L’Association Jean Monnet et la Représentation en France de la Commission européenne, sans doute l’une des Représentations parmi les 28 recourant le plus aux enquêtes d’opinion selon la Chef de la Représentation Anne Houtman, ont organisé un atelier pour dresser un bilan et dessiner des perspectives à l’occasion du 40e anniversaire des Eurobaromètres. Après avoir acquis une certaine respectabilité, notamment auprès des milieux européens et des sphères académiques, comment les Eurobaromètres peuvent-ils conquérir une légitimité certaine auprès des gouvernements et des citoyens ?
Jacques-René Rarbier, fondateur des Eurobaromètres : l’esprit de prudence et d’audace
Le fondateur des Eurobaromètres, ancien collaborateur de Jean Monnet qui affirmait : « Il faut que les gens sachent ce que nous faisons » a rappelé la genèse de l’attention des institutions européennes pour les sondages.
En 1962, le Service de presse et d’information de la Communauté européenne fit faire par Gallup international une première enquête, dans les six pays que comptait alors la Communauté. Les résultats en ont été publiés dans la revue « Sondages ». Simultanément, quatre monographies ont été réalisées dans quatre villes : Unna (Allemagne), Sedan (France), Voghera (Italie) et Wageningen (Pays-Bas).
Par la suite, en tant que directeur général à l’information, Jacques-René Rabier intéressait le Parlement européen, et notamment le Rapporteur pour l’Information, à ce genre d’enquêtes. Ce fut lorsqu’il fut amené à quitter son poste, début 1973, à l’arrivée des Britanniques, qu’il proposa au Président Ortoli de créer un système permanent de sondages périodiques, afin de permettre à la Commission de mieux informer les Européens.
Approuvé par la Commission et le Parlement européen, le premier « Eurobaromètre » fut mis sur le terrain, dans les neuf pays membres, en avril-mai 1974, et publié en juillet. Le choix des questions relève à la fois de la prudence et de l’audace :
- Quels sont les problèmes les plus importants pour votre gouvernement national ?
- Quelle sera l’importance probable de ces problèmes dans 4/5 ans ?
- Quelle serait votre préférence pour résoudre ces problèmes entre une action solidaire entre les Etats-membres ou des actions indépendantes de chaque Etat ?
Parce qu’on ne peut parler des Eurobaromètres sans poser quelques questions, Jacques-René Rarbier a conclu par une série de questions adressées à ses successeurs :
- Sont-ils satisfaits de l’attention portée par les medias aux résultats des Eurobaromètres ?
- La politique d’information de la Commission tient-elle compte suffisamment des résultats des Eurobaromètres ?
- La coopération entre les services de la Commission et ceux du Parlement européen, dans ce domaine du suivi de « l’opinion publique » est-elle suffisante ?
Dominique Reynié, Professeur à Science-Po : la conquête des sciences sociales et le défaut politique des Eurobaromètres
Les Eurobaromètres ont une singularité méconnue, une utilité multiforme et une potentialité énorme.
Au niveau des fonctions des Eurobaromètres, c’est dans l’ambition de départ (l’acte politique fort de mesurer pour comprendre et pour agir) que réside l’ambiguïté d’aujourd’hui (la suite politique aurait été de mesurer pour mieux se connaître soi-même dans une dialectique acceptée entre le public-objet de mesure et le public-acteur).
Au niveau des « passagers clandestins » des Eurobaromètres, c’est le triomphe méthodologique dans les sciences sociales qui souffrent d’un biais stato-national : « les Eurobaromètres ont dénationalisé les sciences sociales ». Mais, c’est également le défaut de toute dimension politique… qui va avec tout le reste des défauts de la construction européenne.
Comment les Eurobaromètres pourraient-il contribuer à représenter le peuple européen différemment ? Comment pourraient-ils permettre aux Européens de se découvrir comme une communauté en propre ?
D’abord, en articulant de manière plus rapide et fréquente les Eurobaromètres avec des controverses entre Européens. Mesurer des questions en tension et des différences d’opinion pourraient fonder nos accords et nos désaccords en tant que communauté.
Ensuite, en revenant en information auprès des Européens, en offrant un reflet immédiat auprès de ceux qui sont mesurés afin que nous nous reconnaissions comme une entité politique et que nous développions un sentiment d’appartenance.
Enfin, en incluant des questions propres aux Européens sur leurs valeurs (place des religion, importance de l’égalité homme/femme, respect de l’homosexualité, diversité…) qui permettrait de représenter un point de vue européen dans le monde, et aux yeux du monde entier.
Dominique Reynié a conclu son intervention par une invitation à poursuivre et amplifier les Eurobaromètres pour « sismographier » les opinions dans les réseaux sociaux, via le big data…
Sixtine Bouygues, Directrice stratégie et communication corporate : l’héritage à transmettre et les réformes/innovations à mener
Les missions des Eurobaromètres se sont peu à peu précisées :
Dès le départ, la première mission consiste à suivre les phénomènes d’opinion au sein des Etats-membres de l’UE.
Au fur et à mesure, l’instrument a permis de renseigner les acteurs politiques européens, à la fois pour illustrer avec des données chiffrées mais également pour orienter certaines politiques publiques européennes, comme par exemple les actions de l’UE concernant le Roaming.
Plus récemment, les Eurobaromètres ont été utilisés à des fins de communication, pour confirmer et légitimer le besoin d’une meilleure information des citoyens sur l’Europe ou d’un message clair de l’UE.
Aujourd’hui, le besoin de reformes et d’innovations est un chantier en cours visant notamment à mieux les diffuser, à révéler des tendances sociétales, à exploiter des résultats conjointement avec l’étude des réseaux sociaux, à assurer l’open-data des données…
Yves Bertoncini, Directeur de Notre Europe : les Eurobaromètres, une mine d’or à ciel ouvert, sous exploité mais aussi à creuser
Entre l’UE et les opinions publiques, l’intérêt n’est pas réciproque. Tandis que l’UE adore s’intéresser aux opinions publiques, l’inverse est loin d’être vrai. Pourtant, les Eurobaromètres qui servent à informer les acteurs politiques européens devaient surtout toucher les Européens eux-mêmes.
Comme le fondateur des Eurobaromètres, Yves Bertoncini s’interroge sur la bonne prise en compte des résultats, et des différences, dans les politiques d’information et de communication de l’UE dans les Etats-membres.
Concernant l’intérêt des décideurs pour les Eurobaromètres, Yves Bertoncini suggère qu’en complément des Eurobaromètres semestriels actuels, des « Eurothermomètres » qui soient plus « à chaud et à vif » mesurant des sujets conflictuels… la dictature des sondages à l’échelle de l’UE n’étant pas une crainte à court terme contrairement à l’échelle nationale où les hommes politiques doivent se soucier de leur réélection.
Concernant l’intérêt des citoyens pour les Eurobaromètres, Yves Bertoncini insiste pour rendre plus visibles les résultats dans les médias, ce qui soulèvent toute une série de recommandations allant du site à améliorer, aux rapports à mieux présenter, à une meilleure exploitation des réseaux sociaux et à des voies complémentaires touchant à des enjeux de sociabilité plus impertinents, des comparaisons internationales et des enquêtes qualitatives.
Carine Marcé, Directrice à TNS Sofres : les Eurobaromètres, le rêve et le cauchemar du sondeur
Le rêve, c’est évidemment les données disponibles dans le temps et dans l’espace (à l’échelle de l’UE depuis 1974) qui permettent des usages pour partager et enrichir les analyses, pour comparer et fusionner des enquêtes…
Le cauchemar, c’est davantage le défaut d’une vision globale et d’une réflexion transversale, accessible et synthétique.
L’enjeu est à la fois de conserver le meilleur de l’enquête de terrain tout en parvenant à mieux valoriser les résultats tant par l’opendata que par la visualisation des données.
Au total, les 40 ans des Eurobaromètres ont permis de mesurer le chemin déjà parcouru vers une meilleure connaissance de l’opinion publique européenne au bénéfice des acteurs publics européens et des chercheurs en sciences sociales et le chemin qui reste à parcourir pour que les Européens aient une meilleure représentation, notamment dans les médias, de leurs opinions en tant que communauté.