Archives mensuelles : février 2023

Élections européennes 2024 : les partis politiques européens pourront-ils faire campagne en ligne ?

Le mieux serait-il l’ennemi du bien si l’on en croit le processus d’adoption d’un règlement européen sur la transparence et le ciblage de la publicité à caractère politique, dont les bonnes intentions risquent de saper la capacité à lutter contre l’abstention et faire campagne en ligne et sur les réseaux sociaux…

Quand l’Europe se veut légitimement comme souvent exemplaire

A la suite de la proposition de règlement par la Commission européenne, première étape de toute future législation européenne, les deux autres institutions doivent se positionner sur les points clés de règlementation.

La position du Conseil de l’UE du 13 décembre 2022 sur la publicité à caractère politique se montre ouverte « dans un contexte où les campagnes politiques se déroulent de plus en plus en ligne et par-delà les frontières nationales (…) à promouvoir des normes élevées de transparence dans la publicité à caractère politique dans l’UE, à limiter l’utilisation de la publicité ciblée à des fins politiques et à faciliter la prestation et la surveillance transfrontières de services de publicité à caractère politique ».

Du point de vue des ministres, cette régulation permettrait de lutter contre la désinformation, la manipulation de l’information et l’ingérence dans les élections ainsi qu’à préserver un débat démocratique ouvert dans les États membres de l’UE.

La position du rapporteur au Parlement européen, Sandro Gozi, député européen Renew argumente sur des arguments complémentaires comme « offrir à nos concitoyens plus de transparence et (…) lever les obstacles à la création d’un véritable marché unique dans ce domaine et à construire un environnement favorable aux campagnes transnationales ».

Du point de vue des députés européens, les élections sont proches et les règles doivent être claires et prêtes dans les temps pour le scrutin du printemps prochain.

Le micro-ciblage, le sujet de controverse contentieux

L’interdiction du ciblage et de la diffusion de publicités basées sur des catégories spécifiques de données à caractère personnel définies dans le cadre du règlement général sur la protection des données se révèle à la fois indispensable et problématique :

  • Indispensable, lorsqu’il s’agit d’interdire le ciblage publicitaire sur des critères comme l’origine ethnique, la religion ou les opinions politiques ou bien le ciblage de mineurs ;
  • Problématique, dans la mesure où le micro-ciblage largement interdit conduira les annonceurs à ne pouvoir utiliser seulement que les données personnelles explicitement fournies par les citoyens à cette fin.

Le compromis, adopté en commission parlementaire au sein du Parlement européen, selon certaines sources mentionnées par Euractiv « va trop loin », soulignant que le ciblage est une « partie importante du processus démocratique de formation de l’opinion ».

Pour l’Association des services Internet communautaires, le projet de règlement européen sur l’encadrement des publicités politiques « pourrait limiter la visibilité de tout contenu parlant d’un sujet de société qui serait concerné par un débat en cours devant un parlement », dans une tribune publiée par Libération.

« L’enfer législatif est pavé de bonnes intentions… et parfois les élus, en pensant bien faire, peuvent commettre de lourdes erreurs. C’est ce qui est peut-être en train de se passer à Bruxelles, où l’Union européenne pourrait sans le vouloir porter une atteinte grave à la liberté d’expression et au débat démocratique en ligne. »

La négociation va se poursuivre entre les institutions européennes pour parvenir à un compromis définitif, il est encore possible de trouver une voie médiane entre la position initiale de la Commission européenne, la vision raisonnable du Conseil de l’UE et la position plus maximaliste qui veut laver plus blanc que blanc du Parlement européen.

La publicité des partis politiques et de la société civile, en particulier lors des périodes électorales, participe, qu’on l’apprécie ou qu’on le déteste, à la délibération publique et à la construction d’un espace public européen permettant aux opinions politiques de s’exprimer et de circuler. Le nouveau régime risque de renforcer l’isolement des citoyens et l’éclatement des offres politiques en des groupes homogènes sans relation les uns avec les autres renforçant la polarisation politique et l’ascension aux extrêmes.

Communication européenne sur nos smartphones : il y a une app pour ça

Slogan emblématique de la marque à la pomme lors du lancement de l’iphone : « il y a une app pour ça », l’Union européenne semble s’en être saisi pour investir nos portables avec à ce jour 24 applications référencées sur l’Apple Store. Que peut-on en dire pour chaque catégorie souvent arbitraire prévue pour les classer ?

1ère catégorie : les applications « éducation » en mode ludique ou serious game

Avec un quart des applications référencées de l’Union européenne, les app éducation sont destinées à des publics spécifiques qui visent à faire un apprentissage, que l’on va présenter de la plus ludique à la moins pédagogique :

L’application « Cyber Chronox » se positionne comme un outil ludo-éducatif de sensibilisation des jeunes à la protection des données et aux droits fondamentaux sous forme de bande dessinée interactive pour des activités dans un cadre éducatif informel.

« Happy Onlife » est un jeu engageant visant à accompagner les enfants de 8 à 12 ans tout en impliquant leurs parents et enseignants pour initier avec eux une médiation active afin d’apprendre à se comporter en toute sécurité dans le monde numérique.

« Invasive Alien Species Europe » vise à permettre au grand public de recevoir et de partager des informations sur les espèces exotiques envahissantes en Europe, dont 10 à 15 % sont envahissantes, causant des dommages environnementaux, économiques et/ou sociaux.

L’application « CEPOL LEED » donne accès à une plate-forme de elearning destinée aux responsables de l’application des lois dans les États membres et autres pays partenaires.

L’application « The EU Relocation Programme » vise à aider les demandeurs d’asile avec des informations sur la procédure de relocalisation et leurs droits et obligations lors de la demande de relocalisation.

Dernière app, le « Council Voting Calculator » est destiné aux spécialistes de l’UE afin de leur permettre de simuler un vote à la majorité qualifiée au Conseil de l’UE avec un calculateur en fonction des procédures et des positions des États-membres.

2ère catégorie : les applications de « référence » informatives

Commençons par le commencement, l’application de la Charte de l’UE « EU Charter » se positionne comme « un guichet unique des droits fondamentaux » qui donne accès à la Charte des droits fondamentaux de l’UE ainsi que les jurisprudences de la Cour européenne de justice et de la Cour européenne des droits de l’homme.

Application pratique destinée aux juristes, « CVRIA » se présente comme l’outil idéal pour ceux qui souhaitent se tenir au courant des travaux de la Cour de justice de l’Union européenne : communiqués, décisions, audiences, arrêts et avis.

L’application « EP Research Service » donne accès à toutes les publications et infographies publiées par le Service de recherche du Parlement européen fournissant une analyse indépendante et objective sur les questions, la politique et le droit de l’UE.

Le Bureau européen d’appui en matière d’asile offre un soutien pratique aux personnes sur le terrain avec « EASO Practical Tools » concernant les droits des personnes ayant besoin d’une protection internationale et des informations sur les procédures applicables.

L’application du Comité européen des régions vise à se connecter aux responsables politiques locaux d’Europe et obtenir les dernières nouvelles de l’organisme de l’UE représentant les villes et les régions.

3ème catégorie : les applications « Voyage » de services

« Passenger rights » peut se révéler très pratique si vous avez déjà été bloqué ou vos bagages perdus, l’application couvre désormais tous les modes de transport dans l’UE – aérien, ferroviaire, bus et bateau, vous pouvez vérifier vos droits immédiatement, sur place.

« Going Abroad » est l’application de sécurité routière pour trouver toutes les règles de sécurité routière avant de partir à l’étranger sur les routes en Europe.

Comme partout avec le Covid, « Reopen EU » fournit un aperçu de la situation sanitaire dans les pays européens, sur la base des données du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies afin de planifier ses voyages en Europe.

Enfin, « EPexplorer » permet de découvrir le campus bruxellois du Parlement européen à travers une expérience interactive en réalité augmentée.

4ème catégorie : Utilities & Productivity, les applications pratiques

« ERA SMS » de l’agence de l’UE pour les chemins de fer donne un aperçu des principaux éléments constituant le système de gestion de la sécurité ferroviaire.

« Innovation Radar » vise à identifier les innovations et les innovateurs à fort potentiel dans les programmes-cadres de recherche et d’innovation financés par l’UE.

« EU CBRNE Glossary » est le glossaire officiel de l’UE sur les risques chimiques, biologiques, radiologiques, nucléaires et explosifs pour les praticiens de la gestion et de la réponse de crise.

« Food Checker » est un outil de collecte dans le but d’identifier des produits alimentaires apparemment identiques mais présentant des différences de composition (nutrition et ingrédients) sur les étiquettes.

« EU Council » conçue pour les invités aux événements et réunions qui se déroulent dans les bâtiments du Conseil de l’UE à Bruxelles et à Luxembourg.

Bonus : une appli « social media » et une appli « simulation »

En tant que social media, l’app « European Solidarity Corps » vise à permettre aux jeunes de 18 à 30 ans de s’engager dans des projets liés à la solidarité dans toute l’Europe en tant que bénévole, stagiaire ou même salarié travaillant sur un projet solidaire. Les fonctionnalités inspirées des réseaux sociaux, on retrouve la possibilité de créer un profil, publier des contenus, interagir avec la communauté et chater mais aussi rechercher et postuler à des opportunités.

App la plus aboutie, « EUcraft » est un jeu de simulation vous permettant de prendre des décisions au sein du Conseil de l’UE en se mettant à la place des ministres nationaux et en négociant sur des sujets réels afin de parvenir à un accord. Il s’agit d’un jeu éducatif basé sur le vrai processus de négociation et sur de vrais sujets, cependant, les procédures de négociation sont présentées sous une forme simplifiée et gamifiée, avec l’ajout d’éléments ludiques et un degré d’abstraction.

N’hésitez pas à partager en commentaire les applications européennes que vous connaîtriez !

Consultation De Facto : comment permettre à chacun de mieux s’informer ?

Retour sur la table ronde lors de Médias en Seine, « comment permettre à chacun de mieux s’informer ? » autour de la consultation De Faco, autour d’une réflexion globale sur une information plurielle, vérifiée qui a fait l’objet de 110 000 contributeurs et 2023 propositions, il s’agit d’un projet soutenu par la Commission européenne pour lutter contre la désinformation.

Axel Dauchez, Président et fondateur de Make.org

La consultation a permis de recueillir des réponses sur un sujet sensible auprès d’un très grand public, c’est une matière très riche sur les sujets qui génèrent le plus d’engagement et de consensus.

Principaux enseignements :

  • Sur-prépondérance des fake news, des craintes fortes
  • Sujet de bien s’informer était une préoccupation, c’est dorénavant une priorité, un impact sur la cohésion sociale
  • Convocation de tous les acteurs : l’enseignement à l’école, la régulation des pouvoirs publics, les comportements des citoyens
  • Une sorte d’union sacrée, avec de vrais paradoxes : rupture ou évolution ?

Christine Buhagiar, Directrice régionale Europe de l’AFP

Une consultation positive, on sort d’une attitude passive/critique sur l’information à une envie d’être plus actif, apprendre à douter, se doter d’outils, comment trouver la réalité des faits, c’est un changement de paradigme complet, c’est encourageant.

Une information de qualité, c’est restituer les faits en toute objectivité, c’est dans la charte fondatrice de l’AFP : oublier toute objectivité, aller sur le terrain. Une information exacte ne suffit plus en captant des photos et des vidéos d’observation des faits, le travail journalistique doit prouver par d’autres outils et méthodes que ce qui vient du terrain est vrai dans la lutte contre la désinformation. Aujourd’hui, 140 personnes ne font que de la lutte contre la désinformation, on n’aura jamais pu l’anticiper il y a même 5 ans.

Face au problème du manque de confiance du public dans les journalistes, un tiers des gens fait confiance aux médias. L’une des réponses à ce problème, c’est l’éducation aux médias, sur la base de valeurs, d’éthique. Si les personnes ont des outils de contre-enquête leur permet d’évaluer la qualité du travail des journalistes.

Sylvain Parasie, Sociologue et Professeur des Universités à Sciences Po

Au départ, une grande déstabilisation des pratiques, des troubles liés à la digitalisation. Il y a une extrême exigence des citoyens à l’égard de l’information, une attente très forte, un véritable intérêt : diversité, transparence, concentration.

Une information sur les réseaux sociaux, sans filtre journalistique. Le rôle des journalistes a changé : l’éditorialisation collective d’un média, alors que la circulation des articles est individuelle avec des réceptions très diverses. L’éthique et les standards journalistiques deviennent encore plus important et la pratique du fact-checking se développe aussi au sein de l’audience. La différence entre journalistes et citoyens reste importante, mais les critères de jugement de la qualité de l’information se rapprochent.

La distance avec les médias reste néanmoins importante au sein de la population, il existe aussi des phénomènes d’évitement de l’information avec des personnes très éloignées des médias.

Nathalie Sonnac, Présidente du Conseil d’Orientation et de Perfectionnement du Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information

Une conscientisation finalement dans un monde complexe, tout un chacun participe à la circulation de l’information, générant du bruit, un flux informationnel constant, difficile de s’y repérer. Il y a besoin de repères, d’informations de qualité, de sensibilisation aux médias, il y a un risque que la mauvaise information chasse la bonne, les citoyens en sont conscients.

Face à la crise de confiance, de façon institutionnelle dans toute l’Europe et les Etats-Unis frappe particulièrement les médias, il y a une forte demande pour s’acculturer aux médias et à l’information pour avoir un socle commun : en 2013, institutionnalisation de l’éducation aux médias pour les plus jeunes et en 2022, le renforcement de l’éducation à l’information avec des référents au sein des rectorats.

Aussi, il faut embarquer les familles dans l’univers numérique et le monde de la recherche et de l’université ainsi que les professionnels de l’éducation pour aider les éducateurs à se former eux-mêmes.

Au total, l’éducation aux médias est une priorité afin de développer ses capacités de lecture critique, de renforcer l’éducation au sein du système éducation et qui soit aussi destiné à toutes les générations.

L’Europe, sanctuaire ou crépuscule de la démocratie ?

Déjà en perspective des élections européennes du printemps 2024, la Maison de l’Europe de Paris a organisé une conférence, avec l’intervention d’Emmanuel Rivière, le patron de l’institut de sondage Kantar Public, responsable de toutes les enquêtes Eurobaromètre…

Quelle est la perception de la démocratie dans l’Union européenne ?

Petit tour d’horizon à l’appui de diverses enquêtes d’opinion en 10 points clés :

  1. Premier résultat significatif, la nature démocratique de l’Union européenne est reconnue très majoritaire, par plus de 72% des Européens, quoique cette proportion soit légèrement inférieure en France.
  2. Parmi les valeurs, la démocratie arrive en 4e position après les libertés, la paix et l’euro, ce qui montre à la fois les acquis communautaires et les principes ; en France, l’item démocratie est plus bas dans les valeurs.
  3. Globalement, la satisfaction sur le fonctionnement démocratique à l’échelle européenne est majoritaire, à 54%, il est d’ailleurs davantage interrogé à l’échelle nationale, y compris en France.
  4. Cette satisfaction sur le fonctionnement de l’UE est un sentiment inégalement réparti géographiquement avec une césure visible en Europe de l’Est, plus critique à l’égard de l’Union européenne.
  5. Le traditionnel clivage sociologique qui veut que plus on étudie longtemps, plus on a le sentiment d’être entendu dans la démocratie européenne se confirme dans les enquêtes les plus récentes.
  6. Les menaces contre la démocratie, comme les extrêmes ou la désinformation sont présentes, mais les citoyens européens se déclarent plutôt prudents et vigilants pour faire face à ces défis.
  7. Pour les valeurs que le Parlement européen doit défendre, depuis longtemps, c’est la démocratie qui apparaît en première position dans l’Union européenne, mais en France, c’est l’égalité femme-homme.
  8. L’intérêt pour les élections européennes est dans la moyenne à cette période, c’est-à-dire à 18 mois du scrutin, une partie seulement des Européens a connaissance de ce rendez-vous pour le moment.
  9. Malgré l’horizon menaçant sur l’état de droit dans quelques pays européens, même si la plupart peuvent se considérer concernés, les Européens défendent fermement les principes démocratiques.
  10. Les élections européennes permettent d’avoir le sentiment d’être entendu dans l’Union européenne, à quasiment chaque scrutin, ma voix compte davantage, c’est un vrai moment démocratique.

Que faut-il retenir ?

Les crises d’aujourd’hui, contrairement aux crises précédentes, produisent plutôt des sentiments positifs pour l’Union européenne, à elle de s’en saisir pour transformer l’essai.