Initiative citoyenne européenne : qui détient le pouvoir de cet outil de lobbying ?

Après l’entrée en vigueur des initiatives citoyennes européennes (ICE) le 1er avril dernier, la première ICE « Fraternité 2020 – Mobility. Progress. Europe. » a été présentée par la Commission européenne à l’occasion de la journée de l’Europe. Indice ou symptôme, que révèlent les premières ICE ?

Initiative citoyenne européenne : un nouveau pouvoir pour instrumentaliser les citoyens entre les mains de la Commission européenne

Seule institution européenne ne disposant pas d’une légitimité issue directement des citoyens (comme le Parlement européen avec l’élection) ou indirectement (comme le Conseil de l’UE avec les gouvernements représentatifs), la Commission européenne se voit octroyer un nouveau pouvoir « civique » avec le droit d’initiative citoyenne.

En principe, l’ICE est conçue pour permettre aux citoyens de faire entendre leur voix entre les élections et d’accroître la légitimité du processus décisionnel européen en incluant une capacité de pression des citoyens sur les initiatives de la Commission.

En pratique, l’ICE risque de devenir un nouvel outil à la disposition de la Commission européenne pour exercer une nouvelle forme de pression sur les autres institutions européennes au nom des citoyens, ayant réussi à réunir 1 million de signatures sur une proposition.

Maîtrisant intégralement la procédure : du contrôle ex ante des ICE autorisées à l’opportunité ex post de décider ou non de donner une suite, la Commission européenne semble la grande bénéficiaire de cette nouvel instrument de « démocratie participative ».

Initiative citoyenne européenne : un nouveau cauchemar dans la société civile pour organiser l’expression des citoyens

Face aux multiples risques de la procédure tant en raison de la mainmise de la Commission que de la difficulté à agir sur une année, en respectant à la fois les quotas par pays et les contraintes sur la qualité des signatures, les organisations de la société civile risquent de réfléchir à deux fois avant de se lancer dans une ICE.

Seuls les acteurs disposant à la fois d’une cause populaire et des ressources suffisantes pour réaliser la campagne de collecte des signatures – donc des ONG internationales ou des entreprises multinationales – se lanceront dans une « vraie » ICE.

D’autres acteurs moins dotés désireux de renforcer leur réseau européen en trouvant de nouveaux partenaires ralliés à la cause de leur ICE ou de mener une campagne de notoriété auprès des parties prenantes européennes sans forcément s’assurer du succès de la collecte des signatures se lanceront dans l’ICE.

Au total, les ICE n’apparaissent vraiment pas comme un nouvel instrument d’empowerment des citoyens, tout au plus, un nouvel outil de lobbying discriminant tant les obstacles à surmonter sont nombreux.

Comment renverser les initiatives citoyennes européennes pour en faire un moyen de pression sur la Commission ?

Bruno Kaufmann dans « Europe Day: Hard challenges, soft democracy » décrypte le vice des premières ICE à la fois trop lyriques et europhiles et en même temps très compatibles avec les intentions de la Commission :

Initiative proposals like “Fraternité 2020” and the upcoming “Right to Water” and “Let me Vote” are still very much an immature way of using the new instrument. They do not concern tough legislative proposals but address the Commission in a old-style petition manner. Such initiatives are not challenging. There is nothing new in it and nothing which opposes current policies.

Traduction : Les propositions des ICE, comme « Fraternité 2020 », « Droit à l’eau » et « Laissez-moi voter » sont encore très immatures dans la façon d’utiliser le nouvel instrument. Il ne s’agit pas de propositions législatives difficiles, mais d’une adresse à la Commission à la manière des pétitions à l’ancienne. De telles initiatives ne donnent aucun défi à la Commission. Il n’y a rien de nouveau et rien qui s’oppose à des politiques actuelles.

Plutôt que de s’adresser à l’idéalisme de jeunes Européens motivés sur le continent et de faire plaisir à la Commission avec des propositions qui auraient pu être envisagées en interne, les organisateurs d’ICE doivent proposer des sujets qui touchent la vie quotidienne des citoyens et qui ambitionnent de faire évoluer la législation européenne.

Ainsi, face à une initiative citoyenne européenne prétendument capable d’empowerment selon la Commission européenne, les organisateurs doivent plutôt viser l’enlightment des citoyens européens.

3 réflexions sur « Initiative citoyenne européenne : qui détient le pouvoir de cet outil de lobbying ? »

  1. Fabien

    C’est un peu facile de critiquer l’ICE par principe parce qu’il n’y a pas encore de grandes structures suffisamment fortes pour porter aisément un dossier devant la Commission. Mais il est vrai que pour l’instant, on a du mal à voir ce que nous allons avoir comme premières grandes ICE qui seront mobilisatrices et qui feront écho à un vrai débat transnational.

    Par ailleurs, je suis beaucoup moins critique que toi sur le contrôle a priori par la Commission européenne. Le fait qu’on ne puisse pas proposer une pétition pour rétablir la peine de mort ou interdire l’IVG sur tout le territoire de l’Union, cela ne me choque pas car cela va à l’encontre des valeurs européennes. Il est donc plutôt sain qu’une association (ou un conglomérat d’associations) s’engage dans une collecte qui ne servira pas au final.

    Cela donne un pouvoir fort à la Commission européenne mais elle n’a aucun intérêt à bloquer une ICE. Ce sera surtout la pratique qui nous dira ce qu’il en est. Pas la peine de prédire déjà le non-succès de l’ICE, même si ce n’est clairement pas gagné.

    Enfin, je suis tout à fait d’accord avec toi sur la notion de lobbying, mais l’emploies-tu dans le sens négatif ou considères-tu que les associations sont des lobbies citoyens ? (c’est mon cas)

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  2. Michael Malherbe Auteur de l’article

    Merci Fabien pour ce commentaire.

    Concernant la maîtrise de la procédure par la CE, j’ai juste souhaité pointer que cette institution était « la grande bénéficiaire » de l’ICE… ce qui n’est pas un point de vue très « critique », tu en conviendras.

    Sur la notion de « lobbying », je l’emploie dans son sens professionnel de représentation et de défense des intérêts d’un groupe donné, quelque soit ce groupe et ces intérêts.

    Bien plus que de prédire « le non-succès de l’ICE », je tente – au contraire – de réfléchir aux conditions pour que ce soit un vrai progrès.

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