Archives par étiquette : dacheux

Incommunication et communication européennes : « viva la revolucion ! »

Lors du colloque organisé par les étudiants du CELSA à la Mairie du XVe à Paris le 7 novembre dernier sur le thème de l’Incommunication européenne », une convergence de vue en filagramme se dessine au travers des différentes interventions pour faire la révolution de la communication européenne…

Dominique Wolton : la communication est la condition de survie de l’Europe

En ouverture du colloque, Dominique Wolton, directeur de recherche au CNRS et directeur de la revue Hermès invite à lutter contre l’incommunication européenne, par la négociation.

L’Europe est la plus grande aventure pacifique et expérience démocratique dans le monde mais on n’est d’accord sur pratiquement rien, donc on n’ose pas débattre et la communication de l’Europe a quasiment tout raté, quoique le désir d’Europe soit plus fort que la volonté de destruction.

Plusieurs éléments constituent des conditions pour communiquer, donc négocier :

  • Le patrimoine identitaire des valeurs communes chaotiques et contradictoires doit être mis en avant ;
  • La négociation des identités doit permettre de mettre à distance le passé et la mémoire des empires et de la colonisation pour relativiser les divisions du présent ;
  • La construction européenne ne doit plus se faire avoir par la tyrannie des experts et des technos qui ont imposé un opérateur économique plutôt qu’un projet politique, qui fait que les populismes font pression car on ne retrouve pas dans l’Europe des forces d’émancipation ;
  • L’info factuelle sur l’UE existe mais ne rentre pas dans les codes de la communication faute de médias, de médiations et d’espace public européens.
  • La tyrannie de l’expression sur les réseaux sociaux peut conduire à un alignement sous la pression des minorités et au populisme lorsqu’une seule partie du peuple est écoutée lorsqu’elle parle. La démocratie participative/interactive sans filtre, ne vaut pas mieux que les intermédiaires trop nombreux et peu structurés sur les réseaux sociaux.

Quelques chantiers impératifs peuvent nous permettre d’approfondir la connaissance de ce qui nous sépare :

  1. Valoriser le dialogue interpersonnel, donc sauver toutes les langues maternelles et apprendre 3 langues étrangères d’une part et faciliter via « 50 nuances d’Erasmus » la circulation de toutes les catégories de la population d’autre part, car les souvenirs, tout comme les stéréotypes sont autant les adversaires de la communication que le seul moyen d’aborder le dialogue ;
  2. Valoriser la diversité culturelle, donc apprendre les histoires de l’Europe pour sortir du silence des mémoires et faciliter les comparaisons entre États-membres et développer les industries créatives pour contrer le monopole des États-Unis.

En somme, pour Dominique Wolton, l’Europe est une familiarité qui ne se reconnaît pas ; mais la communication peut seule nous permettre de cohabiter et de négocier un avenir commun.

1e table ronde : dépôt de bilan pour la communication européenne

Les intervenants de la 1e table ronde – Thierry Libaert, Eric Dacheux et Jean Quatremer – ont débattus de l’état des lieux de l’incommunication et de la communication européennes.

Eric Dacheux s’est montré, sur un plan théorique, le plus acide de la communication de l’Union européenne :

  • Rapprocher l’UE et les citoyens, leitmotiv de la comm’ est une idiotie car cela démontre que l’UE s’est faite, non seulement sans les citoyens mais contre eux ;
  • Réduire la communication de l’UE à une comm’ persuasive est une erreur, car cela réduit l’UE à une marque et les citoyens à des cibles, alors qu’il faut créer du commun ;
  • Renoncer à un prêt-à-penser communicationnel, permettrait de voir que les citoyens ne sont pas en manque d’informations sur l’Europe, mais souffrent d’un déficit d’instruction civique européenne ;
  • Renoncer au « tout numérique pour connecter les citoyens aux institutions européennes » permettrait de laisser à la fois le temps et la distance nécessaire à la possibilité d’une communication ;
  • Retrouver un projet fondateur, une utopie à la place de la paix, qui est une plaie de la lutte de tous contre tous, permettrait de créer un conflit intégrateur pour construire des désaccords, la fabrique du consentement reposant sur des questions qui fâchent et le pouvoir de dire non.

En somme, pour Eric Dacheux, il vaut mieux « proposer des problèmes à résoudre en commun que donner des fausses solutions solitaires ».

Thierry Libaert, fort de son expérience au cœur du Comité économique et social européen, s’est montré le plus pragmatique :

  • Depuis le reproche adressé aux Pères fondateurs d’une approche technocratique de « solidarités de fait », on cherche encore la place des citoyens ;
  • Seule la communication de terrain, au contact des citoyens réussit tandis que la communication à distance et par les tuyaux échoue ;
  • La solution à l’incommunication européenne ne passe pas seulement par la communication, qui n’est pas la solution à tous les problèmes.

En conclusion, pour Thierry Libaert, il faut prendre au sérieux la forte demande de renouveau formulée par les citoyens, notamment à l’occasion des consultations citoyennes européennes.

Jean Quatremer propose la lecture la plus politique et acerbe du bilan de la construction européenne :

  • « Le problème fondamental de l’UE, c’est le mensonge entretenu par les États-membres et l’UE » sur la place des peuples dans cette construction des États : lorsque le marché fonctionne sans les peuples, tout le monde y est indifférent parce que c’est technique, mais pas lorsque les enjeux plus liés à la souveraineté (monnaie, frontière) sont gérés par le même appareil institutionnel ;
  • « Rien n’est gravé dans le marbre des traités », c’est la responsabilité des États, donc depuis une décennie l’Europe merkelienne où la CDU domine la politique européenne et conduit des politiques publiques de l’UE partisanes ;
  • « Bruxelles, c’est le Vatican à Rome », on y chasse les hérétiques, la moindre critique est facteur d’excommunication et la complexité est une finalité politique pour ne pas lever le voile et éviter le débat politique, qui permettrait l’appropriation par les peuples.

Conclusion définitive de Jean Quatremer : « il faut stopper le délire de la Commission européenne » sinon l’europhobie va monter aussi vite que la démagogie. La dérive idéologique et technocratique doit laisser la place à un fonctionnement plus démocratique avec une responsabilité politique devant le Parlement européen et des citoyens qui veulent qu’on leur rende leur pouvoir de décision.

Que faut-il retenir du dépôt de bilan de la communication européenne ?

Une impasse en matière de principes :

  • L’affaire Selmayr à elle seule résume l’échec de nombreux principes dont collégialité des décisions, exemplarité de l’institution, responsabilité politique face à l’administration…
  • L’irrespect des valeurs fondamentales en Pologne et Hongrie est le signe d’un autre échec que la Commission avec son Premier Vice-Président Timmermans n’est pas parvenue à juguler…
  • Le droit d’initiative a été très largement subordonné aux souhaits des grands États-membres et au strict programme Juncker tandis que les tentatives de règlement en solo, sans le poids du Conseil européen (quotas de migrants par États-membres) ont été des échecs…
  • La capacité de décision exécutive se trouve de plus en plus diluée par le poids grandissant de l’autorité et des moyens des agences exécutives…

Un échec de la communication européenne :

  • Antagonisée face aux États-membres alors que seule la coopération permet d’atteindre le grand public ;
  • Filialisée à une famille politique et à un pays : la CDU allemande ;
  • Liée au seul destin de l’institution et du programme politique de son président ;
  • Neutralisée, trop silencieuse sur les grands enjeux et très bavarde sur les détails en particulier sur les réseaux sociaux…

2e table ronde : quelle communication européenne pour demain ?

Autour de la 2e table ronde, 3 intervenants – Isabelle Coustet, chef du bureau du Parlement européen en France, Juliette Charbonneaux, maître de conférence au CELSA et votre serviteur – ont dialogué des solutions pour « révolutionner » la communication de l’Europe.

Isabelle Coustet présente la campagne originale du Parlement européen pour les prochaines élections européennes, résolument pro-européenne « Cette fois, je vote » avec une plateforme web de quasi « community organising », qui invite non seulement les citoyens à voter, mais aussi à en parler autour d’eux et à rejoindre l’équipe d’organisation d’événements partout en Europe.

Juliette Charbonneaux insiste sur le journalisme européen, entre la prétention initiale à l’apolitisme du projet européen et sa récente politisation qui tend à faciliter le travail des journalistes. Elle revient également sur la tentation de faire « tabula rasa » quant aux questions médiatiques européennes et rappelle que des médias européens existaient déjà dans l’Entre Deux Guerres pour tenter de faire vivre une utopie européenne.

Michaël Malherbe invite à renverser la table, conscient que, tant que les causes non traitées risquent de produire les mêmes effets, aucune campagne de communication miracle n’est possible.

Refonder des structures inspirées des expériences nationales conduit d’une part à se poser la question de la création d’un service public de l’information audiovisuelle au niveau européen avec une indépendance totale et une capacité d’enquête et d’autre part à se doter d’une agence européenne de communication afin de mutualiser les moyens pour répondre aux enjeux de réception auprès du public.

Par ailleurs, la présence de l’Union européenne sur les réseaux sociaux est pléthorique mais illisible et incompréhensible et les institutions n’investissent pas assez en paid dans ce domaine, alors qu’il y a un potentiel énorme.

En outre, il faut faire la part des choses entre l’opposition intégrée au système autour des politiques publiques européennes et l’opposition systémique à l’UE. Le défi est à la fois de davantage parler du fond que de la forme de l’UE et l’UE assura sa survie quand elle sera parvenue à intégrer les discours critiques anti-système.

Enfin, la communication européenne doit faire preuve d’ambition et de créativité pour construire un imaginaire européen et des symboles forts, comme des séries inspirées par l’UE, à l’exemple de Madam Secretary et tant d’autres séries avec le FBI et la CIA ; ou encore afficher le drapeau européen sur les maillots de foot, aux JO, sur Mars…

Conclusion : la démocratie européenne s’use à ne pas servir

L’eurodéputée Isabelle Thomas conclut le colloque avec un plaidoyer pour un nouveau narratif européen qui ne soit pas une vision poétique mais un discours pragmatique et rationnel pour une Europe qui sache résister aux États-continents, aux multinationales/GAFAM pour imposer son modèle de société.

Elle rêve d’une vague citoyenne aux élections européennes pour donner des ailes au Parlement européen et lui permettre de faire son Serment du Jeu de Paume, le moment constituant, prélude à la Révolution démocratique de l’Europe.

Que conclure ? Que le fil rouge invisible d’un certain esprit révolutionnaire, à la fois de contestation et de refondation, semble confirmé lors des Rendez-vous de l’Europe, la consultation citoyenne réunissant les parlementaires français et les eurodéputés français le lendemain, où Jean-Louis Bourlanges a également plaidé pour que « l’UE doit réussir sa révolution copernicienne afin de contribuer à la construction d’un monde où elle sera en mesure de défendre ses valeurs, son modèle social et politique ». Vaste programme !

A quoi sert finalement la communication européenne ?

Le mouvement semble inversement proportionnel au cours de la dernière décennie écoulée entre la multiplication des actions de communication de l’UE et la dégradation du sentiment des Européens, de l’indifférence, à la défiance jusqu’au démantèlement avec le Brexit. Sans doute est-ce dû à la croyance que la communication – seule – aurait pu réconcilier l’UE et les citoyens ou que l’âge de l’accès numérique – seul – aurait pu se substituer à l’espace public européen. Il n’en est rien et même surtout, la communication, lorsqu’elle est inadaptée « ne peut que fragilisée davantage la démocratie européenne », selon Eric Dacheux dans « La communication publique de l’UE ne rapproche pas l’Europe des citoyens » in Incommunications européennes, Revue Hermès 77, 2017

Faiblesses et dangers de l’approche marketing « persuasive » de la communication européenne

D’une part, l’inefficacité de la communication européenne provient de l’aveuglement stratégique : « vouloir rapprocher l’Europe des citoyens est un objectif impossible à atteindre », sinon pour donner du grain à moudre à ceux – très nombreux – qui estiment que l’Europe technocratique se fait par les fonctionnaires et les élus, sans les citoyens.

D’autre part, l’inefficacité de la communication européenne vient également du marketing, « une méthode et des moyens inadaptés » : se contenter de rapporter la décision consensuelle finale sans mise en scène des positions et des conflits génère de la défiance.

En somme, pour Eric Dacheux, la communication persuasive est aussi dangereuse qu’inefficace :

  • Séductrice, en décourageant l’esprit critique avec des messages qui sont en quelque sorte le plus petit dénominateur commun entre Européens ;
  • Intrusive, en envahissant l’espace public (TV, ciné, radio, presse…) comme bruit de fond permanent ;
  • Simplificatrice, en ouvrant la voie au populisme et à la fabrication de boucs émissaires ;
  • Propagandiste, en devenant une technique professionnelle…

Quoique cette critique du « marketing » soit parfois excessive, il n’en demeure pas moins que la période d’une communication européenne de masse, top-down, uniforme sur la forme et univoque sur le fond (cf. la communication corporate de l’UE) est largement finie.

Pour une nouvelle approche délibérative de la communication européenne

En dépit de l’absence d’une espace public européen, quelques avancées sont relevées ces dernières années :

  • Des espaces sectoriels, dépendant des acteurs menant des débats sur des questions européennes
  • Des médias internationaux transeuropéens (CaféBabel, Euronews…)
  • Des ouvertures dans les espaces publics nationaux lors d’événements planétaires, de scrutins nationaux ou européens et via des rubriques « Europe », hélas bien à la peine lors de cette rentrée…

De même, sur les conditions de réalisation d’une Union européenne pleinement démocratique, selon Habermas, à chacun de relever au choix le verre à moitié vide, ou à moitié plein :

  • Besoin d’une constitution européenne, définitivement renvoyée aux calendes grecques
  • Besoin d’une culture politique commune, en voie de progression grâce aux élections européennes
  • Besoin d’un système de partis politiques transfrontières, actuellement discuté en sourdine autour d’une liste paneuropéenne avec le reliquat d’élus britanniques au Parlement européen ou de la nécessité de primaires paneuropéennes ouvertes pour choisir les « SpitzenKandidaten » du prochain scrutin ;
  • Besoin d’une société civile européenne, que le combat pour la transparence des institutions européennes par des ONG ou le lobbying citoyen via l’initiative citoyenne européenne incarnent à leur manière.

Au total, et ce message salvateur mérite d’être entendu : à l’heure actuelle toute politique de communication visant à réduire le fossé risque au contraire de le combler. La démarche de dialogue autour de l’avenir de l’UE (cf. les livres blancs) est explosive, selon la manière dont elle sera menée.

Et surtout, la communication n’est pas la solution clé, si l’on ne s’attaque pas très vite aux racines du mal européen, à savoir la méthode qui jusqu’à présent n’a pas suffisamment associée les citoyens aux discussions sur les solutions envisagées. A moins d’une semaine du discours sur l’Etat de l’Union, voilà le président Juncker averti.

La Suisse, une source d’inspiration pour l’espace public européen ?

Dans l’analyse « L’espace public suisse : une incitation à faire évoluer notre conception de la démocratie européenne », Eric Dacheux invite à prendre l’exemple suisse pour repenser la question de la construction démocratique de l’Union européenne…

Penser l’espace public européen et l’espace public suisse

Dans la vision de Jürgen Habermas, plusieurs conditions visent à définir l’espace public européen :

  • Une constitution européenne votée par référendum pour favoriser le « patriotisme constitutionnel » ;
  • La création d’une culture politique commune faisant le pont entre ethnos et demos ;
  • Un système de partis politiques transfrontières animant un débat politique européen ;
  • Une société civile européenne (émergente mais très sectorisée et limitée aux têtes de réseaux).

L’observation de l’espace public suisse fait ressortir plusieurs caractéristiques distinctives :

  • Un sentiment national fort malgré la coexistence de quatre cultures différentes ;
  • Un plurilinguisme apaisé, quoique les trois langues principales du pays sont rarement maîtrisées ;
  • La faiblesse d’un espace médiatique commun : des médias communautaires nombreux tandis que les médias fédéraux sont quasi-inexistants (pas de presse écrite nationale commune et peu de médias en ligne transrégionaux) ;
  • L’ancrage de la citoyenneté politique dans des débats publics locaux portant sur des sujets, des objets concrets et sur des décisions réelles.

Au fil d’un long processus historique de construction de la Suisse, un lien symbolique inconscient autour d’évidences culturelles et de valeurs communes (fédéralisme, démocratie directe, consensus) et une culture politique commune qui relient les différentes communautés linguistiques ont tissé une fierté d’avoir bâtie une nation en autonomie. Fierté que ne peuvent partager les citoyens de l’UE.

Repenser la question de la construction démocratique de l’Union européenne à partir de l’exemple suisse

 

D’abord, l’exemple suisse invite à mieux comprendre l’espace public européen :

D’une part, relativiser la place des médias dans l’espace public. Il n’y a pas de lien génétique entre média et espace public. En Suisse, peu de médias communs et pourtant un attachement à une entité politique qui regroupe plusieurs communautés culturelles. Ce qui importe : les conversations ordinaires des citoyens ordinaires. Le débat ordinaire entre citoyens est le cœur de l’espace public. Les médias et les réseaux sociaux ont un rôle important, celui de fournir de la matière à converser.

D’autre part, l’espace public n’est pas uniquement un espace de médiation. C’est aussi un espace d’engagement. Etre citoyen c’est aussi mettre en jeu son intégrité physique (cf. service militaire) dans des lieux publics.

 

Ensuite, l’espace public suisse invite à augmenter le nombre des conditions politiques nécessaires à l’avènement d’une démocratie à l’échelle de l’UE :

Plurilinguisme apaisé, certes… mais le débat public passe par un minimum de compréhension réciproque, possible avec 3 communautés linguistiques, beaucoup moins quand on a plus de 20 ;

Importance de la monnaie dans la construction d’une identité politique pluriculturelle. Or, si le Franc suisse est le symbole de l’Unité nationale helvétique, l’Euro est un symbole, disons, moins consensuel ;

Nécessaire ancrage dans un espace territorial clairement circonscrit, notamment l’engagement à défendre ce territoire. Or, l’UE refuse toute limite potentielle de l’UE, ce qui ne peut que réduire le sentiment d’appartenance.

 

Enfin, le cas suisse invite à élargir le cadre conceptuel permettant de penser la démocratie délibérative, entre raison intersubjective et constructions symboliques :

Si les médias jouent un rôle clef dans la construction des communautés imaginées contemporaines, il ne faut pas sous-estimer la persistance et la puissance de constructions symboliques non médiatiques comme les mythes qui se transmettent par l’école, les contes, l’art, etc.

Autrement dit, il convient de penser ensemble la manière dont se fabriquent les mythes et les utopies qui sont aussi des manières de donner un sens politique au monde dans lequel nous vivons, d’instaurer une culture politique commune sans laquelle ne peut se développer une démocratie délibérative.

 

Au total, l’espace public européen – en particulier ses spécificités et ses difficultés – s’éclaire et les éléments souvent pris comme sine qua none : médias de masse, plurilinguisme ou communication intersubjective doivent être reconsidérés au regard de l’espace de l’espace public suisse.

Déficit démocratique de l’UE : est-ce la faute de la communication européenne ?

A suivre Eric Dacheux, auteur de « Sans les citoyens, l’Europe n’est rien » dans le Huffington Post « Non seulement la communication ne peut pas combler le déficit démocratique de l’Union, mais pour l’instant, elle le creuse ! Pourquoi ? »…

La thèse d’Eric Dacheux : Sans les citoyens, l’Europe n’est rien

Pour Eric Dacheux, « la politique de communication mise en œuvre est un marketing politique, une politique de persuasion. Or, si la persuasion est un objectif électoral légitime pour un candidat, ce n’est pas un objectif légitime pour une Union de pays démocratiques. L’objectif légitime pour une Union de pays démocratiques est l’approfondissent de la démocratie. Or, la démocratie est une culture commune qui se perpétue et se transforme en générant du dissensus. La politique de communication de l’UE doit donc renoncer à l’auto justification. Elle doit, au contraire, chercher à intensifier les débats contradictoires autour de l’intérêt général.

D’autant plus, que le marketing politique est, par essence, inadapté à l’objectif fixé : il ne peut pas rassembler des citoyens différents autour d’un projet commun, car son ADN est de séparer une masse commune pour créer des cibles distinctes. Dès lors, il convient, si les institutions européennes veulent réellement sortir de l’impasse démocratique, de s’attaquer aux racines politiques, économiques et symboliques du mal dont souffre l’Union.

Pour ce faire, elle doit changer de méthodes : non plus la méthode Monnet des petits pas technocratiques censés entraîner une Union de fait, mais une méthode démocratique : associer les citoyens à la construction des solutions envisagées. Dans cette perspective participative, la communication publique joue un rôle, modeste mais indispensable : favoriser un conflit intégrateur aux dimensions de l’Union. »

Le déficit de communication de l’UE revisité

Dans une thèse récente « The EU’s “Communication Deficit” Revisited« , la question est donc « revisitée ».

Oui, la communication de l’UE contribue au déficit démocratique de l’UE parce que les initiatives de communication de l’UE tels que le « Livre blanc sur la politique de communication » ou la stratégie « Communiquer l’Europe en partenariat » n’ont apparemment pas réussi à atteindre l’objectif de rapprocher l’UE avec ses citoyens.

La stratégie de communication – par le biais de nouveaux moyens technologiques tels que les consultations en ligne, mais aussi via l’organisation de « débats citoyens » promus et lancés avec des attentes irréalistes – s’est en réalité limitée à quelques personnes intéressées déjà à des niveaux extraordinairement élevés de motivation et de connaissances sur les questions européennes.

Mais, l’auteur continue sur la communication de l’UE et le déficit démocratique de l’UE parce que cette critique repose sur une tendance implicite à faire valoir un point de vue de l’État-nation. La performance de l’UE – sous l’angle national – conclut inévitablement que la communication politique de l’UE est déficiente et inefficace parce qu’elle ne parvient pas à faire une impression durable sur la perception des citoyens. La charge contre la communication politique de l’UE déficiente omet également de prendre en compte que l’UE supranationale rend beaucoup plus difficile de communiquer les affaires européennes auprès du grand public.

La logique de la communication supranationale, le succès de la communication de l’UE

L’UE a besoin d’une communication très efficace qui permet aux parties prenantes dans et en dehors de Bruxelles d’être efficacement informés pour apporter leur contribution au processus législatif. Cette clientèle d’experts transnationaux forme naturellement le centre d’attention pour les acteurs de l’UE.

En d’autres termes, les informations fournies par les institutions européennes doivent avant tout répondre à la demande d’information des parties prenantes à Bruxelles et dans les Etats membres qui sont directement ou indirectement impliqués dans les routines de prise de décision de l’UE.

La communication a donc tendance à être intrinsèquement orientée vers l’information en profondeur des experts qui remplissent un rôle plus immédiat dans la politique au jour le jour de l’UE. Dans ce contexte, fournir des informations précieuses pour un public d’experts présente non seulement une tâche primordiale et légitime de toute activité de communication, mais pourrait même l’emporter sur des objectifs d’information générale dans la réalité au jour le jour.

La logique de la communication nationale, l’insuccès de la communication de l’UE

Le projet européen dépend du soutien (au moins diffus) du public européen. Il est l’essence même du « consensus permissif » qui a été construit sur la bonne volonté générale des citoyens envers l’UE. Le consensus permissif présente un décalage dans le temps : il faut une confiance de base dans les décisions prises au niveau européen dans l’attente des résultats politiques souhaitables. La confiance est « créditée » aux acteurs de la politique européenne aussi longtemps que leurs actions produisent des avantages dans le futur qui viennent «rembourser» la confiance investie en eux.

Dans ce contexte, la communication des résultats de la politique de l’UE devient clé. L’approbation du public doit être gagnée, a priori, par le biais d’un débat avec des arguments convaincants, plus facilement atteint grâce à l’amélioration de l’impact des relations avec les médias à l’égard de la promotion des sujets européens dans la couverture systématique des médias de masse de grande consommation, notamment les médias de télévision plutôt que par le biais de campagnes de publicité.

Néanmoins, il demeure difficile de traduire la communication d’experts de la sphère de la « bulle de Bruxelles » à une forme de communication « comestible » et significative pour un public local ; surtout sans visage familier représentant l’UE dans les Etats membres.

La complexité de l’UE, comme frein à l’intérêt des Européens

La complexité de l’UE est un élément clé en ce qui concerne, d’une part, la façon dont les médias sélectionnent et cadrent les sujets européens et, d’autre part, la façon dont les audiences perçoivent ces questions dans les médias.

Des niveaux de complexité élevés conduisent à une situation où les sujets de l’UE se prêtent plus à un support de presses spécialisées et moins aux médias audiovisuels avec une cible d’audience plus large.

Même dans les cas où les sujets européens apparaissent dans les médias grand public, ils sont moins susceptibles d’être perçus par un public général, en raison de la motivation insuffisante pour lire un article sur un sujet complexe de l’UE ou suivre consciemment un sujet européen à la télévision.

Le manque d’intérêt du public dans l’UE existe donc non seulement en raison des possibilités limitées de participation, mais aussi d’un manque de repères familiers au niveau supranational qui permettrait aux citoyens de faire des « raccourcis » pour assurer leur traitement de l’information.

La démocratie participative européenne en procès ?

Lors d’une journée d’étude à l’EHESS sur des « Regards croisés sur les critiques de la participation » en mars dernier, Christophe Bouillaud, professeur de science politique à l’IEP de Grenoble est intervenu sur l’impératif participatif citoyen dans la crise économique européenne ; ou quand la démocratie participative européenne est en procès…

La crise, éteignoir de la démocratie participative dans l’UE

La « démocratie participative » définie comme « ensemble de procédures qui permettent aux citoyens sans médiation d’exprimer directement leur voix » est presque totalement absente dans le déroulement de la crise européenne jusqu’à ce jour.

Pour Christophe Bouillaud, « les instances européennes semblent avoir pour objectif de ne pas avoir à organiser de consultation populaire. (…) Les décisions prises sont le fruit de cénacles restreints » sans aucune consultation large du public.

Autrement dit, « la situation présente de l’Union européenne montre une évolution exactement inverse de celle qui verrait une participation directe plus grande des citoyens aux grandes décisions économiques qui les concernent ».

La démonstration est implacable pour illustrer le « business as usual » des procédures démocratiques représentatives traditionnelles, au détriment des dispositifs de démocratie participative :

« A presque aucun moment, les décisions de politiques publiques ne sont soumises, même à un semblant de discussion ouverte aux citoyens ordinaires, en dehors des campagnes électorales habituelles. »

« Par ailleurs, surtout au sein de l’Union européenne, le primat des exécutifs nationaux dans la décision semble encore se renforcer lors de la crise. Le Conseil européen devient largement le seul lieu de décision « démocratique » – les Parlements nationaux sont priés de suivre ce que leur gouvernement a acté dans ce cénacle. »

« Finalement, le plus remarquable, à regarder les choses froidement, c’est qu’il ne se passe pas grand chose. Les élections provoquent des alternances sans heurts, la rue ne gouverne pas, les référendums sont aussi rares qu’auparavant. Ni révolution par les urnes, ni révolution par la rue, ni même apothéose de la « démocratie participative ». »

La démocratie participative, un dispositif pour « beau temps » ?

La conclusion de Christophe Bouillaud est sans appel : « Le très classique « no taxation without representation », qui détermine sur la longue période la primauté de la démocratie représentative sur les affaires économiques, fonctionne encore fort bien. »

« La crise économique permet une réaffirmation du TINA « There is no alternative » habituel, c’est une des formes les plus radicales de refus de toute participation populaire à la décision publique – sauf celle qui consiste à reconnaître la « vérité des faits ». Puisque la vérité existe, la seule bonne chose que le peuple puisse faire, c’est de l’accepter. »

Un point de vue qui n’est pas sans rappeler les critiques d’Éric Dacheux dans « L’impossible défi. La politique de communication de l’Union européenne » sur une construction européenne souvent présentée comme « inéluctable » par les États. La tactique de l’inéluctable consistant à présenter la construction européenne comme la seule possibilité des peuples de l’Europe, l’aboutissement inévitable d’un cheminement continu vers une Europe unie et indivisible.

« User du terme de « démocratie participative », qui suggère que les simples citoyens pourraient avoir voix au chapitre dans la décision publique contemporaine, risque fort de nous égarer gravement sur le fil de l’histoire en cours en ce que terme même indique que ces derniers pourraient avoir éventuellement quelque chose à proposer en matière de choix collectifs. »

Sinon, le déficit démocratique de l’UE se porte bien.