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Élections européennes : quelle stratégie de l’Europe contre la désinformation ?

Entre manipulation des électeurs et déstabilisation de la cyber-sécurité des systèmes et processus électoraux, la lutte contre la désinformation est un chantier à la fois titanesque lorsqu’on le prend au sérieux et lilliputien quand on regarde les actions de l’Union européenne, à lire Annegret Bendiek et Matthias Schulze dans « Disinformation and Elections to the European Parliament »…

Quels sont les défis relatifs aux campagnes de désinformation ?

L’Europe n’étant ni facile à comprendre, ni assez familière pour beaucoup, répandre de fausses informations sur l’UE est relativement simple. Les campagnes de désinformation et les cyber-attaques contre l’infrastructure électorale électronique sont des menaces hybrides de destruction massive contre la démocratie qui peuvent affecter la confidentialité, la disponibilité et l’intégrité du processus électoral.

« La désinformation semble déjà avoir eu un impact en Europe : plus de 400 faux comptes sur des réseaux sociaux gérés par des soi-disant trolls basés à Saint-Pétersbourg ont été utilisés pour influencer le référendum sur le Brexit. »

Les effets des campagnes de désinformation tant numérique (l’ensemble des mécanismes numériques de diffusion de l’information) ou informatique (les incidents de piratage, les cyberattaques qui compromettent la sécurité) pour déstabiliser les piliers de la démocratie sont :

  • A court terme pour influencer le résultat d’une élection en attaquant les partis et discréditant les élus politiques ;
  • A moyen terme pour promouvoir la division sociale et la polarisation des discours publics ;
  • À long terme pour saper la confiance dans l’UE en affaiblissant l’UE en tant que système politique.

Des tactiques telles que la dissémination de déclarations douteuses pour brouiller les pistes ou la répétition constante de fausses informations ou de théories du complot sont utilisées pour saper les certitudes politiques et dissoudre un concept de vérité socialement partagé.

La désinformation numérique a l’avantage d’avoir des coûts bas tout en ayant un impact important : avec peu de ressources, un public mondial peut être atteint avec une désinformation personnalisée via des technologies numériques utilisant les moyens légitimes de la publicité pour cibler les utilisateurs en fonction de leurs profils de comportement individuels.

Les algorithmes garantissent que les contenus retiennent l’attention des utilisateurs et la garder aussi longtemps que possible. Des bulles de filtres découlent directement du modèle commercial des plates-formes en ligne pour apporter de la publicité au plus grand nombre d’utilisateurs possible. Si les mêmes opinions sont regroupées et si simultanément différentes vues sont masquées, une « chambre d’écho » auto-référentielle peut se développer.

La désinformation a un effet particulièrement polarisant sur les groupes déjà politisés aux positions idéologiques fortes. Cela peut être accompli à l’aide d’une combinaison de comptes automatisés («bots sociaux»), de comptes hybrides (en partie humains, en partie automatisés) et d’armées dites de trolls constituées par des acteurs étatiques ou des commentateurs organisés de manière privée qui diffusent systématiquement certains récits dans les médias sociaux ou sur des sites d’information. Souvent, des « agents involontaires » répandent aussi, à leur insu, de la désinformation.

La couverture médiatique traditionnelle est également impliquée, car elle prend de plus en plus de sujets d’actualité issus des réseaux sociaux. Si ceux-ci contiennent de la désinformation et que les médias plutôt tabloïd les véhiculent de manière irréfléchie, ils renforcent les récits ou les faux rapports. La désinformation a un effet cumulatif sur de plus longues périodes.

Quelles contre-stratégies de l’UE pour lutter contre les menaces hybrides étrangères et internes ?

L’inquiétude est que les élections européennes seront manipulées, perturbées ou illégalement influencées par les opposants à l’UE, avec des campagnes de désinformation ciblées, aux urnes ou lors du dépouillement des votes.

Pour que les élections de mai 2019 soient libres, équitables et sécurisées, une série de mesures concrètes comprend plus de transparence dans la publicité politique (souvent dissimulée) sur les réseaux sociaux et la possibilité de sanctions si des données à caractère personnel sont utilisées illégalement pour influencer le résultat des élections européennes.

Les décideurs politiques européens privilégient des mesures à court terme et techniques en coopération étroite avec les grandes sociétés de l’Internet : Facebook, Twitter et YouTube se sont mis d’accord sur un code de pratique sur la désinformation pour lutter contre la désinformation et contre les faux comptes sur leurs plateformes. Fin janvier 2019, la Commission a averti que ces initiatives en matière de transparence contre la publicité secrète n’étaient pas suffisantes pour protéger l’intégrité des élections européennes.

L’UE a créé un système d’alerte précoce sur la désinformation avec 5 millions d’euros et 50 employés pour identifier les campagnes en temps réel. En outre, elle a mis en place un réseau électoral, élaboré un guide sur l’application de la législation européenne en matière de protection des données aux élections et donné des orientations sur la cyber-sécurité.

Les mesures techniques prises par l’UE pour lutter contre les campagnes de désinformation et les cyber-attaques ne sont qu’un premier pas. Idéalement, les États membres devraient améliorer la protection des élections pendant les campagnes électorales, le vote proprement dit et le décompte des voix. Des échanges constants et des exercices réguliers de cyber-sécurité seraient nécessaires pour minimiser les dangers.

Cependant, la plupart des États membres n’ont jusqu’à présent pas réussi à considérer les élections comme une infrastructure essentielle pour la démocratie à sécuriser. Le problème du matériel informatique et des logiciels non sécurisés dans la technologie de vote est toujours sous-estimé.

« La suprématie des entreprises de l’Internet est comparable à une situation où le parlement est la propriété d’un fournisseur privé, son accès est réglementé en fonction de critères économiques et le volume et la transmission des discours au monde extérieur sont évalués en fonction du marché. »

Seule l’UE, avec l’ensemble de sa puissance économique, peut lutter contre le pouvoir des sociétés numériques transnationales pour réagir de manière stratégique, communicative et avec une efficacité technique aux tentatives de manipulation d’élections , encore faut-il la volonté politique, et les ressources financières et humaines nécessaires.

Élections européennes : quelle visibilité, européanité et tonalité de la couverture médiatique ?

Les élections européennes sont des moments cruciaux pour la démocratie dans l’Union européenne, notamment sous l’angle de la couverture de cette actualité en termes de visibilité, d’européanisation et de convergence des espaces publics nationaux. Avec « The 2014 European Parliament Elections in the news », Claes de Vreese et Rachid Azrout décryptent l’enjeu de la couverture médiatique des élections européennes…

Enseignements sur la couverture médiatique des élections européennes de 2014

A partir d’un échantillon de 46 journaux différents issus de 15 États membres, 10 395 articles ont été codés, au cours des trois semaines précédant les élections, dont 3 369 concernaient spécifiquement l’UE afin d’analyser des indicateurs clés : la visibilité de l’UE et du Parlement européen, le caractère européen de la couverture et la tonalité.

Au cours de la campagne de 2014, avec 8% de l’actualité consacrée au Parlement européen et 15% à l’UE au sens large, c’est le chiffre le plus élevé des quatre dernières élections européennes. Par ailleurs, le degré d’européanité, mesuré à l’aide d’un simple indicateur sur les acteurs au sein de l’actualité de l’UE, est le plus élevé au cours des quatre dernières élections européennes.

La majorité des informations relatives au Parlement européen est de nature neutre, mais lorsqu’elles sont évaluatives, les évaluations négatives dominent et les informations en 2014 ont été les plus négatives des quatre dernières élections.

Un paysage médiatique plus évaluatif et critique des élections européennes

Les élections européennes évoluent avec le temps, tout comme le paysage politique et le paysage médiatique. En ce qui concerne la couverture des journaux, la visibilité des informations relative au Parlement européen augmente légèrement, les informations relatives à l’UE ont un caractère légèrement plus européen et les informations sur les Parlement européen deviennent légèrement plus négatives.

La situation est mitigée du point de vue des élections européennes. Certes, les élections européennes gagnent en visibilité, ce qui favorise une citoyenneté plus informée. Et les acteurs de l’UE gagnent en visibilité, mais ne constituent toujours qu’environ un tiers des acteurs de l’actualité relative à l’UE. Surtout, les infos elles-mêmes deviennent légèrement plus évaluatives, mais surtout plus négatives.

Au total, l’analyse de la couverture médiatique des élections européennes confirment qu’elles sont toujours majoritairement des compétitions nationales, avec des listes nationales, des actualités nationales, des discussions nationales, dans des contextes politiques et médiatiques nationaux.

Comment reconnecter la politique européenne avec les citoyens de l’UE ?

Pourtant au cœur de la démocratie européenne, les partis politiques européens ne jouent pas pleinement leur rôle pour transmettre des messages aux citoyens européens et les sensibiliser davantage aux politiques de l’UE, en particulier lors des campagnes électorales. Des enjeux que tentent de résoudre des chercheurs avec une série de recommandations dans « Reconnecting European Political Parties with European Union Citizens »…

Renforcer la démocratie électorale et participative de l’UE pour les institutions européennes

Le Conseil européen – les chefs d’État et de gouvernement – pourrait renforcer sa légitimité démocratique et sa responsabilité au niveau de l’UE en fusionnant les rôles de président de la Commission européenne et de président du Conseil européen, possible sans modification du traité. Cette évolution renforcerait la visibilité de l’exécutif au niveau de l’UE et surtout le lien avec les citoyens de l’UE, puisque les électeurs participant aux élections européennes auraient également leur mot à dire dans la nomination du président du Conseil européen.

La Commission européenne pourrait modifier le cadre juridique régissant les partis et fondations politiques européens dans une logique gagnant-gagnant :

  • En matière de « propagande électorale », des subventions de campagne distincte pour les élections européennes afin de préserver leurs budgets de fonctionnement et de jouer un rôle plus visible en contrepartie d’exigences de dépenses strictes et de transparence accrue en matière de recettes ;
  • Pour la diversité idéologique, une augmentation des fonds publics réservée aux Europarties nouvellement créées et uniquement pour une période limitée afin de les inciter à continuer de rechercher un financement de remplacement – l’utilisation de règles de financement pour entraver le développement des partis transnationaux eurosceptiques risque de se retourner contre le développement démocratique et d’attirer les critiques sur le manque de légitimité démocratique de l’UE.

Toutes les institutions de l’UE devraient réfléchir :

  • à la manière de (ré)organiser de manière créative leurs espaces de travail afin de les rendre plus accessibles aux citoyens pour répondre aux attentes en matière de participation citoyenne malgré des mesures de sécurité toujours plus sévères ;
  • à adopter une position claire en ce qui concerne l’organisation des conventions démocratiques dans la perspective des élections européennes de 2019, sachant que les modalités de participation, les résultats et l’impact incertains constituent autant de risque conduisant au désenchantement et au désengagement.

Créer des passerelles entre les responsables politiques au sein des trois principales institutions de l’UE pour les partis politiques européens

Compte tenu de l’architecture institutionnelle actuelle de l’UE, les Europarties jouent un rôle crucial au sein de cette configuration, car ils sont les rares entités à être représentées dans les principales institutions européennes.

La coordination assurée par les partis politiques européens entre les ministres du Conseil et en amont des Sommets du Conseil européen devraient être renforcée, à l’instar du rôle des groupes politiques au Parlement européen auprès des eurodéputés.

Afin d’approfondir le caractère démocratique des institutions de l’UE, les partis politiques européens et leurs fondations pourraient investir davantage, de manière plus créative, dans la communication avec les citoyens en diffusant des informations sur les questions de politiques de l’UE, et pas seulement en matière d’idéaux politiques concernant l’intégration de l’UE.

En outre, les partis politiques européens pourraient créer des plates-formes horizontales pour les échanges entre citoyens et membres de partis des différents États membres, afin d’être beaucoup plus visibles dans les langues locales pour améliorer leur interaction avec les citoyens et lutter contre la propagation de « fausses informations » sur l’UE, au-delà de la « bulle de Bruxelles ».

De manière plus générale, les Europarties devraient repenser leurs instances et procédures de décision internes afin de mieux nouer des liens avec les citoyens de l’UE, par exemple en augmentant le nombre et les droits de leurs membres, tels que la participation à l’élaboration des politiques et la sélection des dirigeants.

Dans leur responsabilité de choisir leur Spitzenkandidat respectif de manière rapide et démocratique, les partis politiques européens devraient assurer une meilleure visibilité des « primaires » ouvertes ou fermées en vue de sélectionner leur candidat uni à la présidence de la Commission, contraignant davantage les États membres, par l’intermédiaire du Conseil européen, d’accepter le candidat capable de rassembler une majorité à l’issue des élections parlementaires européennes.

Enfin, les partis politiques européens pourraient plaider pour autoriser uniquement les eurodéputés élus à occuper un poste de Commissaire, un modèle appliqué dans de nombreux systèmes parlementaires, ce qui pourrait accroître l’intérêt des citoyens et renforcer leur conviction que leur voix compte.

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Au final, ces recommandations vers une parlementarisation de l’UE ont pour but de permettre et de promouvoir l’engagement des citoyens de l’UE via des partis politiques européens cruciaux pour la démocratie européenne.

Game of Thrones et élections européennes : à quelle famille politique appartenez-vous ?

Constatant que la politique européenne ressemble moins aux idéaux de la démocratie athénienne qu’à Game of Thrones, le think tank ECFR, dans une étude sur ce que veulent vraiment les Européens, analyse le système politique européen comme un champ de bataille imprévisible d’alliances constamment changeantes en lutte brutale d’influence… Bienvenue dans la course européenne au trône de fer…

La « Maison des Stark » : les croyants du système

C’est la classe complaisante qui croit que le système fonctionne toujours aux niveaux national et européen. Pour eux, la politique continue de fonctionner selon les règles habituelles. En votant, ils peuvent faire entendre leur voix et influencer leur avenir. Dans Game of Thrones, la maison des Stark continue de respecter les normes et les coutumes traditionnelles, même si la maison des Lannister et d’autres familles renversent ces règles.

Estimant que les systèmes européen et national fonctionnent à la fois, ils représentent 24% de l’électorat de l’UE :

  • Âge moyen de près de 50 ans car beaucoup de jeunes ne prévoient pas voter ;
  • Majoritairement masculin, mais assez représentatif des hommes et des femmes ;
  • Plus grande représentation en Allemagne, au Danemark et en Suède, mais aussi en Autriche, en Hongrie et en République tchèque ;
  • Confortablement à l’aise, généralement titulaire d’un diplôme d’études secondaires.

« Les moineaux » : les Gilets Jaunes

Ces personnes ont perdu espoir tant dans leurs systèmes politiques nationaux que dans l’UE, car les Sparrows pensent que tous les systèmes politiques sont brisés et rien de bon ne peut en résulter. La seule solution est donc la révolution – un soulèvement populaire visant à purifier la société et à recommencer. Telle est la vision du grand moineau dans Game of Thrones, dont le mouvement politique ascendant utilise la violence pour humilier les élites corrompues qui contrôlent la vie politique depuis des siècles.

Des révolutionnaires désespérés qui ont perdu confiance dans les systèmes politiques européen et national représentent 38% de l’électorat de l’UE :

  • Les plus mobilisés ont plus de 50 ans ;
  • Légèrement plus de femmes que d’hommes et nettement plus de femmes en France et en Italie ;
  • Le plus fort en France, en Grèce et en Italie ;
  • Ni de gauche ni de droite, des électeurs désengagés qui ont le même revenu moyen que ceux de la Maison des Stark.

Le peuple des « Daeneryses » : la gauche pro-européenne

Comme Daenerys Targaryen, mère de dragons, qui libère des esclaves, ces peuples souhaitent libérer les Européens de leurs entraves dans des États-nations restrictifs dotés d’une vision internationale positive. Ces personnes cherchent le salut dans un projet transnational. Ils pensent que leurs systèmes nationaux sont brisés et se tournent vers un système politique bruxellois dans lequel ils croient encore pour soigner leur pays de la maladie.

Des Européens convaincus qui estiment que leur système national est en panne, constituant 24% de l’électorat de l’UE :

  • Le groupe le plus jeune avec une moyenne d’âge de 41 ans ;
  • Groupe assez équilibré, avec une plus grande représentation féminine en Autriche, en République tchèque, aux Pays-Bas et en Suède ;
  • Les plus fortes concentrations en Hongrie, Pologne, Roumanie, Slovaquie et Espagne ;
  • Un revenu moyen plus faible que tous les groupes, en grande partie des génération Y et X.

« Le peuple libre » : les eurosceptiques nationalistes

Ces personnes pensent que l’UE est une illusion dangereuse qui sape la souveraineté nationale. Ils veulent retourner dans les États membres autonomes. En ce sens, ils font écho au Free Folk farouchement indépendant, qui valorise l’autonomie par rapport aux tentatives idéalistes d’unir l’humanité ou à la construction d’une alliance grandiose d’autres dirigeants politiques.

Des eurosceptiques nationalistes qui estiment que le système politique de leur pays fonctionne mais que l’Europe ne fonctionne pas, ce qui représente 14% de l’électorat européen :

Le groupe le plus âgé en général, particulièrement les électeurs engagés ;

  • Assez équilibré entre hommes et femmes, mais les hommes prédominent au Danemark et en Autriche tandis qu’en Italie et en Hongrie, le groupe a une forte représentation féminine ;
  • Fortes concentrations en Autriche, au Danemark et en Italie ;
  • Les gens libres sont mieux lotis que les Daeneryses. Ils sont principalement des baby-boomers et légèrement à droite d’eux sur le plan idéologique.

Dans le tumulte de Games of Thrones, comme lors des élections européennes, ce n’est pas la devise de la famille Frey « We Stand Together » qui prédomine mais bien davantage des groupes qui se positionnent en fonction de leur soutien aux systèmes national et européen face aux principaux défis auxquels l’Europe est confrontée aujourd’hui.

Elections européennes : comment améliorer le processus des Spitzenkandidaten ?

Promesse d’instiller un ferment démocratique plus fort au cœur du système de l’UE, l’innovation des Spitzenkandidaten n’est pas sans controverse sur son impact sur l’équilibre institutionnel de l’UE et la politisation de la Commission européenne. Dans la perspective des élections européennes de 2019, le débat Spitzenkandidaten est relancé.

L’expérience Spitzenkandidaten a-t-elle fonctionné en 2014 ?

L’approche Spitzenkandidaten ne doit pas être confondue avec une élection présidentielle directe, au moyen de laquelle les citoyens éliraient directement le chef du pouvoir exécutif de l’UE, mais elle est comparable aux pratiques de démocratie parlementaire qui existent dans de nombreux États membres où le chef de la coalition élue est nommé à la tête de l’exécutif.

Les Spitzenkandidaten ont renforcé la dimension européenne des éléctions, sans en surestimer l’impact sur les citoyens européens puisque les débats paneuropéens télévisés concentrés sur les trois à quatre semaines précédant les élections – du 9 avril au 20 mai 2014, neuf débats télévisés au total ont été organisés – n’ont suscité que peu d’intérêt pour les médias grand public.

Le processus Spitzenkandidaten n’est pas une solution miracle : s’il a conduit à une relation plus mature au sein du triangle institutionnel, il n’a pas été un antidote à la baisse constante du taux de participation. Il a finalement transformé la plateforme de campagne du Spitzenkandidat en programme politique de la Commission et son point de départ pour toutes les initiatives, au lieu de le soumettre aux compromis habituels fondés sur le plus petit dénominateur commun.

Certes, le contexte et le contenu de la campagne sont restés essentiellement nationaux en 2014, étant donné que les candidats à la députation du Parlement européen ont été sélectionnés au niveau national par les partis politiques et élus conformément aux différentes procédures nationales.

Mais dans le même temps, le processus Spitzenkandidaten a permis à la campagne parlementaire de gagner une dimension européenne plus forte. Chacun représentant une famille politique européenne, les candidats se sont largement concentrés sur l’agenda européen, tout en écoutant les sensibilités nationales, régionales et locales, renforçant la résonnance des débats européens avec les réalités locales.

Le processus de Spitzenkandidaten à contribuer à replacer la position de la Commission vis-à-vis des deux autres colégislateurs de manière plus équidistante entre le Parlement européen et les capitales européennes ; concrétisé, entre autres, par l’adoption de programmes de travail de la Commission européenne, signés par les trois institutions associées au processus législatif ou encore la nouvelle pratique selon laquelle les présidents des trois institutions font des déclarations communes sur les priorités législatives, sans préjudice des pouvoirs conférés aux colégislateurs par les traités.

L’expérience Spitzenkandidaten pourrait-t-elle mieux fonctionné en 2019 ?

Le rejet du système Spitzenkandidaten constituerait un pas en arrière vers un système de prise de décision plus opaque et moins inclusif au sein de l’UE. Cela ne correspondrait ni au développement progressif de l’UE au cours des dernières années, ni à la nécessité de renforcer encore son processus de légitimation dans les années à venir à condition que le multilinguisme, l’expérience de direction et la crédibilité des candidats fassent que le Conseil européen les considère comme « un de leurs pairs » – étant donné que le président de la Commission siège également au Conseil européen.

Les partis politiques européens devront jouer un rôle plus marqué dans la campagne électorale afin de garantir que les élections au Parlement européen portent sur des questions européennes. Des partis politiques plus forts, ayant des liens étroits avec les capitales, rendraient l’expérience des Spitzenkandidaten plus précieuse.

Des périodes de campagne plus longues permettraient un engagement politique accru dans les procédures de sélection des candidats la rédaction des manifestes électoraux. Le dynamisme démocratique du débat profiterait généralement aux familles politiques qui décident de leur Spitzenkandidaten à un stade précoce, permettant la tenue de primaires afin de rendre les problèmes européens plus clairs pour les citoyens.

La législation électorale devraient renforcer la visibilité des Spitzenkandidaten et garantir que les noms et logos des partis politiques européens et les noms des Spitzenkandidaten figurent sur les listes électorales et les bulletins de vote à travers l’UE, comme cela a déjà été le cas dans 9 États membres en 2014.

La capacité des Spitzenkandidaten à mener des campagnes marathon dans toute l’UE, afin d’apparaître dans les campagnes médiatiques et dans les meetings et manifestes des partis nationaux permettraient aux citoyens de mieux être en mesure de choisir leur plate-forme électorale européenne.

Le financement de la campagne des Spitzenkandidaten repose en partie sur un soutien financier aux partis politiques européens enregistrés, répondant à des critères clairs de représentativité dans les États-membres et de respect des valeurs de l’UE. Les voies de financement pourraient être complétées.

Les plates-formes des partis politiques européens, fédération de partis nationaux, sont souvent très variées, reflétant la diversité des points de vue dans l’Union. Une plus grande visibilité et un plus grand engagement autour de leurs valeurs et de leurs points de vue sur l’avenir de l’Europe bénéficieraient grandement à la démocratie européenne.

Pour passer d’une innovation à un modèle, le succès des Spitzenkandidaten est d’abord et avant tout la responsabilité des partis politiques européens afin de faire en sorte que les élections européennes portent sur des questions européennes. Plus de soixante ans après le début du projet et à un moment historique pour relancer l’Union, c’est ce que méritent à la fois l’UE et les citoyens européens.