Archives mensuelles : mai 2012

Initiative citoyenne européenne : qui détient le pouvoir de cet outil de lobbying ?

Après l’entrée en vigueur des initiatives citoyennes européennes (ICE) le 1er avril dernier, la première ICE « Fraternité 2020 – Mobility. Progress. Europe. » a été présentée par la Commission européenne à l’occasion de la journée de l’Europe. Indice ou symptôme, que révèlent les premières ICE ?

Initiative citoyenne européenne : un nouveau pouvoir pour instrumentaliser les citoyens entre les mains de la Commission européenne

Seule institution européenne ne disposant pas d’une légitimité issue directement des citoyens (comme le Parlement européen avec l’élection) ou indirectement (comme le Conseil de l’UE avec les gouvernements représentatifs), la Commission européenne se voit octroyer un nouveau pouvoir « civique » avec le droit d’initiative citoyenne.

En principe, l’ICE est conçue pour permettre aux citoyens de faire entendre leur voix entre les élections et d’accroître la légitimité du processus décisionnel européen en incluant une capacité de pression des citoyens sur les initiatives de la Commission.

En pratique, l’ICE risque de devenir un nouvel outil à la disposition de la Commission européenne pour exercer une nouvelle forme de pression sur les autres institutions européennes au nom des citoyens, ayant réussi à réunir 1 million de signatures sur une proposition.

Maîtrisant intégralement la procédure : du contrôle ex ante des ICE autorisées à l’opportunité ex post de décider ou non de donner une suite, la Commission européenne semble la grande bénéficiaire de cette nouvel instrument de « démocratie participative ».

Initiative citoyenne européenne : un nouveau cauchemar dans la société civile pour organiser l’expression des citoyens

Face aux multiples risques de la procédure tant en raison de la mainmise de la Commission que de la difficulté à agir sur une année, en respectant à la fois les quotas par pays et les contraintes sur la qualité des signatures, les organisations de la société civile risquent de réfléchir à deux fois avant de se lancer dans une ICE.

Seuls les acteurs disposant à la fois d’une cause populaire et des ressources suffisantes pour réaliser la campagne de collecte des signatures – donc des ONG internationales ou des entreprises multinationales – se lanceront dans une « vraie » ICE.

D’autres acteurs moins dotés désireux de renforcer leur réseau européen en trouvant de nouveaux partenaires ralliés à la cause de leur ICE ou de mener une campagne de notoriété auprès des parties prenantes européennes sans forcément s’assurer du succès de la collecte des signatures se lanceront dans l’ICE.

Au total, les ICE n’apparaissent vraiment pas comme un nouvel instrument d’empowerment des citoyens, tout au plus, un nouvel outil de lobbying discriminant tant les obstacles à surmonter sont nombreux.

Comment renverser les initiatives citoyennes européennes pour en faire un moyen de pression sur la Commission ?

Bruno Kaufmann dans « Europe Day: Hard challenges, soft democracy » décrypte le vice des premières ICE à la fois trop lyriques et europhiles et en même temps très compatibles avec les intentions de la Commission :

Initiative proposals like “Fraternité 2020” and the upcoming “Right to Water” and “Let me Vote” are still very much an immature way of using the new instrument. They do not concern tough legislative proposals but address the Commission in a old-style petition manner. Such initiatives are not challenging. There is nothing new in it and nothing which opposes current policies.

Traduction : Les propositions des ICE, comme « Fraternité 2020 », « Droit à l’eau » et « Laissez-moi voter » sont encore très immatures dans la façon d’utiliser le nouvel instrument. Il ne s’agit pas de propositions législatives difficiles, mais d’une adresse à la Commission à la manière des pétitions à l’ancienne. De telles initiatives ne donnent aucun défi à la Commission. Il n’y a rien de nouveau et rien qui s’oppose à des politiques actuelles.

Plutôt que de s’adresser à l’idéalisme de jeunes Européens motivés sur le continent et de faire plaisir à la Commission avec des propositions qui auraient pu être envisagées en interne, les organisateurs d’ICE doivent proposer des sujets qui touchent la vie quotidienne des citoyens et qui ambitionnent de faire évoluer la législation européenne.

Ainsi, face à une initiative citoyenne européenne prétendument capable d’empowerment selon la Commission européenne, les organisateurs doivent plutôt viser l’enlightment des citoyens européens.

Elections présidentielles en France et réactions politiques des personnalités européennes

Le résultat du second tour de l’élection présidentielle en France permet de noter les différentes manières qu’ont eues les personnalités européennes de communiquer à cette occasion…

Un soutien quant aux orientations de « politics » du nouveau président français pour l’un des seuls Commissaire social-démocrate

László Andor, l’un des rares Commissaire européen social-démocrate dans le collège présidé par José Manuel Barroso, a exprimé sa proximité partisane et son soutien politique d’une manière discrète mais significative.
Comme le raconte Ronny Patz dans « Applause from Commissioner Andor for the socialist turn in France », le compte twitter du Commissaire @LaszloAndorEU a retwitté un statut publié par le président social démocrate du Parlement européen, Martin Schulz :
« Félicitations à François Hollande! C’est le moment de changer de direction en Europe. #FH2012 ».

Une revanche personnelle quant aux décisions partisanes de l’ancien président français pour Viviane Reding

Viviane Reding, Commissaire à la Justice, s’était vivement opposée aux expulsions de Roms par le gouvernement français en septembre 2010. Une crise qui s’était soldée par le franchissement de ligne de part et d’autre (cf. Jean Quatremer : « Roms: Le dérapage de Viviane Reding et la colère de Nicolas Sarkozy »).

Qualifié par le journaliste Jean-Sébastien Lefebvre de « meilleur tweet de la soirée électorale », la réaction de Viviane Reding est un plat qui se mange froid : « Une France de la justice – enfin! #presidentielles2012 ». Par ailleurs, dès le lendemain, selon RTBF, deux députés européens français de droite ont demandé des excuses à la Commissaire européenne.

Une tentative d’alliance quant aux décisions de « policy » pour le président Barroso

Le président de la Commission européenne – soucieux de replacer la méthode communautaire et lae pouvoir d’impulsion de son institution en bon ordre après qu’elle ait été malmenée par la démarche intergouvernementale du couple Merkozy – a « félicité à titre personnel [François Hollande] de ne pas avoir cédé aux discours populistes et anti-européens, a indiqué à l’AFP un porte-parole » ; une référence aux prises de position « musclées » de Nicolas Sarkozy lors du discours à Villepinte pour la révision des accords de Schengen et la création d’un Buy European Act, sous la pression d’un ultimatum français.

Selon Yacine Le Forestier, directeur du bureau de l’AFP à Bruxelles : « Barroso rêve de profiter de Hollande pour revenir dans le jeu européen où il est marginalisé. In his dreams? ». Par ailleurs, Barroso chercherait, selon la dépêche, « à savoir si le futur président socialiste sera plus enclin à accepter un futur budget pluri-annuel important pour l’UE ».

Bref, les réactions politiques à l’élection présidentielle en France sont signifiantes de l’état d’esprit des personnalités européennes : chacun instrumentalise les résultats électoraux en fonction de ses propres intérêts.

Journée mondiale de la liberté de la presse : la Commission européenne s’offre une polémique avec les journalistes

Quelle meilleure manière de célébrer (sic) aujourd’hui la Journée mondiale de la liberté de la presse que de refuser un point presse aux journalistes, alors que le probable futur Premier ministre chinois Li Keqiang rencontre Herman Van Rompuy et José Manuel Barroso à Bruxelles ?

Le jour de la journée mondiale de la liberté de la presse, la Commission européenne refuse un point presse à l’occasion d’une visite importante d’un dignitaire chinois

Plusieurs journalistes, notamment le correspondant de l’agence AFP à Bruxelles, se sont plaints, ce matin, que le responsable chinois (et les dirigeants européens) n’ait « pas retenu l’option d’un point presse » lors de sa visite à Bruxelles.

La réaction du service de porte-parole de la Commission européenne est d’un humour déplacé puisque la porte-parole répond que la liberté de la presse est « saine et sauve puisque l’Association internationale de la presse peut critiquer l’absence de point presse » à l’occasion de la visite du dignitaire chinois à Bruxelles.

L’Association internationale de la presse dépose une plainte formelle contre le service de presse de la Commission européenne

En signe de protestation, la journée étant pour le moins mal choisie pour se comporter ainsi avec les correspondants de presse, l’Association international de la presse dépose une plainte formelle contre le service de presse de la Commission européenne.

Bref, la Commission européenne s’offre une polémique regrettable, qui ne fait que renforcer les tensions existantes entre le service de porte-parole et les correspondants de presse à Bruxelles.

Quelle est l’opinion des Français en matière d’information sur l’Europe ?

Deux Français sur trois, se sentent mal informés sur l’Union européenne (66%) et plus de trois Français sur quatre souhaitent que les responsables politiques français, mais également les médias, parlent davantage de l’Europe (76%). Ce sont les principaux résultats du dernier Eurobaromètre Flash 346 « Les Français et l’Union européenne », réalisé au printemps 2012. Comment les interpréter ?

Paradoxe sociologique du sentiment d’information perçu sur la vie politique de l’UE : les moins diplômés et les chômeurs s’estiment mieux informés que les plus diplômés et les cadres

Selon l’enquête Eurobaromètre (pages 14/15), l’information sur la vie politique européenne fait l’objet d’un paradoxe sociologique puisque ce sont les personnes ayant quitté l’école le plus tôt qui se disent les mieux informées. De même, les chômeurs (35%) se sentent mieux informés que les cadres (24%) :

Alors que les logiques sociologiques sont assez classiques en ce qui concerne le sentiment d’information sur la vie politique française (avec notamment un meilleur sentiment d’information chez les plus diplômés), les variations sont parfois un peu plus surprenantes en ce qui concerne l’information sur la vie politique dans l’UE.

Comment analyser ce niveau d’information « sociologiquement paradoxal » sur la vie politique de l’UE ?

S’agit-il d’une telle indifférence, d’un tel profond désintérêt, voire d’une défiance des classes populaires pour l’UE au point que les populations les moins diplômées jouent « la provocation » de s’estimer les mieux informées, alors que le niveau d’information sur l’UE est objectivement faible en France ?

S’agit-il d’une résignation, d’un abandon de toute idée d’être mieux informé chez les populations les moins diplômées qui – faute d’un effort de pédagogie dans les médias – s’estiment les mieux informés, puisque de toute façon l’information européenne est de toute façon incompréhensible, inaudible ?

Souhait de davantage de la thématique européenne dans le discours des politiques et dans les médias

Selon l’enquête Eurobaromètre, pour le souhait très majoritaire chez les Français de davantage d’information sur l’UE chez les hommes politiques et dans les médias, « les tendances sociodémographiques sont, dans l’ensemble, peu marquées avec très peu de différences selon le sexe et l’âge et un souhait fréquemment plus prononcé chez les plus diplômés. (…) En cohérence avec les différences selon le niveau d’éducation, les cadres sont plus nombreux que les ouvriers à souhaiter davantage d’Europe dans le discours des politiques et les médias ».

Comment analyser ce souhait d’informations sur la vie politique de l’UE dans les médias et les discours des responsables politiques ?

S’agit-il, selon Julien Zalc, consultant pou TNS-Sofres, dans une note de la Fondation Robert Schuman « Les Français et l’Europe : vérités et surprises » de « faire l’hypothèse qu’ils [les Français] aimeraient peut-être entendre un discours plus positif et fédérateur sur l’Union et ses institutions que celui qui leur a été proposé » [pendant la campagne des élections présidentielles] ?

S’agit-il au contraire d’un souhait d’une présence de la thématique européenne moins « politiquement correcte », c’est-à-dire d’une information européenne qui soit plus plurielle, plus nuancée tant dans les discours politiques et les médias ?

Bref, l’analyse de l’opinion des Français en matière d’information sur l’Europe est complexe tant d’une part par un paradoxe sociologique quant au sentiment sur le niveau d’information actuel et d’autre part par un biais politique quant au souhait sur le niveau d’information à venir.

Pourquoi l’organisation de la communication à la Commission européenne n’est pas optimale ?

Philippe Aldrin dans « Producteurs, courtiers et experts de l’information européenne » met en lumière le « management paradoxal des gens d’information et de communication dans la bureaucratie communautaire ». Quelles sont les raisons de cette relative désorganisation de la communication au sein de la Commission européenne ?

Des raisons symboliques : la place des « gens d’information » dans l’ordre symbolique des postes de fonctionnaires

Parmi les explications de l’inefficacité de la communication au sein de la Commission européenne, « l’absence de « grand » Commissaire ou de Commissaire véritablement investi dans les problèmes de communication engendre l’absence de grandes missions, de grands enjeux ».

Autrement dit, les missions d’information et de communication – cantonnées en seconde zone au sein du Collège des Commissaires, hormis lors du mandat de Margot Wallström, Vice-Présidente de la CE, responsable de la stratégie de communication – ne sont pas valorisées dans la carrière et le cursus honorum d’un fonctionnaire européen.

Des raisons historiques : la réputation d’amateurisme de la « DG des bras cassés »

Dans l’enquête de Philippe Aldrin, « les acteurs des premières années racontent tous – unanimement – l’image de « saltimbanques » (…) de « poètes » des gens d’information au sein de l’administration naissante.

Cette réputation d’amateurisme des fonctionnaires travaillant dans la communication collera le surnom de la « DG des bras cassés », « des tâches littéraires et futiles » à la direction X de l’information. La création de la DG COMM en 2006 et la création d’un concours spécialisé en communication en 2007 tendent à professionnaliser la communication au sein de la Commission européenne.

Des raisons « génétiques »  la fragmentation entre les porte-paroles et les communicants

Dans un document interne à la Commission remontant à 1961, la division du travail au sein de la Commission entre le « Groupe du porte-parole de la Commission » et le « Service commun presse et information des Communautés européennes » est très marquée :

Le Service commun de presse et d’information est commun aux Exécutifs des trois Communautés européennes. […] La tâche du Service commun est d’assurer l’information à longue échéance […].

Le porte-parole doit essentiellement suivre dans les détails quotidiens l’activité de la Commission et en interpréter à tout moment la politique. Son action d’information est donc une action à court terme, rapide et officielle. Le Groupe du porte-parole a une tâche d’information générale, et non une tâche d’information technique […].

Ainsi, « un principe de division des tâches d’information-communication au sein des institutions communautaires » limite la possibilité de voir émerger un centre névralgique unique de l’information et de la communication au sein de la Commission :

  • « le SPI (puis la DG X) édite des brochures sur les activités communautaires et entretient des « relations publiques » avec quelques groupes spécifiques. Chargé de la communication institutionnelle, le SPI diffuse régulièrement une information synthétisant et expliquant les grandes lignes du travail communautaire. »
  • « les porte-parole exposent la position des présidents et des commissaires des Communautés sur les sujets sensibles, importants. En lien avec les cabinets, les porte-parole défendent les dossiers « chauds » qui font l’actualité et qui nécessitent la maîtrise d’une mise à l’épreuve médiatique. »

Par ailleurs, ce qui ne fait que renforcer la ligne de fracture, au-delà des personnalités qui incarne ces services : « Généralement, les porte-parole sont pour plus de la moitié d’entre eux des journalistes recrutés personnellement par les Commissaires alors que les agents de la DG X sont très majoritairement des fonctionnaires qui effectuent un passage long dans cette DG où les promotions sont lentes du fait de la pérennité en poste des chefs d’unité et des directeurs ».

Des raisons structurelles  la centralité très relative des services centraux

Le principal obstacle à l’émergence d’un centre administratif de l’information et de la communication – capable de définir et de coordonner la stratégie de communication de la Commission européenne – réside dans la dispersion des services communication dans les différentes directions générales de la Commission : « Les services spécialisés des autres DG et institutions de l’UE ont contribué à fragmenter le travail d’information-communication. »

Certes, le nombre d’agents attachés à la DG COMM est important, puisque ce chiffre atteint aujourd’hui près de 1 000 personnes alors qu’il ne représentait qu’une petite centaine de fonctionnaires à l’époque du passage du SPI à la DG X et que la moyenne du nombre d’agents par DG est de six cents agents.

Mais, cette donnée doit à relativiser. Non seulement 90 de ces agents dépendent du SPP et que plus de 500 se répartissent dans les représentations de la Commission dans les États membres. Mais surtout, certaines DG disposent de services de communication assez étoffés et, surtout, structurées en véritables services de communication :

  • Unité A.1 Communication externe et interne de la DG économie et finances qui compte vingt agents ;
  • Unité R.4 Communication et information de la DG entreprises et industrie qui compte 25 agents ;
  • Unité 1 Politiques de communication et relations interinstitutionnelles (directement rattachée au Directeur général) de la DG concurrence qui compte seize agents ;
  • Unité A.4 Communication interne et externe de la DG marché intérieur et services qui compte plus de trente agents…

Au siège de la Commission européenne à Bruxelles, il n’est pas loin d’imaginer qu’il y autant de communicants au sein de la DG COMM qu’au sein de toutes les autres directions. Selon Philippe Aldrin, « traditionnellement, ces services sectoriels de communication n’ont aucun lien de subordination avec la DG COMM. Ils bénéficient de lignes budgétaires propres et sont sous l’autorité de leur directeur général, exerçant lui-même sous l’autorité du Commissaire ayant mandat sur la DG ». Ainsi, ces services de communication sont autant d’instrument de pression « dans le rapport de force entre les services ou les institutions ».

A titre d’exemple, la campagne de communication « de référence » au sein de la Commission européenne n’a pas été menée par la DG COMM. « La campagne pour le lancement de l’euro en 2002 a été initiée et pilotée par le commissaire aux affaires économiques, monétaires et financières, Yves-Thibault de Silguy, avec l’appui de ses propres services de communication ».

Ainsi, de nombreuses raisons expliquent pourquoi l’organisation de la communication au sein de la Commission européenne n’est pas optimale, ce qui n’est pas sans conséquence sur la conception, la coordination et la réalisation de la moindre stratégie de communication.