Comment la presse juge la Commission Juncker un an après ?

Alors que la Commission Juncker s’est contentée d’une courte présentation en ligne et en anglais pour faire son bilan un an après, la presse elle s’y intéresse peu et se montre assez critique sur la Commission « plus politique », « de la dernière chance »…

Manque d’intelligibilité de l’organisation et du fonctionnement de la Commission Juncker

En dépit des bonnes intuitions de Jean-Claude Juncker concernant la politisation de la Commission européenne, la communication plus efficace auprès des citoyens européens et l’usage stratégique de son monopole d’initiative, le premier bilan de la Commission Juncker est décevant selon Le Figaro.

L’organisation de la Commission avec des Vices Présidents transversaux n’a pas eu d’effet notable d’autant que « la plupart des Commissaires maîtrisent mal leurs sujets, voire, desservent leur mission par leur passé national ». Mais surtout, le fonctionnement de la Commission ne parvient pas à convaincre, l’institution « n’a pas su mettre son organisation au service de ses objectifs ».

Déjà difficile à suivre pour les non-initiés, la Commission européenne revue par Juncker est devenue difficile à comprendre même pour les spécialistes.

Manque de lisibilité entre l’agenda des priorités et la gestion des crises

Face à une succession de crises sans précédent entre la Grèce, le Brexit, le TTIP, les Luxleaks et surtout les migrants, « la Commission n’est pas visible sur les autres dossiers et semble manquer d’ardeur » selon l’AFP.

Hormis la politique concurrentielle avec la Commissaire danoise Margrethe Vestager, les autres priorités politiques à l’agenda de l’institution ne sont pas aussi lisibles : la création du marché numérique unique, l’union de marchés de capitaux ou l’union de l’énergie sont complexes et offrent peu d’avancées fortes.

Entre les dossiers inscrits à l’agenda et les crises à gérer, la ligne directrice de l’activité de la Commission européenne n’est pas de toute clarté.

Manque de visibilité entre les annonces et les premiers résultats

Parmi les nombreuses annonces de Jean-Claude Juncker, le plan d’investissement demeure la plus importante. Aujourd’hui, la plupart juge que le plan Juncker est mal en point : « il ne sera pas le levier de croissance et d’emplois promis, à cause notamment du soutien trop timide des États membres ».

Mais surtout, avec toutes ces annonces, « Jean Claude Juncker n’est pas parvenu à changer le regard des Européens sur la Commission ». Tant que les résultats ne seront pas visibles, les Européens demeureront sceptiques voire pessimistes.

La communication de la Commission européenne va devoir rapidement passer des effets d’annonce initiaux à la promotion des résultats bénéfiques et concrets pour les citoyens.

Au total, un an après, tout jugement est forcément prématuré, mais faute d’une meilleure compréhension de la Commission Juncker tant dans son organisation et son fonctionnement que dans ses choix, et d’une meilleure visibilité des premiers résultats, le jugement de la presse restera critique.

Transparence sur les budgets des agences de communication prestataires de la Commission européenne

À partir du portail de la transparence de l’UE, les budgets annuels en 2014 des principales agences de communication prestataires de la Commission européenne sont accessibles en ligne. Quel est l’état du marché de la communication européenne ?

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Mostra, toujours 1e agence en termes de contrats et de budgets en 2014 : 19 302 539 € et 137 contrats

L’agence indépendante bruxelloise conserve sa première place du palmarès des agences de communication en termes de volume tant de contrats que de budgets :

  • 3,3 millions avec la DG Politique régionale ;
  • 3,3 millions avec la DG Agriculture, dont 1,2 million pour une campagne de pub TV sur la nouvelle Politique agricole commune ;
  • 2,1 millions avec la DG Recherche et innovation, dont 1 million pour le magazine Horizon ;
  • 1,9 million avec la DG Environnement, dont 1,3 million sur la campagne « Generation Awake » ;
  • 1,3 million avec la DG ECHO, Aide humanitaire et protection civile ;
  • 1,2 million avec la DG Emploi ;
  • 1,1 million avec la DG Affaires intérieure sur une communication autour des migrations et de l’asile ;
  • 1 million avec la DG Entreprises et Industrie…

Havas, l’agence de la campagne de communication corporate de la Commission européenne : 10 contrats et 13 090 075 €

Le groupe Havas entre dans le palmarès par la grande porte avec le gain de la campagne de communication corporate de la Commission européenne pour un budget total de 13 millions d’euros.

ESN : 11 175 429 € et 51 contrats

L’agence bruxelloise European Service Network conserve une place de choix dans le palmarès, notamment grâce à :

  • 6,2 millions avec la DG Communication, dont 5,6 pour la gestion du centre de contacts « Europe Direct » ;
  • 1,7 million avec la DG Elargissement sur une action de communication sur la pré-adhésion ;
  • 700k avec la DG Recherche et innovation…

Tipik : 10 853 057 € et 86 contrats

L’agence indépendante bruxelloise Tipik stablise ses budgets à 10 millions, malgré une perte de 7 millions par rapport à l’année dernière :

  • 1,9 million avec la DG Recherche et innovation, essentiellement pour la gestion de la base de données Cordis ;
  • 1,9 million avec la DG Emploi, affaires sociales et inclusion ;
  • 1,4 million avec la DG Marché intérieur et services ;
  • 1,2 million avec la DG Affaires intérieures ;
  • 1,1 million avec la DG Justice…

Media Consulta : 5 933 068 € et 14 contrats

Passant de 16 à 6 millions en 1 an, l’agence a perdu près des trois quart de ses contrats entre 2013 et 2014.

  • 2,6 millions avec la DG Elargissement, dont 1,9 pour une campagne de sensibilisation à l’élargissement ;
  • 2,4 millions avec EuropeAid, la DG Développement et coopération, dont 1,4 pour l’Année européenne 2015 du développement…

Gopa-Cartermill : 5 690 442 € et 12 contrats

L’agence est la seule – hormis Havas – qui voit ses budgets avec l’UE progresser entre 2013 et 2014, notamment :

  • 3 millions avec la DG Energie
  • 1,2 million avec EuropeAid, la DG Développement et coopération

JWT : 1 343 781 € et 2 contrats

L’agence du groupe WPP dispose de 2 contrats avec la Commission européenne en 2014 :

  • 943k avec la DG Justice sur une campagne de sensibilisation aux droits relatifs au crédit à la consommation ;
  • 400k avec la DG Santé sur une campagne anti-tabac.

Le groupe WPP est également représenté par TNS-Opinion avec un budget total de 16 millions d’euros pour les Eurobaromètres et 300k avec Ogilvy.

Au total, l’ensemble des budgets des principales agences de communication s’élève en 2014 à 84 millions d’euros et près de 400 contrats – soit une baisse à la fois de 10 millions d’euros et 200 contrats par rapport à 2013.

Comment faire progresser la transparence de l’Union européenne ?

À l’occasion de la conférence annuelle de la communication européenne, EuropCom, la médiatrice de l’UE Emily O’Reilly s’est exprimée sur la transparence de l’UE : « un devoir ou une opportunité ? »…

1. Lutter contre le manque de transparence des administrations européennes – la principale inquiétude

Ce seul enjeu représente à lui seul 20 à 30% de tous les dossiers gérés par le médiateur européen. Mais la transparence ne s’arrête pas aux refus des institutions européennes de donner accès aux documents de l’UE.

Mieux communiquer sur les processus de prise de décision de l’UE ou s’attaquer au système des « revolving doors » constituent également des priorités.

Songeons qu’un Commissaire sur trois (9 sur 26) de la Commission Barroso 2 ayant quitté leur poste en 2014 ont pris des responsabilités dans des grandes entreprises.

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2. Développer le lobbying de la transparence

Le lobbying joue un rôle important dans les sociétés démocratiques, selon la médiatrice de l’UE. L’initiative de la nouvelle Commission Juncker en matière de transparence des réunions des décideurs de l’institution avec des lobbyistes va dans la bonne direction.

Les prochaines étapes consisteraient à promouvoir un registre de la transparence obligatoire pour que les lobbyistes inscrivent leurs activités et à fixer des règles d’or pour le « pantouflage » dans le privé ; même si la plupart des Etats-membres ne dispose ni de l’un, ni de l’autre.

3. Respecter les règles de l’ONU en matière de lobbying du tabac

La médiatrice de l’UE formule des recommandations pour améliorer les pratiques de lobbying du tabac. L’élaboration des politiques de santé publique doit être aussi transparente que possible, surtout en matière de tabac.

Les pratiques des lobbyistes du tabac sont très sophistiquées et le plus souvent leurs méthodes sont « sous le radar ». Du coup, la Commission européenne devrait publier pro-activement toutes les réunions avec les lobbyistes du tabac ainsi que les minutes de ces réunions.

4. Renforcer la transparence sur le TTIP

Le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) affectera la vie des 500 millions d’Européens ; l’enjeu est considérable.

La Commission européenne publie maintenant plus de documents (position papers, fact sheets, legal texts) sur la négociation en cours avec les Etats-Unis. Puisque les US n’ont pas opposé de véto contre la publication de chapitres du TTIP par l’UE, la Commission européenne devrait être encouragée à faire davantage de transparence, en publiant notamment les réunions avec les lobbyistes à l’échelle des négociateurs.

5. Lancer la transparence des Trilogues

Comme les présentent Contexte « Les « trilogues », ces raccourcis de la démocratie européenne » représentent la nouvelle frontière de la transparence dans l’UE.

Réunions informelles, derrière des portes closes, entre les 3 institutions exécutives de l’UE pour conclure des « deals », les trilogues se sont énormément développés : 1 500 trilogues ont eu lieu au cours des 5 dernières années.

En conclusion, la médiatrice de l’UE précise qu’elle a demandé aux trois institutions exécutives de l’UE leurs opinions sur les enjeux des trilogues et de la transparence, ainsi que sur leurs pratiques en matière de transparence des réunions (listes, comptes-rendus, documents). Les réponses sont attendues pour début novembre 2015…

Comment faire de l’Europe à la télévision ?

Alors que les budgets permettent rarement à la communication européenne d’apparaître à la télévision, l’exemple de la campagne française « l’Européen d’à côté » – récemment primée en or au Brand content Award 2015 et 2e prix de la communication publique européenne à la conférence EuropCom – démontre que c’est parfois possible…

Un format adapté à la chaîne et au contenu

Lors de la conférence annuelle Europcom, Sandra Chaignon du Commissariat Général à l’Egalité des Territoires présente la série TV « l’Européen d’à côté » destiné à présenter aux citoyens les projets cofinancés par l’UE « à côté de chez eux ».

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Plusieurs facteurs concourent au succès :

  • Une sélection drastique des projets basée sur la sélectivité des gestionnaires, la représentativité des fonds européens et la disponibilité des porteurs de projets ;
  • Une multiplication des vidéos pour illustrer la diversité des aides européennes (66 vidéos sur des porteurs de projets de 1’30’’ – voir la playlist Youtube) ;
  • Une programmation judicieuse sur une chaîne à la fois nationale et locale ;
  • Une diffusion pendant les mois d’été du 9 juin au 8 septembre ;
  • Un annonceur présent sous une marque unique clairement identifiable : « l’Europe s’engage en France » ;
  • Un démenti au sentiment d’éloignement de l’UE avec une double proximité : géographique (des actions partout sur le territoire) ; et psychologique (des priorités en prise directe avec les préoccupations tangibles et quotidiennes).

Des résultats au rendez-vous de l’investissement

Selon l’agence à l’origine de la campagne, le « programme (est) plébiscité par les Antennes Régionales de France 3 qui le rediffusent gratuitement et des audiences au rendez-vous avec en moyenne près de 2 millions de téléspectateurs chaque soir soit 15% de part d’audience ».

Avec plus de 468 millions de contacts et près de 20 millions de personnes ayant vu au moins un épisode sur toute la durée de la campagne, les résultats se comptent parmi les meilleures campagnes de communication sur l’Europe en France au cours de ces dernières années.

Au total, la campagne « l’Européen d’à côté » tire son épingle du jeu à la TV avec une combinaison heureuse entre la puissance du média et la richesse des projets cofinancés par l’UE.

Quelles sont les contraintes des relations publiques de l’Union européenne ?

Dans un article « Political Public Relations in the European Union: EU Reputation and Relationship Management Under Scrutiny », Chiara Valentini de l’Université d’Aarhus analyse les relations publiques de l’UE, c’est-à-dire tout ce qui concerne les activités de communication à destination des publics internes à l’UE : Etats-membres, médias et grand public…

Des actions de communication fragmentées

Parce que les principales institutions de l’UE excercent un rôle différent dans la prise de décision européenne, chacune poursuit son propre agenda politique et donc ses propres activités de communication.

Malgré des intentions initiales de gérer la communication de l’UE de manière intégrée, les actions sont encore aujourd’hui insuffisamment coordonnées et pas combinées au sein d’un plan de communication cohérent.

L’Union européenne n’a pas encore trouvée la bonne approche pour gérer sa multi-vocalité.

Des relations presse limitées

Les relations presse – quoique de plus en plus professionnalisées – n’ont qu’un impact réduit sur la visibilité médiatique et la capacité à faire l’agenda dans les médias en raison d’une part, d’une capacité réduite à fournir de l’information attractive pour les journalistes et d’autre part, d’une approche essentiellement réactive.

Assez régulièrement, les institutions européennes se retrouvent même en compétition pour attirer l’attention médiatique, ce qui handicape encore davantage les relations presse et limite la performance des retombées potentielles dans les médias nationaux.

Une transparence insuffisante

En dépit des déclarations d’intention, l’UE souffre d’un défaut d’information pour ses publics sur les rôles et les positions des acteurs dans les différents processus de prises de décision européenne.

Sans connaître clairement le fonctionnement et les responsabilités des institutions européennes, les citoyens (et les médias) ne peuvent pas évaluer la performance de l’UE, qu’il s’agisse par exemple de juger de sa réputation d’ailleurs déjà affectée par le manque de visibilité médiatique.

Une culture de communication inadaptée

Les institutions européennes comprennent le plus souvent la communication comme une fonction visant à promouvoir une culture de l’impartialité, de la neutralité et d’un manque de promotion parce que l’objectif prioritaire de la communication est de se conformer aux règles et de juste rendre les informations brutes disponibles.

Un déficit d’identité européenne

Dernière contrainte spécifique à l’UE, le manque d’identitié claire pour les institutions européennes. Jusqu’à présent, il n’y a pas d’accord commun sur les fondements de l’identité de l’UE : s’agit-il d’un « projet inachevé », d’une « entité en évolution » ou d’un « réseau de réseaux » caractérisé par de multiples couches de souveraineté et de gouvernance ?

Puisque les institutions européennes ne possèdent pas une identité partagée par tous, bonne image et solide performance ne peuvent pas être au rendez-vous et les relations publiques manquent forcément de la confiance nécessaire à une bonne réputation.

Le défi quotidien des institutions européennes c’est qu’elles doivent se représenter comme une identité commune (l’UE) mais aussi comme une institution propre qui doit aussi se connecter avec chaque identité individuelle des Etats-membres et des partis politiques.

Au total, l’analyse des relations publiques de l’UE indique que construire une réputation positive est sans doute plus difficile dans un sytème politique complexe qui n’aide pas à définir une identité claire.

Tant que l’UE aura une identité politique ambiguë, tous ses efforts pour gérer sa réputation seront amoindris.