Ingérence étrangère, manipulation de l’information et désinformation

Confrontation Europe consacre un dossier complet au phénomène des ingérences étrangères, dont 81% des Européens estiment que c’est un problème grave dans un Eurobaromètre. Mais trop peu d’avancées législatives, le jeu d’influence, souvent relais de discours critiques contre l’Europe, est une menace réelle et directe au développement de l’action de l’Union pour la prochaine mandature. Comment développer stratégies et réformes afin de protéger le cœur battant de nos systèmes démocratiques ?

Nicolas Quénel, Journaliste indépendant et auteur du livre « Allô Paris ?! Ici Moscou »

La lutte contre l’ingérence étrangère force à se poser des questions qui vont de la préservation de liberté d’expression jusqu’à celui de l’absence chronique de moyens dans la justice.

Il faut se concentrer sur l’aspect systémique du phénomène, au lieu de chercher à annihiler le dernier maillon de la chaîne : mettre en place de vraies politiques publiques, soutenir les médias, plus d’exemplarité en politique, investir dans l’éducation aux médias pour résoudre cette crise de confiance. Pour lutter efficacement contre ce phénomène, il faut remonter aux racines du problème et réinvestir le champ public.

La guerre de l’information, c’est un phénomène qui ne touche pas que la sphère étatique, mais bien l’ensemble des acteurs. Si la guerre de l’information est l’affaire de tous, tous ont une responsabilité sur la manière dont ils s’informent, tout le monde est acteur de cette guerre, en ce que les puissances étrangères, chinoises ou russes, ont pour projet de faire des citoyens français des victimes de cette guerre. A chacun de lutter.

Christine Dugoin-Clément Chercheuse à la Chaire Risque de l’IAE Paris-Sorbonne, à l’Observatoire de l’Intelligence Artificielle de Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Les opérations peuvent être multiples, mais participent généralement à façonner les opinions publiques pour qu’elles soient plus réactives sur des sujets clivants, ou plus sceptiques vis-à-vis des pouvoirs publics, quand il ne s’agit pas d’instiller le doute dans les personnes publiques, voire dans les processus démocratiques eux-mêmes.

Si l’usage de trolls sur les réseaux sociaux est maintenant de notoriété publique quand il s’agit d’influencer les opinions publiques, de même que l’usage de faux profils ou « sockpuppets », les méthodes utilisant les technologies de l’information ont connu une importante diversification. La récente opération Döppelganger remettait au goût du jour une méthode connue pendant la période soviétique qui consiste à usurper l’identité graphique d’un tiers, en particulier des journaux de confiance et des institutions publiques, afin de bénéficier de la confiance qui leur est accordée pour disséminer des contenus servant une stratégie informationnelle précise.

Plus récemment encore, on a pu observer certaines opérations qui visaient à saturer les groupes chargés de vérifier des contenus et éléments diffusés, comme l’opération « Matriochka » visant à saturer les structures de fact checking. La massification a pu être notée lors de la mise à nu de « Portal Kombat » par Viginum, un réseau de plus de 190 sites visant à diffuser de la désinformation.

Enfin, les développements connus par l’IA, et plus particulièrement par sa branche de Deep Learning, permettent de créer des « deep fakes », des contenus générés par des systèmes algorithmiques, que l’on parle de contenus visuels, audio, ou écrits.

Ophélie Omnes Fondatrice d’Omnes Legal & Positiv Lobbying, autrice de l’étude « Ingérence étrangère et jeux vidéo en Europe : Jouer est-il politique ? »

Le jeu vidéo est sujet à l’ingérence étrangère principalement par le biais des divers canaux de communication que l’on peut retrouver entre les joueurs. Ces canaux sont vecteurs de propagation de désinformation qui peut parfois aller jusqu’à une forme d’endoctrinement. Quelles solutions ? Donner aux communautés les outils de l’auto-régulation pour les jeux communautaires

Nathalie Loiseau Députée européenne (Renew), Rapporteuse à la Commission INGE 2 sur l’ingérence étrangère

Cette guerre des ingérences étrangères que des régimes autoritaires et inamicaux nous mènent dans le but d’influencer, de diviser, d’affaiblir et de neutraliser nos systèmes démocratiques, n’est pas nouvelle, c’est notre prise de conscience qui l’est. Le doute, ce poison lent, c’est ce que tente d’instiller la désinformation russe dans nos esprits. L’objectif est aussi de nous faire douter de nous-mêmes et de la validité même de notre modèle démocratique :

  1. Exposer les commanditaires, les méthodes et les objectifs des ingérences étrangères constituent une première étape dans la mise au point d’un antidote à cette véritable pandémie.
  2. Soutenir ceux qui, journalistes, associations, startups, se sont spécialisés dans la vérification des faits et le renseignement en source ouverte représente le deuxième stade.
  3. Assumer les choix politiques nécessaires au niveau national comme européen en protégeant les libertés tout en luttant contre ceux qui en abusent pour nous abuser est une nécessité.

VIGINUM, le Service technique et opérationnel de l’État chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères

Les manœuvres informationnelles malveillantes s’immiscent désormais dans tous les champs du débat public, en exploitant de manière opportuniste des faits d’actualité ou de société marquants. S’appuyant sur un large éventail de stratégies et de techniques destinées à modifier les perceptions et à altérer l’information des citoyens, elles ont pour principaux objectifs d’éroder la confiance du public dans les institutions, de polariser le débat autour de sujets clivants, de créer ou d’amplifier des tensions au sein des populations, jusqu’à générer des troubles à l’ordre public.

Une ingérence numérique étrangère est constituée par quatre critères : une atteinte potentielle aux intérêts fondamentaux de la Nation, soit au cœur de la souveraineté nationale ; un contenu manifestement inexact ou trompeur ; une diffusion artificielle ou automatisée, massive et délibérée ; l’implication, directe ou indirecte d’un acteur étranger (étatique, paraétatique ou non-étatique).

Chine Labbé, Rédactrice en chef et vice-présidente chargée des partenariats Europe et Canada pour News Guard, qui produit des évaluations et scores de fiabilité des sites d‘informations et d‘actualité, censés traduire leur crédibilité et transparence

Comment retisser la confiance dans les médias ? Dans un monde où la défiance envers les institutions n’épargne pas les médias, et où la prolifération des contenus synthétiques, des médias de propagande se faisant passer pour des sites d’actualité traditionnels, ou encore des sites générés par IA sans supervision humaine, menace le débat démocratique, en brouillant toujours davantage la frontière entre information d’un côté, et communication, propagande, et faux de l’autre.

Dans ce contexte, faire œuvre de pédagogie, de transparence, mais aussi d’humilité, est une question de survie pour les médias, qui se doivent de rappeler leur valeur et leur rôle démocratique, qui ne vont plus de soi.

Chez NewsGuard, nous recensons les sites générés par IA sans supervision humaine : fin mai 2023, déjà 49 mais mi-mars 2024, plus de 750 dans une quinzaine de langues. Selon un audit réalisé en août 2023, ChatGPT-4 et Bard (depuis renommé Gemini) répètent des récits connus de désinformation dans respectivement 98 et 80% des cas.

Élargissement de l’Europe : le plus est-il l’ennemi du bien ?

L’Union européenne, lauréate du prix Nobel de la paix en 2012, est un espace de paix et de prospérité, comme le souligne Laurence Boone, membre du Cercle des économistes lors des Rencontres économiques d’Aix en Provence. Malgré le retour de la guerre, l’aspiration à l’Europe reste toujours aussi ardente. Comment garantir la bonne intégration des pays candidats et préserver la cohésion européenne ?

Quels candidats pour les élargissements ?

Les pays des Balkans occidentaux sont les plus prêts à l’adhésion. La Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, la Macédoine du Nord, le Monténégro sont sur la liste des candidats les plus susceptibles de rejoindre l’Union tandis que la Serbie et l’Albanie ainsi que l’Ukraine et la Géorgie sont également candidats.

Pourquoi devons-nous élargir l’UE ?

Karoline Edtstadler, Ministre fédérale de l’UE et de la Constitution en Autriche, souligne que la crédibilité de l’Europe est en jeu. Les pays candidats bénéficient d’incitations financières et l’Union peut exercer une pression constructive pour des réformes afin de les rapprocher des standards européens.

Paschal Donohe, Ministre des Comptes publics et de la Réforme d’Irlande et Président de l’Eurogroup, ajoute que nous devons choisir d’« exporter la stabilité plutôt que d’importer l’instabilité ». L’élargissement de l’UE est dans notre intérêt primordial pour couvrir nos besoins pratiques dans les domaines de l’énergie, de l’alimentation, des personnes et des matières premières. « Nos libertés politiques seraient menacées si le projet européen n’avançait plus. »

Quels défis ?

Christian Danielsson, Secrétaire d’État aux Affaires européennes & Conseiller International du Premier Ministre de Suède, souligne que « nous devons réformer nos politiques, comme la PAC et le budget, et améliorer notre prise de décision » avec notamment la majorité qualifiée et à traité constant ainsi que mettre en place de manière progressive « l’acquis communautaire », en renforçant les instruments pour s’assurer en particulier de l’état de droit. Nous devons également approfondir le marché unique et réduire les obstacles pour être plus compétitif avec une économie dynamique.

« Nous devons convaincre l’opinion publique qu’il est dans l’intérêt de l’Europe d’élargir. »

Il est crucial que l’élargissement de l’UE soit un succès. L’UE est un modèle pour la démocratie, le commerce, la croissance et l’état de droit. Il est également important que l’UE continue à fonctionner et puisse décider rapidement. Nous devons créer des sociétés inclusives et inclure tous les pays dans l’Europe au sens des valeurs et des modèles de vie. C’est un enjeu de croissance, mais aussi d’égalité et d’espérance de vie.

« Nos défis d’aujourd’hui seront nos grands problèmes demain, avec la certitude de l’appauvrissement de l’UE sans les élargissements. »

« L’UE a aujourd’hui un seul instrument politique : les normes. Un vrai budget de l’UE demain sera la réponse aux élargissements », selon Laurence Boone.

« L’UE est une machine à fabriquer des démocraties, faire avancer les progrès, les critères de gouvernance, de transparence », selon Stéphane Dion, Ambassadeur du Canada, Envoyé spécial auprès de l’Union européenne et de l’Europe. L’élargissement de l’UE est un défi à relever ce défi avec détermination et conviction, pour le bien de tous les Européens.

Comment démocratiser, sans politiser, les institutions indépendantes de l’Union, dernière chance de succès de l’Europe ?

Avec le recul d’une décennie après sa publication, la lecture du manuel d’Antoine Vauchez, « Démocratiser l’Europe » offre la bonne distance pour évaluer l’épineuse problématique de la démocratisation de l’Union européenne…

Le « malentendu européen »

L’expression d’Albert Camus « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » est sans doute le talisman pour bien comprendre le malentendu européen. Si l’on s’inscrit seulement dans le paradigme de la démocratie représentative, celui des États-membres, qui fonde la légitimité sur l’élection, alors pour juger de la démocratie européenne, ce sera la résolution du « déficit parlementaire » pointé par le rapport du doyen Vedel qui corrigera le péché originel, d’un projet technocratique en renforçant les pouvoirs du Parlement européen.

Il est clair que ce paradigme, par sa simplicité du fait d’une sorte de correspondance entre les démocraties nationales et la démocratie européenne a connu un vrai succès. La parlementarisation du projet européen est belle et bien vue comme la condition de la démocratisation de l’Europe. Ce narratif s’est très largement imposé ces derniers temps dans les pratiques. Ou plutôt, cette mystique qui portait une certaine ambition s’est transformée en politique, avec ses dérives en termes de politisation.

Prenons l’actualité politique européenne de cette rentrée pour en juger de ce paradigme de la politisation comme progrès de la construction européenne.

  1. Du côté de la Commission européenne, cette politisation incarnée par la présidente reconduite Ursula von der Leyen s’exerce avec des pressions publiques et controversées sur les capitales européennes dans la sélection de leurs candidats, au point qu’elle a demandé la démission de Thierry Breton qu’Emmanuel Macron lui a accordé, ce qui fait qu’aucune personnalité d’envergure de la sa première Commission ne poursuivra après les départs tant de son numéro 2 Timmermans que le départ de la danoise Vestager.
  2. Du côté du Parlement européen, cette politisation se traduit aussi par un jeu exacerbé qui s’annonce dans les auditions des Commissaires-désignés. Nonobstant la presse qui dresse déjà des listes des Commissaires-désignés les plus fragiles, dès le lendemain de l’annonce de leur portefeuille, il est déjà annoncé que la Commission européenne pourrait être nommée avec retard non plus en novembre mais décembre prochain, plus de 6 mois après les élections européennes, en considérant l’éventualité prévue dans les traités comme l’évidence du calendrier, que des personnalités seront forcément écartées par les eurodéputés.

Cette forme de politisation de l’Union européenne, qui hérite des pires pratiques des démocraties nationales en Europe constitue-elle un progrès dans la voie d’une légitimation et d’un renforcement de la confiance des citoyens ?

Démocratiser l’indépendance

Au-delà de la démocratisation « politique » quel que soit les raccourcis qu’on peut donner à cette expression, demeure la question de faire lever le verrou de la démocratisation réelle, en profondeur d’un système institutionnel, d’un écosystème qui n’est pas réductif aux schémas de pensée binaires et limitatifs.

Le défi au cœur de la réflexion d’Antoine Vauchez repose sur la démocratisation des institutions spécifiques à la construction européenne : la haute-autorité (actuelle Commission), la cour de justice et la banque centrale européenne – autant d’institutions qui fonctionnent avec leur propre agenda, et selon leurs propres repères :

  • Un mandat : une fonction prévue par les traités, une sorte de souveraineté qui s’impose ;
  • Une compétence : une langue, l’eurospeak qui véhicule une sorte de rationalité qui prédomine ;
  • Une indépendance : une pratique, une sorte de neutralité à distance des intérêts politiques.

Face à cette trinité qui donne une sorte d’immunité qui rend intouchable, le travail doit consister à lancer un réveil dogmatique et démocratique, une remise en question qui soit à la fois une critique intellectuelle, théorique et doctrinale :

  • Débat autour du paradigme exclusif du « marché » qui apparaît encore plus nécessaire avec les problématiques géopolitiques posées à l’Europe aujourd’hui ;
  • Débat public organisé, concurrentiel et inclusif autour de la communication des décisions, qui pourrait viser à introduire des « opinions dissidentes » ;
  • Débat scientifique contre les « vérités scientifiques » gravées dans le marbre des traités avec des controverses entre chercheurs sur les finalités, les formes et les résultats des institutions européennes.

Démocratiser vraiment l’Union européenne nécessite de mettre en récit contributif, qui « soumettent à la question » les poncifs de la construction européenne, dans une démarche de révolte civilisée contre l’Europe des clercs.

Comment porter et incarner la prise de parole de la marque Europe ?

A l’occasion de la conférence « Communication européenne, comment se faire entendre ? », hébergée par l’Académie des Controverses et de la Communication Sensible, Nicolas Baygert, chercheur, enseignant à Sciences Po Paris, aborde la question du « leadership européen et (de) son influence sur la “marque UE”»…

Une rivalité systémique et systématique entre les présidences

Depuis 5 ans, s’est glissée une relation dysfonctionnelle au cœur du projet européen, un leadership européen concurrentiel avec la relation entre Charles Michel, président du Conseil européen, l’institution réunissant les chefs d’État et de gouvernement qui prennent les orientations stratégiques pour l’UE et Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, qui est l’institution gardienne des traités, seule habilitée au pouvoir d’initiative à proposer de nouvelles législations.

Une certaine ambiguïté des rôles existe, une marge d’interprétation quant aux compétences respectives des présidents, qui s’est traduite par une rivalité pour la visibilité politique et médiatique avec des conflits à l’agenda et une affirmation du leadership politique européen faisant l’objet d’une rivalité personnelle et politique. LA question d’Henry Kissinger « qui dois-je appeler pour parler avec l’Europe ? » demeure encore d’actualité.

Une réinvention de la fonction à chaque nouvelle personnalité

Alors que pour la fonction présidentielle française, les candidats sont conduits à « rentrer dans les habits du président », à incarner l’autorité et la légitimé de la fonction à partir d’un idéal-type gaullien sous la Ve République, il n’en est rien au niveau européen. Chaque dirigeant européen doit réinventer la fonction à chaque prise de responsabilités – c’est autant une chance qu’une menace.

La présidente de la Commission européenne – Queen of Europe – s’est construit un personnage, à coup de centralisation des efforts de communication et de personnalisation à haute dose de la communication. Ainsi, alors qu’elle n’était pas une Spitzenkandidat, elle s’est offert une construction médiatique à travers une « illusion biographique » liant son parcours au Collège d’Europe, son multilinguisme, en somme, son européanité.

Cet investissement dans la communication n’est pas sans conséquence sur la marque UE. Outre l’impact sémiotique en termes de signes, plusieurs autres leviers comme la capacité à définir l’agenda, l’impulsion initiale de la « Commission géopolitique » ; mais aussi la gestion des crises (covid, Ukraine, climat…) et enfin la mise à l’agenda, le rôle d’agenda-setting leadership, de capacités à trouver des réponses institutionnelles pour rallier un consensus, trouver un agenda normatif, fournir une grille de lecture fondée sur des principes ou des justifications idéologiques. Cette conception personnelle au service d’un agenda politique se traduit aussi par une dimension axiologique, les valeurs de l’UE sont instrumentalisées à l’occasion des discours annuels sur l’état de l’Union sans compter que pour incarner l’agenda politique, Von der Leyen utilise sa personne comme une vitrine communicationnelle.

Faut-il tendre vers une seule présidence ?

Suggéré par Jean-Claude Juncker dans son dernier discours sur l’état de l’Union, la fusion des deux fonctions présidentielles permettrait d’accroitre l’efficacité. En termes de communication, il s’agirait d’un repère mental sur le marché hyperconcurrentiel du leadership européen, mais aussi une possibilité de mieux sélectionner des éléments dans le flux des signes au sein d’un espace plus géopolitique, pourquoi pas même un remède au déficit d’incarnation même si cela ne résorberait pas pour autant le déficit de légitimité et le manque de transparence dans la nomination des présidents.

Dans la bataille des égos, il faut réussir à inscrire un style, un personnage pouvant incarner la marque Europe.

Rapport Draghi : quelle stratégie de communication au service de la compétitivité européenne ?

Face aux défis démographiques, technologiques et géopolitiques qui menacent sa croissance et sa productivité, l’Europe se trouve à un carrefour crucial pour éviter  » une lente agonie ». Le tant attendu rapport Draghi sur l’avenir de la compétitivité européenne, propose une nouvelle stratégie industrielle ambitieuse pour relancer la croissance et la productivité reposant en grande partie sur sa capacité à être comprise, acceptée et appropriée par l’ensemble des acteurs européens. Une communication efficace sera donc cruciale pour relever ce défi et donner corps à l’avenir du projet européen. Que faire ?

Expliquer la nouvelle stratégie : la pédagogie du changement… et le changement de la pédagogie

Le premier défi est d’expliquer de manière claire et pédagogique les grands axes de la stratégie proposée : vulgariser des enjeux complexes, montrer la cohérence d’ensemble du plan, afin de mettre en lumière les piliers clés du plan :

  • Combler le retard d’innovation, surtout dans les technologies numériques : démontrer l’urgence d’investir massivement dans la recherche et l’innovation (IA, quantique, semi-conducteurs) à la condition d’améliorer la collaboration entre les institutions de recherche, les entreprises et les investisseurs.
  • Décarboner l’économie tout en préservant la compétitivité industrielle : la transition vers une économie neutre en carbone représente une opportunité pour l’Europe de devenir un leader mondial, tout en expliquant les défis liés à la concurrence internationale, notamment chinoise, et les mesures prises pour garantir un terrain de jeu équitable.
  • Réduire les dépendances stratégiques et renforcer l’autonomie européenne : sensibiliser aux risques liés à la dépendance excessive des ressources critiques, en diversifiant les sources d’approvisionnement, renforçant les capacités de production européennes et développant des partenariats stratégiques alliés.
  • Mobiliser des investissements massifs publics et privés : la nécessité d’investissements massifs pour financer la transition numérique et écologique, ainsi que renforcer les capacités de défense, tout en mobilisant des investissements privés.

Cette première séquence visant à s’adresser aux différentes parties prenantes doit être l’occasion de renouveler les modalités, les supports, les réflexes dans la communication pour s’assurer d’une meilleure adéquation avec les usages des publics.

Susciter l’adhésion et l’engagement : l’appropriation, condition de l’application

Au-delà de l’explication, la communication doit viser à susciter l’adhésion et l’engagement des différentes parties prenantes. Il s’agit de créer un sentiment d’appropriation collective du projet européen et de mobiliser les énergies autour d’objectifs communs. Pour ce faire, la communication doit :

  • Convaincre de l’urgence d’agir et de la pertinence des solutions proposées : La communication doit utiliser des arguments percutants et des exemples concrets pour démontrer l’impact positif de la nouvelle stratégie sur la vie quotidienne des citoyens européens, ainsi la baisse de la productivité, c’est du pouvoir d’achat en moins. Il est important de mettre en avant les bénéfices en termes de création d’emplois, de croissance économique, de protection de l’environnement et de sécurité.
  • Mobiliser les différentes parties prenantes autour d’objectifs communs : La communication doit les impliquer dans la mise en œuvre de la stratégie. Il est important de créer des plateformes de dialogue et de consultation, d’organiser des événements et des campagnes de sensibilisation, et de mettre en place des mécanismes de suivi et d’évaluation.
  • Inciter à l’action et au changement de comportements : La communication doit encourager les citoyens, les entreprises et les investisseurs à adopter des comportements plus responsables et à s’engager activement dans la transition numérique et écologique. Il est important de proposer des solutions concrètes et des incitations, de valoriser les initiatives positives et de promouvoir les bonnes pratiques.

Faire évoluer les représentations et canaliser les émotions

La mise en œuvre de la stratégie de compétitivité implique de faire évoluer certaines représentations et de lutter contre les idées reçues. La communication doit contribuer à façonner un nouveau récit européen, plus positif et plus ambitieux. Pour ce faire, il est nécessaire de :

  • Dépasser l’opposition entre écologie et économie : La communication doit démontrer que la transition écologique est compatible avec la croissance économique et la création d’emplois. Il est important de mettre en avant les exemples d’entreprises européennes qui ont réussi à concilier performance économique et respect de l’environnement.
  • Promouvoir une vision positive de l’industrie et de l’innovation : La communication doit lutter contre l’image critiquée de l’industrie et valoriser son rôle dans la création de richesse et d’emplois. Il est important de mettre en avant les innovations technologiques européennes et de montrer comment elles contribuent à améliorer la vie quotidienne des citoyens.
  • Renforcer le sentiment d’appartenance européenne : La communication doit rappeler les valeurs et les principes fondamentaux de l’UE, tels que la solidarité, la coopération et la paix. Il est important de mettre en avant les réussites de l’intégration européenne et de montrer comment l’UE peut apporter des solutions aux défis mondiaux.
  • Valoriser la coopération face aux tentations du repli national : La communication doit souligner l’importance de la coopération entre les États membres pour relever les défis communs. Il est important de mettre en avant les exemples de projets européens réussis et de montrer comment la coopération permet d’obtenir des résultats plus ambitieux.

Propositions d’activation :

  • Lancer une grande campagne de communication paneuropéenne multi-supports : Cette campagne utiliserait différents canaux de communication (télévision, radio, presse écrite, affichage, réseaux sociaux, etc.) pour diffuser des messages clés dans un langage clair et accessible.
  • Créer une plateforme digitale interactive présentant la stratégie et ses avancées : Cette plateforme permettrait aux citoyens, aux entreprises et aux investisseurs de s’informer sur la stratégie, de suivre ses avancées et de participer à des consultations. La plateforme pourrait également proposer des outils interactifs, tels que des cartes, des graphiques et des vidéos, pour rendre l’information plus attractive et plus accessible.
  • Organiser des consultations citoyennes dans toute l’Europe : Ces consultations permettraient aux citoyens de s’exprimer sur la stratégie et de proposer des idées pour sa mise en œuvre. Il est important de s’assurer que les consultations sont organisées de manière transparente et inclusive, et que les résultats sont pris en compte par les institutions européennes.
  • Mettre en place un réseau d’ambassadeurs de la stratégie dans différents secteurs : Ces porte-paroles seraient des personnalités reconnues dans leur domaine (entrepreneurs, chercheurs, artistes, etc.) qui s’engageraient à promouvoir la stratégie auprès de leur public. Il est important de choisir des ambassadeurs qui sont crédibles et qui ont une forte influence sur leur audience.
  • Développer des serious games et outils de simulation pour sensibiliser le grand public : Ces outils permettraient aux citoyens de comprendre les enjeux de la stratégie de manière ludique et interactive. Il est important de s’assurer que les jeux et les simulations sont bien conçus et qu’ils sont adaptés aux différents publics cibles.
  • Produire une série documentaire grand public sur les enjeux et solutions : Cette série documentaire permettrait de sensibiliser le grand public aux défis de la compétitivité européenne et de présenter les solutions proposées par la nouvelle stratégie. Il est important de s’assurer que la série documentaire est de qualité et qu’elle est diffusée sur des chaînes de télévision grand public.
  • Lancer un concours d’innovation ouvert aux citoyens et entreprises européennes : Ce concours permettrait de stimuler l’innovation et de promouvoir les solutions créatives pour relever les défis de la compétitivité européenne. Il est important de s’assurer que le concours est bien organisé et qu’il est doté de prix attractifs, en particulier pour les jeunes entrepreneurs.

Réussir la communication autour de la nouvelle stratégie de compétitivité européenne représente une opportunité unique pour l’UE de relancer tant sa croissance et sa productivité, tout en renforçant son autonomie et sa résilience que de créer un véritable sentiment d’appropriation collective du projet européen et de donner corps à une nouvelle Europe.