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Stratégie de communication européenne : vers un tournant délibératif ?

Après le « tournant participatif » sous l’ère Wallström, le think tank interne au Parlement européen publie parmi son « Global Trendometer 2019 » autour de tendances globales, dont « European democracy 4.0: Towards a deliberative anticipatory democracy? ». Sommes-nous au seuil d’un nouveau tournant, dorénavant délibératif dans la stratégie de communication de communication de l’Union européenne ?

Une aspiration croissante à revitaliser la démocratie représentative et à rajeunir la démocratie avec une participation au niveau européen

L’optimisme initial de la « démocratie numérique » s’est estompé avec la polarisation extrême, la désinformation et la manipulation. Les citoyens semblent déçus des formes de participation actuelles, principalement en ligne et frustrés par le manque de moyens de le faire.

Pourtant des innovations visant à accroître la participation des citoyens à la prise de décisions politiques prospèrent pour rendre la démocratie représentative plus transparente et plus réactive. Le point de vue émergent qu’une participation significative va de pair avec une délibération approfondie progresse.

Certes, la démocratie directe présente des vulnérabilités bien connues. La manipulation des référendums est une préoccupation, en particulier de la part d’acteurs étrangers ou d’intérêts particuliers. Les électeurs peuvent être mal informés. On s’inquiète également de la « tyrannie de la majorité » et des incitations insuffisantes au compromis ou à la coopération. En d’autres termes, la participation directe n’est pas une vertu en soi; elle a besoin de garanties et de cadres.

Mais, la démocratie participative met l’accent sur l’implication du citoyen dans la vie politique, conscients que la prise de décision ne se limite pas à l’agrégation des voix, mais au débat public et à l’argumentation raisonnée.

Des innovations de « démocratie délibérative » autour de la qualité de l’engagement

La délibération – où les décisions sont finalisées à l’issue d’un processus qui permet aux citoyens de discuter de leurs préoccupations politiques – se déroule dans des enceintes soigneusement planifiées, souvent désignées comme des « mini-publics « : « jurys de citoyens », « sondages délibératifs », « conférences de consensus »…

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Le modèle des assemblées de citoyens attire l’attention en raison de ses qualités délibératives : les participants aux mini-publics délibératifs sont choisis par tirage au sort. La sélection aléatoire vise à garantir une participation représentative par sexe, âge, origine géographique et situation économique. les citoyens étudient et délibèrent pendant plusieurs jours sur une question. Des modérateurs qualifiés facilitent leur travail, en collaboration avec des experts indépendants. En conclusion, le panel communique sa recommandation aux électeurs.

Le « tournant délibératif » est désormais une tendance et, parmi le public, le chemin le plus populaire vers le rajeunissement démocratique. Les évaluations des expériences menées jusqu’à présent sont nuancées. Ces formats consomment du temps et des ressources tant pour les citoyens que pour l’autorité organisatrice. Néanmoins, les citoyens ont la capacité d’engager des délibérations productives, en particulier lorsqu’ils sont facilités par le soutien d’experts. La délibération facilite les changements d’opinion des panélistes, les électeurs trouvent les recommandations utiles et les connaissances sur l’initiative donnée augmentent.

En revanche, indépendamment de leur échelle limitée et de leur pérennité dans le temps, les mini-publics présentent des faiblesses. Des problèmes de pouvoir et de domination surviennent également dans les arènes délibératives et il existe un risque d’instrumentalisation par des acteurs extérieurs. Ils peuvent également exiger des niveaux de participation populaire irréalistes.

De la participation des citoyens au niveau de l’Union européenne

La participation directe des citoyens au système politique européen prend différentes formes : pétition au Parlement européen, plaintes auprès du médiateur, consultations publiques, etc. Aujourd’hui, l’outil participatif phare est l’initiative citoyenne européenne récemment réformée, de même que les dialogues avec les citoyens organisés par la Commission européenne, les consultations des citoyens européens menées à travers l’Europe en 2018 se rapprochent le plus des idéaux délibératifs.

Malgré ces initiatives, le système politique européen continue d’être perçu comme éloigné des préoccupations des citoyens. Seules 4 propositions d’initiative citoyenne européenne n’ont abouti sur aucune nouvelle législation. Les pétitions sont largement inconnues des citoyens. Les dialogues avec les citoyens ne sont pas suffisamment interactifs et l’auto-sélection des participants conduit à une représentation biaisée des citoyens. De plus, la plupart des mécanismes participatifs de l’UE sont basés sur la participation en ligne, ce qui n’est pas propice à un véritable dialogue.

L’UE a tenté de renforcer la participation des citoyens à l’élaboration des politiques, mais la contribution des citoyens est limitée à la phase consultative, limitée aux questions relevant directement de la compétence de l’Union européenne, et il n’y a guère d’incitation à une participation proactive.

Délibérer sur l’avenir des citoyens européens

Les efforts de l’UE ne comportent pas l’élément délibératif qui constitue la principale tendance actuelle de l’innovation démocratique. Des propositions d’institutionnalisation des mini-publics délibératifs au niveau européen et dans toute l’Europe ont été lancées.

Une proposition consiste à créer une Assemblée populaire européenne, composée de citoyens choisis au hasard dans toute l’Union. Les institutions de l’UE seraient tenues d’examiner les recommandations de l’Assemblée. On pourrait même lui accorder un droit de veto.

Une autre suggestion concerne la création d’un organisme citoyen spécifique lié au Parlement européen. Une partie des sièges au Parlement serait réservée à des citoyens choisis au hasard, qui pourraient examiner la législation, engager des débats, présenter des propositions et interagir avec des membres du Parlement sur des questions à long terme. De telles suggestions ne sont pas entrées dans le détail.

La légitimité démocratique découle à la fois des processus et des résultats. Les efforts déployés jusqu’à présent se sont concentrés sur l’amélioration de la participation des citoyens aux processus institutionnels au niveau européen, plutôt que sur la connexion des préoccupations des citoyens aux défis politiques auxquels l’Union européenne est confrontée.

Puisque la plus grande force de la démocratie est son auto-correction et son questionnement sans fin, il ne devrait pas y avoir de meilleur endroit que les institutions démocratiques pour exploiter l’intelligence collective, donner une caisse de résonance aux voix dissidentes et aux nouvelles idées, et trouver des compromis durables – y compris entre les générations.

Au total, démentir le spectre du « déficit démocratique » de l’Union européenne passe par un tournant délibératif y compris aux pensées provocatrices afin de dessiner les contours d’une démocratie européenne d’anticipation.

« Take back control » : insuffler de la démocratie participative dans l’UE

Outre la participation aux prochaines élections européennes – la voie royale pour exprimer ses convictions – les citoyens pourraient également libérer les potentialités de la démocratie participative au sein de l’UE afin de tenter de rompre le monopole de l’établissement du programme dont jouit l’appareil institutionnel européen, notamment la Commission européenne et le Conseil européen. Comment ?

Maintenir la pression citoyenne exercée avec les consultations citoyennes européennes : une initiative citoyenne européenne destinée à influencer le Conseil européen

Première possibilité dans le cadre des modalités de démocratie participative actuellement disponible pour les citoyens : lancer une Initiative citoyenne européenne pour imposer aux chefs d’Etat et de gouvernement de prendre en compte les conclusions des consultations citoyennes européennes (voir le rapport complet pour la France).

L’enjeu consiste à préserver les priorités politiques et les suggestions de politiques publiques, formulés lors des consultations citoyennes européennes, dans les conclusions des prochains Conseils européens, en particulier celui prévu sur le sujet à Sibiu, en Roumanie, le 9 mai prochain.

Certes, un spécialiste comme Alberto Alemano, professeur à HEC, concède que « le processus ne reconnaît aucun lien explicite entre une demande d’Initiative citoyenne européenne et le processus décisionnel en cours au sein de l’UE. Les composantes participatives et représentatives de la démocratie européenne sont comme des navires qui passent la nuit ».

Mais, il n’en demeure pas moins qu’une telle initiative citoyenne européenne contribuerait à influencer l’établissement de l’agenda politique et donc à accroître l’inclusion politique de l’UE.

Agir sur les programmes des partis politiques européens : une participedia européenne pour crowd-brainstormer les priorités

Autre possibilité à totalement inventer : lancer une plateforme de crowd-brainstorming d’idées, en particulier issues des consultations citoyennes européennes, à intégrer dans les programmes des partis politiques européens.

Le modèle s’inspire du concept de Participedia, qui exploite le pouvoir de la collaboration afin de développer une vaste contribution accessible au public en lecture et en écriture pour là encore exercer une pression dans la formulation des programmes des principaux partis politiques.

Pour Alberto Alemano, « l’UE doit élargir l’accès et multiplier les possibilités pour les citoyens de participer à la résolution des problèmes. À cette fin, les commentaires du public doivent être autorisés tout au long du processus d’élaboration des politiques, de l’établissement de l’agenda au suivi et à l’évaluation des politiques existantes ».

Peser sur la formulation des programmes et la sélection des priorités, facilité par la formulation et le partage d’idées et donc in fine influencer l’agenda politique de manière « bottom-up » permettrait de développer la participation des citoyens à une étape clé du cycle politique européen.

Poursuivre la pression sur le nouveau leadership européen : un European Question Time

Dernière possibilité – puisque toute tentative sérieuse de faire fonctionner la démocratie participative en Europe nécessite de simplifier radicalement le fonctionnement des institutions aux yeux du public – proposée par Alberto Alemano : un « European Question Time ».

« European Question Time » serait une sorte d’agenda participatif de l’UE permettant aux institutions européennes de recevoir et de débattre publiquement, mensuellement, d’informations présélectionnées, présentées par des citoyens via différents canaux, notamment un site convivial participatif et performatif.

Plusieurs bénéfices à ce nouveau rendez-vous participatif :

  • Obliger les décideurs politiques de l’UE à être régulièrement informés de la contribution du public ;
  • Favoriser un débat européanisé sur des questions d’intérêt commun ;
  • Renforcer les incitations pour les institutions de l’UE et les représentants européens à réagir de manière réfléchie aux commentaires du public.
  • Saisir les propositions les plus pertinentes et les plus prometteuses émanant des citoyens et les faire ensuite progressivement peser sur le travail quotidien de chaque institution.

Au total, l’enjeu de la reprise du contrôle des citoyens sur l’UE, c’est de parvenir à relier les réalités quotidiennes des Européens au fonctionnement quotidien de leurs institutions en humanisant et en transnationalisant le processus décisionnel de l’UE.

La citoyenneté européenne : une aporie créatrice ?

Le Conseil d’Etat organise un Cycle de conférences sur la citoyenneté, dont « La citoyenneté européenne : réalité ou utopie ? ». Où en sommes-nous du contenu des droits et des devoirs du citoyen européen ?

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Les droits liés à la citoyenneté européenne s’imposent symboliquement…

Au fil de la construction européenne, la force des réalités et des symboles s’enracine et se pérennise – non sans débat – « afin de permettre aux ressortissants de l’Union de s’identifier consciemment comme citoyens européens ».

La popularisation d’une « Europe des citoyens » est sans doute davantage le fruit de programmes comme Erasmus ou le Service volontaire européen que de symboles européens : drapeau, hymne, fête de l’Europe…

Mais surtout, « les transferts à l’Union d’attributs essentiels de la souveraineté ont représenté un tournant majeur » entre la suppression des frontières avec Schengen ou la création de la monnaie commune pour faire progresser la conscience d’appartenir à une communauté.

… et s’exercent quasi inconsciemment

Entre les droits ouverts par les traités européens et surtout la jurisprudence communautaire, qui précise et enrichit, les droits des citoyens européens sont garantis et protègent les citoyens dans leur vie quotidienne.

Autrement dit, et c’est paradoxalement la grande force de la citoyenneté européenne, « les habitants de l’Union exercent le plus souvent leurs droits de citoyens européens sans en avoir pleinement conscience ».

Les obligations liées à la citoyenneté européenne s’exercent en catimini

En dehors de l’obligation de respecter le droit communautaire, le citoyen européen n’a guère d’autres devoirs spécifiques envers l’Union. La reconnaissance de devoirs à l’égard d’autrui ou des générations futures, dans le Préambule de la Charte européenne des droits fondamentaux, ne permet pas de déduire des obligations juridiques concrètes du citoyen européen envers l’Union.

Et les devoirs associés à la définition classique du citoyen dans un cadre national ne sont guère transposables à l’échelle de l’Union. Ainsi le devoir de défendre sa patrie n’a pas d’équivalent à l’échelle de l’Union. De même, la notion de civisme fiscal demeure une abstraction à l’échelle européenne, en l’absence de tout impôt direct prélevé par l’Union.

… et s’imposent modestement

En tant qu’électeur au sein de la démocratie représentative européenne, la baisse continue de la participation électorale aux élections européennes, le rendez-vous pourtant majeur lors duquel les citoyens peuvent s’exprimer, démontre qu’ils n’identifient pas complètement le vote aux élections européennes à un devoir civique. Quels que soient les pays, le niveau de participation aux élections nationales est toujours nettement supérieur à celui enregistré pour les élections européennes.

En tant que citoyen actif au sein de la démocratie participative européenne, le bilan des instruments comme le droit de pétition, le recours au médiateur européen et plus récemment l’initiative citoyenne européenne, est globalement modeste. De surcroit, c’est surtout un mode d’expression élitiste utilisé par des citoyens politisés, bien dotés en capital culturel, social et financier.

Force est donc de constater que malgré des acquis positifs depuis un quart de siècle, la citoyenneté européenne, ancrée dans la réalité des États-nations, doit s’enraciner dans la transmission d’une histoire et d’une civilisation, ce qui passe par l’école et la culture, un chantier qui, pour l’essentiel, reste à ouvrir.

Une campagne de communication peut-elle sauver l’initiative citoyenne européenne ?

Largement méconnue et donc sans impact, l’initiative citoyenne européenne, pourtant l’innovation de démocratie participative la plus originale et potentiellement disruptive fait l’objet d’une campagne de communication. Mais n’est-ce pas bien trop tard, ou finalement encore trop tôt ?

Une campagne pédagogique tellement indispensable… bien trop tardive

« Prenez l’initiative » : EUtaketheinitiative.eu est la campagne de communication – tant attendue depuis la mise en œuvre de l’initiative citoyenne européenne… en 2012 – lancée par la Commission européenne.

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« Mieux vaut tard que jamais » diront les optimistes, qui se réjouiront également de trouver tous les éléments nécessaires pour faire connaître l’initiative citoyenne européenne et encourager les citoyens à y participer, notamment une FAQ très utile.

Une campagne d’empowerment tellement souhaitable… encore trop prématurée

Mais, puisque « tout vient à point à qui sait attendre », n’aurait-il pas été préférable de faire les choses dans l’ordre, à savoir, réaliser d’abord la réforme promise depuis des années, et finalement lancée l’année dernière puis ensuite communiquer sur l’initiative citoyenne européenne simplifiée.

Inviter des citoyens à s’engager dans une initiative citoyenne européenne, comme le propose le site « Votre idée peut-elle faire l’objet d’une initiative ? », n’est, disons, pas un parcours de santé dans l’état actuel des procédures, voire, dirons certains, contre-productif.

En somme, la communication autour de l’initiative citoyenne européenne est non seulement pas dans le bon timing, mais surtout, cette campagne démontre que les institutions européennes ne semblent pas comprendre que la communication ne peut pas tout, et qu’elle peut encore moins lorsqu’elle est à contretemps.

Au total, il reste à souhaiter que le temps que la médiatisation autour de l’initiative citoyenne européenne atteigne le grand public, sa réforme sera adoptée pour tirer tous les bénéfices de la campagne de communication.

Initiative citoyenne européenne : de la promesse participative au clicktivism désaffecté

Entre la théorie et la pratique, Marie Dufrasne analyse les nombreux débordements de l’initiative citoyenne européenne : réinvention des pratiques, hybridation de la participation, désillusion de la délibération, résignation au clicktivism et désaffection des mobilisations…

La magie de la théorie

Les promesses de l’initiative citoyenne européenne correspondant à une « constitutionnalisation » d’un modèle participatif sont séduisantes :

  • Le premier outil transnational d’agenda-setting pour le citoyen permettant à chaque ressortissant des États membres de déclencher le processus législatif de l’UE ;
  • l’introduction d’une revendication collective, sans surveillance, dans le processus décisionnel européen ;
  • La possibilité de discours supranationaux dans un espace public européen émergent.

En bref, un tel dispositif fournit exactement ce qui fait le plus défaut à une politique quasi transnationale comme l’UE aujourd’hui :

« Un dialogue intense entre les institutions et les citoyens, un sentiment d’appropriation de la politique européenne par les électeurs et une solide légitimité pour les décisions prises au niveau de l’UE. Le pouvoir d’initiative conféré aux citoyens permet de briser le privilège exclusif de la Commission européenne de définir l’intérêt communautaire. »

Pourtant, ces premières déclarations ne résistent pas aux observations des pratiques de terrain.

Réinvention des pratiques : le hacking du dispositif institutionnel de participation citoyenne

Avec « La participation citoyenne européenne au travers des pratiques de l’Initiative Citoyenne Européenne », Marie Dufrasne détaille les pratiques de contournement et de réinvention : Un des résultats les plus intéressants est de mettre au jour des formes très créatives et militantes de contournement ou réinvention du dispositif.

Face aux énormes difficultés (juridiques et techniques), les acteurs, pour pouvoir continuer à participer dans un cadre excessivement contraint, font preuve d’usages actifs et innovateurs : réticents quant aux normes imposées par la Commission qu’ils estiment relever d’une participation pauvre, ils vont dès lors mettre en place des opérations décalées par rapport à la définition initiale du dispositif, vont tenter de le transformer, l’adapter ou d’en déborder, de le détourner, vont en donner une définition différente et vont même parfois créer un nouveau dispositif.

Hybridation de la participation : un genre participatif ambigu

Avec « The ECI as a Hybrid Participatory Genre », Marie Dufrasne montre que les termes utilisés par les autorités dans les discours officiels, les praticiens, la presse et les universitaires peuvent conduire à une ambiguïté terminologique, des attentes dissemblables et une confusion dans les usages.

Du coup, ces différences de sémantique conduisent finalement à un type hybride et ambigu de participation, combinant trois genres existants : initiative, pétition et campagne, où la dimension campagne prend le pas sur l’intention politique.

Désillusion de la délibération : une délibération désillusionnée au niveau européen

Avec « The European Citizens’ Initiative : towards more deliberation at the European level? », Marie Dufrasne analyse que l’initiative citoyenne européenne fournit très peu de délibération en dehors du comité des organisateurs définit dans le cadre du dispositif institutionnel en soi. Dès que l’initiative est enregistrée, il n’y a plus de débat, l’objectif étant de collecter des signatures.

Cependant, la délibération est présente via des communautés qui se consistent autour de comités et de partisans d’une initiative dans le cadre de campagnes de sensibilisation et de mobilisation, en dehors de tout processus formel.

Les désillusions liées à la Commission européenne qui ne semble pas encore avoir mesuré les enjeux politiques de sa communication sont fortes, surtout en raison de la façon très décevante dont la Commission réagit aux initiatives réussies, qui devrait être considérée à la lumière de l’ampleur de ce dispositif et des efforts qu’il exige de ses organisateurs.

Un autre risque est la déception des citoyens dans un dispositif exigeant mais non contraignant. Si la Commission ne réagit pas, elle aura les effets opposés de ceux qui sont prévus : cela ne fera qu’accroître le sentiment d’impuissance des citoyens européens dans le processus décisionnel et finalement renforcer les sentiments de méfiance à l’égard des institutions européennes et aggraver la crise de légitimité de l’Union.

En somme, cet instrument très exigeant et limité donne l’impression que la Commission a peur des débats politiques et des conflits alors que les contestations citoyennes contribuent à la politisation de l’UE et favorisent l’européanisation de la sphère publique.

Résignation au clicktivism : une participation réduite à la mobilisation en ligne

Avec « The European Citizens’ Initiative (ECI). Online participatory practices used to bypass traditional impediments to pan-European activism », Marie Defraisne étudie l’initiative citoyenne européenne sous l’angle des évolutions dans la relation des citoyens à la participation, notamment par une utilisation accrue des pratiques en ligne.

Au sein de chaque initiative, la collecte de signatures n’est qu’un élément d’un plan plus large d’actions légales ou symboliques poussant les acteurs à l’inventivité, au renouvellement des pratiques, au développement de répertoires plus vastes, à l’utilisation de moyens différenciés.

La communication vise principalement à faire campagne pour recueillir autant de signatures que possible. Il s’agit d’être connu et de se rendre visible, de développer et transmettre des informations, et de mettre en place une communication d’influence.

La communication est un élément central des pratiques et devient même parfois un but en soi, avec la préséance sur le reste, transformant l’action en une véritable campagne. La communication subsume alors tous les types d’actions que les participants mettent en place. Devenir visible et communiquer peut même être l’objectif principal d’une initiative en créant des sites internet, en étant présents sur les réseaux sociaux, en organisant des événements pour attirer la presse, en développant des slogans et des messages à diffuser auprès du grand public.

Déjà que l’idée militante est emballée par la réglementation, le dispositif technique essentiellement numérique vient finir de la transformer en slogans concis et accrocheurs.

Au total, les pratiques de communication révèlent une résignation en passant du militantisme au campaigning et en les poussant à promouvoir le clicktivisme, tout en reconnaissant que ce n’est pas ce qui était attendu de la participation citoyenne au niveau européen.

Désaffection des mobilisations : un contrôle des affects

Avec « Les débordements d’un dispositif participatif institutionnel : comment l’Initiative Citoyenne Européenne impose aux participants de contourner un contrôle maximal des affects », Marie Dufrasne illustre que les contraintes juridiques et formelles, extrêmement cadrées, pèsent sur les participants et laissent peu de place à l’expression des affects.

La norme de rationalité conduit la plupart du temps à disqualifier tout autre registre mobilisé pour justifier des positions dans le cadre des institutions européennes, exigeant, en particulier un contrôle minimal des affects.

Les promoteurs disent se sentir obligés d’élaborer des propositions raisonnables et de se plier à des pratiques en adéquation avec la manière de fonctionner de la Commission pour pouvoir être considérés.

Ce qui est extrêmement paradoxal mais tout à fait intéressant, c’est la coexistence de cette vision de ce que devrait être l’initiative citoyenne européenne et l’Europe avec une déception extrême vis-à-vis de ce qu’elles sont réellement. Puisqu’il faut passer par l’institution pour changer l’institution, les acteurs acceptent de prendre part à un dispositif d’une institution qu’ils critiquent fortement dans une forme de « coopération conflictuelle ».

Conclusion : dépolitisation et désidéologisation ?

Certes, la proposition politique à l’origine d’une initiative citoyenne européenne doit être traduite en une proposition législative concrète au point que l’idée politique initiale est souvent diluée au point de devenir presque apolitique.

Mais, plutôt qu’un mouvement de dépolitisation et de désidéologisation, l’initiative citoyenne européenne, dans une dynamique de coopération conflictuelle conduit à une reconfiguration des formes de démocratie participative et de mobilisation des citoyens et de militantisme au niveau européen avec de nouvelles pratiques participatives et communicationnelles, d’autant plus à l’heure de la transformation numérique.