Archives de catégorie : Web et Europe

Billets sur les enjeux de la communication numérique européenne

Quelles sont les stratégies de communication en ligne des eurodéputés ?

Après les élections européennes, essayons de comprendre comment la communication en ligne est utilisée par les députés européens, avec Darren G. Lilleker et Karolina Koc-Michalska dans « Online political communication strategies: MEPs e-representation and self-representation »…

Quel équilibre entre les stratégies web de communication des eurodéputés ?

Trois modèles de communication se distinguent parmi les pratiques de communication des députés européens dans le web et les réseaux sociaux :

Premièrement, une communication traditionnelle axée sur la représentation, mettant en valeur le travail et les réalisations au sein du Parlement européen afin de démontrer son service actif et en quoi ce service profite à celles et ceux qu’il ou elle représentent.

Cette prédominance – facilitée par les plateformes sociales permettant de développer des liens entre l’élu et ses électeurs – suggère néanmoins peu d’innovation dans la communication des législateurs européens.

Deuxièmement, une stratégie de communication autour de la gestion de la réputation, de l’image personnelle, des caractéristiques individuelles du législateur, afin de valoriser la personnalité et le charisme de l’individu, comme éléments déterminants dans le choix des électeurs et des électrices.

Troisièmement, une stratégie de communication participative qui permet aux mandants de contacter l’élu, d’examiner des questions politiques et de contribuer à la réflexion du législateur ou de la législatrice.

Les députés européens qui permettent un certain degré de commentaires, sollicitent des réactions et sont proactifs en encourageant la participation sont les plus susceptibles de pouvoir améliorer la perception de leur efficacité politique.

Quels facteurs influencent les eurodéputés dans leurs stratégies de communication en ligne ?

La cartographie de la communication en ligne des députés européens se révèlent statistiquement significative :

Rien n’indique que les députés représentant des petits partis utilisent Internet pour attirer davantage l’attention des citoyens ou des médias que leurs homologues représentant des grands partis.

Une relation positive existe pour les députés élus selon des systèmes de vote plus personnalisés, contrairement au vote par liste. Le fait que le système de vote semble important pour la performance globale en ligne indique que les députés européens élus en tant qu’individus, et non à partir d’une liste de parti, voient dans une présence en ligne plus innovante un avantage pour l’électorat ou, à tout le moins, ne nuisent pas à leurs chances de réélection, mettant en évidence un choix rationnel dans leur stratégie.

L’âge et la durée du mandat sont des prédicteurs clés de l’innovation en ligne : les plus jeunes députés européens et ceux qui siègent au Parlement européen pour leur premier mandat sont plus susceptibles de poursuivre une stratégie de communication participative.

Les partis de gauche semblent plus susceptibles de suivre la fourniture d’informations, tandis que, globalement, les partis de droite sont les plus susceptibles de suivre la stratégie de gestion de la réputation. Les députés européens des partis mineurs surclassent toutes les stratégies.

La différence de génération n’est pas statistiquement significative pour la 1e stratégie d’information, contrairement à la stratégie de communication participative, où l’âge du député européen est un indicateur fort, les plus jeunes étant les plus susceptibles d’être interactifs. En termes de gestion de l’image, il existe également un net fossé générationnel, les plus jeunes étant les plus susceptibles d’avoir recours à cette stratégie.

Au total, la stratégie de communication participative est en train de constituer un capital politique, puisqu’elle s’avère payante en permettant à l’eurodéputé(e) de trouver un public qui discutera politique, échangera des idées et amplifiera ses campagnes.

Élections européennes : quelle stratégie de l’Europe contre la désinformation ?

Entre manipulation des électeurs et déstabilisation de la cyber-sécurité des systèmes et processus électoraux, la lutte contre la désinformation est un chantier à la fois titanesque lorsqu’on le prend au sérieux et lilliputien quand on regarde les actions de l’Union européenne, à lire Annegret Bendiek et Matthias Schulze dans « Disinformation and Elections to the European Parliament »…

Quels sont les défis relatifs aux campagnes de désinformation ?

L’Europe n’étant ni facile à comprendre, ni assez familière pour beaucoup, répandre de fausses informations sur l’UE est relativement simple. Les campagnes de désinformation et les cyber-attaques contre l’infrastructure électorale électronique sont des menaces hybrides de destruction massive contre la démocratie qui peuvent affecter la confidentialité, la disponibilité et l’intégrité du processus électoral.

« La désinformation semble déjà avoir eu un impact en Europe : plus de 400 faux comptes sur des réseaux sociaux gérés par des soi-disant trolls basés à Saint-Pétersbourg ont été utilisés pour influencer le référendum sur le Brexit. »

Les effets des campagnes de désinformation tant numérique (l’ensemble des mécanismes numériques de diffusion de l’information) ou informatique (les incidents de piratage, les cyberattaques qui compromettent la sécurité) pour déstabiliser les piliers de la démocratie sont :

  • A court terme pour influencer le résultat d’une élection en attaquant les partis et discréditant les élus politiques ;
  • A moyen terme pour promouvoir la division sociale et la polarisation des discours publics ;
  • À long terme pour saper la confiance dans l’UE en affaiblissant l’UE en tant que système politique.

Des tactiques telles que la dissémination de déclarations douteuses pour brouiller les pistes ou la répétition constante de fausses informations ou de théories du complot sont utilisées pour saper les certitudes politiques et dissoudre un concept de vérité socialement partagé.

La désinformation numérique a l’avantage d’avoir des coûts bas tout en ayant un impact important : avec peu de ressources, un public mondial peut être atteint avec une désinformation personnalisée via des technologies numériques utilisant les moyens légitimes de la publicité pour cibler les utilisateurs en fonction de leurs profils de comportement individuels.

Les algorithmes garantissent que les contenus retiennent l’attention des utilisateurs et la garder aussi longtemps que possible. Des bulles de filtres découlent directement du modèle commercial des plates-formes en ligne pour apporter de la publicité au plus grand nombre d’utilisateurs possible. Si les mêmes opinions sont regroupées et si simultanément différentes vues sont masquées, une « chambre d’écho » auto-référentielle peut se développer.

La désinformation a un effet particulièrement polarisant sur les groupes déjà politisés aux positions idéologiques fortes. Cela peut être accompli à l’aide d’une combinaison de comptes automatisés («bots sociaux»), de comptes hybrides (en partie humains, en partie automatisés) et d’armées dites de trolls constituées par des acteurs étatiques ou des commentateurs organisés de manière privée qui diffusent systématiquement certains récits dans les médias sociaux ou sur des sites d’information. Souvent, des « agents involontaires » répandent aussi, à leur insu, de la désinformation.

La couverture médiatique traditionnelle est également impliquée, car elle prend de plus en plus de sujets d’actualité issus des réseaux sociaux. Si ceux-ci contiennent de la désinformation et que les médias plutôt tabloïd les véhiculent de manière irréfléchie, ils renforcent les récits ou les faux rapports. La désinformation a un effet cumulatif sur de plus longues périodes.

Quelles contre-stratégies de l’UE pour lutter contre les menaces hybrides étrangères et internes ?

L’inquiétude est que les élections européennes seront manipulées, perturbées ou illégalement influencées par les opposants à l’UE, avec des campagnes de désinformation ciblées, aux urnes ou lors du dépouillement des votes.

Pour que les élections de mai 2019 soient libres, équitables et sécurisées, une série de mesures concrètes comprend plus de transparence dans la publicité politique (souvent dissimulée) sur les réseaux sociaux et la possibilité de sanctions si des données à caractère personnel sont utilisées illégalement pour influencer le résultat des élections européennes.

Les décideurs politiques européens privilégient des mesures à court terme et techniques en coopération étroite avec les grandes sociétés de l’Internet : Facebook, Twitter et YouTube se sont mis d’accord sur un code de pratique sur la désinformation pour lutter contre la désinformation et contre les faux comptes sur leurs plateformes. Fin janvier 2019, la Commission a averti que ces initiatives en matière de transparence contre la publicité secrète n’étaient pas suffisantes pour protéger l’intégrité des élections européennes.

L’UE a créé un système d’alerte précoce sur la désinformation avec 5 millions d’euros et 50 employés pour identifier les campagnes en temps réel. En outre, elle a mis en place un réseau électoral, élaboré un guide sur l’application de la législation européenne en matière de protection des données aux élections et donné des orientations sur la cyber-sécurité.

Les mesures techniques prises par l’UE pour lutter contre les campagnes de désinformation et les cyber-attaques ne sont qu’un premier pas. Idéalement, les États membres devraient améliorer la protection des élections pendant les campagnes électorales, le vote proprement dit et le décompte des voix. Des échanges constants et des exercices réguliers de cyber-sécurité seraient nécessaires pour minimiser les dangers.

Cependant, la plupart des États membres n’ont jusqu’à présent pas réussi à considérer les élections comme une infrastructure essentielle pour la démocratie à sécuriser. Le problème du matériel informatique et des logiciels non sécurisés dans la technologie de vote est toujours sous-estimé.

« La suprématie des entreprises de l’Internet est comparable à une situation où le parlement est la propriété d’un fournisseur privé, son accès est réglementé en fonction de critères économiques et le volume et la transmission des discours au monde extérieur sont évalués en fonction du marché. »

Seule l’UE, avec l’ensemble de sa puissance économique, peut lutter contre le pouvoir des sociétés numériques transnationales pour réagir de manière stratégique, communicative et avec une efficacité technique aux tentatives de manipulation d’élections , encore faut-il la volonté politique, et les ressources financières et humaines nécessaires.

FactCheckEU pour lutter contre la désinformation lors des élections européennes

La nouvelle plateforme multilingue FactcheckEU, lancée le 18 mars, met en commun leurs efforts le temps des élections européennes pour traquer les infox et « fact-checker » la campagne. De quoi s’agit-il ?

factcheckEU

La réponse de la communauté des fact-checkers en Europe aux fausses informations

Parce que « la désinformation ne connaît pas de frontière, en particulier en Europe, qui est à la fois une structure politique unique et une région composée de nombreuses langues et cultures » selon Jules Darmanin, coordinateur du projet, la communauté des fact-checkers se mobilisent à l’occasion des élections européennes.

Le service CheckNews de Libération s’est engagé à investir son premier prix d’innovation dans le fact-checking, décerné par le réseau international de fact-checking pour développer une plateforme permettant des passerelles éditoriales et techniques avec d’autres médias étrangers.

Des réponses aussi aux questions des internautes

La plateforme collaborative FactCheckEU réunit 19 rédactions issues de 13 pays européens pour partager leurs vérifications de rumeurs et d’infox pendant la campagne :

  • en étudiant la circulation des fausses informations au sein de l’Union européenne, et les idées reçues qui circulent sur les institutions européennes ;
  • en vérifiant les discours politiques autour des élections afin de décrypter les principales propositions ;
  • en répondant directement aux questions dans 11 langues différentes ;
  • en respectant des engagements de transparence, d’éthique, de méthodologie et d’impartialité.

En France, 5 rédactions y participent : Les Décodeurs du MondeFake Off de 20 minutesAFP FactuelCheck News de Libération et Les Observateurs de France 24. A cela s’ajoutent 14 médias d’autres pays européens.

Au total, une initiative de salubrité publique pour l’espace public européen, a fortiori en période électorale européenne !

Euroscepticisme : quel rôle des médias en ligne ?

La participation du public via des commentaires sous les articles de presse en ligne et dans les médias sociaux ajoute une nouvelle dimension à la fabrication de la contestation de l’Union européenne dont le cadrage et le débat sont traditionnellement menés par des publics élitistes (journalistes, universitaires et groupes politiques ou civiques marginaux). Comment la contestation de l’UE est refaçonnée dans la sphère publique numérique, selon Asimina Michailidou dans « The role of the public in shaping EU contestation: Euroscepticism and online news media » ?

Couverture journalistique des questions européennes en ligne : les cadrages uniformisés de l’Europe

L’analyse d’un corpus de plus de 1 500 articles en ligne donne une tendance dans les principaux médias d’information en ligne au fil du temps dans toute l’Europe vers une relative uniformité dans le cadrage de la politique de l’UE :

Non seulement, la politique au jour le jour reçoit beaucoup d’attention des journalistes, en particulier les politiques nationales restent fermement le « cadre » fondamental, les négociations et rivalités des scènes politiques nationales – micropolitique des partis ou ragots sensationnalistes diplomatiques – dominent les cadrages journalistiques.

Mais surtout, les actions des différents décideurs sont présentées comme des faits apparemment « neutres », donc peu commentés ou analysés, ce qui laisse du coup le discours technocratique et les choix collectifs pratiquement incontestés par les journalistes.

La perspective des lecteurs : l’euroscepticisme (re)contextualisé

Cependant, le manque d’intérêt des journalistes pour les implications démocratiques de l’UE contraste avec la manière dont les lecteurs débattent de la politique européenne. Les lecteurs utilisent souvent les forums de commentateurs pour exprimer leur profonde préoccupation face à l’état de la démocratie en Europe et à l’absence de mécanismes de contrôle démocratiques.

Les évaluations négatives de l’UE dominent à travers les pays, quelle que soit la source du débat de l’UE, la position de l’acteur (agissant en qualité de citoyen, représentant politique ou non gouvernemental) ou la portée (nationale/transnationale, UE/étranger) au point d’être un élément unificateur essentiel des sphères publiques en ligne.

Sans pour autant constituer une communauté consciente, qui se réunit consciemment pour débattre de l’état actuel des affaires européennes et de l’orientation future de l’intégration européenne, les sphères d’information en ligne sont néanmoins synchronisées en termes de sentiment public, une sorte de communauté des utilisateurs, unie par son anti-élitisme et sa compréhension de soi qui constituent la voix du peuple et la défense de la démocratie.

L’euroscepticisme est en partie le reflet du cadrage journalistique. Les contributions journalistiques eurosceptiques déclenchent des débats en ligne plus intenses et le ton principal de l’article est amplifié. Le débat devient ainsi de plus en plus homogène en ce sens qu’une voix pro-européenne est quasiment inexistante dans les commentaires des lecteurs.

Les médias en ligne, en particulier les médias sociaux, jouent un rôle dans l’amplification de la contestation de l’UE et du mécontentement populaire de catalyseur en devenant populaires et en restant dans l’œil du public.

Que conclure pour l’espace public européen en ligne ?

Premièrement, les plateformes d’info en ligne reproduisent plutôt que de contester les cadres dominants des médias hors ligne.

Deuxièmement, les échanges publics de lecteurs ne dépendent pas nécessairement des cadres journalistiques et du style de reportage.

Troisièmement, la désaffection vis-à-vis des institutions de l’UE est palpable dans les débats en ligne sur les principaux médias d’information en ligne. L’euroscepticisme diffus n’est plus confiné aux limites de la sphère publique en ligne ou à des acteurs publics spécifiques.

Des sphères publiques en ligne dans l’UE – fragmentées par nationalité – émergent ainsi de manière unifiée grâce à la référence aux mêmes événements / informations et à l’utilisation parallèle des mêmes cadres et interprétations. Les cadres et les thèmes utilisés pour rendre compte des événements politiques de l’UE divisent les publics en « nous et eux », perpétuant ainsi la perspective nationale et un euroscepticisme diffus.

Au total, le cadrage journalistique de la politique de l’UE dans les médias en ligne contribue à approfondir les conflits existants plutôt que la réalisation d’une compréhension commune et donc participe de la dynamique d’un euroscepticisme diffus en ligne.

Pour un benchmark annuel des sites web de l’UE

L’impératif de « communiquer dans un langage clair » doit être le leitmotiv le plus récurrent et le plus décevant que la communication de l’Union européenne s’est fixée, depuis déjà fort longtemps, en particulier pour sa présence digitale. Et si l’exercice annuel de benchmark des sites du portail Europa permettait d’avancer ?

Un benchmark pour une « langue usuelle et accessible » par défaut

Le chantier prioritaire en continuelle progression porte sur la qualité de la langue utilisée sur les sites web européens pour proposer des pages claires et faciles à lire par défaut, afin d’une part de limiter tout jargon ou acronyme excessif et d’autre part de centrer les contenus autour des services, des données et des actions plutôt que sur elles-mêmes.

Partant de la définition du « Plain Writing Act » de 2010, signé aux Etats-Unis sous la présidence Obama, le Center for plain language audite chaque année les sites gouvernementaux américains pour émettre des « report cards » synthétiques.

Report_Card

A l’échelle de l’UE, un acteur européen, rassemblant un jury composé d’experts reconnus aurait largement intérêt à produire son propre classement avec des récompenses annuelles pour un langage clair, en recourant à des critères incluant la compréhension du public, le style et le vocabulaire utilisés.

La médiatisation de ce classement et de ces notations, incluant un partage des bonnes pratiques et des exemples de réussite contribuerait à renforcer l’émulation et la diffusion d’une nouvelle culture de l’écriture web adaptée aux attentes des publics.

Un benchmark pour une « ergonomie de service public » par design

En chemin, la logique de benchmark pourrait se prolonger par une analyse plus poussée de l’ergonomie des sites web des institutions européennes afin de proposer une ergonomie de service public par design, c’est-à-dire une accessibilité, une clarté et une lisibilité des contenus dans la lecture et la structure de l’information accessible à la fois au sens de facile d’accès via les moteurs de recherche qu’à la porter du plus grand nombre.

Plusieurs critères pourraient particulièrement attirer l’attention :

  • Mise en page : équilibre général des pages et emplacement des espaces
  • Arborescence et navigation sur le site : menus et sous-menus
  • Facilité à trouver l’information : plan de site, moteur de recherche
  • Graphisme : efforts de pédagogie ; place, choix et qualité de l’icono
  • Version responsive pour smartphones…

Là encore, le rapport du Center for plain language portant sur les sites fédéraux aux États-Unis propose une anatomie des pages d’accueil, riche d’enseignements pour la conception des rubriques, le placement des espaces, la physionomie d’ensemble des sites, etc.

Au total, les gisements d’amélioration des sites web européens, provenant d’une logique de comparaison, sont autant d’opportunités que l’UE aurait tort de ne pas se saisir.