique)

Pour notre première série d’été, le choix c’est bien entendu porté sur les campagnes de communication autour des élections européennes : la grande Transformation au cours des quinze dernières années. Remontons le temps jusqu’en 2009. L’air est frais, l’iPhone 3GS vient de sortir, et à Bruxelles, une idée audacieuse germe dans les couloirs du Parlement européen : lancer LA première campagne de communication électorale vraiment unifiée pour les 27 États-membres. L’objectif affiché est herculéen : stopper l’hémorragie de la participation citoyenne, cette courbe descendante qui nargue l’idéal démocratique européen et qui venait de frôler les 43% (un chiffre qui, cruel destin, s’établira finalement à 42,6% après le scrutin). Le gant était jeté.

« It’s Your Choice! » : l’Europe ose (enfin) une campagne

Le nom de baptême de cette aventure ? « It’s Your Choice! ». L’ambition stratégique, documentée notamment par l’OSCE et les analyses de l’époque est claire comme de l’eau de roche (ou presque) :

  • Briser la spirale négative : Il fallait à tout prix « break the downward trend », redonner envie, ou du moins, freiner la désertion des urnes.
  • Reformuler l’acte de vote : Moins un pensum civique qu’une réelle opportunité d’« influencer le processus décisionnel ». On visait l’électorat général, mais avec une flèche décochée en direction des jeunes (primo-votants) et des abstentionnistes chroniques, ces fameux « apathiques » que toute campagne rêve de réveiller. Le message sous-jacent : l’Europe n’est pas une fatalité technocratique, c’est une construction dont vous détenez une clé. Votre bulletin.

Du dépliant à la « Choice Box » : l’arsenal hétéroclite d’une première offensive

Pour matérialiser cette ambition paneuropéenne, on sort l’artillerie… de l’époque. Une coordination inédite, mais des outils somme toute assez classiques, avec une touche de nouveauté :

  • Le kit de base unifié : Logo étoilé unique, slogan unique. La base d’une identité visuelle commune, déployée sur tous les supports. C’était la condition sine qua non pour parler d’une seule voix.
  • L’offensive visuelle : Dix affiches thématiques (emploi, environnement, etc.), conçues pour toucher différentes cordes sensibles, sont traduites dans les 23 langues officielles et placardées à travers le continent. Un effort linguistique et logistique considérable.
  • Les grands classiques médiatiques : Le gros des troupes est constitué de publicités télévisées, de spots radio et d’affichage urbain. On occupe le terrain médiatique traditionnel, là où l’on pense (encore) toucher le plus grand nombre.
  • L’étincelle d’interactivité avec la « Choice Box » : C’est LA petite innovation de 2009. Des cabines vidéo installées sur des places publiques invitent les passants à enregistrer leur message à l’Europe. Un ancêtre lointain et physique du User Generated Content, une tentative de créer du dialogue là où régnait le monologue.
  • La touche locale (contrôlée) : Les bureaux d’information du Parlement ont la tâche délicate de sélectionner, dans le catalogue central, les thèmes et les déclinaisons les plus pertinents pour leur public national. Une première tentative de décentralisation, même si le cadre restait très centralisé.
  • Le chef d’orchestre créatif : C’est l’agence allemande Scholz & Friends qui est chargée de mettre en musique cette partition complexe.
  • Le nerf de la guerre (ou plutôt, le petit pécule) : Le budget total avoisine les 18 millions d’euros. Impressionnant ? Pas tant que ça. Rapporté aux quelque 375 millions d’électeurs potentiels, cela équivaut à environ 0,05 € par citoyen. De quoi s’offrir une demi-sucette ? Cette relative modestie budgétaire, face à l’ampleur de la tâche et à la fragmentation médiatique et culturelle, pèsera lourd dans la balance.

La douche froide : pourquoi « It’s Your Choice! » n’a pas (encore) fait des étincelles pour faire reculer l’zbstention

Le verdict des urnes est sans appel : 42,6% de participation. Non seulement la tendance n’est pas inversée, mais elle continue sa légère érosion. L’objectif principal est manqué. Pourquoi ce rendez-vous passe à côté ?

Les analyses post-campagne pointent plusieurs faiblesses structurelles :

  • Un mur du son difficile à percer : Avec un budget limité et un démarrage jugé tardif, la campagne a eu du mal à émerger dans le brouhaha médiatique national de nombreux pays. La visibilité est restée insuffisante pour marquer les esprits en profondeur, d’autant qu’une telle campagne était relativement nouvelle pour les électeurs.
  • Le frein à main de la neutralité : Le Parlement a dû volontairement réduire l’intensité de sa campagne juste avant le scrutin pour ne pas être accusé d’interférer avec le jeu politique partisan. Une contrainte institutionnelle forte qui ampute la campagne de sa dernière ligne droite. La période de réserve, qui existe notamment en France est le principal responsable.
  • Un message trop rationnel ? Trop distant ? : Malgré l’accent mis sur le « choix », le message est peut-être resté trop abstrait, trop institutionnel, peinant à créer un lien émotionnel fort ou à démontrer une pertinence immédiate dans la vie quotidienne des citoyens. L’Europe restait perçue comme lointaine.

Les fondations malgré tout : les leçons essuyées sur les plâtres de 2009

Faut-il pour autant jeter le bébé « It’s Your Choice! » avec l’eau du bain de l’abstention ? Certainement pas. Cette campagne, malgré ses résultats décevants sur le thermomètre de la participation, fut une étape fondatrice et nécessaire. Elle a permis de :

  1. Poser le principe d’une communication européenne unifiée et d’en tester la faisabilité opérationnelle.
  2. Mesurer l’ampleur des défis : la complexité linguistique et culturelle, l’impératif de budgets conséquents, la nécessité d’anticiper bien en amont.
  3. Comprendre (douloureusement) les limites de l’approche top-down et purement informationnelle. Le citoyen de 2009 ne se mobilise plus sur simple injonction, même parée des meilleures intentions démocratiques. Il faut plus.

Ces leçons, gravées dans le marbre des évaluations post-campagne, vont nourrir la réflexion stratégique pour les années à venir. L’idée qu’il faut injecter plus d’émotion, plus de pertinence, plus d’engagement direct et peut-être moins de contrôle centralisé commence à faire son chemin.

Comme nous le verrons dans la suite de la série, la campagne de 2014 tentera d’intégrer certains de ces apprentissages, dans un contexte européen encore plus complexe. Rendez-vous pour notre prochain décryptage.

Les valeurs européennes peuvent-elles être un levier de l’européanisation de la communication des universités françaises ?

Invité par Comosup, l’association des communicants des universités à intervenir lors de leur Rencontre dédiée à « Pourquoi et comment intégrer l’Europe dans nos stratégies de communication ? », Lacomeuropéenne a débattu avec Mathilde Bégrand, responsable du pôle enseignement supérieur au sein du département promotion de l’Agence Erasmus+ France des valeurs européennes comme levier dans la communication européenne des universités en France ?

Un alignement des valeurs entre l’Union européenne avec Erasmus, les universités et les jeunes européens

La devise « Uni dans la diversité » est la mieux incarnée et illustrée par le fameux programme Erasmus+ dont les valeurs répondent aux missions des universités de former des esprits ouverts à la diversité et susceptibles d’affronter les grands enjeux de société, de répondre aux défis contemporains, de transmettre des connaissances et de forger des compétences. Au travers de tous les projets de mobilités, 76% des participants déclarent se sentir davantage liés à l’Europe et à une identité européenne, après leur retour de mobilité Erasmus.

Néanmoins, les valeurs européennes ne sont malheureusement plus forcément consensuelles. Alors que l’Europe, c’est la rencontre des idées, le refus du repli sur soi, l’héritage des Lumières, la curiosité intellectuelle et l’esprit critique, la poussée populiste, les tentations illibérales et les pressions sur les espaces publics nationaux via des campagnes de manipulation de l’opinion et des ingérences de puissances étrangères sont autant de menaces qui pèsent en particulier sur les jeunes.

Pour autant, les jeunes européens, interrogés par le think tank Debating Europe à travers le projet « Voices for choices » dessine un paysage nuancé. Certes le scepticisme contre la politique, la suspicion contre les médias et la méfiance contre les institutions existent. Mais les jeunes ne sont pas apathiques pour autant. Ce n’est pas une génération désengagée, c’est une génération engagée différemment, consciente du fossé entre rhétorique et réalité en quête de preuves plutôt que de promesses.

Les jeunes européens restent attachés aux processus démocratiques, même s’ils se méfient des politiciens. Ils sont passionnés par l’action climatique, l’équité et la sécurité, même s’ils ont le sentiment de ne pas être entendus. Ce sont des idéalistes pragmatiques, favorables à davantage d’autonomie, qui évaluent les problèmes, moins liés aux lignes des partis politiques et plus motivés par un impact tangible.

Les stratégies de communication inspirantes adoptées autour de l’Europe pour les nouvelles générations

Lacomeuropéenne explore la mue de la communication du Parlement européen qui tente de passer du monologue au dialogue citoyen ces 15 dernières années, une révolution silencieuse s’est opérée autour de 3 piliers :

  1. De la campagne éphémère lors des élections à l’infrastructure permanente : Le tournant majeur, fut la transformation de la plateforme thistimeimvoting.eu (2019) en together.eu. Plus qu’un changement de nom, c’est un changement de paradigme : d’un « one-shot » électoral à la construction d’une communauté soutenue dans une infrastructure (numérique et humaine) pour « tirer » de l’engagement.
  2. Des connections émotionnelles et expérientielles : Le Parlement européen investit de manière pérenne dans des dispositifs récurrents d’engagement avec les jeunes comme les European Youth Events, le programme des Ambassador Schools ou les centres Europa Experience qui tentent une forme de pédagogie ludique.
  3. L’art d’équilibrer cœur et raison : La communication du Parlement européen se veut également concrète, reposant sur les faits, déclinée à l’échelle individuelle avec l’excellent outil « What Europe Does For Me » qui tente de démontrer, chiffres à l’appui, l’impact concret de l’UE. L’émotion pour l’étincelle, le factuel pour ancrer la pertinence.

Mathilde Bégrand présente les démarches participatives de l’UE afin d’impliquer de manière active les citoyens européens dans les décisions/les plans d’action. Après les premiers « Youth Policy Dialogues » organisés dans les 100 premiers jours, la nouvelle Commission européenne lance une plateforme : « Votre voix, votre avenir : participez au débat en ligne ». Par ailleurs, un panel de citoyens européens a été organisé, pour la première fois, sur le futur budget à long terme de l’UE.

Cette année, le thème des « Erasmus Days », une initiative française qui est devenue un moment phare pour offrir une fenêtre sur le programme, porte sur les valeurs de l’UE : « Vivre nos valeurs, dessiner notre avenir » avec des milliers d’évènements partout en Europe (et au-delà) et concours vidéo : « Pitch ta valeur ».

En ce moment, les programmes « Choose Europe » et « Choose France » pour accueillir des scientifiques américains mettent en avant les libertés académiques depuis l’élection de Trump ainsi que le programme « Pause », porté par le Collège de France.

Mais, il ne faut pas négliger le contre-modèle hongrois : l’Université d’Europe Centrale, dite « Université européenne », financée par la fondation Open Society de George Soros a été fermée à Budapest, au profit d’une part du Mathias Corvinus Collegium financé par le parti Fides de Viktor Orban et l’arrivée de l’Université Fudan-Chine, le 1er campus chinois ouvert en Europe.

L’un des principaux défis potentiels pour les universités qui souhaitent intégrer les valeurs européennes dans leur communication est que le sujet International/Erasmus+/Valeurs européennes doit être intégré dans la stratégie de communication globale et ne pas être « le truc en plus ».

Comment communiquer sur le programme Erasmus ?

50% des freins sont liés à des problèmes de communication, entre trop d’infos confuses et pas assez d’infos utiles et trop souvent les mêmes et pas assez de nouveaux profils. Mathilde Bégrand estime que le levier européen du programme Erasmus n’est pas le seul point d’entrée pour la communication, plusieurs axes peuvent être développés :

  1. Susciter des mobilités au sein des personnels et pour les enseignants-chercheurs, c’est un apport professionnel et personnel, qui renforce le sentiment d’appartenance, c’est un outil pédagogique puissant pour la transmission des valeurs par l’expérience vécue, un « apprentissage par la pratique ».
  2. Valoriser l’engagement des personnels dans les projets pédagogiques, comme monter un master, lutter contre le décrochage scolaire, autant d’opportunités de financement européen.
  3. Développer l’engagement européen des établissements, en tant que source d’attractivité : la place dans le classement Développement durable des universités est une opportunité de candidatures.
  4. Travailler sur la reconnaissance des acteurs mobilisés, des résultats de recherche et des talents attirés.

Intégrer l’Europe dans les stratégies de communication des universités apparaît autant comme un impératif stratégique et budgétaire qu’une opportunité de rayonnement et d’attractivité.

L’influence, ADN de l’Europe, en mutation : l’UE face au grand réalignement informationnel

Le rapport « EU Media Poll 2025 » vient de tomber. Réalisé chaque année auprès des Key Opinion Formers à Bruxelles, c’est une boussole pointant vers des courants changeants. Quelles sont les tendances 2025 en matière d’information, d’influence et d’engagement sur les réseaux sociaux ?

Acte I : Le trône vacille, les barons de l’info en PLS ?

Le rapport est clair : les « grands classiques » comme POLITICO (69% d’influence perçue), le Financial Times (63%) et Reuters (62%) tiennent encore le haut du pavé. Ouf, l’ordre ancien n’est pas mort. POLITICO reste le chouchou, surtout pour son « accès insider » (50%) et sa « rapidité » (57%). C’est un peu le fast-food de luxe de l’info UE : rapide, efficace, mais laisse-t-il toujours le temps à la digestion et à la nuance ?

Cependant, attention au chant du cygne. L’influence de tous ces mastodontes décline par rapport aux années précédentes. POLITICO perd 5 points, le FT dégringole de 10 points, et The Economist, ce parangon de l’analyse, chute de 15 points ! C’est plus qu’une tendance, c’est un glissement de terrain.

Pendant ce temps, LinkedIn grimpe de 7 points pour s’asseoir à la table des grands avec 52% d’influence, une place acquise à la tête des médias sociaux. Et que dire de X (feu Twitter) ? Une chute vertigineuse de 15 points d’influence (à 43%) et une baisse de 12 points dans son usage hebdomadaire. C’est vraiment le moment de construire son influence ailleurs.

Aux États-Unis, si les médias traditionnels (NYT, WaPo) gardent une forte influence, la fragmentation est encore plus marquée avec une myriade de newsletters Substack, de podcasts indépendants et de commentateurs sur YouTube qui façonnent l’opinion. L’UE est-elle prête pour ce niveau de « désintermédiation sauvage » ?

Acte II : La quête de sens… et de vitesse (le paradoxe du sprinteur myope)

Pourquoi ces médias sont-ils « très influents » ? Pour le FT, c’est la « qualité de l’analyse ou de l’opinion » (67%). Pour Reuters, la « fiabilité » (66%). Pour POLITICO, la « rapidité » et l’ »accès insider ». On voit ici une tension fascinante : le besoin de profondeur face à l’urgence de l’immédiateté. Le rapport souligne que « l’accent mis sur l’immédiateté peut parfois se faire au détriment de la rigueur et de l’exactitude ». La course au scoop s’es intensifiée entre les grandes rédactions bruxelloises. C’est le dilemme de l’œuf ou de la poule : faut-il être le premier à dire une bêtise, ou le second à dire une vérité ?

Et comment consomme-t-on cette information européenne ? La lecture des sites d’information en ligne chute de 16 points (à 59%) ! Stupeur et tremblement. Les podcasts (+8 points) et les agrégateurs (+12 points) montent en flèche. L’ère de la curation personnalisée et de l’écoute nomade est bien là.

En Asie, des super-apps comme WeChat intègrent information, communication et services. L’Europe, avec son RGPD et sa culture de la spécialisation, peut-elle imaginer de tels écosystèmes intégrés sans sacrifier ses valeurs ?

Acte III : L’humain, toujours… mais moins qu’avant où le nouveau « café du commerce » numérique

Les relations personnelles et les contacts directs restent cruciaux (70% pour les collègues professionnels, 68% pour les contacts personnels). Mais attention, ces chiffres sont en baisse notable (respectivement -16 et -13 points !). Le « off » se numérise-t-il ? Les discussions de couloir se transforment-elles en échanges WhatsApp (toujours le plus utilisé à 65%, mais en baisse de 10 points) ou en messages LinkedIn ?

Pendant ce temps, Instagram (+6 points d’influence, +7 d’usage), TikTok (+11 points d’influence, +5 d’usage) et même Mastodon (+9 points d’influence) gagnent du terrain. L’image, la vidéo courte, le format « snackable » s’imposent. Doit-on s’attendre à un Commissaire européen faisant un « unboxing » de la dernière directive sur TikTok, ou un « story time » sur la politique agricole commune sur Instagram ? L’idée soulève une question fondamentale : comment toucher les citoyens (et les influenceurs de demain) là où ils sont, avec les codes qu’ils comprennent ?

Les dernières campagnes politiques ont toutes parfaitement maîtrisé l’art de créer une connexion « authentique » via les réseaux sociaux, en adaptant le message à chaque plateforme. L’UE, souvent perçue comme distante, a un défi immense à relever.

La vision stratégique : l’UE, l’influenceur des influenceurs (et pas seulement à Bruxelles)

Face à ce tableau, que faire ? Se lamenter sur la fin de la « belle époque » ? Certainement pas. Il est temps d’adopter une posture d’humilité, de curiosité et d’audace.

Devenir un polyglotte numérique : Il ne suffit plus de parler le langage de POLITICO. Il faut maîtriser les codes de LinkedIn (professionnel, réseau), d’Instagram (visuel, narratif), de TikTok (court, viral, authentique), des podcasts (intime, approfondi). Cela ne veut pas dire transformer chaque fonctionnaire en star des réseaux, mais d’identifier les bons canaux et les bons formats pour les bons messages et les bonnes cibles.

L’authenticité, l’arme de construction massive : Les « influenceurs » (au sens large) sont en quête de sens, de fiabilité, mais aussi d’une connexion humaine. L’UE doit incarner ses messages. Moins de jargon, plus d’histoires. Moins de process, plus d’impact visible. Les « insider access » de POLITICO sont précieux, mais l’ »outsider understanding » pour le citoyen l’est encore plus. La perception d’une « bulle bruxelloise » est tenace. LinkedIn est très influent chez les « Brussels opinion formers » (65%). Comment s’assurer que ce n’est pas un simple entre-soi numérique ?

La « coopétition » intelligente : Les médias traditionnels déclinent mais restent forts. Il faut continuer à travailler avec eux, mais aussi investir dans ses propres canaux et soutenir l’émergence de nouvelles voix européennes indépendantes et de qualité. Comment former les créateurs de contenu aux enjeux européens ?

L’art de la conversation : Même si les médias sociaux ont largement investi dans la dimension médiatique via la visibilité, particulièrement payante, la partie sociale organique et communautaire demeure. Il faut écouter, interagir, répondre. Le « community management » n’est pas une tâche subalterne, c’est le cœur du réacteur de l’influence moderne. Les médias sociaux en tant source d’influence sont encore relativement faibles (39%), ils devraient se développer à condition de les utiliser non comme des panneaux d’affichage mais des salons de discussion.

Embrasser la « Creator Economy » européenne : Il existe des milliers de créateurs de contenu talentueux à travers l’Europe. Collaborer avec eux (pas seulement les « gros » influenceurs, mais aussi les micro et nano-influenceurs spécialisés) peut démultiplier la portée des messages européens de manière crédible et ciblée.

Le courage de l’expérimentation (et du droit à l’erreur) : Le paysage médiatique évolue plus vite qu’auparavant, avec des mouvements à plus de 10 points d’écart en un an seulement. Il faut oser tester de nouveaux formats, de nouvelles plateformes, quitte à se tromper parfois. L’innovation ne naît pas de la peur de l’échec.

L’enquête « EU Media Poll 2025 » est une invitation à repenser nos certitudes, à affûter nos outils, et surtout, à rallumer la flamme de la narration européenne. L’UE, c’est une histoire et pour bien la raconter en 2025, il va falloir changer de disque… ou du moins, ajouter quelques pistes à la playlist pour swiper, liker, podcaster et « tiktoker » l’Europe. Si nous ne le faisons pas, d’autres s’en chargeront. L’influence, comme la nature, a horreur du vide.