Archives mensuelles : novembre 2023

Youtube, comment la communication de la Commission européenne pourrait passer d’une logique d’offre à une logique à la demande ?

Quels enseignements peut-on tirer de l’analyse comparative des chaînes YouTube de la Commission européenne entre l’institution dans son ensemble et ses 16 chaînes thématiques selon les différentes politiques publiques européennes ?

Une typologie moyenne d’une chaîne Youtube

La moyenne calculée au sein des 16 chaînes Youtube des différentes directions générales de la Commission européenne correspond à une présence rassemblant 28000 abonnés, 553 vidéos, 3,9 millions de vues cumulées et 1,3 millions de vues pour la meilleure vidéo.

Des abonnés très variables

Les chaînes Youtube varient considérablement en termes d’abonnés, allant de quelques milliers à plus de 180 000 abonnés.

Évidemment, la chaîne de la Commission européenne est la plus populaire avec 180k abonnés, ce qui est logique puisqu’elle représente l’organe exécutif de l’Union européenne. Des chaînes comme EUScienceInnovation avec 21,7k, EUInterpreters à 15,2k et Eucrisisresponse à 13,7k sont les seules à dépasser la barre symbolique des 10,000 abonnés.

La fidélisation des audiences est l’un des principaux défis pour les chaînes Youtube.

Un nombre de vidéos relativement élevés

Les chaînes présentent une gamme de contenus, allant de quelques centaines de vidéos à plus de 4 700 vidéos, pour la Commission européenne.

Certaines chaînes, telles que EUScienceInnovation (1886), EUinmyRegion (1191) et Eucrisisresponse (1142) ont partagé un volume de plus de 1,000 vidéos depuis leur création.

La corrélation est tendanciellement favorable entre le volume croissant des vidéos et le nombre d’abonnés.

Des totaux des vues très inégaux

Les chaînes varient également beaucoup en termes de vues totales, allant de quelques centaines de milliers à plus de 90 millions de vues, pour la chaîne principale de la Commission européenne, est en tête en termes de vues.

Tandis que seules deux chaînes ne dépassent pas un cumul d’un million de vues, avec TranslatingforEurope à 303k et EUSecurityandDefence à 829k ; la chaîne Eucrisisresponse culmine à 18 millions de vues cumulées.

La corrélation est tendanciellement non significative entre le volume croissant des vidéos et le nombre cumulé de vues.

Des vidéos les plus vues

La vidéo la plus vue de la chaîne EuropeanCommission est « NextGenEU – Make It Real © » avec 31 millions de vues, un résultat très significatif puisqu’il s’agit du spot principal de la première campagne corporate de la Commission von der Leyen.

Quelques insights sur les sujets les plus tendances

A partir des titres des vidéos les plus vues, ce dégage quelques tendances sur les centres d’intérêt du public, sachant que presque la moitié des chaînes thématiques Youtube dépassent le cap du million de vues pour leurs meilleures vidéos, tandis que la chaîne de la Commission européenne cumule le double de vidéos dans cette même catégorie :

  1. Single-use plastics: are you #ReadyToChange? – DG Environnement, 5,4M
  2. #EUEducationEmpowers – Eucrisisresponse, 4,6M
  3. More than Food: Great Stories to Share – Short EN. – DG Agriculture, 2,7M
  4. Road Trip Project Season 2 | New Documentary – Euinmyregion, 1,5M
  5. A day in the life of a customs sniffer dog – Eutaxud, 1,2M
  6. GDPR: WHO DOES WHAT WITH YOUR PERSONAL DATA? – Eujustice, 1,1M
  7. We are on a mission for 2030! – Explore the new European Research and Innovation Exhibition – Euscienceinnovation, 1M

A partir du nombre de vues de la vidéo la plus vue par rapport au nombre d’abonnés, ce dégage également quelques observations. Par exemple, la vidéo la plus vue de EUClimateAction a un nombre de vues relativement faible par rapport au nombre d’abonnés, ce qui peut indiquer un engagement limité pour une vidéo consacrée à « The EU Emissions Trading System explained » très technique. En revanche, avec plus deux fois moins de vidéos produites, la meilleure vidéo « Fighting piracy on the high seas » de la chaîne EUSecurityandDefence indique que le sujet est très performant auprès du public.

Dernière illustration avec la chaîne Youtube EUfinance qui parvient à cumulé plus de la moitié de son total de vues cumulées sur 2 vidéos dernièrement publiées « Grow your future, invest in you! » 844k et « Destination: your future. Invest in you! » 671k, dont le partis pris créatif est très original.

Représentativité par rapport aux politiques publiques de la Commission européenne

Au regard de l’ensemble des directions générales de la Commission européenne et de leur importance en termes de politiques publiques de l’UE, il semblerait possible de dégager quelques hypothèses de recherche :

Les directions générales ayant des compétences exclusives ou des rôles clés dans des politiques majeures, tels que le marché intérieur, la politique commerciale, la politique de concurrence ou la politique monétaire devraient théoriquement avoir une présence solide sur la plateforme Youtube. Or, sans être particulièrement sous-représentées sur YouTube, les vidéos partagées autour de ces sujets ne semblent pas correspondre aux plus gros succès en termes d’audience et d’impact.

En revanche, les vidéos traitant de questions importantes et plus récente à l’agenda institutionnel européen, telles que le changement climatique, la politique énergétique, la sécurité, l’immigration, la protection des consommateurs ou la santé publique, autant de domaines relevant de compétences partagées de l’UE, semblent davantage conquérir les cœurs des Européens en termes de performance et de résultats visibles.

Recommandations pour la stratégie de communication sur Youtube

Sans doute, la production de vidéos pourrait davantage tenter de chercher à répondre à des sujets tendanciellement transversaux auprès des audiences en ligne, comme l’on peut songer à la durabilité, la cybersécurité ou l’intelligence artificielle, qui concernent quasiment toutes les actions de l’UE et qui pourraient de la sorte constituer, à titre d’exemples, des opportunités futures de prises de parole plus transversales et potentiellement plus performantes.

Surtout, la production de vidéos par la Commission européenne et ses directions générales pourrait profiter d’une approche qui consisterait davantage à benchmarker les sujets populaires et les formats créatifs correspondant dans leurs différents univers afin de passer d’une logique d’offre, autour des actions de l’UE, à une logique de vidéos, à la demande, sans aller jusqu’au modèle Netflix qui catégorise ses audiences et conditionne la production de nouvelles séries au potentiel de succès auprès de personae très spécifiques.

Au total, l’analyse de la présence de la Commission européenne sur Youtube met en évidence l’importance de créer du contenu qui correspond aux préoccupations du public et s’adapte aux tendances en matière de communication, tant les requêtes populaires que les concepts créatifs véhiculés par les Youtubeurs. La Commission européenne pourrait capitaliser sur ces insights pour orienter sa stratégie de communication et s’assurer que ses messages et ses politiques sont diffusés de manière efficace et pertinente sur YouTube.

Comment la participation des citoyens et la démocratie délibérative peuvent-elles renforcer la démocratie européenne ?

Les citoyens peuvent-ils participer aux défis politiques, parvenir à un consensus et trouver des solutions à la fois légitimes et équitables, c’est la promesse de la démocratie délibérative. Qu’en est-il en réalité, selon les intervenants à la table ronde EuropCom 2023 consacrée à cette discussion, dont on sait que cet ajout utile à l’arsenal démocratique fonctionne si les groupes de participants sont sélectionnés de manière aléatoire et que leurs propositions sont sérieusement prises en compte par les décideurs politiques, seule voie pour renforcer la confiance des citoyens dans les institutions démocratiques et dans l’Union européenne.

Les citoyens en général et lesquels en particulier sont intéressés par la participation à la démocratie participative ?

Joško Klisović, Président de l’Assemblée à la ville de Zagreb tire une leçon du référendum croate sur l’adhésion à l’UE : il est très difficile de transmettre un message aux citoyens s’ils ne sont pas intéressés par le sujet.

Pourquoi il est nécessaire d’impliquer les citoyens dans les « affaires de l’État » s’il y a déjà des représentants démocratiques habilités en place, parce que les citoyens peuvent impacter la démocratie à la fois en influençant les décisions et en surveillant l’élaboration des politiques.

Les données collectées à Zagreb révélé les types de citoyens ou de participants qui interagissaient avec les plateformes : ceux qui proposent des solutions constructives ; les perdants des élections précédentes, ceux qui essayent d’utiliser les plateformes à leurs propres fins ; ceux qui promeuvent des groupes d’intérêt (privés) ; et les fauteurs de troubles.

Le fossé particulièrement important porte entre ceux qui promeuvent des initiatives ou des décisions dans l’intérêt public et ceux qui le font dans l’intérêt privé.

Comment la Commission européenne intègre la démocratie délibérative dans le processus d’élaboration des politiques publiques européennes ?

Colin Scicluna, Chef de cabinet du Vice-Président de la Commission chargé de la démocratie et de la démographie précise d’emblée que la démocratie délibérative n’implique pas de remplacer l’ancien système par le nouveau système.

La démocratie est actuellement menacée car les citoyens ont moins confiance dans les institutions qui les représentent. Lors de l’organisation d’événements de démocratie délibérative, cela permet précisément de s’adresser aux personnes qui pensent que leur opinion n’a aucune valeur. Nous devons entendre l’opinion, en fait, je dirais, des personnes qui pensent qu’elles n’ont pas une opinion valable mais qui en réalité en ont une.

Il est très important de fournir des retours d’informations et de faire suite aux sessions consultatives/participatives, sinon la confiance des gens dans ces actions flanche. Jusqu’à présent, 1 200 personnes de tous les États membres ont participé à un panel de citoyens européens.

Quelles expériences et évaluations des projets de participation citoyenne ?

Anna Renkamp, Chef de projet senior à la Fondation Bertelsmann met en avant trois leçons apprises :

Le discours est central (à la fois entre citoyens et entre institutions et citoyens, et vice versa). Les résultats ont montré que les gens apprécient ces réunions participatives et l’échange d’idées pour trouver des solutions communes, montrant qu’ils étaient capables de trouver des compromis sur des questions difficiles. Les politiciens peuvent apprendre de ces résultats et mettre en œuvre de meilleures politiques.

Cependant, cela nécessite une bonne connaissance des techniques participatives et une large inclusion et diversité. Pour contacter les groupes marginalisés, il est conseillé de contacter des multiplicateurs (intermédiaires ayant de bons liens avec ces groupes) ou d’aller là où ils se trouvent. Il est utile d’adopter une approche multi-angles (par exemple, en plus des groupes aléatoires sur les panels, il est bon d’avoir une participation en ligne et des événements parallèles pour toucher un public plus large).

La volonté politique doit être présente (les propositions des citoyens doivent être prises au sérieux). Sinon, cela aura un effet très négatif sur la confiance des citoyens dans la démocratie délibérative. Ces processus de participation citoyenne délibérative ne fonctionnent que si la qualité des délibérations est bonne et si les processus sont inclusifs, interactifs et efficaces.

Quelles synergies potentielles entre les initiatives citoyennes européennes en matière de démocratie participative/panels de citoyens ?

Simona Pronckutė, experte externe des initiatives citoyennes européennes et membre du conseil de campagne des initiatives citoyennes européennes calcule que, depuis 2012, seules 10 initiatives citoyennes européennes (sur 125 soumises) ont recueilli le million de signatures nécessaires dans toute l’UE pour réussir.

Les 10 initiatives citoyennes européennes réussies – avaient recueillies au moins quelques milliers de followers sur les réseaux sociaux et de grands partenaires comme PETA ou Greenpeace – il était plus facile pour ces initiatives de recueillir des signatures car les citoyens en avaient entendu un peu parler.

Il devrait être plus facile pour les initiatives citoyennes européennes d’atteindre leurs objectifs et il serait particulièrement souhaitable qu’elles puissent avoir une plus grande présence au sein des institutions européennes.

Conférence sur l’avenir de l’Europe : une révolution copernicienne et la raison d’être démocratique de l’UE

Alberto Alemanno dans une vaste analyse « Unboking the Conference on the Future of Europe and its Democratic Raison d’Être » décrypte la tentative de créer une nouvelle structure d’opportunité transnationale pour la délibération participative, capable de compenser le manque d’un véritable espace politique et médiatique paneuropéen…

Questions autour d’une révolution copernicienne

La « révolution copernicienne » consistant à impliquer les citoyens dès le début de la réforme institutionnelle – par la consultation puis la délibération – peut-elle tenir sa promesse ? La conférence sur l’avenir de l’Europe peut-elle à elle seule être un remède à l’absence d’une infrastructure démocratique paneuropéenne critique et mature, capable de libérer certains des potentiels démocratiques de la participation transnationale ? Comment le processus délibératif ad hoc peut-il être transnationalisé et intégré – et donc institutionnalisé – dans le processus décisionnel quotidien de l’UE ? Dans quelle mesure ces processus délibératifs peuvent-ils redonner aux citoyens de l’UE une partie de leur propre pouvoir constituant dans l’avenir démocratique de l’Union ?

Malgré les inégalités socio-démographiques et les défauts représentatifs affectant les contextes délibératifs, les panels de citoyens européens peuvent être considérés comme l’effort le plus articulé pour construire un espace délibératif transnational encore inexistant après soixante-dix ans d’intégration européenne. S’ils étaient institutionnalisés à l’issue de la Conférence, les panels délibératifs pourraient offrir un nouveau rythme – et donc un dynamisme – à la démocratie européenne au-delà des élections. Comme le dit Jürgen Habermas, lutter pour la délibération dans la pratique politique n’est pas – et ne devrait pas être – une « exubérance utopique ».

L’innovation démocratique délibérative et participative, nouvelle raison d’être de l’UE

Dans l’effort participatif visant à obtenir des résultats politiques meilleurs et plus légitimes en impliquant les citoyens ordinaires de manière plus complète et plus systématique dans le processus politique européen, la Conférence sur l’avenir de l’Europe peut être comprise comme une nouvelle tentative de faire participer les citoyens en s’appuyant, cette fois-ci, également sur leur contribution – à travers la création d’un espace de délibération transnational autrement inexistant – pour se lancer dans une auto-réflexion institutionnelle, éventuellement ontologique.

Son lancement reconnaît intrinsèquement les limites du modèle participatif européen post-Lisbonne et son attente sous-jacente selon laquelle la participation des citoyens en soi pourrait, par conséquent, combler comme par magie l’écart entre le pouvoir et la responsabilité électorale dans l’Union. Il s’avère qu’en l’absence d’une infrastructure démocratique paneuropéenne et d’un discours connexe rendant le processus politique visible et accessible à un large public, la participation citoyenne ne peut à elle seule compenser l’incapacité des citoyens de l’UE à exprimer leur désir de changement dans la politique européenne.

Aller au-delà de la simple participation, en établissant un espace délibératif transnational de haut en bas, dans l’espoir que cela puisse conduire à de nouvelles dynamiques de pouvoir qui pourraient éventuellement contribuer à combler cette lacune. Le niveau de responsabilité politique sans précédent des citoyens pourrait promouvoir non seulement de nouvelles conversations entre les peuples européens et les institutions publiques – tant européennes que nationales – mais également entre les citoyens eux-mêmes. Cela pourrait à terme ouvrir la voie à de nouvelles dynamiques de pouvoir entre les élus et les non-élus, et leurs différentes sources de légitimité correspondantes, d’une manière jamais connue auparavant au sein de l’UE.

La Conférence sur l’avenir de l’Europe, un exercice original d’innovation démocratique transnationale, avec toutes les promesses et les défauts d’un prototype

L’UE est en passe de devenir un « laboratoire » remarquable pour tester empiriquement la validité de la participation délibérative en général, mais plus particulièrement à l’échelle transnationale, d’une manière qui n’a jamais été faite auparavant. La Conférence peut être considérée comme le terrain d’essai ultime du concept normatif de Habermas de démocratie délibérative dans un contexte transnational. Le philosophe allemand a insisté au cours des dernières décennies sur la nécessité de construire un espace de délibération transnational pour amener l’idée d’une démocratie supranationale européenne à un niveau supérieur. C’est exactement ce que cette conférence s’efforce d’offrir. Son architecture participative établit, quoique sur une base ad hoc, un espace de délibération transnational sans lequel ni ses citoyens ni ses élus ne seraient exposés – et attentifs – aux points de vue exprimés dans d’autres parties de l’Union.

La Conférence peut donc être considérée comme offrant une nouvelle structure d’opportunités expérimentale et temporaire qui pourrait permettre aux acteurs institutionnels et aux citoyens d’acquérir une exposition tout à fait sans précédent, et donc enrichissante, aux préférences transnationales ascendantes. Au milieu du soutien de certains médias et d’un public plus large, le discours paneuropéen de citoyen à citoyen qui s’ensuit pourrait potentiellement les faire prendre conscience de l’histoire, des contributions, des angoisses et des aspirations des autres, approfondissant ainsi une compréhension si essentielle au développement d’un sentiment d’autonomie. Cela seul pourrait modifier la dynamique politique des négociations interétatiques grâce à de nouvelles méthodes, ce qui pourrait à son tour reconfigurer le débat politique et, plus largement, public dans l’ensemble de l’Union.

Même s’il serait naïf de s’attendre à ce que cette initiative d’innovation démocratique ad hoc résolve comme par magie le malaise démocratique de l’UE, l’expérimentation intégrée à la Conférence peut être considérée comme un premier pas prometteur vers la réalisation du potentiel de renforcement de la légitimité de la participation.

Plutôt que de mesurer le succès de la Conférence à l’aune de sa capacité à mener avec précaution à une réforme des traités – ou à la transformer en un nouveau mode d’élaboration de la constitution –, il serait peut-être plus pertinent de l’évaluer à l’aune de sa capacité à offrir aux institutions européennes et nationales ainsi que des citoyens, un avant-goût d’une Union transnationale plus intelligible, plus délibérative et donc plus centrée sur les citoyens. Seule cette dernière issue pourrait compenser le péché originel de l’Europe « démocratique », celui d’aller de l’avant avec la réforme institutionnelle de l’UE non seulement sans la contribution directe des citoyens, mais aussi malgré les référendums négatifs organisés dans deux États membres de l’UE en 2005.

En fin de compte, alors que les citoyens de l’UE continuent de manquer de possibilités efficaces pour façonner l’intégration européenne, le lancement de la Conférence sur l’avenir de l’Europe marque le premier aveu explicite qu’ils – et non les États membres ou les institutions de l’UE – sont la source ultime de l’autorité et de la légitimité de l’UE. Il reste à voir si et comment une telle admission peut se traduire par un renforcement permanent du contrôle des citoyens sur le développement constitutionnel de l’UE. Une fois que le génie démocratique de l’Europe sera sorti, il sera difficile de le remettre dans la bouteille.

Ursula von der Leyen : entre crises et continuité, l’équation d’une stratégie de communication d’une candidate en quête d’un second mandat

Exercice d’équilibrisme difficile, l’équation du renouvellement à la tête de la Commission européenne, pour sa présidente actuelle, Ursula von der Leyen, qui est à la fois la première Présidente de la Commission européenne, mais aussi la plus mal élue de l’institution par le Conseil européen, est encore plus complexifié par le fait que sa communication est totalement sibylline sur le sujet. Comment décrypter ?

Le profil de la candidate idéal-type parfaite

Le profil recherché par les chefs d’État et de gouvernement, qui, selon le traité de Lisbonne, choisissent la personnalité à la tête de la Commission européenne, semble évolutif selon les circonstances, entre des extrêmes aussi différents que l’entreprenant Jacques Delors dans les années 1980 et le fade Barroso dans les années 2000.

Avec le choix d’Ursula von der Leyen, plusieurs critères semblent avoir présidés à la décision :

  • Le choix d’une relative ductilité politique semble avoir prévalu par rapport à un profil qui aurait été issu des Spitzenkandidaten disposant d’un capital politique fort, légitimé par le résultat électoral ;
  • Le choix d’une relative secondarité, venant d’une responsable politique n’ayant pas exercé de fonction à la tête d’un exécutif collégial et collectif et se voyant confier un agenda politique qu’elle n’a pas porté auprès des citoyens.

Pour la prochaine mandature européenne, le contexte de décision des membres du Conseil européen ne semble pas avoir fondamentalement évolué au point de remettre en question leurs critères de recrutement d’un profil idoine.

Les chances du côté de la Présidente Ursula von der Leyen de rester à la tête de la Commission européenne

Pour Alberto Alemanno, Professeur de Droit de l’UE à HEC Paris, à l’approche de la fin de son mandat, von der Leyen continue de faire face une crise après l’autre (Ukraine, Gaza). Ce mode d’urgence constant joue en sa faveur, car elle demeure ainsi la favorite pour un deuxième mandat à la tête de la Commission européenne.

Sa position unilatérale et belliciste en faveur de la répression d’Israël contre le Hamas et les Palestiniens piégés à Gaza n’a pas trouvé le soutien de la majorité des États membres de l’UE. Pourtant, cela n’a pas érodé son soutien au sein des 27 de l’UE.

Selon lui, les dirigeants de l’UE, y compris les rebelles tels qu’Orbán et Fico, continuent de la soutenir en tant que leur candidate. Pourquoi en est-il ainsi ? Essentiellement, elle leur permet d’agir constamment en défiance de l’UE, sans les sanctionner ni publiquement ni en privé. Il y a complicité, certains iraient même jusqu’à parler de complaisance :

Exemple 1 : Le Commissaire hongrois Oliver Várhelyi n’a pas été sanctionné pour avoir déclaré unilatéralement la suspension de l’aide de l’UE à la Palestine. Pourtant, c’était légalement possible, car le Commissaire Várhelyi avait enfreint le droit de l’UE en annonçant seul la suspension des fonds de l’UE pour la Palestine, mais l’application de cette mesure relève de la seule décision de la Présidente européenne, qui a donc joué la modération.

Exemple 2 : Viktor Orbán n’a pas été réprimandé pour avoir rencontré Poutine, en totale négligence du principe de coopération loyale qui s’applique à tous les États membres dans leurs relations avec l’UE. Là encore, la présidente a fait profil bas sur ce sujet.

Exemple 3 que l’on peut ajouter : La visite à Lampedusa, peu de temps après son discours sur l’état de l’Union pour assurer le soutien de la Commission européenne à l’Italie en première ligne sur le sujet des migrations, ou tout autant pour s’assurer du soutien de la nouvelle présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni pour son second mandat à la tête de la Commission européenne. Il ne peut y avoir d’à peu près dans le cas de décision prise à la majorité qualifiée des chefs d’Etat et de gouvernement.

Pour résumer, le point de vue d’Alberto Alemanno, Ursula von der Leyen est perçue, au sein du Conseil européen, à la fois suffisamment forte pour être crédible sur la scène internationale et suffisamment faible sur le plan interne pour satisfaire tous les chefs d’État et de gouvernement, du moins pour le moment.

Les dérives d’une « Queen Europe » « égopolitique » où les raisons d’une rupture quasi consommée

Au travers d’une série de billets de blog tous plus acides les uns que les autres, le journaliste Christian Spillmann dresse un tout autre tableau entre « les derniers feux de « Queen Europe » » en septembre après son discours sur l’état de l’Union décevant où elle « va devoir faire un choix: la retraite ou livrer bataille », puis « Ursula von der Leyen : la présidente « égopolitique » » début octobre et enfin « la rupture » fin octobre, qui se passe de commentaire.

Que se voit reprocher la présidente en exercice, en sursis de la Commission européenne :

1. Gestion de crise constante : Ursula von der Leyen a été perçue comme une présidente de la Commission qui a principalement dû faire face à des crises depuis le début de son mandat, plutôt que de mettre en œuvre une vision proactive. Elle a été contrainte de réagir en permanence aux événements plutôt que de fixer le cap pour l’Union européenne. Un atout qui finit par être un handicap.

2. Manque de soutien au sein de l’UE : Son approche unilatérale et sans compromis en ce qui concerne des questions sensibles, comme le conflit entre Israël et le Hamas à Gaza, n’a pas trouvé le soutien de la majorité des États membres de l’UE. Cela a laissé des doutes quant à sa capacité à rassembler le consensus nécessaire au sein de l’Union.

3. Manque de vision et de perspective : Dans son dernier discours sur l’état de l’Union européenne, Ursula von der Leyen n’a pas abordé des questions cruciales telles que la montée du populisme, les relations avec les États-Unis, dont elle s’aligne trop visibiblement avec Biden, ou les défis liés aux élections de 2024. Cela est perçu comme un manque de vision et de préparation.

4. Opposition au sein du Parlement européen : Des personnalités politiques influentes, telles que l’ancien Premier ministre belge Guy Verhofstadt, ont critiqué ouvertement l’approche d’Ursula von der Leyen. Ses positions sur des questions clés, comme l’élargissement de l’UE à l’Ukraine et d’autres pays, ont rencontré une forte opposition au Parlement européen.

5. Relations tendues avec le Parti Populaire Européen (PPE) : Ursula von der Leyen a des relations tendues avec le PPE, le parti politique qui l’a soutenue pour la présidence de la Commission. Des désaccords avec des membres clés du PPE, comme Manfred Weber, complique sa situation. La présidente du Parlement européen est positionnée comme son joker.

6. Défaut de leadership et inconsistance : Elle est accusée de manquer de leadership et d’inconsistance dans sa gestion de la Commission européenne. Son absence de management collégial et de confiance dans les équipes de l’institution suscite des départs y compris de ses plus proches comme Frans Timmermans et des inquiétudes sur ses capacités à poursuivre.

7. Irritation des dirigeants européens : Son comportement, y compris sa participation à des événements diplomatiques sans consultation préalable avec le Conseil, irrite les dirigeants européens. Elle a été rappelée à l’ordre lors d’un sommet européen extraordinaire au sujet de son déplacement en Israël.

8. Désaccords sur le budget : Son incapacité à obtenir le soutien des États membres pour son budget proposé a également affaibli sa position.

Dans l’ensemble, pour Christian Spillmann, il semble qu’Ursula von der Leyen fait face à de nombreux obstacles et à une opposition significative à son maintien à la tête de la Commission européenne pour un second mandat. Ses chances de rester en poste semblent être compromises.

Que retenir à ce stade ?

Que la présidente de la Commission européenne, au bord du précipice pour prendre l’une des décisions les plus importantes pour l’avenir de l’Europe, est loin de faire l’unanimité, pour elle, contre elle, avec elle si telle devait être finalement sa décision.