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Les réseaux sociaux ne font pas l’élection, mais ils en écrivent le scénario

« La réponse est forcément non, mais quelle est la vraie question ? », Woody Allen. La « vraie » question posée lors des Rencontres économiques d’Aix est la suivante : « Les réseaux sociaux déterminent-ils le vote ? ». C’est une question sur toutes les lèvres à l’approche de chaque scrutin.

La réponse la plus honnête, inspirée de Woody Allen, est un « non » nuancé. Non, les plateformes ne déposent pas un bulletin dans l’urne à notre place. Mais elles ont radicalement transformé l’écosystème dans lequel se forment nos opinions, se forgent nos convictions et, in fine, se décident nos choix.

Le véritable enjeu n’est plus de savoir si les médias sociaux influencent, mais comment les réseaux sociaux reconfigurent le champ de la démocratie. Nous sommes passés d’une guerre d’opinion à une guerre de l’attention, dont le modèle économique des plateformes est le principal moteur et la polarisation, le carburant.

L’économie de l’indignation : un moteur économique, pas un complot politique

Il est crucial de le comprendre : le phénomène de polarisation, avec ses bulles de filtres et ses chambres d’écho, n’est pas le fruit d’une grande stratégie politique concertée. C’est la conséquence directe et mécanique du modèle économique des géants de la tech. Comme le souligne la journaliste Nesrine Slaoui, forte de ses 5 millions de vues mensuelles sur TikTok, « les plateformes ont besoin d’indignation permanente ». L’engagement, qu’il naisse d’émotions positives ou négatives, est la seule métrique qui vaille.

Jacques Attali le résume parfaitement : les réseaux sociaux sont un outil, un marteau qui peut construire ou détruire. Aujourd’hui, leur configuration actuelle « fonctionne contre la démocratie » en donnant la prime au sensationnel, à l’irrationnel et aux fausses nouvelles. Pourquoi ? Parce que ces contenus nourrissent nos biais cognitifs les plus primaires, liés à notre instinct de survie, et génèrent des réponses émotionnelles immédiates, bien plus virales qu’une analyse nuancée. Le résultat est une fabrique quasi-industrielle de la polarisation, dont les élections du Brexit, de Trump ou les scrutins plus récents en Roumanie et en Moldavie ont été les laboratoires à ciel ouvert.

Le nouveau champ de bataille : imposer l’agenda, pas l’opinion

L’erreur fondamentale serait de croire que le combat se joue encore dans la « fabrique de l’opinion ». Comme l’analyse Robert Zarader, la bataille a été déplacée en amont : elle porte sur ce dont nous devons parler. L’objectif n’est plus de vous convaincre, mais de saturer l’espace médiatique avec un agenda spécifique. La polarisation est l’outil le plus efficace pour y parvenir : plus une position est défendue avec véhémence, plus elle renforce et mobilise ceux qui s’y opposent, créant un vacarme qui rend inaudible tout autre sujet.

Donald Trump, avec sa plateforme Truth Social, a maîtrisé cet art à la perfection : raconter ses histoires, sans aucune contradiction, pour imposer sa propre post-réalité. Cette stratégie de la diversion est le principal ennemi de la démocratie. Elle crée une « fatigue informationnelle » massive – un Français sur deux déclare aujourd’hui s’extraire volontairement de l’actualité – et pousse les citoyens lassés des mauvaises nouvelles vers un repli sur des communautés de proximité, comme les boucles WhatsApp qui ont joué un rôle clé dans l’élection de Bolsonaro au Brésil.

La crise de confiance et la menace de désintermédiation

Cette dynamique engendre une conséquence dévastatrice : une perte de confiance généralisée envers les institutions traditionnelles, médias et politiques en tête. Ce vide est immédiatement comblé. Les influenceurs, comme le montre le rapport de confiance des Français, deviennent la deuxième source d’information, juste après les médias traditionnels.

Pour les médias historiques, le risque, identifié par Sibylle Veil, PDG de Radio France, est double : être « désintermédié » par des plateformes comme X qui ambitionnent de les remplacer, ou devenir les complices inconscients de cette spirale en reprenant et en amplifiant le « buzz » et les fausses nouvelles pour ne pas perdre la course à l’audience. Résister à l’accélération et à la simplification devient un acte de responsabilité citoyenne.

Cette crise est désormais une question de sécurité géopolitique. La menace à peine voilée de J.D. Vance lors de la conférence sur la sécurité à Munich – « Si les Européens veulent réguler les GAFAM, nous sortirons de l’OTAN » – illustre que la régulation de l’espace informationnel est un enjeu de souveraineté majeur pour l’Europe.

Quelle stratégie pour reprendre le contrôle du réel

Face à ce constat, l’impuissance n’est pas une option. L’Union européenne a commencé à agir avec le Digital Services Act (DSA), une première étape essentielle. Mais il faut aller plus loin. Le projet de « bouclier démocratique » (democratic shield), évoqué par la Commission, doit devenir une priorité absolue.

Notre stratégie doit s’articuler autour de trois axes :

  1. Cibler le modèle économique, pas les contenus. Interdire les réseaux sociaux est une illusion, et sera très difficile à appliquer auprès des mineurs. La véritable solution réside dans une régulation stricte de leur cœur de réacteur : la publicité ciblée et les systèmes de recommandation algorithmique qui enferment et polarisent. Par exemple, il est inacceptable que les revenus publicitaires continuent de récompenser les comptes les plus viraux plutôt que les plus responsables.
  2. Renforcer l’esprit critique et l’éducation aux médias. La seule défense durable, comme le préconise Jacques Attali, est le développement de l’esprit critique à grande échelle. Cela passe par l’éducation, dès le plus jeune âge, aux mécanismes cognitifs que les plateformes exploitent. Il faut apprendre à notre cerveau à prendre de la distance et à trouver du plaisir dans la nuance et la complexité.
  3. Protéger le réel dans la post-réalité. La révolution de l’IA générative va accélérer de manière exponentielle la production de désinformation. Notre défi n’est plus seulement de vérifier les faits, mais de protéger le concept même de réalité partagée. Cela implique de soutenir un journalisme de qualité, capable de ralentir, de vérifier, de contextualiser et de rassembler là où les réseaux fragmentent.

Rebrancher les réseaux à la démocratie

« Le monde brûle et nous regardons tous notre téléphone ». Cette paraphrase d’un célèbre discours de Jacques Chirac résume notre paradoxe. La démocratie ne doit être prisonnière ni du paradoxe de Condorcet, qui suppose un système de valeurs communes pour que le choix collectif soit rationnel, ni du théorème d’Arrow sur l’impossibilité d’agréger les préférences individuelles. Or, les réseaux sociaux attaquent précisément ce socle de valeurs communes et exacerbent les préférences individuelles jusqu’à la caricature.

Dans la « société du spectacle » décrite par Guy Debord, où « le vrai n’est qu’un moment du faux », notre mission est claire. Les réseaux sociaux ne feront pas l’élection, mais si nous n’agissons pas, ils détruiront les conditions même de sa possibilité. Notre défi stratégique pour l’Europe n’est pas de débrancher les réseaux, mais de les rebrancher à la démocratie.

Gagner la guerre des récits : pour une stratégie de communication européenne à l’ère de la post-réalité

Les Rencontres d’Aix 2025 ont mis en lumière un axiome fondamental pour l’avenir de l’Union : la bataille pour la compétitivité et la souveraineté se gagnera ou se perdra aussi sur le terrain de l’information et de la perception, là où se trouve selon le dernier cahiers de tendances de Meta-Media la post-réalité. L’Europe ne fait pas face à un simple défi de relations publiques, mais à une fracture systémique de son espace communicationnel. La confiance dans les institutions s’érode, la désinformation est utilisée comme une arme de guerre et le récit européen est inaudible face à la simplification populiste et à la fragmentation des audiences.

Quel diagnostic lucide de cette fracture et quelles recommandations stratégiques pour que l’Union européenne passe d’une communication défensive et technocratique à une offensive narrative capable de reconstruire la confiance et de défendre le projet démocratique ?

Le diagnostic d’une fracture communicationnelle

Quatre ruptures majeures, identifiées lors des débats, paralysent aujourd’hui la capacité de l’Europe à communiquer efficacement.

L’effondrement de l’espace public commun

L’élargissement des sources d’information s’est accompagné d’une chute de leur fiabilité et d’une « fragmentation des centres d’intérêt ». Les citoyens sont enfermés dans des « bulles de filtre » et des « chambres d’écho » qui renforcent leurs propres visions du monde. Le résultat est une « réduction de l’espace mental disponible » pour un débat rationnel et une perte de la réalité partagée, fondement de toute délibération démocratique.

La crise de confiance envers les émetteurs traditionnels

La discours s’appuyant sur des preuves risque de devenir « invisible, irrelevant, victime d’un déficit de confiance. Les médias traditionnels, malgré leur processus de vérification, sont désintermédiés sur les plateformes et voient leur pertinence contestée. Cette perte de confiance s’étend aux responsables politiques, provoquant un « transfert vers les influenceurs » dont la crédibilité n’est pas le principal moteur. L’Europe, en tant qu’institution, souffre de cette défiance généralisée.

La désinformation comme arme stratégique

La « guerre se poursuit par d’autres moyens ». La désinformation n’est plus un épiphénomène mais une arme stratégique utilisée par des puissances étrangères pour déstabiliser nos démocraties de l’intérieur. Ce que la Russie n’obtient pas par les armes en Ukraine, elle peut l’obtenir par l’influence politique en Moldavie. L’IA ne fera qu’accélérer la production et la diffusion de ces manipulations. Le « réarmement » de l’Europe doit donc être impérativement informationnel.

La faiblesse intrinsèque du récit européen

Face à des récits populistes qui jouent avec les peurs et des plateformes qui donnent la « prime au sensationnel, à l’irrationnel », le discours européen apparaît complexe, distant et technocratique. Il peine à générer de l’émotion et de l’engagement. L’Europe manque d’un narratif puissant, capable de créer de la « fierté collective » et de donner un sens aux transitions en cours, laissant le champ libre à ceux qui n’offrent que des « idéologies de diversion ».

Recommandations pour une souveraineté narrative européenne

Pour contrer cette fracture, l’UE doit opérer un changement de paradigme radical dans sa communication, articulé autour de quatre impératifs.

Passer de l’information à la connexion émotionnelle

La mission de la communication européenne ne doit plus être de simplement transmettre des faits, mais de créer un lien.

  • Communiquer les politiques de manière « plus claire et émotionnelle » en utilisant le storytelling pour illustrer l’impact concret des actions de l’UE sur la vie quotidienne.
  • Identifier et s’appuyer sur des « relais avec les leaders d’opinion », y compris des créateurs de contenu et des influenceurs alignés sur les valeurs démocratiques, pour atteindre de nouvelles audiences avec authenticité.

Mener une contre-offensive contre la désinformation

L’UE doit se doter des moyens de se défendre activement sur le front de l’information.

  • Déployer rapidement le projet de « bouclier démocratique » de la Commission européenne.
  • Créer un fonds européen, sur le modèle de l’International Fund for Public Interest Media, pour « investir dans des médias indépendants » dans les pays voisins (Moldavie, Balkans…) et au sein de l’UE, afin de garantir un pluralisme de l’information face aux manipulations.
  • Traiter la désinformation comme une menace sécuritaire, en renforçant les capacités du Viginum frnaçais à l’échelle européenne pour détecter, analyser et exposer les campagnes d’ingérence.

Réguler le cœur du problème : le modèle économique des plateformes

La régulation ne doit plus seulement porter sur les contenus (modération a posteriori), mais sur les mécanismes qui favorisent leur diffusion toxique.

  • Aller au-delà du DSA/DMA en légiférant pour limiter, voire interdire, les « recommandations algorithmiques » de publicité micro-ciblée à caractère politique, qui sont le cœur du modèle économique de la polarisation.
  • Revoir les règles d’attribution des revenus publicitaires sur les plateformes pour cesser de financer les comptes les plus viraux au profit des plus responsables.

Construire et incarner un récit européen mobilisateur

L’Europe doit définir et promouvoir activement son propre récit, une vision positive et puissante de son rôle dans le monde.

  • Incarner le récit de « l’Europe comme anti-dote à la brutalisation du monde ». Communiquer non pas sur des directives, mais sur une mission : la défense d’un modèle fondé sur la coopération, la justice et le droit face à la loi du plus fort.
  • Promouvoir activement les succès concrets qui génèrent de la fierté (l’euro, les projets de réindustrialisation) et les transformer en symboles d’une Europe qui agit et protège.
  • Lancer une grande initiative d’éducation aux médias et à l’esprit critique à l’échelle de l’Union, car la défense la plus efficace reste un citoyen éclairé et outillé pour « prendre de la distance ».

La survie du projet européen dans un monde fragmenté et hostile dépend de sa capacité à reconstruire un espace public sain et à gagner la guerre des récits. La communication n’est plus une fonction de soutien ; elle est une condition sine qua non de notre souveraineté. En adoptant une stratégie audacieuse, en passant de la défense à l’offensive et en osant incarner une vision, l’Europe peut non seulement résister à la vague de désinformation et de populisme, mais aussi et surtout, inspirer à nouveau ses citoyens et le monde.

Manipulation et polarisation de l’opinion : de la vulnérabilité numérique en Europe à la souveraineté narrative de l’Union européenne

L’Union européenne se trouve à la confluence de défis informationnels sans précédent. Le rapport 2025 de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne sonne l’alarme sur les tensions croissantes exercées sur nos valeurs démocratiques, notamment par la désinformation et la manipulation en ligne lors des processus électoraux récents.

Parallèlement, l’analyse percutante de l’Observatoire du Long Terme sur la « Manipulation et polarisation de l’opinion » dissèque avec une précision chirurgicale les mécanismes par lesquels le numérique est instrumentalisé contre nos démocraties, proposant aussi des pistes pour « sortir du chaos ».

Face à cette « infodémie » persistante, qui exacerbe les tensions et mine la confiance citoyenne, l’UE ne peut se contenter d’une posture réactive. Il est impératif d’inaugurer une nouvelle ère de communication proactive, résiliente, ancrée dans nos valeurs fondamentales, et capable de projeter une souveraineté narrative européenne.

Diagnostic partagé : une démocratie européenne sous pression informationnelle

Les constats des rapports de l’Agence des droits fondamentaux de l’UE et de l’Observatoire du Long Terme convergent :

  1. L’intégrité électorale est menacée : Le rapport de l’Agence souligne l’impact délétère de la désinformation, des discours de haine et des ingérences étrangères sur les élections européennes et nationales de 2024. La régulation de la sphère en ligne, bien qu’initiée avec le Digital Services Act (DSA), peine encore à endiguer ces flux toxiques, comme l’illustrent les exemples de manipulations algorithmiques et d’astroturfing détaillés par l’Observatoire (cf. l’exemple de la présidentielle roumaine).
  2. Les droits fondamentaux sont érodés : Au-delà des élections, c’est l’ensemble des droits fondamentaux qui est mis à l’épreuve. La montée du racisme, de la xénophobie, des violences faites aux femmes, et les risques liés à l’intelligence artificielle non maîtrisée, sont autant de symptômes d’un espace public numérique où la manipulation émotionnelle prime souvent sur le débat rationnel.
  3. La confiance citoyenne est en berne : L’Observatoire met en lumière comment la « sous-information » et la « production excessive de fausses informations » créent un « vide » que la rumeur numérique exploite, sapant la confiance dans les institutions, les médias traditionnels (MJD – Médias de Journalisme à code de Déontologie) et même la science. Cette défiance est un terreau fertile pour la polarisation et l’action des « ingénieurs du chaos ».
  4. Les vulnérabilités aux ingérences étrangères : Les deux rapports, implicitement ou explicitement, pointent la sophistication croissante des opérations d’influence étrangères, qui exploitent nos libertés pour instiller le doute, diviser et affaiblir le projet européen. L’affaire des « étoiles de David » ou les campagnes autour des punaises de lit, analysées par l’Observatoire, en sont des illustrations préoccupantes.

Recommandations pour une souveraineté narrative européenne

Les rapports de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) et de l’Observatoire du Long Terme (OLT) ne se contentent pas d’un diagnostic ; ils esquissent, chacun avec ses spécificités, des voies d’action concrètes. Leur mise en œuvre conjointe et coordonnée est la clé pour passer d’une Europe informationnellement vulnérable à une Europe narrativement souveraine.

A. Régulation renforcée et application rigoureuse des cadres existants

  • Passage à l’échelle de la supervision : L’application effective du DSA et de l’AI Act implique un changement d’échelle majeur pour les régulateurs nationaux et européens. Cela nécessite des investissements conséquents en expertise technique (IA, algorithmique), juridique et en ressources humaines pour des entités comme l’ARCOM, Viginum, et potentiellement de nouveaux acteurs, comme un « Défenseur des droits d’expression et de la société numérique ».
  • Bras de fer potentiel avec les plateformes et diplomatie numérique : L’accès aux données et la transparence algorithmique restent des points de friction majeurs. L’UE doit se préparer à des contestations juridiques et à des stratégies de contournement, nécessitant une volonté politique sans faille et une coordination avec les États-Unis.
  • Définition de la « responsabilité » : Ces régulations déplacent le curseur du simple hébergement vers une responsabilité éditoriale accrue des plateformes pour les risques systémiques, ce qui a des implications financières et opérationnelles.

B. Fortification de l’écosystème informationnel européen

  • Lutte contre le « vide informationnel » en investissant dans la qualité : Reconnaître que l’information de qualité est un bien public essentiel à la démocratie. Cela implique des politiques publiques volontaristes pour assurer la viabilité économique du journalisme indépendant et diversifié par des mécanismes de financement indirects (taxation des plateformes, partage de revenus publicitaires) et par une labellisation claire pour les distinguer des « quasi-médias ».
  • Éducation aux médias et à l’information comme priorité sociétale : Un pilier de l’éducation citoyenne, de l’école à la formation continue, pour développer l’esprit critique face à la surabondance d’informations et aux manipulations.
  • Rôle des institutions publiques : Les institutions (universités, académies, services publics) doivent assumer un rôle proactif d’information du public sur leurs domaines de compétence, en particulier sur les sujets complexes ou controversés.

C. Communication proactive et capacités de contre-désinformation de l’UE

  • Souveraineté narrative active : L’UE doit développer ses propres narratifs, basés sur ses valeurs et ses réalisations, et les diffuser activement sur la scène mondiale, plutôt que de se contenter de réagir aux narratifs hostiles.
  • Capacités de renseignement informationnel : Nécessité de renforcer les capacités de veille et d’analyse des menaces informationnelles (type Viginum, mais à l’échelle européenne et avec des moyens accrus), en y intégrant l’analyse prédictive basée sur l’IA et des capacités robustes pour anticiper, détecter, analyser et contrer ces menaces.
  • Doctrine de réponse graduée : Élaborer des protocoles clairs pour répondre aux campagnes de désinformation, allant de la simple correction factuelle à des mesures de rétorsion (sanctions, contre-discours ciblés), tout en respectant la liberté d’expression.

D. Autonomisation des citoyens et protection renforcée de leurs droits numériques

  • Citoyenneté numérique active : Passer d’une vision du citoyen comme simple consommateur d’information à celle d’un acteur responsable et critique de l’espace numérique disposant de plus de contrôle sur leur environnement numérique (filtrage de la négativité, « notes de communauté », transparence des algorithmes et du ciblage).
  • Défis techniques et éthiques pour les plateformes : L’implémentation de contrôles utilisateurs granulaires et d’une modération plus engageante représente un défi technique et un changement de philosophie pour les plateformes.
  • Équilibre délicat : La question du pseudonymat régulé soulève des questions complexes d’équilibre entre protection de l’anonymat légitime et lutte contre les abus.
  • Justice et réparation : Des mécanismes de plainte efficaces et accessibles, tant au niveau des plateformes qu’au niveau institutionnel, sont cruciaux pour que les citoyens dont les droits sont bafoués puissent obtenir réparation.

E. Adaptation technologique et encadrement éthique de l’intelligence artificielle

  • Course technologique : La lutte contre la désinformation générée par IA nécessitera des contre-mesures basées sur l’IA (détection, authentification de contenus) et des outils positifs (ContextBot, pop-ups de « Nétiquette 2.0 »).
  • Gouvernance mondiale de l’IA : L’UE doit continuer à promouvoir son modèle de régulation éthique de l’IA au niveau mondial pour éviter une course vers le bas.
  • Prévention de la « pollution informationnelle » : Le risque de saturation de l’espace public par des contenus IA de faible qualité ou malveillants est réel et nécessite des stratégies de curation et de valorisation de l’information humaine de qualité.

L’heure n’est plus aux constats alarmistes mais à l’action résolue. Il ne s’agit pas seulement de protéger nos démocraties, mais de projeter un modèle qui allie liberté, responsabilité et respect des droits fondamentaux afin de « sortir du chaos informationnel » actuel et de bâtir une souveraineté narrative européenne, indispensable à notre autonomie stratégique et à l’avenir de notre projet commun.

Les valeurs européennes peuvent-elles être un levier de l’européanisation de la communication des universités françaises ?

Invité par Comosup, l’association des communicants des universités à intervenir lors de leur Rencontre dédiée à « Pourquoi et comment intégrer l’Europe dans nos stratégies de communication ? », Lacomeuropéenne a débattu avec Mathilde Bégrand, responsable du pôle enseignement supérieur au sein du département promotion de l’Agence Erasmus+ France des valeurs européennes comme levier dans la communication européenne des universités en France ?

Un alignement des valeurs entre l’Union européenne avec Erasmus, les universités et les jeunes européens

La devise « Uni dans la diversité » est la mieux incarnée et illustrée par le fameux programme Erasmus+ dont les valeurs répondent aux missions des universités de former des esprits ouverts à la diversité et susceptibles d’affronter les grands enjeux de société, de répondre aux défis contemporains, de transmettre des connaissances et de forger des compétences. Au travers de tous les projets de mobilités, 76% des participants déclarent se sentir davantage liés à l’Europe et à une identité européenne, après leur retour de mobilité Erasmus.

Néanmoins, les valeurs européennes ne sont malheureusement plus forcément consensuelles. Alors que l’Europe, c’est la rencontre des idées, le refus du repli sur soi, l’héritage des Lumières, la curiosité intellectuelle et l’esprit critique, la poussée populiste, les tentations illibérales et les pressions sur les espaces publics nationaux via des campagnes de manipulation de l’opinion et des ingérences de puissances étrangères sont autant de menaces qui pèsent en particulier sur les jeunes.

Pour autant, les jeunes européens, interrogés par le think tank Debating Europe à travers le projet « Voices for choices » dessine un paysage nuancé. Certes le scepticisme contre la politique, la suspicion contre les médias et la méfiance contre les institutions existent. Mais les jeunes ne sont pas apathiques pour autant. Ce n’est pas une génération désengagée, c’est une génération engagée différemment, consciente du fossé entre rhétorique et réalité en quête de preuves plutôt que de promesses.

Les jeunes européens restent attachés aux processus démocratiques, même s’ils se méfient des politiciens. Ils sont passionnés par l’action climatique, l’équité et la sécurité, même s’ils ont le sentiment de ne pas être entendus. Ce sont des idéalistes pragmatiques, favorables à davantage d’autonomie, qui évaluent les problèmes, moins liés aux lignes des partis politiques et plus motivés par un impact tangible.

Les stratégies de communication inspirantes adoptées autour de l’Europe pour les nouvelles générations

Lacomeuropéenne explore la mue de la communication du Parlement européen qui tente de passer du monologue au dialogue citoyen ces 15 dernières années, une révolution silencieuse s’est opérée autour de 3 piliers :

  1. De la campagne éphémère lors des élections à l’infrastructure permanente : Le tournant majeur, fut la transformation de la plateforme thistimeimvoting.eu (2019) en together.eu. Plus qu’un changement de nom, c’est un changement de paradigme : d’un « one-shot » électoral à la construction d’une communauté soutenue dans une infrastructure (numérique et humaine) pour « tirer » de l’engagement.
  2. Des connections émotionnelles et expérientielles : Le Parlement européen investit de manière pérenne dans des dispositifs récurrents d’engagement avec les jeunes comme les European Youth Events, le programme des Ambassador Schools ou les centres Europa Experience qui tentent une forme de pédagogie ludique.
  3. L’art d’équilibrer cœur et raison : La communication du Parlement européen se veut également concrète, reposant sur les faits, déclinée à l’échelle individuelle avec l’excellent outil « What Europe Does For Me » qui tente de démontrer, chiffres à l’appui, l’impact concret de l’UE. L’émotion pour l’étincelle, le factuel pour ancrer la pertinence.

Mathilde Bégrand présente les démarches participatives de l’UE afin d’impliquer de manière active les citoyens européens dans les décisions/les plans d’action. Après les premiers « Youth Policy Dialogues » organisés dans les 100 premiers jours, la nouvelle Commission européenne lance une plateforme : « Votre voix, votre avenir : participez au débat en ligne ». Par ailleurs, un panel de citoyens européens a été organisé, pour la première fois, sur le futur budget à long terme de l’UE.

Cette année, le thème des « Erasmus Days », une initiative française qui est devenue un moment phare pour offrir une fenêtre sur le programme, porte sur les valeurs de l’UE : « Vivre nos valeurs, dessiner notre avenir » avec des milliers d’évènements partout en Europe (et au-delà) et concours vidéo : « Pitch ta valeur ».

En ce moment, les programmes « Choose Europe » et « Choose France » pour accueillir des scientifiques américains mettent en avant les libertés académiques depuis l’élection de Trump ainsi que le programme « Pause », porté par le Collège de France.

Mais, il ne faut pas négliger le contre-modèle hongrois : l’Université d’Europe Centrale, dite « Université européenne », financée par la fondation Open Society de George Soros a été fermée à Budapest, au profit d’une part du Mathias Corvinus Collegium financé par le parti Fides de Viktor Orban et l’arrivée de l’Université Fudan-Chine, le 1er campus chinois ouvert en Europe.

L’un des principaux défis potentiels pour les universités qui souhaitent intégrer les valeurs européennes dans leur communication est que le sujet International/Erasmus+/Valeurs européennes doit être intégré dans la stratégie de communication globale et ne pas être « le truc en plus ».

Comment communiquer sur le programme Erasmus ?

50% des freins sont liés à des problèmes de communication, entre trop d’infos confuses et pas assez d’infos utiles et trop souvent les mêmes et pas assez de nouveaux profils. Mathilde Bégrand estime que le levier européen du programme Erasmus n’est pas le seul point d’entrée pour la communication, plusieurs axes peuvent être développés :

  1. Susciter des mobilités au sein des personnels et pour les enseignants-chercheurs, c’est un apport professionnel et personnel, qui renforce le sentiment d’appartenance, c’est un outil pédagogique puissant pour la transmission des valeurs par l’expérience vécue, un « apprentissage par la pratique ».
  2. Valoriser l’engagement des personnels dans les projets pédagogiques, comme monter un master, lutter contre le décrochage scolaire, autant d’opportunités de financement européen.
  3. Développer l’engagement européen des établissements, en tant que source d’attractivité : la place dans le classement Développement durable des universités est une opportunité de candidatures.
  4. Travailler sur la reconnaissance des acteurs mobilisés, des résultats de recherche et des talents attirés.

Intégrer l’Europe dans les stratégies de communication des universités apparaît autant comme un impératif stratégique et budgétaire qu’une opportunité de rayonnement et d’attractivité.

L’influence, ADN de l’Europe, en mutation : l’UE face au grand réalignement informationnel

Le rapport « EU Media Poll 2025 » vient de tomber. Réalisé chaque année auprès des Key Opinion Formers à Bruxelles, c’est une boussole pointant vers des courants changeants. Quelles sont les tendances 2025 en matière d’information, d’influence et d’engagement sur les réseaux sociaux ?

Acte I : Le trône vacille, les barons de l’info en PLS ?

Le rapport est clair : les « grands classiques » comme POLITICO (69% d’influence perçue), le Financial Times (63%) et Reuters (62%) tiennent encore le haut du pavé. Ouf, l’ordre ancien n’est pas mort. POLITICO reste le chouchou, surtout pour son « accès insider » (50%) et sa « rapidité » (57%). C’est un peu le fast-food de luxe de l’info UE : rapide, efficace, mais laisse-t-il toujours le temps à la digestion et à la nuance ?

Cependant, attention au chant du cygne. L’influence de tous ces mastodontes décline par rapport aux années précédentes. POLITICO perd 5 points, le FT dégringole de 10 points, et The Economist, ce parangon de l’analyse, chute de 15 points ! C’est plus qu’une tendance, c’est un glissement de terrain.

Pendant ce temps, LinkedIn grimpe de 7 points pour s’asseoir à la table des grands avec 52% d’influence, une place acquise à la tête des médias sociaux. Et que dire de X (feu Twitter) ? Une chute vertigineuse de 15 points d’influence (à 43%) et une baisse de 12 points dans son usage hebdomadaire. C’est vraiment le moment de construire son influence ailleurs.

Aux États-Unis, si les médias traditionnels (NYT, WaPo) gardent une forte influence, la fragmentation est encore plus marquée avec une myriade de newsletters Substack, de podcasts indépendants et de commentateurs sur YouTube qui façonnent l’opinion. L’UE est-elle prête pour ce niveau de « désintermédiation sauvage » ?

Acte II : La quête de sens… et de vitesse (le paradoxe du sprinteur myope)

Pourquoi ces médias sont-ils « très influents » ? Pour le FT, c’est la « qualité de l’analyse ou de l’opinion » (67%). Pour Reuters, la « fiabilité » (66%). Pour POLITICO, la « rapidité » et l’ »accès insider ». On voit ici une tension fascinante : le besoin de profondeur face à l’urgence de l’immédiateté. Le rapport souligne que « l’accent mis sur l’immédiateté peut parfois se faire au détriment de la rigueur et de l’exactitude ». La course au scoop s’es intensifiée entre les grandes rédactions bruxelloises. C’est le dilemme de l’œuf ou de la poule : faut-il être le premier à dire une bêtise, ou le second à dire une vérité ?

Et comment consomme-t-on cette information européenne ? La lecture des sites d’information en ligne chute de 16 points (à 59%) ! Stupeur et tremblement. Les podcasts (+8 points) et les agrégateurs (+12 points) montent en flèche. L’ère de la curation personnalisée et de l’écoute nomade est bien là.

En Asie, des super-apps comme WeChat intègrent information, communication et services. L’Europe, avec son RGPD et sa culture de la spécialisation, peut-elle imaginer de tels écosystèmes intégrés sans sacrifier ses valeurs ?

Acte III : L’humain, toujours… mais moins qu’avant où le nouveau « café du commerce » numérique

Les relations personnelles et les contacts directs restent cruciaux (70% pour les collègues professionnels, 68% pour les contacts personnels). Mais attention, ces chiffres sont en baisse notable (respectivement -16 et -13 points !). Le « off » se numérise-t-il ? Les discussions de couloir se transforment-elles en échanges WhatsApp (toujours le plus utilisé à 65%, mais en baisse de 10 points) ou en messages LinkedIn ?

Pendant ce temps, Instagram (+6 points d’influence, +7 d’usage), TikTok (+11 points d’influence, +5 d’usage) et même Mastodon (+9 points d’influence) gagnent du terrain. L’image, la vidéo courte, le format « snackable » s’imposent. Doit-on s’attendre à un Commissaire européen faisant un « unboxing » de la dernière directive sur TikTok, ou un « story time » sur la politique agricole commune sur Instagram ? L’idée soulève une question fondamentale : comment toucher les citoyens (et les influenceurs de demain) là où ils sont, avec les codes qu’ils comprennent ?

Les dernières campagnes politiques ont toutes parfaitement maîtrisé l’art de créer une connexion « authentique » via les réseaux sociaux, en adaptant le message à chaque plateforme. L’UE, souvent perçue comme distante, a un défi immense à relever.

La vision stratégique : l’UE, l’influenceur des influenceurs (et pas seulement à Bruxelles)

Face à ce tableau, que faire ? Se lamenter sur la fin de la « belle époque » ? Certainement pas. Il est temps d’adopter une posture d’humilité, de curiosité et d’audace.

Devenir un polyglotte numérique : Il ne suffit plus de parler le langage de POLITICO. Il faut maîtriser les codes de LinkedIn (professionnel, réseau), d’Instagram (visuel, narratif), de TikTok (court, viral, authentique), des podcasts (intime, approfondi). Cela ne veut pas dire transformer chaque fonctionnaire en star des réseaux, mais d’identifier les bons canaux et les bons formats pour les bons messages et les bonnes cibles.

L’authenticité, l’arme de construction massive : Les « influenceurs » (au sens large) sont en quête de sens, de fiabilité, mais aussi d’une connexion humaine. L’UE doit incarner ses messages. Moins de jargon, plus d’histoires. Moins de process, plus d’impact visible. Les « insider access » de POLITICO sont précieux, mais l’ »outsider understanding » pour le citoyen l’est encore plus. La perception d’une « bulle bruxelloise » est tenace. LinkedIn est très influent chez les « Brussels opinion formers » (65%). Comment s’assurer que ce n’est pas un simple entre-soi numérique ?

La « coopétition » intelligente : Les médias traditionnels déclinent mais restent forts. Il faut continuer à travailler avec eux, mais aussi investir dans ses propres canaux et soutenir l’émergence de nouvelles voix européennes indépendantes et de qualité. Comment former les créateurs de contenu aux enjeux européens ?

L’art de la conversation : Même si les médias sociaux ont largement investi dans la dimension médiatique via la visibilité, particulièrement payante, la partie sociale organique et communautaire demeure. Il faut écouter, interagir, répondre. Le « community management » n’est pas une tâche subalterne, c’est le cœur du réacteur de l’influence moderne. Les médias sociaux en tant source d’influence sont encore relativement faibles (39%), ils devraient se développer à condition de les utiliser non comme des panneaux d’affichage mais des salons de discussion.

Embrasser la « Creator Economy » européenne : Il existe des milliers de créateurs de contenu talentueux à travers l’Europe. Collaborer avec eux (pas seulement les « gros » influenceurs, mais aussi les micro et nano-influenceurs spécialisés) peut démultiplier la portée des messages européens de manière crédible et ciblée.

Le courage de l’expérimentation (et du droit à l’erreur) : Le paysage médiatique évolue plus vite qu’auparavant, avec des mouvements à plus de 10 points d’écart en un an seulement. Il faut oser tester de nouveaux formats, de nouvelles plateformes, quitte à se tromper parfois. L’innovation ne naît pas de la peur de l’échec.

L’enquête « EU Media Poll 2025 » est une invitation à repenser nos certitudes, à affûter nos outils, et surtout, à rallumer la flamme de la narration européenne. L’UE, c’est une histoire et pour bien la raconter en 2025, il va falloir changer de disque… ou du moins, ajouter quelques pistes à la playlist pour swiper, liker, podcaster et « tiktoker » l’Europe. Si nous ne le faisons pas, d’autres s’en chargeront. L’influence, comme la nature, a horreur du vide.