PDFBrussels : quel est l’état de la démocratie numérique européenne ?

Pour la 1e édition du #PDFBrussels – le « Personal Democracy Forum » organisé à Bruxelles le 31 mai dernier – les interventions ont gravité notamment autour des enjeux de la démocratie numérique européenne. Les actions de communication des institutions européennes en ligne parviennent-elles à faire émerger une démocratie numérique européenne ? Retour sur les temps forts de la journée sur ce sujet…

Le Parlement européen : l’institution la plus communicante dans les médias sociaux

Stephen Clark, le directeur de la communication web du Parlement européen s’est interrogé sur les transformations introduites par les nouvelles technologies et le web social dans les relations entre élus et citoyens : le web permet-il d’inventer un nouveau modèle de la démocratie représentative ?

Comment dialoguer avec les citoyens à l’âge d’Internet ?

Au-delà de la présence importante des euro-députés (70% sur Facebook et 40% sur Twitter) et du Parlement européen (+ de 370 000 fans et + de 45 000 Followers) dans les médias sociaux – que le lancement de « newshub », un « live news feeds » de l’ensemble de ces contenus devrait amplifier, plusieurs événements confirment que cette présence revêt un caractère éminemment géopolitique :

  • d’une part, 1 000 nouveaux fans venant du Bahreïn ont utilisés la page Facebook pour lancer un appel au soutien du Parlement européen lors du printemps arabe, mobilisant en retour l’institution pour délivrer un message au peuple bahreïni ;
  • d’autre part, 10 000 commentaires en quelques heures au sujet de la répression du Président Assad en Syrie ont interpellé le Parlement européen pour condamner les bains de sang.

Comment représenter les citoyens à l’âge d’Internet ?

L’enjeu de la communication du Parlement européen pour les élections européennes en 2014 ne consistera pas tant à insister sur l’importance du choix avec une campagne top-down comme en 2009 mais à écouter les conversations – encore que l’institution ne soit pas encore équipée pour y parvenir – afin de répondre aux questions des Européens en matière d’affaires européennes.

Au total, le rôle de gatekeeper filtrant les informations pertinentes – traditionnellement détenu par les eurocrates – est-il en train de s’élargir aux internautes ?

Le Conseil de l’Union européenne : l’institution la plus schizophrénique en ligne

Aurélie Valtat, manager de la communication digitale au Conseil reconnaît que la communication numérique est prise en étau entre la volonté d’ouverture et de transparence qui privilégie la mise en ligne au maximum et les demandes des journalistes de limiter la place du web pour leur permettre de mieux valoriser leur propre activité.

Par ailleurs, la communication du Conseil est également prisonnière de la communication des États-membres, qu’il s’agisse des présidences semestrielles qui ne favorisent pas la continuité ou bien de la communication des gouvernements sur les affaires européennes qui n’est pas linéaire d’un État à l’autre.

Plusieurs solutions sont envisagées, comme par exemple la mise en ligne d’un widget sur les activités du Conseil à utiliser grâce à des filtres par langues et par sujets sur les sites des ministères nationaux dans les États-membres ou encore la création d’un portail pérenne pour les présidences.

@lacomeuropeenne je me rends compte que je n’ai pas dit comment – on travaille à l’idée d’un portail pour les présidences #pdfbrussels

— Aurélie Valtat (@avaltat) May 31, 2012

Voir la présentation « Tapping the potential of member states for communication the EU » d’Aurélie Valtat.

La Commission européenne : l’institution la plus hésitante à communiquer via les médias sociaux

Anne Christensen, web editor dans l’équipe médias sociaux de la DG COMM – encore pour quelques jours seulement – s’est exprimée avec une liberté de parole entière sur les enseignements qu’elle retire de sa propre expérience :

Question inaugurale : combien de communicants européens (la DG COMM compte près de 1 000 fonctionnaires) auraient pu être débauchés pour vraiment s’engager dans des conversations multilingues en ligne ?

Malheureusement très peu, entre la quasi impossibilité de changer les budgets et l’outsourcing quasi systématique des ressources ; à ce jour le chef de l’équipe médias sociaux à été nommé dans une autre DG et Anne Christensen est sur le départ, il ne reste quasiment que les stagiaires…

En plus, très peu de fonctionnaires européens sont des professionnels, experts de la communication et encore moins sont désireux de s’exprimer en leur nom en ligne…

Par ailleurs, l’environnement informatique matériel/logiciel de la Commission européenne est préhistorique et la culture de communication est précautionneuse et bureaucratique, privilégiant des campagnes top-down aux messages 100% maîtrisés à toutes démarches d’écoute et de mesure de l’impact des actions.

Pour autant, ce n’est pas parce les changements ne sont pas perceptibles qu’ils n’ont pas lieu pour autant. Au cours des 2 dernières années, plusieurs réalisations sont à noter :

  • des règles d’utilisation des médias sociaux ont été publiées pour les fonctionnaires européens ;
  • un réseau de communicants utilisant les médias sociaux au sein de la Commission a été institué ;
  • des formations auprès des porte-parole et même des Commissaires ont été menées.

Ce qu’il faut retenir des expériences de communication de la Commission européenne dans les médias sociaux :

  • le multilinguisme est bien, bel et bon en théorie mais en pratique ne marche pas vraiment, sinon par la diversité des canaux ;
  • le grand public est bien, bel et bon en théorie mais en pratique, seuls des publics ciblés sont vraiment touchés ;
  • l’enjeu : apprendre à créer et organiser des contenus attractifs en sachant que la décentralisation des messages rend le travail de programmation et de coordination ardu ;
  • la force de la Commission européenne réside dans la multitude de voix qui peuvent s’exprimer.

En conclusion, les succès et les échecs de la communication de la Commission européenne en matière de web social :

  • succès : plus d’une centaine de fonctionnaires européens utilisent au quotidien des médias sociaux pour communiquer sur des sujets et des publics ciblés + les formations aux médias sociaux sont devenus standards dans les formations proposées aux fonctionnaires européens + le Commissaire européen responsable de l’administration interne discute à la révision des règles régissant les fonctionnaires en utilisant le réseau social interne à la Commission ;
  • échecs : l’infrastructure IT de la Commission décourage l’utilisation de nouveau média sociaux + l’organisation de conversations multilingues est difficile est moins porteur de sens + les médias sociaux sont encore un canal en plus des autres missions des communicants.

Voir la présentation « Social Media #wins & #fails – lessons learned for the EC » par Anne Christensen.

Le web social est sans doute le meilleur outil pour transformer la communication de l’UE à condition de résoudre les enjeux politiques et pratiques, internes aux institutions européennes.

PDFBrussels : quel est l’état de l’espace public européen en ligne ?

Pour la 1e édition du #PDFBrussels – le « Personal Democracy Forum » organisé à Bruxelles le 31 mai dernier – les interventions ont gravité notamment autour des enjeux de l’espace public européen en ligne. L’activité des journalistes européens et de la blogosphère européenne parvient-elle à élargir l’espace public européen en ligne ? Retour sur les temps forts de la journée sur ce sujet…

 

Quasi exclusivement limitées à la « bulle bruxelloise » et aux milieux européens avant l’arrivée d’Internet, les affaires européennes se développent-elles auprès de nouveaux publics grâce à de nouvelles formes d’activités de journalisme en ligne ou de blogging sur l’Europe ?

La bulle bruxelloise et les journalistes auprès de l’UE

L’espace public européen en ligne, c’est la question qui traverse les interventions du 1er panel :

  • Eric Karstens de l’European Journalism Center s’est interrogé sur les manières de former les journalistes non spécialisés au traitement des affaires européennes, notamment par le « data driven journalism » (cf. workshop à Vienne en juin prochain) ;
  • Alexandros Koronakis de New Europe s’est quant à lui interrogé sur les manières de tenter à la fois de devenir le média européen de prédilection où s’expriment tous les acteurs de la bulle bruxelloise (institutionnels, groupes d’intérêt…) tout en défendant une ligne éditoriale indépendante.

 

L’espace public européen en ligne, c’est également un sujet présent dans les échanges du 2nd panel :

  • Joe Litobarski a présenté « Debating Europe », un projet en ligne consistant à recueillir des questions auprès de citoyens, pour les poser à des personnalités européennes et ensuite mettre en ligne des vidéos des interviews (environ 350 à ce jour) en guise de réponses.
  • Aurélie Valtat, du Conseil a confirmé d’une part, que les communiqués de presse étaient moins des outils destinés aux journalistes – quoique les faits y soient présents – que des documents issus d’arbitrages politiques internes à l’institution et d’autre part, qu’une enquête sur les correspondants de presse à Bruxelles va être prochainement publiée en collaboration avec l’Association de la presse internationale (API) à Bruxelles pour confirmer ou invalider la baisse préoccupante constatée en 2010.

La fondatrice de l’API est intervenue en marge pour présenter les évolutions du corps de presse à Bruxelles : moins de journalistes par grands médias (au maximum deux correspondants à l’heure actuelle), plus de journalistes de médias en ligne ainsi que de médias internationaux, notamment chinois.

La modératrice – Teri Schultz de la National Public Radio, la radio américaine la plus écoutée, qui ne dispose toujours pas de bureau officiel à Bruxelles et dont le rédacteur en chef lui avoue : « quand j’entends parler de l’UE, ça m’endort » – estime que le travail de correspondant auprès des institutions européennes ne consiste pas à traiter l’activité de l’UE mais à parler de l’incidence de l’UE sur la vie des gens et à exercer une pression sur les institutions européennes pour plus de transparence, d’ouverture, d’efficacité et de responsabilité.

La bulle bruxelloise et les eurobloggeurs

L’espace public européen en ligne, c’est finalement la clé de l’intervention de Ronny Patz sur l’émergence d’une blogosphère européenne, où doivent être distingués quelques centaines d’eurobloggeurs très bruxellois, centrés sur l’UE et anglophones, des autres acteurs en ligne partout dans l’Europe traitant occasionnellement, sans connexion avec « Bruxelles » de sujets européens. L’enjeu, selon lui, réside dans la capacité à rendre accessible ces sources éparses et multilingues sur des plateformes thématiques traduisant les contenus pour des audiences susceptibles d’interagir.

Le web social est sans doute le meilleur outil pour élargir l’espace public européen à condition de résoudre les enjeux d’inclusion et d’éducation numériques auprès des citoyens européens.

La présidence chypriote invite les Eurobloggers : comment transformer un événement en projet ?

Après l’initiative inédite de la présidence hongroise d’accréditer des eurobloggers aux réunions du Conseil de l’UE, la future présidence chypriote vient d’inviter les eurobloggers à un événement organisé à Bruxelles…

Comment éviter que ce soit une opération de RP limitée à quelques privilégiés bruxellois et transformer l’événement eurobloggers en un projet plus impliquant à la fois pour les eurobloggers et pour la présidence chypriote du Conseil de l’UE ?

Inscrire l’engagement avec les bloggers dans la nouvelle économie relationnelle des institutions européennes

Avec cette invitation de bloggers, la présidence chypriote semble prendre conscience, selon l’analyse de l’enseignant-chercheur Didier Chauvin que « l’Ancien régime médiatique » (médias de masses, logiques de transmission d’information sur des supports matériels) laisse la place à un « nouveau régime médiatique » (réseaux sociaux, self-media, logique de propagation et d’interaction…) qui offre :

  • d’une part, des propensions et des potentialités de mise en visibilité, de publicisation accrue ;
  • d’autre part, de renouvellement de la relation entre les acteurs et les institutions.

Inscrire la relation avec les bloggers dans un projet de transformation de la communication de la présidence du Conseil de l’UE

La communication de la présidence tournante du Conseil de l’UE doit ainsi se « re-positionner » pour « raisonner radicalement en terme de « processus », de structuration de flux, de ressources… dans le cadre d’un projet, lui-même toujours en mouvement ».

La culture professionnelle héritée de la forme « bureaucratique-rationnelle-légale » (hiérarchie, cloisonnement, « one-best-way », etc…) qui cantonne la communication à une fonction « satellite » doit évoluer pour transformer la présidence du Conseil de l’UE en organisation « relationnelle » au sein de laquelle la communication se pratique dans une perspective radicalement informationnelle et de service aux publics.

Inscrire les bloggers comme des acteurs-ressources et non pas des cibles-destinataires

La communication transformée, c’est-à-dire orientée vers le partage de l’information, de la présidence chypriote du Conseil de l’UE doit re-considérer les bloggers :

  • « crowdsourcing » : les bloggers sont contactés comme des ressources (et des alliés) ;
  • « empowerment » : les bloggers sont des acteurs au service de la co-production et de la diffusion d’un projet.

Évidemment, il faut capitaliser sur l’expérience très enrichissante de Ronny Patz, Euroblogger accrédité par la présidence hongroise :

  • organiser un événement ouvert à tous les publics connectés et adapté in situe aux bloggers : ne pas monter un cocktail offline classique mais co-construire un programme d’interventions et d’échanges ouverts à différents profils de bloggers et surtout connectés online et en direct ;
  • organiser un événement utile car destiné à une audience large et orienté vers une relation de long terme : ne pas faire participer que des bloggers qui se connaissent déjà ou qui ne se recontacteront jamais mais convier des acteurs (bloggers et officiels européens) qui tout en ayant un centre d’intérêt commun n’auraient pas l’occasion de se rencontrer afin de leur proposer un projet commun tout au long de la présidence.

Fondamentalement, il faut faire que l’événement ne soit plus une finalité en soi mais un projet qui réalise et illustre une nouvelle approche de la communication de la présidence du Conseil de l’UE :

  • l’événement devient une mise en pratique de la nouvelle approche « informationnelle » qui concrétise la volonté de transparence, d’ouverture, de dialogue voire de co-création ;
  • l’événement devient une illustration de la nouvelle orientation « relationnelle » qui assure l’efficacité de la démarche et met en visibilité cette « efficacité ».

Ainsi, avec cette invitation de bloggers, la présidence chypriote du Conseil de l’UE pose un premier jalon d’une nouvelle approche « relationnelle » de la communication.

Comment conceptualiser l’espace public européen en ligne ?

Dans le débat sur comment définir l’espace public européen en ligne, récemment mené par Ronny Patz dans « The illusion of the EU bubble and the discovery of the EU foam » et Mathew Lowry dans « Defining the Bubble from different perspectives », plutôt que de reprendre les notions : communautés d’idées/d’intérêts, bulles connectées ou juxtaposées et européanisation des bulles nationales vs. transnationalisation de la bulle bruxelloise, utilisons le concept d’espace public développé par Erik O. Eriksen…

Définition de l’espace public et des espaces publics « général, segmenté ou fort »

Dans un papier « Conceptualizing European Public Spheres – General, Segmented and Strong Publics », Erik O. Eriksen définit les notions de la manière suivante :

  • Un espace public est un lieu social créé lorsque des individus délibèrent sur des préoccupations communes, et créant une relation entre des intervenants et une audience.
  • Dans une perspective démocratique, le débat public vise à la formation d’une opinion publique, qui est la base de toute décision collective.

En fonction des possibilités de formation d’une opinion publique et des formes de prise de décision politique, plusieurs types d’espaces publics peuvent êtres définis :

  • espace public général : ce sont des espaces de communication au sein de la société civile dans lesquels tous citoyens peuvent participer sur une base libre et égale afin de délibérer en étant soumis aux seules contraintes de la raison ;
  • espace public transnational et segmenté : ce sont des espaces qui évoluent autour de réseaux liés à des politiques publiques et constitués par une sélection d’acteurs ayant un intérêt commun sur certains problèmes et solutions ;
  • espace public fort : ce sont des espaces légalement institutionnalisés et réglementés où se tiennent des discours spécialisés sur la formation collective d’une décision au sein du centre politique.

Quid des espaces publics européens ?

Selon Erik O. Eriksen, en Europe, un débat public commun – sur des mêmes thèmes et des critères de pertinence – n’est pas réalisable :

  • Certes, il y a un espace potentiel pour la création d’une identité collective par le biais de quelques médias paneuropéens, sur la base de l’anglais comme lingua franca.
  • Mais, il y a un long chemin entre le genre de débat et de diffusion de l’information ayant lieu aujourd’hui en Europe et le genre de délibération publique nécessaire pour former une opinion collective et une décision collective.

En d’autres termes, il n’existe pas d’espace public européen au sens d’espace public général. De même, un espace public européen au sens d’espace public fort existe de manière extrêmement réduite, en se limitant au seul centre bruxellois.

Erik O. Eriksen poursuit en considérant que les mass-média facilitant de véritables débats publics propices à la négociation collective de la décision publique font dans une large mesure défaut au niveau européen.

Cependant, il y a des espaces publics transnationaux formés à partir des réseaux de l’UE. Ces communautés sont constituées sur la base d’intérêts communs et de thématiques spécifiques qui fluctuent et font ainsi grandir et rétrécir le réseau.

Autrement dit, il existe bien un espace public européen compris comme espace public transnational et segmenté. La capacité d’homogénéiser le discours public européen est plutôt limité. L’espace public européen est actuellement très fragmenté et en constante évolution.

À la place du peuple souverain, il y a le bruit de communications anarchiques et pluralistes.

Les espaces publics européens à l’heure du web social, des communautés en ligne et de la démocratie participative

Pour Erik O. Eriksen, l’espace public européen est devenu polymorphe et polyphonique. Dans l’UE, il y a, certes, des traces d’espaces transnationaux dans lesquels tous les citoyens de l’UE peuvent (potentiellement) participer, mais il y a surtout des preuves plus saillantes d’espaces publics segmentés évoluant autour des réseaux institutionnels européens.

Ce constat ne peut être que renforcé à l’heure actuelle. En parallèle et en complément des espaces publics segmentés, formés par des réseaux d’acteurs liés par des politiques publiques européennes, coexistent avec des communautés en ligne d’acteurs liés par des centres d’intérêt à caractère européen.

En règle générale, Erik O. Eriksen estime que l’existence de publics plus nombreux favorise la démocratie en améliorant la participation populaire dans la formation de l’opinion publique, plus il y a des publics, plus le débat et la critique progressent et moins il y a d’exclus et de sujets non abordés :

  • plus de publics contribue à critiquer et à déconstruire les « vérités » hégémoniques et les consensus dominants et force les décideurs à fournir des justifications plus convaincantes.
  • plus les publics fournit donc plus de véhicules de démocratisation et plus de possibilités pour tester la légitimité du pouvoir.

Sous cet angle, les « bulles » européennes en ligne – qu’elles soient peu connectées ou souvent juxtaposées ; qu’elles soient trop nationales ou pas assez transnationales – sont autant de publics qui participent de l’amélioration de la démocratie européenne.

Toutefois, poursuit Erik O. Eriksen, lorsque les réseaux de délibération dans des espaces de communication sont considérés comme exhaustifs de la doctrine démocratique, il y a un renoncement à l’idée de gouvernement par le biais du public, par le raisonnement collectif. Dans les sociétés modernes, c’est la loi qui établit l’unité : la participation au processus législatif constitue l’identité collective. Ce qui entrave la démocratie au niveau européen aujourd’hui, c’est l’absence d’une identité commune fondée sur le droit et de la possibilité pour un discours transnational.

Là encore, l’espace public européen en ligne peut certes contribuer à une meilleure démocratie délibérative en Europe mais ne peut pas réaliser la démocratie participative de l’UE, sans que la loi européenne unifie discours et pratiques.

Conclusion : ce qui fait défaut à l’UE, c’est qu’il n’y a pas un espace public européen unique.

La démocratie participative européenne en procès ?

Lors d’une journée d’étude à l’EHESS sur des « Regards croisés sur les critiques de la participation » en mars dernier, Christophe Bouillaud, professeur de science politique à l’IEP de Grenoble est intervenu sur l’impératif participatif citoyen dans la crise économique européenne ; ou quand la démocratie participative européenne est en procès…

La crise, éteignoir de la démocratie participative dans l’UE

La « démocratie participative » définie comme « ensemble de procédures qui permettent aux citoyens sans médiation d’exprimer directement leur voix » est presque totalement absente dans le déroulement de la crise européenne jusqu’à ce jour.

Pour Christophe Bouillaud, « les instances européennes semblent avoir pour objectif de ne pas avoir à organiser de consultation populaire. (…) Les décisions prises sont le fruit de cénacles restreints » sans aucune consultation large du public.

Autrement dit, « la situation présente de l’Union européenne montre une évolution exactement inverse de celle qui verrait une participation directe plus grande des citoyens aux grandes décisions économiques qui les concernent ».

La démonstration est implacable pour illustrer le « business as usual » des procédures démocratiques représentatives traditionnelles, au détriment des dispositifs de démocratie participative :

« A presque aucun moment, les décisions de politiques publiques ne sont soumises, même à un semblant de discussion ouverte aux citoyens ordinaires, en dehors des campagnes électorales habituelles. »

« Par ailleurs, surtout au sein de l’Union européenne, le primat des exécutifs nationaux dans la décision semble encore se renforcer lors de la crise. Le Conseil européen devient largement le seul lieu de décision « démocratique » – les Parlements nationaux sont priés de suivre ce que leur gouvernement a acté dans ce cénacle. »

« Finalement, le plus remarquable, à regarder les choses froidement, c’est qu’il ne se passe pas grand chose. Les élections provoquent des alternances sans heurts, la rue ne gouverne pas, les référendums sont aussi rares qu’auparavant. Ni révolution par les urnes, ni révolution par la rue, ni même apothéose de la « démocratie participative ». »

La démocratie participative, un dispositif pour « beau temps » ?

La conclusion de Christophe Bouillaud est sans appel : « Le très classique « no taxation without representation », qui détermine sur la longue période la primauté de la démocratie représentative sur les affaires économiques, fonctionne encore fort bien. »

« La crise économique permet une réaffirmation du TINA « There is no alternative » habituel, c’est une des formes les plus radicales de refus de toute participation populaire à la décision publique – sauf celle qui consiste à reconnaître la « vérité des faits ». Puisque la vérité existe, la seule bonne chose que le peuple puisse faire, c’est de l’accepter. »

Un point de vue qui n’est pas sans rappeler les critiques d’Éric Dacheux dans « L’impossible défi. La politique de communication de l’Union européenne » sur une construction européenne souvent présentée comme « inéluctable » par les États. La tactique de l’inéluctable consistant à présenter la construction européenne comme la seule possibilité des peuples de l’Europe, l’aboutissement inévitable d’un cheminement continu vers une Europe unie et indivisible.

« User du terme de « démocratie participative », qui suggère que les simples citoyens pourraient avoir voix au chapitre dans la décision publique contemporaine, risque fort de nous égarer gravement sur le fil de l’histoire en cours en ce que terme même indique que ces derniers pourraient avoir éventuellement quelque chose à proposer en matière de choix collectifs. »

Sinon, le déficit démocratique de l’UE se porte bien.