Pourquoi l’organisation de la communication à la Commission européenne n’est pas optimale ?

Philippe Aldrin dans « Producteurs, courtiers et experts de l’information européenne » met en lumière le « management paradoxal des gens d’information et de communication dans la bureaucratie communautaire ». Quelles sont les raisons de cette relative désorganisation de la communication au sein de la Commission européenne ?

Des raisons symboliques : la place des « gens d’information » dans l’ordre symbolique des postes de fonctionnaires

Parmi les explications de l’inefficacité de la communication au sein de la Commission européenne, « l’absence de « grand » Commissaire ou de Commissaire véritablement investi dans les problèmes de communication engendre l’absence de grandes missions, de grands enjeux ».

Autrement dit, les missions d’information et de communication – cantonnées en seconde zone au sein du Collège des Commissaires, hormis lors du mandat de Margot Wallström, Vice-Présidente de la CE, responsable de la stratégie de communication – ne sont pas valorisées dans la carrière et le cursus honorum d’un fonctionnaire européen.

Des raisons historiques : la réputation d’amateurisme de la « DG des bras cassés »

Dans l’enquête de Philippe Aldrin, « les acteurs des premières années racontent tous – unanimement – l’image de « saltimbanques » (…) de « poètes » des gens d’information au sein de l’administration naissante.

Cette réputation d’amateurisme des fonctionnaires travaillant dans la communication collera le surnom de la « DG des bras cassés », « des tâches littéraires et futiles » à la direction X de l’information. La création de la DG COMM en 2006 et la création d’un concours spécialisé en communication en 2007 tendent à professionnaliser la communication au sein de la Commission européenne.

Des raisons « génétiques »  la fragmentation entre les porte-paroles et les communicants

Dans un document interne à la Commission remontant à 1961, la division du travail au sein de la Commission entre le « Groupe du porte-parole de la Commission » et le « Service commun presse et information des Communautés européennes » est très marquée :

Le Service commun de presse et d’information est commun aux Exécutifs des trois Communautés européennes. […] La tâche du Service commun est d’assurer l’information à longue échéance […].

Le porte-parole doit essentiellement suivre dans les détails quotidiens l’activité de la Commission et en interpréter à tout moment la politique. Son action d’information est donc une action à court terme, rapide et officielle. Le Groupe du porte-parole a une tâche d’information générale, et non une tâche d’information technique […].

Ainsi, « un principe de division des tâches d’information-communication au sein des institutions communautaires » limite la possibilité de voir émerger un centre névralgique unique de l’information et de la communication au sein de la Commission :

  • « le SPI (puis la DG X) édite des brochures sur les activités communautaires et entretient des « relations publiques » avec quelques groupes spécifiques. Chargé de la communication institutionnelle, le SPI diffuse régulièrement une information synthétisant et expliquant les grandes lignes du travail communautaire. »
  • « les porte-parole exposent la position des présidents et des commissaires des Communautés sur les sujets sensibles, importants. En lien avec les cabinets, les porte-parole défendent les dossiers « chauds » qui font l’actualité et qui nécessitent la maîtrise d’une mise à l’épreuve médiatique. »

Par ailleurs, ce qui ne fait que renforcer la ligne de fracture, au-delà des personnalités qui incarne ces services : « Généralement, les porte-parole sont pour plus de la moitié d’entre eux des journalistes recrutés personnellement par les Commissaires alors que les agents de la DG X sont très majoritairement des fonctionnaires qui effectuent un passage long dans cette DG où les promotions sont lentes du fait de la pérennité en poste des chefs d’unité et des directeurs ».

Des raisons structurelles  la centralité très relative des services centraux

Le principal obstacle à l’émergence d’un centre administratif de l’information et de la communication – capable de définir et de coordonner la stratégie de communication de la Commission européenne – réside dans la dispersion des services communication dans les différentes directions générales de la Commission : « Les services spécialisés des autres DG et institutions de l’UE ont contribué à fragmenter le travail d’information-communication. »

Certes, le nombre d’agents attachés à la DG COMM est important, puisque ce chiffre atteint aujourd’hui près de 1 000 personnes alors qu’il ne représentait qu’une petite centaine de fonctionnaires à l’époque du passage du SPI à la DG X et que la moyenne du nombre d’agents par DG est de six cents agents.

Mais, cette donnée doit à relativiser. Non seulement 90 de ces agents dépendent du SPP et que plus de 500 se répartissent dans les représentations de la Commission dans les États membres. Mais surtout, certaines DG disposent de services de communication assez étoffés et, surtout, structurées en véritables services de communication :

  • Unité A.1 Communication externe et interne de la DG économie et finances qui compte vingt agents ;
  • Unité R.4 Communication et information de la DG entreprises et industrie qui compte 25 agents ;
  • Unité 1 Politiques de communication et relations interinstitutionnelles (directement rattachée au Directeur général) de la DG concurrence qui compte seize agents ;
  • Unité A.4 Communication interne et externe de la DG marché intérieur et services qui compte plus de trente agents…

Au siège de la Commission européenne à Bruxelles, il n’est pas loin d’imaginer qu’il y autant de communicants au sein de la DG COMM qu’au sein de toutes les autres directions. Selon Philippe Aldrin, « traditionnellement, ces services sectoriels de communication n’ont aucun lien de subordination avec la DG COMM. Ils bénéficient de lignes budgétaires propres et sont sous l’autorité de leur directeur général, exerçant lui-même sous l’autorité du Commissaire ayant mandat sur la DG ». Ainsi, ces services de communication sont autant d’instrument de pression « dans le rapport de force entre les services ou les institutions ».

A titre d’exemple, la campagne de communication « de référence » au sein de la Commission européenne n’a pas été menée par la DG COMM. « La campagne pour le lancement de l’euro en 2002 a été initiée et pilotée par le commissaire aux affaires économiques, monétaires et financières, Yves-Thibault de Silguy, avec l’appui de ses propres services de communication ».

Ainsi, de nombreuses raisons expliquent pourquoi l’organisation de la communication au sein de la Commission européenne n’est pas optimale, ce qui n’est pas sans conséquence sur la conception, la coordination et la réalisation de la moindre stratégie de communication.

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