Archives mensuelles : novembre 2019

Rapprocher l’Union européenne de ses citoyens : une consultation permanente des citoyens européens

La prise de décision participative – avec des milliers de dialogues et consultations de citoyens sur l’avenir de l’Europe – joue un rôle primordial dans l’amélioration de la qualité, de la transparence et de l’appropriation des politiques européenne, plaçant ainsi la participation des citoyens au cœur de l’élaboration des politiques de l’UE. L’idée d’un « mécanisme de dialogue structuré permanent » est sur la table. De quoi s’agirait-il ?

Développer une approche interinstitutionnelle du dialogue avec les citoyens européens

Outre le leadership politique, les ressources, les personnes qualifiées, ainsi que le « changement culturel » nécessaire à l’expérimentation d’outils de démocratie délibérative ; l’approche devrait être mise en commun entre les institutions européennes en vue de développer une démarche cohérente des dialogues et consultations des citoyens au niveau européen.

Sélection formalisée des citoyens : la participation des citoyens devrait viser à assurer un certain niveau de représentativité et la transparence du processus de sélection. Dans la mesure du possible, une sélection aléatoire des citoyens devrait être appliquée et la présence physique lors des consultations pourrait éventuellement être combinée à des éléments en ligne.

Sélection mutualisée de sujets : les sujets devraient être définis chaque année des sujets de discussion spécifiques, qui seraient liés, par exemple, aux priorités annuelles de l’UE et / ou à la future « Conférence sur l’avenir de l’Europe ».

Impact interinstitutionnel sur l’élaboration des politiques de l’UE : chaque consultation tenue devrait donner lieu à un rapport partagé aux institutions de l’UE, qui compileraient ensuite tous les rapports reçus et partageraient un rapport de synthèse des messages clés, en vue d’informer le processus décisionnel au niveau de l’UE.

Approche commune : dans l’idéal, les institutions de l’UE travailleraient sous un même drapeau avec les États membres, les régions et les villes, appliquant ainsi une méthodologie, un calendrier et une approche de communication communs.

Déployer un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les citoyens de l’UE

Les consultations et dialogues avec les citoyens mettent en évidence le souhait de nombreux citoyens de mieux participer aux décisions de l’Union européenne montrant un intérêt réel pour ses politiques et pour s’engager davantage dans l’avenir de leur Union.

Le moment est venu de rassembler les initiatives et de renforcer leur impact sur la conception et la mise en œuvre des politiques de l’UE. Le moment est venu de donner plus de cohérence à un impact aussi significatif par le biais d’une stratégie à long terme et d’un mécanisme de retour d’information associant toutes les parties prenantes.

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Renforcer la dimension démocratique de l’Union européenne en mobilisant et en encourageant un large engagement des citoyens, des organisations de la société civile organisées ainsi que des parlements et des gouvernements locaux et régionaux.

Fournir un réel retour d’information sur les politiques de l’UE afin d’améliorer leur conception et leur mise en œuvre et d’établir un mécanisme de suivi.

Impliquer activement toutes les institutions de l’UE, ainsi que les représentants élus au niveau local et régional et les organisations de la société civile, qui doivent jouer un rôle clé dans l’organisation et le suivi de ces dialogues.

Développer un exercice annuel permanent nécessitant une approche coordonnée et cohérente afin d’exploiter les synergies et les complémentarités entre elles et de parler d’une voix claire et cohérente aux citoyens.

Exploiter pleinement, dans un processus synergique et coordonné, les outils et mécanismes mis au point au cours de ces années pour consulter les citoyens afin de recueillir de manière commune les points de vue sur les nouvelles initiatives et législations de l’Union européenne ayant un impact régional et local.

Suivre la logique d’un cycle annuel de l’annonce du programme de travail annuel de la Commission européenne à l’automne, aux débats au cours du premier semestre de l’année suivante, au rapport de synthèse commun à l’automne suivant afin de mieux réagir en prenant des mesures appropriées pour répondre aux besoins et aux attentes des citoyens.

Communiquer et documenter le processus sous une marque unique de l’Union européenne, de la formation et la mise en réseau, à la mise en place d’un comité consultatif mixte composé d’experts et de groupes de réflexion expérimentés et à l’évaluation externe analysant l’impact.

En somme, les citoyens européens sont mûrs pour que leurs contributions soient prises au sérieux et constituent une contribution réelle au processus décisionnel de l’UE. A l’Europe de saisir cette opportunité avec un mécanisme permanent et structuré de consultations des citoyens.

Juncker vs Tusk : le choc des styles et des méthodes de communication

Nonobstant la prouesse d’un accord parfait sur la scène européenne – une réussite fort précieuse – le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker et le président du Conseil européen Donald Tusk s’opposent en matière de style et de méthode pour leur communication…

Juncker : le serviteur 1.0 d’une Europe en tant que finalité politique

La réputation de Jean-Claude Juncker est marquée par une dissonance, qui lui a porté préjudice :

  • D’une part, une apparence de maîtrise, un contrôle de ses messages, une représentation permanente en fonction sans mise en avant de la vie privée, sans « peopolisation ».
  • D’autre part, quelques images incontrôlées largement médiatisées au-delà des cercles européens sur son état physique et ses problèmes de santé qui brouillent et ternissent son image.

La communication politique de Juncker traduit une maîtrise du jeu politique classique déroulant ses gammes traditionnelles lors de conférences de presse et de discours officiels accompagnée d’une mise en perspective et une inscription dans le temps long.

La personnalité de Juncker apparaît à la fois comme attachante, chaleureuse et humaine, souvent entouré de son équipe (et cornaqué par son bras droit Selmayr), un constructeur de pont, un chef de coalition, un homme de consensus ; autant de traits qui ont fait de Juncker un véritable dinosaure de la politique européenne à l’ancienne, faite de chaleur humaine et de compromis pragmatique.

Tusk : le marathonien 2.0 d’une Europe comme combat moral

Par contraste, l’apparence de Donald Tusk semble beaucoup plus construite et articulée pour exploiter le potentiel des réseaux sociaux autour d’une personnalisation forte :

  • Personnification de la fonction autour d’un storytelling des rencontres – plutôt bilatérales et des sommets européens ;
  • Incarnation des valeurs européennes orchestrée par une visualisation, une scénarisation d’un caractère trempé, d’un corps politique en mouvement, d’une représentation de l’effort, de l’activité physique et de la forme par le sport.

La communication politique de Tusk s’appuie sur ses traits de caractères de sportif et de combattant ainsi que sur une intuition des situations, une intelligence des opportunités pour s’exprimer, une saisie des instants pour viser à remporter le match de l’opinion.

La personnalité de Tusk se dessine à la fois par son humour et ses saillies pleines d’esprit sur les réseaux sociaux, aussi par ses convictions morales, un homme moins expansif, moins émotif ; visant à apparaître comme un roc de convictions, une figure plus clivante, un sportif de l’Europe en lutte contre des adversaires anti-européens et pour l’unité européenne.

La séquence de fin de mandat : un croisement des stratégies de visibilité

La période actuelle de « transition » entre les leaders européens s’illustre par la convergence des postures et des registres de communication de Juncker et Tusk :

Une rupture commune des codes et des règles dans les discours, un « parler vrai » qui vise à dire sa vérité, parfois ses quatre vérités ; une démarche qui interroge sur les contraintes institutionnelles et le poids des fonctions et révèle une frustration évidente d’un certain sevrage médiatique.

Une valorisation évidemment partagée d’un bilan, voire d’un héritage :

  • Pour Juncker, son dernier discours au Parlement européen signe des adieux quasi hagiographiques pour écrire la légende d’un engagement européen inébranlable d’une construction européenne pragmatique.
  • Pour Tusk, son discours au Collège de l’Europe à Bruges joue la carte de la rétrospective et de l’introspection pour mettre l’accent sur ses convictions morales au service d’un projet politique européen respectant les droits des citoyens et des Etats.

Au total, au-delà des parcours personnels et des fonctions exercés – évidemment très différents – le choc porte sur les personnalités et les modalités de communication entre maîtrise pour Juncker des codes traditionnels de la politique et pour Tusk du potentiel des réseaux sociaux. La nouvelle « team Europe » qui est en train de prendre ses marques, dans une période d’apprentissage et de rodage à la recherche de leur stratégie de communication aurait intérêt à tenter d’en faire la synthèse.

Communiquer l’Europe ensemble : les responsabilités de la communication européenne

Lors de la 10e édition de la conférence EuropCom les 7 et 8 novembre dernier, le panel de conclusion représentant les responsables de la communication des principales institutions de l’UE « Looking Forward Together » semble inspiré par le fameux proverbe africain : « Si tu veux aller vite, marche seul mais si tu veux aller loin, marchons ensemble »…

Une responsabilité partagée après le succès de la participation aux élections européennes

Les enseignements de la campagne de communication réalisée par le Parlement européen lors des dernières élections européennes au printemps dernier sont particulièrement éclairants, selon Jaume Duch-Guillot, le directeur de la communication du Parlement européen :

D’une part, le besoin d’un narratif clair, d’une vision forte, pas uniquement autour du vote, pour défendre la démocratie et raconter ce que le Parlement européen représente en tant qu’institution au service du peuple, légitimée par le débat paneuropéen et la mobilisation électorale. La preuve : le taux de participation a été de 8 points de plus que la moyenne dans les territoires ciblées par la campagne de communication.

D’autre part, la communication ne peut pas se faire seule ; les partenariats et les contributions des organisations de la société civile, afin de les aider à relayer/adapter les sujets européens auprès de leurs diverses audiences, sont indispensables d’autant plus que les institutions sont moins crédibles que la source la plus pertinente qui n’est autre qu’une personne comme moi.

La majorité du corps électoral s’étant exprimée est un signe d’espoir et une charge supplémentaire pour les institutions de l’UE. Les citoyens, qui attendent des résultats concrets, mettent l’UE devant ses responsabilités, partagées par ses institutions.

Une responsabilité à exercer en commun et dans le respect des différences

Le consensus d’une responsabilité partagée des institutions européennes – pour communiquer auprès des citoyens, s’exerçant au travers d’un message global positif, ni technocratique, ni défensif, qui soit plus attractif et encore plus pertinent et local pour les citoyens – est approuvé par le directeur de la communication du Conseil de l’UE, Paul Reiderman.

Il ne faut pas en conclure pour autant que les institutions de l’UE devraient communiquer d’une seule voix. Chaque institution européenne dispose de sa légitimité et donc de ses différences et ne devrait ni craindre ni s’excuser de communiquer son propre message subtilement différent.

Les messages ne sont que la partie émergée de l’iceberg, et il reste encore énormément à faire sous la ligne de flottaison, tout un territoire inexploré et inexploité de collaboration possible entre les institutions européennes permettant de partager les ressources et les connaissances au service de leurs propres stratégies de communication.

Le champ des réseaux sociaux est clairement une opportunité pour expérimenter cette responsabilité commune, cette capacité renforcée par la mutualisation au service des intérêts de chacun :

  • Un nouveau compte Spotify commun pour toute l’UE – une sorte de symbole pour montrer et illustrer la logique de la démarche ;
  • Une approche commune face aux nouvelles règles de la publicité sur Facebook lors de la campagne électorale – une pression beaucoup plus pragmatique ;
  • Un développement commun de nouvelles solutions pour démultiplier les capacités de community management avec l’Intelligence artificielle, les chatbots, etc. ;
  • Une capacité demain de détecter et stopper les « deep fakes », ces fausses vidéos qui décupleront la viralité déjà importante des fake news…

L’une des conditions de succès de l’exercice de cette responsabilité partagée réside dans l’encouragement à prendre des risques, à favoriser la créativité et l’innovation, à ne pas craindre de dire et de déplaire.

Une responsabilité à engager pour façonner ensemble le futur de l’Europe

La nouvelle directrice générale de la DG Communication de la Commission européenne, Pia Ahrenkilde-Hansen s’appuie sur les derniers résultats de l’enquête Eurobaromètre qui mesure le plus fort niveau jamais atteint de citoyens européens qui estiment que leur voix compte dans l’UE comme une bonne indication que les citoyens veulent prendre le part à la construction du futur de l’Union européenne.

L’UE est l’affaire de tout le monde, de toutes les institutions européennes évidemment mais aussi et surtout des acteurs de la société civile, des autorités locales et des citoyens dans leur ensemble. Ce message a été entendu par les leaders européens.

La nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula van der Leyen est également convaincue qu’il faut encourager une communication plus directe avec les citoyens, ce qu’elle confirme dans ses lettres de mission aux futurs Commissaires qui devront apporter l’Europe au plus près des citoyens, partout où les débats peuvent s’organiser.

Le combat contre la désinformation, clé pour préserver l’espace public et la démocratie européenne, est l’une de ces responsabilités partagées pour mutualiser les efforts, construire une résilience renforcée, donner des capacités aux citoyens à pouvoir prendre des décisions sur la base des faits. Un hub sur la désinformation en ligne sera prochainement lancé à l’échelle européenne.

Pour résumer l’approche de la communication de la Commission, Pia Ahrenkilde-Hansen liste les critères pour « Communiquer l’E.U.R.O.P.E. » :

  • E : Emblème de l’UE – à mettre visible, en avant
  • U : Unification du message – concentrer sur un message, à répéter
  • R : Réalité des histoires – donner un angle « humain »
  • O : Ordinaire – utiliser le langage ordinaire pour parler aux citoyens
  • P : Personnalisation des contenus – localiser et communiquer sur des choses qui importent
  • E : Émotions – à utiliser, en soutien des faits, pour capter l’attention et la conserver

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Comment maîtriser la communication européenne « post-vérité » ?

En dépit de penser que nous en savons plus (« l’info est à portée de clic »), en réalité, l’accélération de la circulation des données et l’enfermement dans des bulles de filtre nous condamne à une polarisation qui n’est plus limitée aux opinions et aux valeurs, mais atteint également les faits. Comment maîtriser la « communication post-vérité », une réflexion à partir du mémoire de Sarah Al Sabah ?

Quand la « self-communication » de masse réduit l’efficacité de la communication européenne

La « self-communication » de masse impliquée par les médias sociaux change considérablement la manière de communiquer. Dorénavant, la communication doit recommencer à chaque fois en s’adaptant à ses publics à écouter, apprendre, laisser les gens s’informer et lorsque tout cela a été fait tenter de faire passer un message audible.

Dans un monde « post-vérité » où l’opinion publique est déterminée d’abord par des émotions et des convictions personnelles davantage que par des faits objectifs sachant que les réseaux sociaux ont dépassé la télévision comme source principale d’information chez les jeunes ; la politique populiste et les mouvements sociaux sont capables d’intervenir de manière beaucoup plus décisive auprès des publics.

Le résultat de cette évolution est un glissement historique de communication dans une sphère multidimensionnelle et ouverte sans repères ou référentiels communs. La communication européenne a besoin plus que jamais d’être cohérent et proactive pour déployer des stratégies de communication destinées à tous les segments pertinents de la société et pouvoir aussi percevoir l’humeur du moment, parce que pour les citoyens, leurs perceptions sont devenues leur réalité.

Quand la « post vérité » entraîne la crise de crédibilité et d’influence de la communication européenne auprès du grand public

La suprématie du virtuel où tout y devenu possible alors que le réel est justement ce qui dit que tout n’est pas possible fait que la promesse de toute-puissance finit par faire craindre l’impuissance.

Une perte de maîtrise largement liée à la perte de contrôle face au nouvel écosystème complexe et volatil où convergent la « self-communication » de masse, des médias traditionnels en transformation, des nouveaux médias plus ou bien intentionnés et des opérations de déstabilisation de l’opinion et de propagande conduisant à l’émergence de « faits alternatifs » et de « fake news ».

Une impuissance qui se renforce, face à un tel bombardement d’informations et de désinformation circulant dans la sphère publique, lorsque l’absence de compétences numériques devient une nouvelle forme d’illettrisme, on parle d’ailleurs dorénavant d’illectronisme auquel de nombreux communicateurs publics font face avec un écart de capacité entre ce qu’ils doivent faire et ce qu’ils sont capables de fournir aujourd’hui.

Il ne suffit plus de communiquer de la même manière traditionnelle pour espérer être entendu par les citoyens. Il s’agit de reconstruire le rôle d’une communication européenne légitime des politiques publiques de l’UE et de ne pas laisser les agendas politiques, les influences étrangères et / ou les diffuseurs de fausses nouvelles détourner les messages.

Quand la communication européenne se réadapte et se réajuste à la « post vérité »

Le compromis au cœur de la culture politique européenne ressort en miette de ces nouveaux rapports de forces de plus en plus violents dans la concurrence des apparences ou des vérités hâtivement instruites.

Des solutions doivent être mise en œuvre pour affronter les défis de l’ère de la « post-vérité » :

  • adopter une perspective multidimensionnelle avec les citoyens au cœur de toute stratégie de communication ;
  • passer en revue les approches qui aident à développer des stratégies créatives et d’innovation et éliminer les approches non applicables au secteur public ;
  • renforcer la communication économe, efficace et transparente ;
  • mieux connaître ses publics afin de créer des communications personnalisées ciblées ;
  • resensibiliser à l’honnêteté des « faits » et à la crédibilité des sources fiables ;
  • former et spécialiser les communicateurs publics.

Au total, maîtriser la « communication post-vérité » est l’un des défis les plus importants pour l’Union européenne afin de réinventer sa relation avec ses publics sur le bien-fondé de sa mission pour faire la différence.