Dans son dernier livre « Penser l’incommunication », Dominique Wolton, fondateur de la revue Hermès, développe tout un chapitre sur l’incommunication comme « les chances inouïes de l’Europe ». Alors que tout concoure à l’échec du projet européen, en raison de l’incommunication (stéréotype, défiance, crises, etc.), la construction progresse de manière paradoxale entre cohésion et méfiance, grâce à la volonté politique puisque « le désaccord oblige à agir ».
L’incommunication, de fait un facteur efficace de construction de l’Europe
Les réussites de l’Europe relèvent notamment des difficultés d’intercompréhension, qui ont été un facteur positif, motivant, accélérateur d’Histoire ; des rapprochements par des coopérations économiques ; des rencontres pour des négociations physiques ; la référence à l’état de droit et à la démocratie et enfin des confrontations publiques, visibles et vivantes – négocier et cohabiter sont les maîtres mots de l’Europe ;
La communication politique européenne doit résister à la fragmentation du monde, l’éclatement de la mondialisation et montrer que ses références universelles ne s’opposent pas à l’ouverture. L’action politique doit viser à : valoriser les populations frontalières en cohabitation naturelle, coopérer avec ceux qui veulent rejoindre l’Europe, créer de la fierté d’agir ensemble, débattre, parler politique, l’humour est un court-circuit de l’intelligence et enfin élargir le rôle des médias avec des enquêtes qualitatives.
En somme, « l’Europe, ce n’est pas un État en plus grand, c’est quelque chose qui s’invente sans chef. C’est évidemment la communication politique la plus compliquée et la plus fragile au monde ».
Les chantiers de l’incommunication européenne :
- Rapprocher mentalement et culturellement les deux Europe de l’Ouest et de l’Est pour mieux se retrouver ;
- Accroitre la confiance des Européens entre eux- « un cas de psychopathologie insuffisamment analysé » ;
- Inventer une vaste coopération européenne pour la recherche et l’université, piliers d’une démocratie de masse ;
- Valoriser le tourisme, le patrimoine, les modes de vie, le brassage sociale et culturel entre différences et ressemblances ;
Les priorités :
- Vigilance et esprit critique à l’égard de l’économie des données ;
- Sortir l’Europe du modèle de l’économie numérique de l’idéologie libérale ;
- Construire une communication politique, tout le monde est ici responsable ;
- Valoriser la diversité linguistique et culturelle européenne, l’utopie européenne ;
- Proposer des solutions pour la jeunesse, entre identité, connaissance de soi et altérité.
Discussion : théorie politique de la communication vs pensée critique et fatigue du numérique
Dominique Wolton aura passé sa vie de recherches à réfléchir à l’information et à la communication, sa dernière trilogie pose ses enseignements les plus récents, qui devraient durablement marquer la théorie politique :
- « Informer n’est pas communiquer » : on rêvait du village global, on redécouvre la tour de Babel, les enjeux de la communication portent sur la relation, son acception ou son refus ;
- « Communiquer, c’est négocier » : on a rêvé la communication technique, parfaite, immédiate, elle est en fait fragile, politique et humaine, c’est le risque de l’altérité et de l’échec ;
- « Penser l’incommunication » : les difficultés à se faire comprendre, à écouter l’autre, à partager, place l’incommunication comme un défi pour éviter l’acommunication et assumer la négociation.
En revanche, le scepticisme autour du numérique, présenter dès ses premiers ouvrages sur Internet se renforce avec tout un chapitre consacré à « la fatigue du numérique », « la langue de bois mondiale » et l’idéologie technologique ; qui semblent pour le dire très simplement être tantôt la cause de tous nos maux et en même temps relativement anecdotique. Mais surtout, ce que l’on peut regretter, c’est que contrairement à son relatif optimisme, les enjeux numériques ne semblent pas faire l’objet d’une réflexion prescriptive et prospective, de même ambition que pour la communication européenne.