Ambiguïtés de la campagne de communication « Je veux l’Europe »

Envoyer « un signal positif pour une Europe forte », c’est le défi revendiqué par la campagne de communication «Je veux l’Europe» (« Ich will Europa »: ich-will-europa.de) annoncée dans la stratégie du ministère fédéral des Affaires étrangères et lancée récemment en TV, presse et sur Internet par onze fondations allemandes. Selon l’intention que l’on prête à la campagne, la perception s’en trouve radicalement changée…

Intention réduite, perception partisane décuplée : instrumentalisation efficace des enjeux européens à des fins électorales

La campagne « Je veux l’Europe » peut être perçue comme un exercice de politisation de la question européenne parce qu’« Angela Merkel s’est chargée elle-même du discours de bienvenue de cette campagne de communication », selon Le Figaro qui constate que « la chancelière ne se contente pas de proclamer son attachement, elle veut aussi faire avancer son projet d’intégration européenne ».

Le message de la campagne dont le slogan est « Je veux l’Europe », vendue avec une vidéo de Merkel risque d’être compris comme « Je veux l’Europe de Merkel », ce qui ne peut que susciter des interrogations sur les intentions relatives aux impressions laissées auprès du public par cette campagne pro-européenne, selon Lost in Europe qui précise que Berlin se prépare pour les élections générales.

D’ailleurs, Lost in Europe confirme que « la politique intérieure est le poison de la campagne tout entière : le plan original était que l’ancien ministre des Affaires étrangères Fischer soit impliqué avec son successeur et actuel titulaire du poste Westerwelle ». Mais, cette campagne très louable pour l’Europe fut perçue par certains comme une « campagne pour Westerwelle ».

Intention ambitieuse, perception européenne étriquée : promotion hasardeuse d’une idée européenne brouillonne

A contrario, la campagne « Je veux l’Europe » envisagée comme « une déclaration d’amour à l’Europe (…) parrainée par le président allemand Joachim Gauck (…) sous la bannière bleue étoilée de personnalités, dont le capitaine de l’équipe de football d’Allemagne Philipp Lahm ou le patron d’EADS Thomas Enders », selon Le Figaro, peut également être perçue comme un exercice de promotion hasardeux d’une idée européenne brouillonne.

Brouillonne, la confusion créée autour du message, mélangeant les visions et les opinions quant à l’avenir de la construction européenne. Hasardeux, le choix d’une campagne très institutionnelle « 1.0 » qui s’appuie sur des personnalités du monde du sport, de la culture, de la politique ou de l’économie alors que c’est l’opinion des citoyens « de base » qui vacille sur l’Europe.

Selon la dépêche AFP, « dans un sondage publié par le journal dominical Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung à la mi-août, seule la moitié des Allemands (50%) se disait favorable à un maintien dans la zone euro en cas de référendum sur le sujet ». Une campagne plus interactive et participative aurait été plus adaptée pour laisser les doutes s’exprimer et se lever par la discussion.

Ainsi, l’ambiguïté de la campagne de communication « Je veux l’Europe » risque d’en limiter les résultats.

L’initiative citoyenne européenne, la plus importante innovation pour la communication européenne ?

Inauguré au cours du premier semestre 2012, l’initiative citoyenne européenne qui donne un droit d’initiative politique à condition de réunir au moins un million de citoyens de l’UE, représente-t-elle la plus importante innovation de la communication européenne ?

L’initiative citoyenne européenne relance la réflexion sur la bonne approche de la communication européenne

Cette innovation introduite dans le traité de Lisbonne est une occasion de renouveler le débat sur le diagnostic de la communication de l’UE :

Pour les tenants d’une approche pédagogique, il faut lancer une communication promotionnelle de l’initiative citoyenne européenne auprès du grand public pour combler le « déficit démocratique », réduire le « fossé entre l’UE et les citoyens » et compléter la démocratie représentative par la démocratie participative. Il s’agit de recycler une vieille rhétorique qui au fond de l’initiative citoyenne européenne que le problème de la communication de l’UE (et de la gouvernance européenne) résiderait seulement dans un manque de connaissance et de participation des citoyens.

Pour les tenants d’une approche technocratique, il faut faciliter l’appréhension et l’adhésion de l’initiative citoyenne européenne par les publics spécifiques de l’UE. Là, c’est une rhétorique, qui en invoquant de grands principes tels que la « société civile européenne » et l’« espace public européen », se révèle en fait comme un moyen de confier une nouvelle légitimité aux « petits entrepreneurs de la cause européenne », capable d’exploiter leur « capital social européen ».

Entre un pis-aller de la participation des citoyens à la construction européenne ou comme un canal d’expression technocratisé spécialement réservé aux « insiders » du système européen, l’initiative citoyenne européenne est un objet théorique non identifié.

L’initiative citoyenne européenne renouvelle la réflexion sur les mobilisations collectives européennes

Au-delà des deux formes d’action collective européenne : le lobbying et la protestation que Didier Chabenet identifie dans son article « Vers une européanisation de l’action collective », l’initiative citoyenne constitue un scénario inédit d’européanisation des actions collectives.

Une forme inédite de lobbying, au sens ou le détenteur du pouvoir des initiatives citoyennes européennes est ambiguë :

  • un nouveau pouvoir pour instrumentaliser les citoyens entre les mains de la Commission européenne ?
  • un nouveau cauchemar dans la société civile pour organiser l’expression des citoyens ?

Une forme inédite de protestation, au sens où l’activation des « players » européens sur des initiatives citoyennes européennes ne peut pleinement se réaliser sans le support des institutions européennes :

Ainsi, l’initiative citoyenne européenne se révèle une innovation institutionnelle féconde pour repenser la communication européenne. En sera-t-il autant dans la pratique ?

Quel bilan pour l’événement blogueur de la présidence chypriote du Conseil de l’UE ?

Organisé au milieu de l’été, l’événement présenté comme « la présidence chypriote [du Conseil de l’Union européenne] rencontre les bloggeurs » aurait rassemblé, selon le « communiqué de presse » (sic) 37 blogueurs chypriotes et de toute l’Europe.

Destiné à promouvoir l’interaction entre la communauté chypriote et la blogosphère européenne et à réunir physiquement et virtuellement ensemble des blogueurs européens, le hashtag #cy2012eublogs aurait été utilisé pendant la journée dans 695 tweets, toujours selon le « communiqué de presse ».

Selon le regard porté sur l’événement blogueur, le résultat est plus ou moins abouti

Sous l’angle de l’organisation, « techniquement », l’événement « une réunion-dialogue plus qu’une conférence « s’est déroulé avec une globale satisfaction tant pour les bloggeurs (hormis les tables rondes retransmises uniquement via Google+ Hangouts) qu’auprès des représentants officiels chypriotes – « le représentant adjoint de Chypre au Conseil de l’Union européenne, George Zodiates clôture la réunion (..) expose son incompétence dans le domaine du web, annonce qu’il ne connait le mot « blogosphère » que depuis quelques heures : mais toutefois lui-même a pris conscience non seulement de l’officialisation des blogs dans le domaine de l’information, mais aussi de leur importance en tant que média démocratique », selon Au café de l’Europe.

Sous l’angle de la signification, « symboliquement », l’événement est interprété avec une relative confusion dans les médias – la « Famagusta Gazette , «  indique qu’il s’agit de la première réunion officielle de la blogosphère européenne avec une présidence du Conseil de l’UE » – ce qui n’est formellement pas le cas puisque la présidence hongroise avait accrédité des eurobloggeurs à des réunions officielles du Conseil. N’en demeure pas moins que l’événement prouve que l’UE semble consciente de l’importance des médias sociaux et de la montée de l’euro-blogosphère afin de créer une meilleure compréhension de l’UE auprès des citoyens.

Sous l’angle des conclusions, l’événement est étudié avec une unanime réserve :

Dans « Lessons learnt? », Eric tire plusieurs leçons, notamment que « ce ne sera pas suffisant pour rétablir la confiance ; l’UE doit tendre la main aux citoyens et cesser d’utiliser les médias sociaux comme un canal unidirectionnel pour les messages anciens.

Dans « Will the Cyprus blogging event #cy2012eublogs leave a legacy? », Ralf voit certes « le succès en relations publiques » mais attend surtout « des mesures concrètes pour se connecter et interagir avec les citoyens ». D’ailleurs, il souligne que « le programme de la présidence est traditionnel et paternaliste à l’égard de citoyens de l’UE. (…) En bref, les blogueurs doivent être, implicitement, les agents volontaires pour passer le mot sur les bonnes actions au sein de la population ».

Paradoxe d’un événement blogueur inabouti

Finalement, le paradoxe de cet événement bloggeur, c’est qu’il n’a pas donné le sentiment que la présidence chypriote l’ait effectivement vu comme une opportunité pour s’engager davantage dans les médias sociaux. La conversion « sociale » des officiels chypriotes n’a pas eu lieu – au-delà de leurs déclarations d’intention à ne pas négliger pour autant.

Les intentions chypriotes étaient très ambitieuses, mais faute d’une pleine appréhension de la culture du « blogging », l’événement peut soulever de l’incompréhension entre ces mondes et risque de générer en retour de la frustration, voire la crainte d’une instrumentalisation.

Série d’été : les fractures de l’information européenne

Avec l’été, Lacomeuropéenne propose une série sur les temps forts en 2012. Depuis le début de l’année, deux types de fractures ont frappé l’information européenne :

  • d’une part, le divorce est consommé entre les journalistes-correspondant de l’UE et le service des porte-parole de la Commission européenne ;
  • d’autre part, le fossé se creuse entre les médias et le grand public sur l’Europe…

Divorce consommé entre les journalistes et les porte-parole de la Commission européenne

Au-delà des passes d’armes régulières sur Twitter ou lors du briefing quotidien, notamment sur la transparence de la communication de la Commission européenne, le lien de confiance s’est peu à peu distendu.

La relation de travail journaliste/porte-parole se dégrade tant en raison des velléités de réforme de l’activité du service de porte-parole visant à mieux « encadrer » la liberté des journalistes sur les questions posées en dehors de l’agenda, que des démissions du service face aux impératifs de « realpolitik ».

Par exemple, lors de la Journée mondiale de la liberté de la presse, la Commission européenne s’offre une polémique avec les journalistes : à sa manière, la Commission célébre (sic) la Journée mondiale de la liberté de la presse en refusant un point presse aux journalistes, alors que le probable futur Premier ministre chinois Li Keqiang rencontrait Herman Van Rompuy et José Manuel Barroso à Bruxelles.

Autre exemple, selon l’enquête Eurobaromètre sur l’Union européenne, les journalistes et les médias sociaux, une majorité des journalistes accrédités auprès des institutions européennes affirme qu’elle utilisera davantage les médias sociaux mais seule une minorité utiliserait davantage les médias sociaux de l’UE. Autrement dit, les journalistes accrédités auprès de l’UE doutent de la capacité des institutions européennes à leur fournir des informations vraiment utiles via les médias sociaux, quand bien même ces outils seront de plus en plus incontournables pour leur métier.

Fossé creusé entre les médias et le grand public sur l’Europe

Plus largement, le fossé entre l’information européenne et le grand public se creuse.

Première manière de constater le fossé, les pratiques en matière d’information des acteurs européens. Leur consommation des médias indique une très forte concentration autour de quelques titres de la presse anglo-saxonne ou spécialisés sur l’UE – quasiment aucun média grand public ne leur semble digne d’intérêt :

  • le Financial Times et The Economist sont très répandus auprès de la plupart des acteurs, en particulier les think tanks, les milieux académiques et les journalistes ;
  • Euractiv et European Voice – deux sources spécialisées sur l’UE – sont également très lus, notamment dans les associations professionnelles et les ONG.
  • la BBC – seule média grand public – est la source la plus fréquemment citée auprès de tous les acteurs au sein des institutions européennes.

Deuxième manière de constater le divorce entre les médias et le public sur l’Europe, c’est l’opinion des Français en matière d’information sur l’Europe :

  • Deux Français sur trois, se sentent mal informés sur l’Union européenne (66%) – mais ce sentiment fait l’objet d’un paradoxe sociologique puisque ce sont les moins diplômés et les chômeurs qui s’estiment mieux informés que les plus diplômés et les cadres. En résumé, on est peu informé sur l’Europe mais c’est déjà presque trop.
  • Plus de trois Français sur quatre souhaitent que les responsables politiques français, ainsi que les médias, parlent davantage de l’Europe (76%) – mais cette attente est fantasmatique, s’agit-il de plus d’Europe au sens pro-européen tel que l’entendent les partisans de l’intégration européenne ou plutôt de moins d’Europe « politiquement correcte », c’est-à-dire d’une information européenne qui soit plus plurielle, plus nuancée…

Au total, une information européenne grand public est-elle possible ?
Il ne semble pas qu’il y ait beaucoup de place dans les médias pour une information européenne grand public : l’activité des spécialistes de l’actualité de l’UE est accessible à une minorité instruite et motivée et les médias de masse démissionnent devant les exigences liés aux sujets européens et les contradictions des attentes du public.

Série d’été : les dérapages de la communication européenne

Avec l’été, Lacomeuropéenne propose une série sur les temps forts de la communication européenne en 2012. Depuis le début de l’année, deux types de dérapages ont été constatés, l’un concernant la confusion entre information et communication, l’autre portant sur des vidéos virales produites par la Commission européenne…

Dérapages liés à la confusion entre information et communication européennes

En 2012, la Commission européenne s’est « emmêlée les pinceaux » – à deux reprises – en confondant l’information – mission journalistique – et la communication.

Première illustration à l’occasion de la refonte de l’espace presse et actualités de l’UE – une évolution d’une « press room » de l’UE vers une « news room » – qui renforce la confusion entre activité de relation presse avec des informations destinées aux journalistes et activité de communication avec des contenus destinés aux autres cibles.

Dans le cadre de l’appel d’offre de ce chantier, la Commission européenne propose un cas pratique fictif visant à créer une newsroom dédiée pour la Commission européenne qui ressemble à un vrai site d’informations en ligne. Cette tentation de confondre communication en ligne de la Commission européenne et médias d’information en ligne se révèle particulièrement inquiétante.

Seconde illustration de la confusion avec « On the frontline », le premier programme d’Euronews parrainé par la DG Affaires intérieures. Il s’agit du premier cas d’hybridation problématique entre un programme d’information produit par un média audiovisuel indépendant et une vidéo de promotion de l’action de la Commission européenne.

Dérapages liés à des vidéos virales jugées caricaturale, sexiste ou raciste

En 2012, la Commission européenne s’est « pris les pieds dans le tapis » en produisant des vidéos virales assez limites.

Avec la campagne « Il n’est jamais trop tard pour… », la communication officielle de l’Année européenne du vieillissement actif, la Commission européenne s’est lancée dans une vision caricaturale des seniors en pleine régression infantile. La volonté de changer les perceptions sur les seniors tout en sortant des sentiers battus du politiquement correct s’est traduite par une caricature sans conséquence puisque la campagne est quasiment passée inaperçue.

Au contraire, deux vidéos virales ont été retirées par la Commission européenne depuis le début de l’année en raison des réactions négatives :

La vidéo « The more, the stronger » de la DG Elargissement a été jugée « raciste » et retirée sans donner une franche explication. Quoique la Commission européenne ait reconnu qu’il y avait un problème avec la vidéo controversée en choisissant de la retirer face aux réactions notamment de la presse britannique, l’interprétation technique sur la raison du retrait indique que l’institution reste sourde à l’accusation d’absence de clairvoyance quant à la potentielle lecture raciste de la vidéo.

La vidéo « Science: It’s a girl thing! » de la DG Recherche, Innovation et Science a soulevée une polémique sur une possible lecture « sexiste ». En réaction, la Commission européenne a là encore retiré la vidéo et tenté de rétropédaler avec d’une part, la création d’une liste « real woman in science » face à #sciencegirlthing sur Twitter et d’autre part, la publication d’un communiqué de questions/réponses expliquant le retrait de la vidéo. Ainsi, la Commission européenne est parvenue à la fois à attirer – pour le pire – l’attention de la communauté scientifique et des adolescentes mais également à réaliser une démarche de transparence et de conversation – pour le meilleur.

Au total, la provocation fait-elle une bonne communication pour la Commission européenne ?

Pas à n’importe quel prix, mais pour une institution publique qui ne dispose pas de moyens suffisant pour accéder aux formats de publicité traditionnels – en raison du coût trop élevé de l’achat d’espace dans toute l’Europe – la provocation demeure l’une des seules opportunités de s’adresser à un large public, au-delà des milieux institutionnels et européens.