Archives mensuelles : janvier 2012

Discussion à la Fondapol sur « Le passage à l’Europe » de Luuk van Middelaar

Hier soir, la Fondapol organise à l’occasion de la sortie en librairie du livre traduit de Luuk van Middelaar : « Le passage à l’Europe : histoire d’un commencement » une discussion avec Luuk van Middelaar, l’auteur, Marcel Gauchet, rédacteur en chef de la revue Le Débat et éditeur du livre chez Gallimard, Jean-Louis Bourlanges, ancien député européen et Dominique Reynié, directeur général de la Fondapol.

Dominique Reynié : quelle est la place des peuples dans la construction européenne ?

Afin d’illustrer l’approche de l’Europe de Luuk van Middelaar et de l’interroger sur la place des peuples dans la construction européenne, Dominique Reynié formule 2 interrogations.

Comment devenir Européen ?

Tandis que Luuk van Middelaar propose 2 orientations l’une autour d’un projet de paix qui inviterait les ressortissants nationaux à devenir des citoyens du monde et l’autre autour d’un projet de puissance qui viserait à affirmer une identité européenne, Dominique Reynié propose une 3e voie avec un projet de souveraineté qui consisterait à maîtriser le destin européen face à la mondialisation.

Quelle stratégie pour devenir Européen ?

Luuk van Middelaar envisage 3 stratégies possibles : l’approche identitaire à l’allemande capitalisant sur la culture et les valeurs européennes, l’approche clientéliste à la romaine s’appuyant sur des rétributions et des services et enfin, l’approche civique à la grecque de gestion commune des affaires publiques. Dominique Reynié convoque 2 possibilités concrètes  de mise en œuvre : d’une part, l’évolution des Eurobaromètres pour en faire un véritable outil de participation des Européens à la décision publique européenne et d’autre part, la création d’un référendum européen pour solliciter les Européens non comme public mais comme citoyens.

Marcel Gauchet : quelle est l’originalité du phénomène politique européen ?

Ancien maître de Luuk van Middelaar, Marcel Gauchet qui salue « le 1er livre qui arrive à rendre intéressant l’histoire de l’Europe » formule une question quant à cette construction européenne irréductible aux catégories juridiques : le fonctionnement actuel de l’UE reposant sur l’intergouvernemental est-il un système durablement viable ? une anomalie temporaire ? ou une dynamique inédite ?

Pour Luuk van Middelaar, toute la construction européenne repose sur un phénomène inédit : la dialectique de la règle et de l’événement. Depuis plus de 50 ans, l’Europe s’est construite par une tension permanente entre la sphère externe des États et la sphère interne des institutions européennes, ce qui donne naissance à une sphère intermédiaire au sein de laquelle les Européens partagent des responsabilités. Par la force des événements, les espaces publics nationaux sont saisis, malgré eux, par les règles européennes et avec la crise économique actuelle, l’Europe – via l’euro en particulier – s’impose dans les faits pour les gens.

Jean-Louis Bourlanges : quel est le succès de l’Europe aujourd’hui, le retour du besoin d’Europe ou le détricotage de la méthode communautaire ?

Jean-Louis Bourlanges formule un compliment – très centriste – en reconnaissant à Luuk van Middelaar d’inventer « l’eau tiède » entre « le modèle metternichien » des relations entre États et la vision « youkadi-youkada » des fédéralistes.

Sur le détricotage de la méthode communautaire, Jean-Louis Bourlanges avance que la méthode communautaire qui fonctionnait en reposant sur un équilibre entre les États et les institutions européennes est en train de voler en éclat avec la crise des États. Depuis 2 ans, la succession des Conseils européens et le couple Merkozy ont transformé l’écorchure (la crise grecque) en septicémie (la crise de l’euro). Et si, en politique, le succès est un signe de vérité, alors le dérèglement du fonctionnement européen est un vrai fourvoiement.

Sur le retour du besoin d’Europe, le timing européen est particulièrement à contre-temps. Les années 1990 furent l’époque de l’Europe triomphale avec l’élargissement, la démocratisation et la création de l’euro alors que le sentiment général était à l’inutilité de l’Europe puisque l’histoire était finie (Francis Fukuyama), les États-Unis étaient une hyper-puissance (Hubert Védrine) et la mondialisation heureuse (Alain Minc). Avec les années 2000, tout ça s’est révélé faux, mais entre temps le détricotage de l’Europe était à l’œuvre.

Sur ces 2 points, Luuk van Middelaar répond que la crise oblige les États à redécouvrir qu’ils ont besoin les uns des autres et que dans cette mise à l’épreuve de l’être ensemble européen, les raisons politiques en faveur de la construction européenne l’emporteront. Selon lui, la construction européenne manifeste la naissance d’un purgatoire, la création d’un monde viable entre des États devenus impuissants et un monde ingouvernable.

Élection de Martin Schulz à la présidence du Parlement européen : une communication web « déconnectée »

Hier matin, Martin Schulz a été élu Président du Parlement européen. Député européen depuis 1994 et président du Groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes & Démocrates depuis 2004, son élection était « acquise par avance en vertu d’un pacte » passé en 2009 entre les 2 principaux partis politiques européens. En quoi, cette élection de Martin Schulz à la présidence du Parlement européen a été l’occasion d’une communication dans le web « déconnectée » ?

La déferlante des médias sociaux à Bruxelles selon France 2

La journée commence par un reportage de @beaudonnet (François Beaudonnet, correspondant permanent de France 2 à Bruxelles) dans les matins sur « L’Europe de Bruxelles gazouille ! ». En quelques minutes, la massification des usages des médias sociaux dans les institutions européennes – et de Twitter en particulier – est exposée.

La communication web de Martin Schulz, président du Parlement européen

Véritable illustration du reportage de France 2, le président du Parlement européen s’est montré particulièrement actif dans les médias sociaux :

  • lancement d’une compte Twitter @martinschulz avec plus de 1 800 Followers acquis dans la journée ;
  • animation communautaire intensive (5 publications) de la page Facebook comptant près de 11 000 likes et 397 interactions ;
  • ouverture d’un mini site vitrine dédié à Martin Schulz sur le portail Internet du Parlement européen avec pas moins de 7 portraits dès la page d’accueil.

Pourquoi parler d’une communication web « déconnectée » alors que le public semble plus que jamais massivement présent ?

Parce que l’utilisation de la communication dans les médias sociaux fait l’objet d’une véritable déconnexion entre la communication de l’avatar virtuel du Président du Parlement européen et la communication IRL (dans la vraie vie) de l’eurodéputé allemand.

Parce que les médias sociaux, conçus et naturellement portés par des interactions et des discussions authentiques entre des individus de chair et d’os sont transformés en une communication sans âme et faussement personnalisée.

Parce que la communication du Président du Parlement européen réalisée par ses communicants – comme le confirme le 4e tweet de @martinschulz – conduit à une dissonance, un langage paradoxal qui oppose d’une part, une attitude et un langage correspondant aux usages du web social et d’autre part, une action verrouillée par des professionnels et faussement spontanée.

Sans polémiquer sur l’importance des moyens mis en œuvre – qu’un autre journaliste Hughes Heaudoin, correspondant européen de LCI, souligne dans un Tweet : « L’austérité n’est pas passée par le cabinet du nouveau président socialiste du Parlement européen : 36 personnes. » – il est à craindre que l’absence d’authenticité et de véritable connexion entre les responsables politiques européens et leur public ne fassent que renforcer le fossé civique entre l’UE et ses citoyens.

Qui est Gregory Paulger le nouveau Directeur général de la communication à la Commission européenne ?

Vacant depuis le 1er juillet 2011, le poste de Directeur général de la DG COMM est pourvu depuis le 1er janvier 2012 par Gregory Paulger. Qui est-il à la lecture de son CV ?

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Un collaborateur de Viviane Reding

Dans une fonction « politique », Gregory Paulger a été le chef de cabinet de Viviane Reding entre 1999 et 2003, lorsqu’elle était Commissaire européenne pour l’Education et la Culture. Rappelons qu’aujourd’hui, Viviane Reding est Vice-Présidente de la Commission européenne responsable de la Justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté (ainsi que de la communication). Gregory Paulger est donc sous la tutelle de Viviane Reding.

Un expert de la politique de l’audiovisuel de l’UE

Au fil de ses postes, Gregory Paulger s’est construit une expertise dans la politique de l’audiovisuel de l’UE, cette politique publique européenne ambivalente, à mi chemin entre économie (création d’un marché commun des industries créatives) et culture (promotion de la diversité des identités nationales et de la pluralité culturelle européenne) :

  • Chef de l’unité « Politique de l’audiovisuel » au sein de la DG X (Culture et Audiovisuel), il est l’auteur du livre vert sur la politique de l’audiovisuel adopté en 1994 ;
  • Directeur de la direction « Culture, Politique audiovisuelle et Sport » au sein de la DG EAC (Éducation et Culture) entre 2003 et 2005 ;
  • Directeur de la direction « Audiovisuel, Médias, Internet » au sein de la DG INFSO (Société de l’Information et des Médias) de 2005 à 2011.

Ainsi, Gregory Paulger peut capitaliser sur sa relation avec Viviane Reding et sur ses connaissances dans l’audiovisuel pour prendre la tête de la DG COMM.

Quels sont les enjeux de la communication européenne dans les médias sociaux ?

Visibilité, fiabilité et utilité sont les 3 enjeux principaux de la communication européenne dans les médias sociaux, en résumé de la discussion organisée par le Groupe des Belles Feuilles samedi 14 janvier à Paris sur « institutions européennes et médias sociaux »…

Enjeux de visibilité : ne plus être anonyme, sans visage

Grâce aux progrès de la téléphonie mobile, les réseaux sociaux sont dans chaque poche, dans chaque sac ; l’UE doit donc être là où est le public et en particulier auprès des relais en ligne : journalistes, bloggeurs…

Néanmoins, la multiplication des comptes Twitter et des pages Facebook des institutions européennes (et à fortiori l’ouverture systématique de nouveaux espaces lors de campagnes de communication) peut se révéler contre-productive.

De même, un équilibre doit être trouvé entre une présence institutionnelle limitée mais nécessaire en matière de visibilité et des présences individuelles à la fois officielle (via les porte-parole) et officieuse avec des fonctionnaires de l’UE actifs en ligne.

Enjeux de fiabilité : être mature et transparent

Développer une maturité vis-à-vis des contenus circulant sur ces réseaux. Les institutions européennes doivent faire preuve de maîtrise et de mesure tant dans leur activité de veille que de « community management ».

Afin d’éviter d’être noyés sous un flot ininterrompu de bruit, la collecte et la veille doivent être organisées pour vraiment fonctionner comme un mécanisme d’écoute et d’alerte. De plus, être sur les réseaux sociaux ne doit pas seulement viser à publier et promouvoir ses contenus, mais aussi à savoir sur quoi porte les « conversations ».

Au-delà des « guidelines » pour encadrer la présence en ligne, des formations plus spécifiques doivent être réalisées, en particulier auprès des porte-parole, pour attirer leur attention sur la gestion de crise en ligne et les réactions appropriées à adopter dans leurs prises de parole en ligne.

Ces activités sont confiées au « Social Media Network » de la Commission européenne.

Enjeux d’utilité : être divertissant ou informatif et pertinent

Quels contenus diffuser sur les médias sociaux ?

  • avec des recommandations sur les comptes institutionnels : proposer des listes de contacts à suivre, recommander des liens…
  • avec des comptes individuels de personnels « mandatés », participer aux interactions qui existent déjà sur les sujets européens dans les réseaux sociaux. Encadrer cette pratique avec des règles de participation ET faire confiance au bon sens de chacun et au respect des règles éthiques.
  • avec des pages ou comptes sur Facebook, Twitter, YouTube, Dailymotion, Vimeo, Flickr, LinkedIn… À titre d’exemple, Herman van Rompuy est présent sur Weibo, le réseau social chinois.
  • avec des live-reports, live-bloggings… animés par les équipes digitales.

Quelles questions selon la présentation Prezi de Dana Manescu ?

  • Comment assurer une présence optimale entre la tentation d’être partout au détriment de la qualité et de l’intensité des échanges ?
  • Comment mener un dialogue crédible sachant que les institutions européennes ne peuvent pas matériellement prendre en compte toutes les contributions des citoyens ?
  • Comment communiquer sur des contenus complexes, sachant que l’« on ne peut s’attendre à mette un texte européen sur Facebook et s’attendre à ce que les gens l’aiment » ?
  • Comment permettre une communication en temps réel qui ne soit pas superficielle ?
  • Comment lever les barrières linguistiques et réduire la fracture numérique ?

Composition de la table ronde :

  • Dana Manescu, Press Officer au Secrétariat général du Conseil européen @Dana_Council
  • Anne Christensen, Social media manager/Web editor dans l’équipe médias sociaux de la DG Communication à la Commission européenne @AnneCbxl
  • Stéphanie Wojcik, Docteure en science politique, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication @stephaniewojcik
  • Ronny Patz, Eurobloggeur sur Polscieu @ronpatz
  • Jean-Sébastien Lefebvre, Journaliste à Euractiv.fr @jslefebvre
  • Animateur : Michaël Malherbe

Bilan :

  • 5 risques d’une présence de l’UE non maîtrisée sur les réseaux sociaux : absence d’une stratégie d’ensemble, verrouillage des prises de parole, peu de contenus intéressants à diffuser, pas d’interaction avec les acteurs en ligne, pas de circulation de l’information entre les services en interne.
  • 5 raisons d’une présence de l’UE maîtrisée sur les réseaux sociaux : distribuer avec pertinence du contenu, impliquer avec intelligence le public, collecter des données sur les acteurs et les conversations en ligne, dialoguer avec les publics, valoriser l’UE par la qualité de l’information diffusée.

Présidence du Conseil de l’UE : le choc des communications nationales

Tous les 6 mois, un nouvel État-membre se saisit de la présidence tournante du Conseil de l’UE, une occasion pour illustrer des différences dans la manière de communiquer. Entre la Présidence française de l’UE en 2008 qui reste à ce jour la plus chère de l’histoire avec un budget de 171 millions d’euros et la nouvelle présidence danoise qui se présente comme « the Discount Presidency of the EU », la présidence low-cost avec un budget de 35 millions d’euros, les différences sont importantes.

Alors que la présidence tournante « de l’UE » est une opportunité tous les 13,5 ans pour mettre un État sur le devant de la scène européenne ainsi que l’Europe à l’agenda médiatique national, quel est l’impact des cultures nationales et des ambitions sur les pratiques de communication ?

Présidence danoise du Conseil de l’UE : une présidence sobre résolument d’austérité

Avec un budget « low-cost » de 35 millions d’euros, la Présidence danoise s’annonce résolument commune une présidence d’austérité, qui ne prévoit aucune action de communication :

  • ni action de promotion visant à mieux faire connaître l’UE auprès du peuple danois – opposé à l’adoption de l’euro et résolu à conserver une indépendance nationale en matière de défense ;
  • ni action de valorisation de la culture danoise auprès de ses 26 partenaires européens.

Présidence française du Conseil de l’UE : une présidence « flamboyante » et culturelle

A contrario, en 2008, la France souhaite faire de sa présidence semestrielle un véritable exercice de promotion de la grandeur nationale tant auprès des citoyens français et européens en France (illumination de la Tour Eiffel, campagne TV sur l’Europe…) que des Européens avec une saison culturelle européenne visant notamment à promouvoir la culture française en Europe.

Présidences polonaise, tchèque et hongroise du Conseil de l’UE : des présidences relativement nationales

Parmi les présidences de ces dernières années, les exercices des pays d’Europe centrale et orientale – pour des raisons diverses – se trouvent davantage marqués de leur empreinte nationale :

  • la Pologne assure une présidence forte, avec une communication pro-européenne décomplexée (inauguration d’une nouvelle Représentation à Bruxelles, nombreuses actions avec des ONG auprès des Polonais, contrat avec une agence internationale de RP pour promouvoir les engagements européens du pays sur la scène internationale…) ;
  • la République tchèque assure une présidence ambiguë avec notamment campagne TV et exposition « Entropa » au Justus Lipius provocantes, frappées par l’esprit et l’humour tchèque : assurance en soi, sens de l’humour et auto-dérision ;
  • la Hongrie exerce une présidence également « nationale » au sens où les ambivalences font ressortir des traits de la culture politique nationale entre d’une part, le programme de travail et les intentions, notamment portées par des portes-paroles actifs « Kovács and Kováts » et d’autre part, l’actualité politique nationale et en particulier le vote d’une loi sur les médias liberticide.

Présidences belge, suédoise et espagnole : des présidences fortement européennes

Autres cultures, autres pratiques, les présidences belge, suédoise et espagnole sont beaucoup plus « européennes » dans la mesure où l’intérêt européen et le jeu collectif et consensuel semblent davantage assumés :

  • la Belgique tient la présidence semestrielle sans avoir du début à la fin un gouvernement, ce qui limite de facto les controverses politiques sur le programme et les priorités ;
  • la Suède met en œuvre une présidence pragmatique et transparente, à l’image des actions de communication menées sur le terrain et dans les lycées ;
  • l’Espagne joue la partition du trio de présidence et s’inscrit dans une culture consensuelle et démocratique, s’appuyant sur des opérations de communication auprès de la société civile.

Ainsi, la présidence semestrielle du Conseil de l’UE est certes une opération participant de la gouvernance européenne. Mais, comme l’indique les différences de pratiques et de communication, c’est également l’expression d’une culture politique nationale.