Comment évaluer les médias de la communication européenne ?

Puisque le « PESO model » distinguant le Paid, Earned, Shared and Owned media tend à s’imposer pour répartir et analyser les canaux de communication à la disposition d’une marque ou d’une institution, qu’en est-il du PESO de la communication de l’UE ?

Paid media de la communication européenne : une double spécificité peu efficace en termes d’exposition de l’image de l’UE

Normalement, le paid media d’un annonceur représente l’ensemble des investissements en achat d’espace publicitaire lui permettant d’exposer ses messages auprès du grand public.

Les investissements de l’UE en matière de paid media se conjuguent pour en limiter l’impact :

  • d’une part, à défaut de pouvoir s’appuyer sur des médias de masse paneuropéens inexistants faute d’un espace public européen, l’UE s’est engagée dans une démarche de création de médias européens (Euronews, Euranet, PressEurop, CaféBabel…) qui de facto ne permet pas de toucher un très large public ;
  • d’autre part, les achats d’espace publicité par l’UE sont relativement rares et extrêmement morcelés entre les institutions, agences et organes entraînant une dilution des capacités de négociation auprès des régies et une dilution également des messages audibles auprès du public.

Au total, le paid media de la communication européenne souffre – sous l’angle de son efficacité pour toucher un large public – d’un double handicap lié à la fois à des contraintes politiques plutôt légitimes et techniques beaucoup moins justifiables.

Earned media de la communication européenne : une capacité inégale à influer sur l’activité des journalistes

Le earned media correspond à l’ensemble des mentions d’un annonceur « gagnées » grâce à l’intérêt éditorial des relations publiques.

Les activités de relations publiques de l’UE visant le earned media sont sans doute les moins développées tandis que leurs résultats potentiels sont les plus prometteurs :

  • à Bruxelles, l’UE s’organise avec des porte-parole pour travailler auprès du corps de presse européen : l’investissement en expertise et en technique tente de surmonter les handicaps d’une institution face à des journalistes ;
  • ailleurs, les efforts déconcentrés pourtant auprès de l’essentiel des journalistes dans les médias nationaux et locaux sont plus limités, faute de moyens.

Au total, l’influence potentielle liée à l’intérêt des informations européennes est inégale entre les journalistes européens et les autres ; et globalement sous exploitée.

Shared media de la communication européenne : un engagement hyper-conditionné en fonction des attitudes et opinions sur l’UE

Le shared media, c’est la nouveauté introduite par le web social : l’ensemble des contributions du public d’un annonceur en ligne.

Quoique l’investissement de l’UE dans le shared media soit important, les résultats sont hyper-conditionnés en fonction des attitudes et opinions des publics en ligne :

  • les publics anti-UE et pro-UE sont – à l’image des fans et des anti-fans d’une marque – d’autant plus hyperactifs en ligne qu’ils s’appuient sur des positions tranchées ;
  • les publics neutres ou indifférents – les plus nombreux – n’ont le plus souvent pas d’avis sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas et n’ont donc plus qu’à contempler des espaces sociaux remplis par des contributions trop souvent caricaturales.

Au total, l’engagement des publics en ligne avec l’UE est extrêmement encadré par une sorte de compétence minimale qui bloque l’accès et par une sorte d’extrême maximaliste dans un sens ou dans l’autre.

Owned media de la communication européenne : une action rationalisée pour porter les messages de l’UE

Le owned media, c’est l’ensemble des outils de communication dont l’annonceur en est l’ultime propriétaire.

Globalement, les canaux de communication maîtrisés par l’UE sont sur une trajectoire de modernisation et d’adaptation aux nouvelles exigences et contraintes :

  • rationalisation du portail europa.eu visant à réduire le nombre de sites et à améliorer l’accès aux informations ;
  • raréfaction des publications écrites des institutions européennes pour ne conserver que les contenus d’utilité générale (textes juridiques) ou extrêmement ciblés, notamment auprès des jeunes ;
  • consolidation des réseaux, notamment les Centres d’information Europe Direct sur le territoire de l’UE ;
  • harmonisation des messages corporate de l’UE autour de quelques priorités de communication…

Au total, les canaux de communication de l’UE s’optimisent sous le poids conjugué des évolutions techniques/technologiques et des pressions budgétaires tandis que leur mutualisation constituerait l’étape suivante logique.

Que retenir de l’évaluation des médias de la communication européenne ?

  • Paid media = déficit d’efficacité
  • Earned media  = potentiel inexploité
  • Shared media  = nouveauté hyper-segmentée
  • Owned media = rationalisation non-mutualisée

Erasmus+ : quelles sont les raisons du succès de la communication ?

Le lancement d’« Erasmus+ », le nouveau programme de l’UE pour l’éducation, la formation, la jeunesse et le sport pour la période 2014-2020, connaît un fort intérêt avec près de 30 000 mentions en ligne sur les 6 derniers mois et plus de 500 000 vues pour la vidéo de présentation en ligne. Pourquoi ?

Une politique publique européenne ambitieuse et tangible

Premier atout d’Erasmus+, des engagements forts et quantifiés de l’UE, répondant aux besoins d’un public jeune ayant de nombreuses attentes :

  • un budget de 14,7 milliards d’euros pour les 7 prochaines années, soit une augmentation de 40 % par rapport aux niveaux de dépenses des 7 années antérieures ;
  • un objectif de renforcer les compétences et l’employabilité, ainsi que de moderniser l’éducation, la formation et le travail des jeunes ;
  • un résultat tangible de plus de 4 millions d’Européens ayant la possibilité d’étudier, de se former, d’acquérir une expérience professionnelle ou de travailler comme bénévoles à l’étranger.

Autrement dit, le succès du programme Erasmus+ est d’abord lié à la légitimité et à l’ampleur d’une telle action de l’UE : la mobilité est au cœur du projet européen et les jeunes sont un public prioritaire.

Un territoire de marque judicieusement étendu

Le choix de réaliser un brand-stretching de la marque de gamme « Erasmus » sur la mobilité étudiante vers une marque-ombrelle « Erasmus+ » rassemblant les prestations de l’UE en matière d’éducation, de formation, de jeunesse et de sport est une excellente idée capitalisant sur la notoriété du programme le plus connu.

Ce positionnement de marque permet de rendre plus compréhensible l’action de l’UE. Sur la liste des programmes de l’UE destinés aux citoyens, le programme Erasmus+ est clairement à classer dans la catégorie des rares actions reconnues par le plus grand nombre.

Une communication de la preuve, modeste, sociale, partenariale et décentralisée

Parmi les raisons du succès du nouveau programme « Erasmus+ » – au-delà d’une attente légitime d’une génération et d’une réponse à la hauteur de l’enjeu – la manière de communiquer participe à plus d’un titre :

  • les supports de communication, notamment la vidéo de présentation, sont de facture modeste, orientés vers la preuve et la facilitation, la prise en main du dispositif par le public ;
  • l’utilisation des réseaux sociaux (Facebook : 46K likes et Twitter 5K abonnés) sont ouverts à l’échange et combinent informations pratiques et contenus communautaires générant de l’engagement ;
  • les relais locaux dans les Etats-membres que sont les agences et organismes responsables du déploiement accompagnent la communication dans toutes les langues et avec les spécificités nationales.

Au total, sans moyens de promotion extravagants mais avec un important travail de positionnement, d’information et des partenaires décentralisés, la communication du nouveau programme « Erasmus+ » est un succès riche d’enseignements.

Open-data et UE : premier « Europarl Hackathon »

Le weekend des 24-26 janvier dernier, pour la première fois un Hackathon – un événement-marathon où des hackers-développeurs se réunissent pour faire de la programmation collaborative, selon Wikipedia – est organisé au niveau de l’UE. L’« Europarl Hackathon » vise à libérer les données publiques du Parlement européen et donner aux citoyens l’accès à des informations sur leurs eurodéputé(e)s dans la perspective des élections européennes…

La conviction du « Europarl Hackathon » : l’accès aux données publiques notamment des institutions européennes est une question de liberté d’information

Selon les comptes rendus des quelques journalistes présents : « Hackers hold the European parliament to account » sur The Guardian et « Europarl Hackathon : 48h pour libérer les données du Parlement européen » sur Euronews, une trentaine de personnes se sont réunies à l’invitation de Xavier Dutoit, un travailleur indépendant auprès d’ONG et Stefan un programmateur hongrois, grâce à l’aide financière et logistique de Citizens for Europe, une plateforme pour ONG et la Knight-Mozilla OpenNews.

Les réalisations du « Europarl Hackathon » : la transparence sur les déclarations d’intérêt des eurodéputé(e)s et la visualisation de données

La plus importante équipe s’est lancée dans la “libération” des déclarations d’intérêts des eurodéputé(e)s au format PDF (413 PDF ont été traités pendant les 48h) pour créer la première base de données ouvertes, indiquant notamment (voir en bas de page) qu’une infime minorité déclare des revenus complémentaires importants.

Parmi les autres projets réalisés :

  • Un classement des eurodéputé(e)s selon leur positionnement sur les questions climatiques (11 critères) ;
  • Un classement des eurodéputé(e)s en fonction de leur proximité dans leurs votes (affichage aléatoire) ;
  • Une visualisation des sujets abordés par les eurodéputé(e)s par période, partis politiques et Etats-membres.

Enfin, une lettre ouverte a été rédigée pour inviter le Parlement européen à respecter ses propres exigences réglementaires en matière d’open-data.

Au total, l’« Europarl Hackathon » vient démontrer qu’il est possible – et fort utile – de « voir » la démocratie au travail.

Vers une américanisation des think tanks européens ?

« Penser comme un universitaire, agir comme un diplomate et écrire comme un journaliste », voilà les qualités par excellence d’un think-tanker dans son rôle de leaders d’opinion, tant en amont (vis-à-vis des décideurs) qu’en aval (vis-à-vis de l’opinion publique). Les évolutions récentes de la scène des think tanks européens traduit-elle une américanisation des acteurs et des pratiques ?

La scène bruxelloise des principaux think tanks européens de plus en plus représentés par des think tanks américains

En 2004, Steven Boucher dénombre jusqu’à 149 think tanks « actifs » sur des thèmes européens dans l’UE, dont seulement 36 étaient « spécifiques européens », c’est à dire axés sur les questions européennes. En 2012, le Bureau des Conseillers de politique européenne publie une étude de quelque 35 think tanks européens représentatifs, choisis sur la base de leur notoriété, visibilité et engagement dans le jeu / marché des idées politiques liées à l’UE.

Les think tanks les plus traditionnels et les mieux établis à Bruxelles (Centre for European Policy Studies – CEPS, European Policy Centre – EPC et Friends of Europe – FoE) ont tous été fondées dans l’«âge d’or» de l’intégration européenne, entre le milieu des années 1980 et la fin des années 1990. Ils sont tous «généralistes», exclusivement axés sur les affaires de l’UE, et avec un parti pris pro-intégration – même si sans doute CEPS est plus axé sur la recherche, FoE presque exclusivement axé sur la promotion du débat, et EPC quelque part entre les deux.

Au cours de la dernière décennie, à la suite également de l’expansion fonctionnelle et géographique de l’UE, de nouveaux acteurs ont rejoint la scène bruxelloise. Pour commencer, de nombreuses organisations américaines ont mis un pied dans la ville : le German Marshall Fund, l’International Crisis Group, l’Institut Est-Ouest, et la Fondation Carnegie pour la paix internationale.

Le Lisbon Council et Bruegel ont également été mis en place récemment, à la fois avec un fort accent sur les questions économiques. L’arrivée la plus récente est Open Europe un think tank britannique, qui peut être considéré comme un signe avant-coureur d’un débat moins consensuel sur l’intégration européenne. La spécialisation thématique et l’engagement polémique sont deux tendances qui traversent la scène américaine des think tans.

Pour leur part, certains think tanks nationaux ont également ouverts des «antennes» à Bruxelles : la Fondation Bertelsmann, le Stiftung Wissenschaft und Politik basée à Berlin, le Centre for European Reform basé à Londres, l’IFRI et la Fondation Robert Schuman à Paris, la FRIDE basée à Madrid, le Centre for Eastern Studies et l’Institute of Public Affairs de Varsovie.

Dans le même temps, la « famille » des organisations soutenues par George Soros continue de croître : sa OSI a ouvert un bureau à Bruxelles. En outre, Europeum basé à Prague, et le European Council on Foreign Relations ont tous de manière significative pris du poids dans le débat public.

Last but not least, les partis politiques européens ont lancé leurs propres think tanks, en commençant avec le Centre for European Studies (CES) et la Foundation for European Progressive Studies (FEPS) – auxquels, bien sûr, il faut ajouter les bureaux des fondations de partis allemands, dont la Konrad-Adenauer- et la Friedrich-Ebert-Stiftung).

Les spécificités des think tanks européens et la tentation du modèle américain

L’essor et la floraison des think tanks européens sont certainement dus à l’importance croissante de la capitale de l’UE – à l’image de Washington DC – comme plaque tournante pour l’élaboration des politiques dans un nombre croissant de domaines.

Les think tanks européens sont de plus en plus intéressés à alimenter l’agenda de l’UE mais également à réinjecter l’agenda de l’UE dans les politiques nationales, en assurant une présence à travers le continent, en particulier (mais pas exclusivement) à Bruxelles.

Ce rôle d’interface est une particularité européenne. Dans l’UE, les think tanks européens jouent un rôle pédagogique important, en particulier (mais pas exclusivement) au niveau national.

Pris dans leur ensemble, les think tanks européens forment, en particulier à travers leur présence en ligne, un espace public européen commun, où ils façonnent les attentes et les perceptions à l’égard des politiques de l’UE.

Quoique l’Europe soit encore loin de la tradition américaine des « portes tournantes » et du « système des dépouilles » dans les carrières entre fonctions privée, publique, et politique, la présence et l’impact des conseillers politiques venant de l’extérieur des structures traditionnelles du parti et de l’Etat est une tendance qui reflète peut-être, en partie, l’importance toujours plus grande de la communication dans la formulation des politiques, mais aussi en partie la difficulté croissante de ces structures traditionnelles pour produire de l’innovation politique.

Plus généralement, les think tanks diversifient leurs activités et / ou la recherche de niches thématiques, reflétant en partie aussi la variété et la complexité croissante des politiques de l’UE. En conséquence, il est de plus en plus difficile de rester un «généraliste», ou tout simplement un groupe de réflexion traditionnel.

Les think tanks plus petits, plus militants et plus spécialisés sur certains enjeux qui apparaîssent à Bruxelles sont monnaie pratique courante à Washington.

En termes de taille, de personnel ou de budget, l’Europe ne dispose pas des équivalents de la Brookings, de Carnegie ou de la RAND.

Pour aller plus loin, consultez notre cartographie complète de la scène des think tank européens.

Au total, même si leur influence réelle reste difficile à mesurer, les think tanks européens sont certainement de plus en plus nombreux, répandus et influents. Les think tanks européens – sur le modèle américain – sont maintenant une force avec laquelle il faut compter, et qui évolue très rapidement – le débat politique européen accueillant régulièrement de nouvelles voix, notamment d’outre-atlantique.

Vers une campagne de communication d’envergure sur les élections européennes en France

En réponse à une question écrite de la députée de Haute-Savoie Virginie Duby-Muller sur la « promotion de l’UE » « pour lutter contre « l’eurobashing » ambiant et réussir à remobiliser nos concitoyens », le ministère des Affaires européennes dévoile les grandes lignes d’une prochaine campagne de communication d’envergure sur les élections européennes…

Une campagne de communication incluant la diffusion de spots télévisés, l’organisation de débats et une campagne web

Dans la perspective des élections européennes de 2014, un effort significatif sera réalisé en matière de communication. Il inclura notamment la diffusion de spots télévisés, l’organisation de débats rassemblant la société civile et le grand public et une campagne web plus spécifiquement ciblée à l’endroit des jeunes et des primo-votants.

S’agissant des actions web destinées aux jeunes, plusieurs initiatives éparses récentes semblent participer de cette campagne :

  • Le serious game « JEUrope », qui permet d’entrer dans la peau de 4 personnages (journaliste, citoyen, député, lobbyiste) pour découvrir le fonctionnement de l’UE ;
  • Le web-documentaire « l’auberge européenne » qui permet de découvrir 10 portraits d’étudiants Erasmus, signés par Cédric Klapisch ;
  • La vidéo virale « Bengui au Parlement européen » (plus de 110,000 vues à ce jour) pour sensibiliser les jeunes aux eurodéputés.

Une suite au partenariat de gestion UE-France

La communication sur les questions européennes s’appuie sur une coordination éprouvée et nourrie entre le Ministère des affaires étrangères et les représentations en France de la Commission et du Parlement européen. Depuis 2008, un partenariat de gestion a permis de mettre en place une stratégie commune de financement des actions institutionnelles et de la société civile tout en rationalisant les dépenses engagées. Il devrait prendre une forme nouvelle dans les prochains mois pour s’adapter aux moyens que la Commission sera en mesure de lui accorder dans le cadre de la nouvelle programmation financière 2014-2020.

Quoique les formes de cette future collaboration entre les institutions européennes et nationales – essentielle pour atteindre une masse critique suffisante – ne soient pas encore très claires, le ministère des Affaires européennes semble encore y croire.

Au total, c’est au détour d’une question parlementaire écrite que la principale annonce de l’année en termes de communication publique européenne en France se dévoile.