Élections européennes : que faut-il attendre de l’impact des intelligences artificielles ?

Tandis que la campagne des élections présidentielles aux Etats-Unis est déjà lancée avec une vidéo 100% générée par l’IA, ce qui est totalement inédit, lancée par les Républicains pour critiquer une réélection potentielle du Démocrate Joe Biden, le Far West de la communication politique à l’ère des intelligences artificielles interroge sur leur impact sur les prochaines élections européennes…

Comment l’IA transformera les élections en 2024

Un Position Paper de la Brookings « Comment l’IA transformera les élections de 2024 » estime que les progrès des technologies numériques fournissent de nouveaux outils où la création et la diffusion numériques en masse en particulier en matière de génération de textes, d’images et de vidéos vont avoir lieu grâce à des modèles faciles et peu coûteux à utiliser par un large public.

Les impacts, difficiles à mesurer, pourraient porter non seulement sur la difficulté à distinguer le faux du vrai mais également la façon dont les électeurs, les politiciens et les journalistes feront la campagne sans compter une incertitude majeure quant à la manière dont l’élection sera affectée.

Des réponses instantanées

Avec l’IA générative, les équipes de campagne pourront réagir quasi instantanément aux développements de la campagne, sans les couteux tournages et montages, simplement avec un prompt demandé à l’outil afin de créer une vidéo, qui soit capable de scanner le web, de réfléchir à une stratégie en termes de message et de proposer un call-to-action percutant.

Pour les élections européennes, il s’agit d’une belle opportunité et d’ores et déjà d’un développement qui peut potentiellement rebattre les cartes, avec un effet d’égalisation des chances, en particulier pour les listes qui n’auraient pas eu les moyens d’assurer une production rich media indispensable pour assurer la visibilité d’une campagne, a fortiori à l’échelle paneuropéenne et multilingue.

Un ciblage précis des messages

Deuxième atout de l’IA, les outils permettent un ciblage d’audience très précis, ce qui est crucial dans les campagnes politiques, en particulier lorsqu’il s’agit de bien cibler le petit nombre d’électeurs qui pourrait décider de l’élection proprement dite – un potentiel beaucoup plus poussé aux Etats-Unis où les données personnelles ne font pas l’objet de la même règlementation qu’en Europe.

Pour les prochaines élections européennes où les évolutions des forces politiques représentées au Parlement européen se font lentement d’un scrutin à l’autre, le petit pourcentage de l’électorat potentiellement indécis sera encore plus « chassé » par les campagnes boostées par les IA – un risque de surinvestir certains publics au détriment d’autres électorats moins connectés. Résultat ? Sans doute, un match nul pour les IA.

Démocratiser la désinformation

Troisième effet des IA, la probable démocratisation de la désinformation en apportant des outils sophistiqués aux citoyens lambda. Les gens n’ont plus besoin d’être des experts en codage ou en production vidéo pour générer du texte, des images ou des vidéos. Tout un chacun peut simplement utiliser des technologies avancées pour diffuser des messages élaborés. En ce sens, n’importe qui peut devenir un créateur de contenu politique et chercher à influencer les électeurs ou les médias.

Selon l’intention des auteurs utilisant des IA, leurs effets pourraient autant galvaniser un camp que stigmatiser un autre, voir créer du bruit et de l’incertitude et développer de faux récits afin de gagner la course.

Lors des prochaines élections en 2024, tant américaines qu’européennes, les IA seront des outils majeurs d’engagement et de persuasion, capable de surfer sur des émotions intenses (mécontentements, peurs, angoisses ou colères) et sans doute également de divulguer fausses nouvelles et désinformation, hors de tout contrôle.

Ni les individus – électeurs et candidats – ni les organisations – partis politiques et médias d’information – ne sont préparés à faire face à l’utilisation massive des IA génératives pour fabriquer et diffuser des campagnes. Les élections, plus que jamais, vont reposer sur la responsabilité, au cœur de la promesse démocratique.

Eurobaromètre : vivre dans l’UE, en démocratie, à un an des élections

Découvrez les principales conclusions de l’Eurobaromètre du printemps 2023, réalisé pour le Parlement européen afin de prendre le pouls des opinions publiques européenne…

VIVRE DANS L’UE : DES EUROPÉENS PLUS RÉSILIENTS

Vivre en polycrises malgré tout

Après des années de crises dans l’UE, les perceptions de détérioration des perspectives économiques personnelles des citoyens et de leurs attentes quant à leurs conditions de vie futures pourraient toucher à leur fin. Une majorité s’attend toujours à ce que la situation économique de leur pays se détériore au cours de l’année à venir, mais cette proportion a diminué de huit points de pourcentage au cours des six derniers mois.

L’espoir, une valeur en légère hausse

L’espoir est l’émotion la plus fréquemment mentionnée par les citoyens de l’UE (37 %), arrivant en première position, ou ex aequo en première position, dans huit États membres de l’UE. Cependant, l’incertitude due aux crises en cours occupe la deuxième place avec 34 % et arrive également en tête de liste dans huit États membres de l’UE.

L’optimisme brille d’un léger éclat

Une majorité dans 25 États membres de l’UE se montre optimiste quant à l’avenir de l’UE. L’optimisme a augmenté de sept points de pourcentage depuis l’automne 2022 et atteint maintenant 64 % au niveau de l’UE dans son ensemble.

Le coût de la vie reste élevé

La crise du coût de la vie préoccupe toujours de nombreux Européens. 65 % ne sont pas satisfaits des mesures prises par leur gouvernement national, et 57 % ne sont pas satisfaits des mesures prises par l’UE.

Nous soutenons l’Ukraine

Plus d’un an après le début de la guerre de la Russie contre l’Ukraine, les citoyens de l’UE continuent de soutenir le soutien de l’UE à ce dernier : 76 % approuvent ces mesures, soit une augmentation de deux points de pourcentage depuis l’automne 2022. De plus, le soutien à l’Ukraine est la première action de l’UE que les citoyens mentionnent : 74 % en ont entendu parler, soit 36 points de pourcentage de plus que la deuxième action de l’UE la plus évoquée.

VIVRE EN DÉMOCRATIE : DES EUROPÉENS MOINS INSATISFAITS

L’impact de la démocratie en action où l’UE agit

71 % des Européens affirment que les actions de l’UE ont un impact sur leur vie quotidienne. Les actions de l’UE qui suscitent le plus de satisfaction chez les citoyens sont le soutien à l’Ukraine (69 %), les droits démocratiques et le respect de l’État de droit (64 %), ainsi que la politique étrangère (54 %).

La démocratie est ce qui nous définit

Une majorité absolue de citoyens de l’UE se déclarent également satisfaits des aspects différents de la démocratie. Les élections libres et équitables (70 %), la liberté d’expression (70 %) et le respect des droits fondamentaux (66 %) sont les aspects qui génèrent le plus de satisfaction. La démocratie est la valeur fondamentale que les citoyens veulent que le Parlement européen défende. Avec 37 % de mentions dans l’ensemble, c’est également la valeur principale dans 14 États membres de l’UE. La majorité des citoyens sont également satisfaits du fonctionnement de la démocratie au sein de l’Union européenne (54 %).

Le bilan de la mandature du Parlement européen

Encore plus qu’auparavant, l’agenda des législations adoptées au Parlement européen dessine un bilan, dont les Européens apprécient diversement les résultats, le soutien à l’Ukraine arrivant en haut des actions approuvées tandis que migrations et asiles, Green Deal et Agenda Digital, qui constituaient les priorités de la Commission européenne sont moins bien évaluées.

VIVRE LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES : DES EUROPÉENS DÉJA SENSIBILISÉS

Élections européennes : les citoyens le savent déjà

La prise de conscience que les élections européennes auront lieu en 2024 augmente considérablement pour atteindre 45 % des citoyens – neuf points de pourcentage de plus qu’il y a six mois et nettement plus élevé qu’à un moment similaire avant les dernières élections européennes en 2019, où la connaissance de la date était de 32 %.

Élections européennes 2024, l’intérêt est plus élevé qu’auparavant

L’intérêt pour les prochaines élections européennes est de 56 % chez les citoyens, soit six points de pourcentage de plus qu’un an avant les dernières élections européennes. Qui plus est : les deux tiers des citoyens (67 %) déclarent qu’ils sont susceptibles de voter, alors que 58 % le disaient en 2018.

Dans les opinions, la détérioration des attitudes semble s’être arrêtée avec un niveau d’optimisme quant à l’avenir de l’UE en hausse et une majorité ayant une image positive de l’UE. De même, les Européens continuent de penser que l’appartenance de leur pays à l’UE est une bonne chose et qu’elle est importante. De plus, bien que les opinions soient partagées quant à savoir si leur voix compte dans l’UE, la plupart discutent des questions politiques européennes avec leurs amis ou leurs proches et suivent ce qui se passe dans la politique européenne.

Communication du Parlement européen entre démocratie représentative et démocratie participative

La communication du Parlement européen est confrontée à un paradoxe : d’une part, elle cherche à combler le déficit démocratique en favorisant une gouvernance participative, et d’autre part, elle doit préserver sa légitimité démocratique traditionnelle basée sur la démocratie représentative. Pour répondre à ce défi, le Parlement européen investit massivement le web social interactif, mais il doit également envisager d’autres formes de démocratie participative, telles que les panels citoyens et les conférences citoyennes, tout en explorant toutes les opportunités disponibles.

Le rôle du web social dans la communication interactive du Parlement européen

Le web social a offert au Parlement européen un moyen efficace d’atteindre un large public et d’encourager l’interaction directe avec les citoyens. Cette approche s’inscrit dans le cadre de la démocratie participative, qui vise à favoriser l’engagement et la participation des citoyens dans les processus de prise de décision. Cependant, le web social ne représente qu’une facette de la démocratie interactive, et il est nécessaire d’explorer d’autres mécanismes pour une participation citoyenne plus diversifiée.

Le renouvellement démocratique de la participation citoyenne

La démocratie participative ne se limite pas uniquement à l’engagement en ligne sur les réseaux sociaux. Elle peut également inclure des événements tels que les panels citoyens et les conférences citoyennes, qui permettent une participation plus directe et approfondie des citoyens. Ces initiatives offrent un espace de délibération où les citoyens peuvent discuter de questions politiques complexes et formuler des recommandations. En intégrant ces mécanismes dans sa communication, le Parlement européen peut renforcer sa légitimité démocratique en permettant une participation citoyenne plus inclusive et éclairée.

L’exploration de toutes les opportunités technologiques

Outre le web social, le Parlement européen doit envisager toutes les opportunités technologiques pour améliorer sa communication et sa participation citoyenne. Les nouvelles technologies, telles que le web3, les métavers, les NFT, les médias immersifs et les IA générationnelles, offrent des moyens innovants de faciliter l’interaction entre les citoyens et les institutions. Ces technologies peuvent favoriser une plus grande transparence, faciliter l’accès à l’information et encourager la participation citoyenne à tous les niveaux de la gouvernance européenne. Le Parlement européen doit donc être à l’avant-garde de l’exploration et de l’adoption de ces nouvelles opportunités technologiques.

L’équilibre de légitimité entre démocratie représentative et démocratie participative

Pour préserver sa légitimité démocratique, le Parlement européen doit trouver un équilibre entre la démocratie représentative et la démocratie participative. La démocratie représentative reste essentielle pour garantir la représentation de tous les citoyens et la prise de décision collective. Les élections européennes continuent d’être un moyen fondamental de participation citoyenne. Cependant, en complément de la démocratie représentative, la démocratie participative permet une participation plus directe et informée des citoyens. En combinant ces deux formes de démocratie de manière complémentaire, le Parlement européen peut renforcer sa légitimité démocratique et répondre aux attentes des citoyens européens.

Favoriser une participation plus inclusive et éclairée, et préserver sa légitimité démocratique traditionnelle répondant aux attentes des citoyens européens et contribuant à combler le déficit démocratique de l’UE. En explorant les nouvelles opportunités technologiques telles que le web3, les métavers, les NFT, les médias immersifs et les IA générationnelles, le Parlement européen peut enrichir sa communication et renforcer son engagement avec les citoyens, tout en naviguant habilement entre démocratie représentative et démocratie participative.

Au total, le Parlement européen est confronté à un défi complexe dans sa communication : comment préserver sa légitimité démocratique tout en favorisant la démocratie participative à travers le web social et d’autres formes de participation citoyenne au travers d’une communication qui renforce la relation de l’Union avec les citoyens ?

Élections européennes : risques et opportunités pour lutter contre le déficit d’intelligibilité

Dans le cadre du projet « Supporting Engagement in European Elections and Democratic Societies » (SEEEDS), une discussion des différents facteurs, qui influenceront le déroulement et le résultat des prochaines élections européennes permet de faire le tour des enjeux du scrutin.

Challenges et menaces

Pour faire le tour des problématiques, c’est Ingibjörg Sólrún Gísladóttir, ancienne ministre des Affaires étrangères d’Islande et ancienne directrice du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE qui mentionne le risque de « backsliding », de rétrograder qui pourrait être une menace existentielle mobilisant les électorats européens :

  1. Participation électorale : premier enjeu, le risque de déconnexion entre l’UE et les citoyens
  2. Manque de confiance dans les élus européens, en particulier après le scandale du QuatarGate
  3. Mobilisation des partis populistes face aux solutions insatisfaisantes de l’UE, en particulier sur les migrations
  4. Interférences étrangères en matière de désinformation, dont l’arsenal s’est encore renforcé avec les deepfakes, les contenus générés par les IA ou encore les fake websites
  5. Coût politique de la guerre en Ukraine après le coût économique avec l’inflation
  6. Intégrité du scrutin en termes de cybersécurité
  7. Paysage médiatique, indifférent, polarisé ou parfois menacé selon les États-membres, entre « slap lawsuits » d’un côté mais « cross-border journalism » de l’autre
  8. Impact incertain du Brexit

Vision optimiste

Pour défendre une autre vision, Camino Mortera-Martinez, Responsable du bureau de Bruxelles du Centre for European Reform se charge de plaider les arguments en faveur d’une mise en question du statut d’élections de second rang en raison de la plus faible participation et de la moindre importance en termes politiques :

  • Les premières élections après une pandémie et une guerre, qui ont l’une et l’autre changé pour toujours l’UE vers davantage de décisions décisives et d’unité solidaire.
  • Des nouveaux biens communs publics européens à défendre comme la santé, l’énergie ou la sécurité.

Résorber le déficit d’intelligibilité

Alberto Alemanno, Professeur de droit de l’Union européenne à la chaire Jean Monnet de HEC Paris, souligne que le traité de Lisbonne prévoit un modèle de démocratie parlementaire majoritaire qui fait l’objet d’incertitude, c’est ce déficit d’intelligibilité qui doit être corriger.

La préoccupation principale porte sur la participation électorale, dont l’érosion inéluctable a été corrigée lors du dernier scrutin, mais qui risque de se dégrader en raison du manque d’européanisation du process politique – les élections européennes demeurent des élections nationales dans leurs organisations de la compétition des candidats nationaux.

La réponse de l’UE qui manque d’ambition en réponse au scandale du QuatarGate, risque d’impacter à la baisse la confiance des citoyens dans les institutions européennes.

Le statut d’agent étranger, prévu dans le « package démocratique » en vue des élections européennes pour lutter contre les manipulations étrangères de l’opinion, risque d’entretenir un état d’esprit anti-ONG.

La gestion des entorses à l’état de droit, qui met en question le système de la justice de manière plus sensible pour les citoyens, n’est là encore pas à la hauteur avec des mécanismes de conditionnalités qui n’envoient pas le bon signal aux gouvernements.

Certes, un vent d’opportunité sans précédent souffle sur l’Europe, avec une demande de connaissance accrue et des expériences de vie partagées autour de la gestion de la pandémie ou du conflit en Ukraine. Les citoyens regardent dorénavant l’Union européenne comme un apporteur de solutions.

Mais, le narratif autour du scrutin européen est encore trop trivial et banal, en ne reflétant pas assez les vrais enjeux des élections européennes. La responsabilité en incombe particulièrement aux partis politiques européens pour rendre plus intelligible les choix de politiques publiques et européaniser les débats politiques ainsi qu’à la sphère médiatique qui pourrait davantage reporter les mouvements venant de la société, en particulier de la jeunesse plutôt que de se concentrer sur les partis populistes ; sans oublier le rôle de la communication du Parlement européen qui donne des capacités aux acteurs de la société civile de jouer un rôle dans la mobilisation et pour humaniser les élections.

Dorénavant, l’UE joue sa peau dans la vie quotidienne des Européens, aux futures élections européennes d’en confirmer l’impact et l’importance.

Valeurs et identité (géo)politiques des Européens

La guerre en Ukraine bouleverse l’univers mental de l’Union européenne, selon Thierry Chopin conseiller spécial à l’Institut Jacques Delors dans « Les « valeurs européennes » à l’épreuve de la guerre en Ukraine ». Replongée dans le « tragique de l’histoire », la « prise de conscience géopolitique » accélérée de l’UE interrogent les Européens sur l’usage et le sens du terme de « valeur » tant le nouveau hard power de la « puissance » européenne questionne le sentiment d’« appartenance » à une nouvelle identité (géo)politique des Européens garantissant la cohésion des Européens autour de leurs principes politiques fondamentaux face aux défis de la guerre en Ukraine…

Un soutien majoritaire sans ambiguïté des Européens à l’UE face à la guerre en Ukraine

La cohésion des opinions publiques est remarquable en soutien aux importantes ressources économiques et financières, militaires et humanitaires engagées pour aider l’Ukraine alors même qu’il s’agit d’une rupture radicale qui sonne le « réveil géopolitique de l’Europe » puisque pour la première fois, l’extension du projet démocratique européen est contrée par les armes ».

Les enquêtes d’opinion les plus récentes montrent que les Européens sont majoritairement solidaires de la cause ukrainienne et dans la durée. Une majorité est satisfaite de la coopération entre les États membres pour faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine. La confiance des citoyens européens dans la capacité d’action de l’UE et de la coopération européenne, notamment en matière de défense se renforce et se traduit par un sentiment d’appartenance fort des Européens vis-à-vis de l’Union.

Une cohésion européenne autour de « valeurs » communes ?

Face à la guerre en Ukraine, l’UE défend des valeurs démocratiques européennes, mais de quoi s’agit-il sur les plans juridique, politique et sociétale ?

L’État de droit, stricto sens, c’est globalement l’acquis communautaire de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne : légalité ; interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif ; juridictions indépendantes et impartiales ; contrôle juridictionnel effectif y compris du respect des droits fondamentaux ; égalité devant la loi.

Les « principes » politiques : « respect de la dignité humaine, liberté, démocratie, égalité et respect des droits de l’homme (pluralisme, non-discrimination, tolérance, justice, solidarité et égalité femmes / hommes) sont défendus dans les discours et les textes européens.

Les valeurs « sociétales » : l’UE laisse une large marge de manœuvre aux États membres dans la mesure où les spécificités nationales ne sont pas mobilisées pour faire obstacle à un acquis fondamental européen.

Les « valeurs prioritaires » que doit défendre l’UE dans le contexte de guerre en Ukraine, selon les Européens, relèvent de la défense de l’État de droit et des « principes » politiques sur lesquels repose l’Union : démocratie, protection des droits humains dans l’UE et le monde, liberté d’expression et de pensée, État de droit et solidarité avec les États membres et les régions proches.

L’expérience historique des peuples européens suite aux tragédies du XXe siècle a forgé un consensus autour de la démocratie (suffrage universel) et du libéralisme politique (État de droit, respect des droits fondamentaux, séparation des pouvoirs) ; la solidarité et la recherche de la justice sociale conférant un rôle important à l’État  ; esprit de modération, de tolérance, d’ouverture et de méfiance vis-à-vis des passions politiques ; renonciation relative à la force et préférence pour le règlement pacifique des conflits par la négociation.

Ce socle de « valeurs » trouve une incarnation dans le projet politique de l’intégration européenne, qui réunissent les États et les citoyens de l’Union européenne. Autrement dit, les valeurs et les principes fondateurs de l’Union européenne résident dans la nécessité de rester unis sur le plan géopolitique, et de se protéger de la tentation autoritaire voire totalitaire, de substituer le droit et l’égalité entre États au droit du plus fort, préférer le règlement amiable des conflits entre États, et de défendre une vision des relations interétatiques comme un jeu à somme positive.

Les Européens se sentent Européens dans la mesure où ils savent que leurs histoires (passées et futures) sont indissociables et qu’ils constituent une communauté de destin.

Un usage paradoxal des « valeurs » européennes

La guerre en Ukraine met cependant en exergue un certain nombre de paradoxes propres au référentiel spécifique des « valeurs européennes » et qui relèvent en réalité de la confusion entre les différentes dimensions de l’usage du terme « valeur ».

Un premier usage paradoxal des « valeurs » européennes porte sur le registre politico-juridique : deux erreurs de perception et d’interprétation très répandues doivent être évitées : à l’Ouest, il y a une forte tendance à surévaluer l’altérité, la spécificité de l’Europe centrale et orientale en matière de « valeurs ». Cette perception méconnaît la diversité interne de ces pays, la résistance souvent très forte des divers contre-pouvoirs ou encore les décalages entre le discours et les actes politiques. À l’inverse, cette même perception tend à minimiser l’ampleur du problème à l’Ouest, où les « valeurs européennes » font également l’objet de mises en cause nombreuses et vigoureuses même si la capacité de résistance à ce phénomène varie.

En second lieu, cet usage paradoxal des « valeurs européennes » peut être analysé sur le registre culturel et sociétal. Le national-souverainisme actuel vise en effet non seulement les principes du libéralisme politique mais aussi les valeurs sociétales du libéralisme culturel, accusées d’être à l’origine d’une disparition des valeurs traditionnelles et de l’identité nationale. Sur ce registre culturel, un discours conservateur, voire réactionnaire, sur le plan politique et sociétal, peut trouver un écho parfois très fort dans certaines sociétés centre et est-européennes, l’UE est présentée comme un cheval de Troie d’une modernité antireligieuse porteuse de valeurs et de choix sociétaux dénoncés comme une source de décadence et d’une destruction à terme de ce que devrait être la « véritable » identité européenne.

Une homogénéité indispensable tant sur le plan interne qu’externe autour des « valeurs »

Pour la clarté du débat et même du combat en faveur des principes juridiques et politiques de l’État de droit et de la démocratie libérale, il serait préférable de distinguer entre principes politico-juridiques d’un côté et valeurs culturelles et sociétales de l’autre :

  • D’un côté, l’exigence d’un respect intransigeant et homogène des principes politiques et juridiques fondamentaux par tous les États membres, dont l’État de droit est la clé de voûte ;
  • De l’autre une approche convergente, mais pluraliste et tolérante des valeurs qui sous-tendent les choix culturels et sociétaux des Européens.

L’exigence d’un consensus indispensable sur les principes politiques et juridiques de l’UE est une nécessité :

  • Sur le plan interne, pour la stabilité d’un ordre politico-juridique, supposant un degré d’homogénéité politique minimal et impliquant un consensus sur ces principes politiques communs ;
  • Sur le plan externe, pour garantir à l’Union une capacité durable à faire face aux défis géopolitiques externes de « puissance ».

Dans cette perspective, il serait souhaitable d’affirmer avec beaucoup plus de force ce lien entre les deux dimensions, l’affirmation des valeurs comme « fondement même de l’Union et de son ordre juridique », constituent désormais le socle du lien d’appartenance des États à l’Union ».

En bref, la « puissance » européenne est indissociable du sentiment d’« appartenance » lié au respect des principes politiques et juridiques qui fondent l’existence de l’Union et de l’identité (géo)politique des Européens.

Face, à l’intérieur aux courants nationaux-populistes autoritaires et d’extrême-droite néo-nationaliste et à l’extérieur, aux régimes autoritaires, dictatoriaux et totalitaires contre l’occident, les Européens doivent défendre coûte que coûte leurs principes politiques et démocratiques et leur modèle de société, sans que nos dissensions ne remettent en cause l’édifice global, comme l’une des réponses les plus fortes pour redimensionner la puissance des nations démocratiques du continent à l’échelle du monde et inscrire son régime politique de démocratie libérale par le consentement des gouvernés dans une forme politique et à une échelle territoriale compatible avec le retour des rapports de force brutaux et des ambitions néo-impériales.