Exercice d’équilibrisme difficile, l’équation du renouvellement à la tête de la Commission européenne, pour sa présidente actuelle, Ursula von der Leyen, qui est à la fois la première Présidente de la Commission européenne, mais aussi la plus mal élue de l’institution par le Conseil européen, est encore plus complexifié par le fait que sa communication est totalement sibylline sur le sujet. Comment décrypter ?
Le profil de la candidate idéal-type parfaite
Le profil recherché par les chefs d’État et de gouvernement, qui, selon le traité de Lisbonne, choisissent la personnalité à la tête de la Commission européenne, semble évolutif selon les circonstances, entre des extrêmes aussi différents que l’entreprenant Jacques Delors dans les années 1980 et le fade Barroso dans les années 2000.
Avec le choix d’Ursula von der Leyen, plusieurs critères semblent avoir présidés à la décision :
- Le choix d’une relative ductilité politique semble avoir prévalu par rapport à un profil qui aurait été issu des Spitzenkandidaten disposant d’un capital politique fort, légitimé par le résultat électoral ;
- Le choix d’une relative secondarité, venant d’une responsable politique n’ayant pas exercé de fonction à la tête d’un exécutif collégial et collectif et se voyant confier un agenda politique qu’elle n’a pas porté auprès des citoyens.
Pour la prochaine mandature européenne, le contexte de décision des membres du Conseil européen ne semble pas avoir fondamentalement évolué au point de remettre en question leurs critères de recrutement d’un profil idoine.
Les chances du côté de la Présidente Ursula von der Leyen de rester à la tête de la Commission européenne
Pour Alberto Alemanno, Professeur de Droit de l’UE à HEC Paris, à l’approche de la fin de son mandat, von der Leyen continue de faire face une crise après l’autre (Ukraine, Gaza). Ce mode d’urgence constant joue en sa faveur, car elle demeure ainsi la favorite pour un deuxième mandat à la tête de la Commission européenne.
Sa position unilatérale et belliciste en faveur de la répression d’Israël contre le Hamas et les Palestiniens piégés à Gaza n’a pas trouvé le soutien de la majorité des États membres de l’UE. Pourtant, cela n’a pas érodé son soutien au sein des 27 de l’UE.
Selon lui, les dirigeants de l’UE, y compris les rebelles tels qu’Orbán et Fico, continuent de la soutenir en tant que leur candidate. Pourquoi en est-il ainsi ? Essentiellement, elle leur permet d’agir constamment en défiance de l’UE, sans les sanctionner ni publiquement ni en privé. Il y a complicité, certains iraient même jusqu’à parler de complaisance :
Exemple 1 : Le Commissaire hongrois Oliver Várhelyi n’a pas été sanctionné pour avoir déclaré unilatéralement la suspension de l’aide de l’UE à la Palestine. Pourtant, c’était légalement possible, car le Commissaire Várhelyi avait enfreint le droit de l’UE en annonçant seul la suspension des fonds de l’UE pour la Palestine, mais l’application de cette mesure relève de la seule décision de la Présidente européenne, qui a donc joué la modération.
Exemple 2 : Viktor Orbán n’a pas été réprimandé pour avoir rencontré Poutine, en totale négligence du principe de coopération loyale qui s’applique à tous les États membres dans leurs relations avec l’UE. Là encore, la présidente a fait profil bas sur ce sujet.
Exemple 3 que l’on peut ajouter : La visite à Lampedusa, peu de temps après son discours sur l’état de l’Union pour assurer le soutien de la Commission européenne à l’Italie en première ligne sur le sujet des migrations, ou tout autant pour s’assurer du soutien de la nouvelle présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni pour son second mandat à la tête de la Commission européenne. Il ne peut y avoir d’à peu près dans le cas de décision prise à la majorité qualifiée des chefs d’Etat et de gouvernement.
Pour résumer, le point de vue d’Alberto Alemanno, Ursula von der Leyen est perçue, au sein du Conseil européen, à la fois suffisamment forte pour être crédible sur la scène internationale et suffisamment faible sur le plan interne pour satisfaire tous les chefs d’État et de gouvernement, du moins pour le moment.
Les dérives d’une « Queen Europe » « égopolitique » où les raisons d’une rupture quasi consommée
Au travers d’une série de billets de blog tous plus acides les uns que les autres, le journaliste Christian Spillmann dresse un tout autre tableau entre « les derniers feux de « Queen Europe » » en septembre après son discours sur l’état de l’Union décevant où elle « va devoir faire un choix: la retraite ou livrer bataille », puis « Ursula von der Leyen : la présidente « égopolitique » » début octobre et enfin « la rupture » fin octobre, qui se passe de commentaire.
Que se voit reprocher la présidente en exercice, en sursis de la Commission européenne :
1. Gestion de crise constante : Ursula von der Leyen a été perçue comme une présidente de la Commission qui a principalement dû faire face à des crises depuis le début de son mandat, plutôt que de mettre en œuvre une vision proactive. Elle a été contrainte de réagir en permanence aux événements plutôt que de fixer le cap pour l’Union européenne. Un atout qui finit par être un handicap.
2. Manque de soutien au sein de l’UE : Son approche unilatérale et sans compromis en ce qui concerne des questions sensibles, comme le conflit entre Israël et le Hamas à Gaza, n’a pas trouvé le soutien de la majorité des États membres de l’UE. Cela a laissé des doutes quant à sa capacité à rassembler le consensus nécessaire au sein de l’Union.
3. Manque de vision et de perspective : Dans son dernier discours sur l’état de l’Union européenne, Ursula von der Leyen n’a pas abordé des questions cruciales telles que la montée du populisme, les relations avec les États-Unis, dont elle s’aligne trop visibiblement avec Biden, ou les défis liés aux élections de 2024. Cela est perçu comme un manque de vision et de préparation.
4. Opposition au sein du Parlement européen : Des personnalités politiques influentes, telles que l’ancien Premier ministre belge Guy Verhofstadt, ont critiqué ouvertement l’approche d’Ursula von der Leyen. Ses positions sur des questions clés, comme l’élargissement de l’UE à l’Ukraine et d’autres pays, ont rencontré une forte opposition au Parlement européen.
5. Relations tendues avec le Parti Populaire Européen (PPE) : Ursula von der Leyen a des relations tendues avec le PPE, le parti politique qui l’a soutenue pour la présidence de la Commission. Des désaccords avec des membres clés du PPE, comme Manfred Weber, complique sa situation. La présidente du Parlement européen est positionnée comme son joker.
6. Défaut de leadership et inconsistance : Elle est accusée de manquer de leadership et d’inconsistance dans sa gestion de la Commission européenne. Son absence de management collégial et de confiance dans les équipes de l’institution suscite des départs y compris de ses plus proches comme Frans Timmermans et des inquiétudes sur ses capacités à poursuivre.
7. Irritation des dirigeants européens : Son comportement, y compris sa participation à des événements diplomatiques sans consultation préalable avec le Conseil, irrite les dirigeants européens. Elle a été rappelée à l’ordre lors d’un sommet européen extraordinaire au sujet de son déplacement en Israël.
8. Désaccords sur le budget : Son incapacité à obtenir le soutien des États membres pour son budget proposé a également affaibli sa position.
Dans l’ensemble, pour Christian Spillmann, il semble qu’Ursula von der Leyen fait face à de nombreux obstacles et à une opposition significative à son maintien à la tête de la Commission européenne pour un second mandat. Ses chances de rester en poste semblent être compromises.
Que retenir à ce stade ?
Que la présidente de la Commission européenne, au bord du précipice pour prendre l’une des décisions les plus importantes pour l’avenir de l’Europe, est loin de faire l’unanimité, pour elle, contre elle, avec elle si telle devait être finalement sa décision.