Juncker vs Tusk : le choc des styles et des méthodes de communication

Nonobstant la prouesse d’un accord parfait sur la scène européenne – une réussite fort précieuse – le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker et le président du Conseil européen Donald Tusk s’opposent en matière de style et de méthode pour leur communication…

Juncker : le serviteur 1.0 d’une Europe en tant que finalité politique

La réputation de Jean-Claude Juncker est marquée par une dissonance, qui lui a porté préjudice :

  • D’une part, une apparence de maîtrise, un contrôle de ses messages, une représentation permanente en fonction sans mise en avant de la vie privée, sans « peopolisation ».
  • D’autre part, quelques images incontrôlées largement médiatisées au-delà des cercles européens sur son état physique et ses problèmes de santé qui brouillent et ternissent son image.

La communication politique de Juncker traduit une maîtrise du jeu politique classique déroulant ses gammes traditionnelles lors de conférences de presse et de discours officiels accompagnée d’une mise en perspective et une inscription dans le temps long.

La personnalité de Juncker apparaît à la fois comme attachante, chaleureuse et humaine, souvent entouré de son équipe (et cornaqué par son bras droit Selmayr), un constructeur de pont, un chef de coalition, un homme de consensus ; autant de traits qui ont fait de Juncker un véritable dinosaure de la politique européenne à l’ancienne, faite de chaleur humaine et de compromis pragmatique.

Tusk : le marathonien 2.0 d’une Europe comme combat moral

Par contraste, l’apparence de Donald Tusk semble beaucoup plus construite et articulée pour exploiter le potentiel des réseaux sociaux autour d’une personnalisation forte :

  • Personnification de la fonction autour d’un storytelling des rencontres – plutôt bilatérales et des sommets européens ;
  • Incarnation des valeurs européennes orchestrée par une visualisation, une scénarisation d’un caractère trempé, d’un corps politique en mouvement, d’une représentation de l’effort, de l’activité physique et de la forme par le sport.

La communication politique de Tusk s’appuie sur ses traits de caractères de sportif et de combattant ainsi que sur une intuition des situations, une intelligence des opportunités pour s’exprimer, une saisie des instants pour viser à remporter le match de l’opinion.

La personnalité de Tusk se dessine à la fois par son humour et ses saillies pleines d’esprit sur les réseaux sociaux, aussi par ses convictions morales, un homme moins expansif, moins émotif ; visant à apparaître comme un roc de convictions, une figure plus clivante, un sportif de l’Europe en lutte contre des adversaires anti-européens et pour l’unité européenne.

La séquence de fin de mandat : un croisement des stratégies de visibilité

La période actuelle de « transition » entre les leaders européens s’illustre par la convergence des postures et des registres de communication de Juncker et Tusk :

Une rupture commune des codes et des règles dans les discours, un « parler vrai » qui vise à dire sa vérité, parfois ses quatre vérités ; une démarche qui interroge sur les contraintes institutionnelles et le poids des fonctions et révèle une frustration évidente d’un certain sevrage médiatique.

Une valorisation évidemment partagée d’un bilan, voire d’un héritage :

  • Pour Juncker, son dernier discours au Parlement européen signe des adieux quasi hagiographiques pour écrire la légende d’un engagement européen inébranlable d’une construction européenne pragmatique.
  • Pour Tusk, son discours au Collège de l’Europe à Bruges joue la carte de la rétrospective et de l’introspection pour mettre l’accent sur ses convictions morales au service d’un projet politique européen respectant les droits des citoyens et des Etats.

Au total, au-delà des parcours personnels et des fonctions exercés – évidemment très différents – le choc porte sur les personnalités et les modalités de communication entre maîtrise pour Juncker des codes traditionnels de la politique et pour Tusk du potentiel des réseaux sociaux. La nouvelle « team Europe » qui est en train de prendre ses marques, dans une période d’apprentissage et de rodage à la recherche de leur stratégie de communication aurait intérêt à tenter d’en faire la synthèse.

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