Archives annuelles : 2016

Quels devraient être les principes internes de la communication européenne ?

Du point de vue interne, c’est-à-dire pour les « communicants européens », quelques principes devraient structurer l’organisation et le fonctionnement de la communication européenne…

Compréhension : est-ce que ce que nous disons sur l’Europe est clair ?

Premier principe, déjà présent dans le plan d’action de Margot Wallström lorsqu’elle rejoint la Commission au poste de Vice-présidente en charge de la stratégie de communication il y a 10 ans, « communiquer dans un langage clair » demeure la base, essentielle.

Puisque ce qui se conçoit bien s’énonce clairement… et les mots pour le dire arrivent aisément ; la compréhension doit à la fois porter sur l’utilisation d’une langue courante mais également sur la définition d’objectifs clairs.

Trop souvent, la communication européenne oscille entre une intention intégrationniste à caractère idéologique pour faire évoluer les mentalités et une démarche plus consensuelle de pédagogie et de transparence.

De même, les rares campagnes de communication de l’UE doivent à tout prix éviter de se disperser tant dans la forme avec des choix créatifs qui cannibalisent les messages que sur le fond avec des messages soit trop techniques, soit trop généralistes qui finissent par ne plus rien dire. La publicité doit être une communication comprise.

Coopération : est-ce que nous communiquons bien au nom de l’intérêt général européen ?

Compte tenu de la multiplicité des acteurs institutionnels européens, de l’étendue sans cesse accrue des dossiers gérés par l’UE et des résultats pour le moment non décisifs afin d’améliorer l’opinion des Européens, le second principe consiste à systématiquement s’interroger sur la pertinence des messages du point de vue de l’intérêt général de l’UE.

À l’heure actuelle de la crise quasi existentielle de la construction européenne, il n’est plus possible d’envisager, surtout de part de la communication officielle, des actions qui ne soient pas à la fois menées en totale coopération entre les institutions européennes et en totale adéquation avec l’intérêt général de l’UE.

La question d’une mutualisation des moyens va très prochainement se poser non plus seulement pour les budgets des DG la Commission européenne comme c’est déjà le cas, mais des budgets d’investissement partagé entre les institutions européennes. Quand il s’agit de sauver le navire, on ne distingue pas entre les passagers, sauf sur le Titanic…

Contribution : est-ce que nous nous adressons bien à un public ?

Dernier principe interne pour tout communicant européen, l’obligation de s’assurer que la communication entreprise contribue bien à faire passer les messages auprès d’un public cible. Les actions « symboliques » qui s’imaginent toucher le grand public à grand frais sans résultats (songeons au covering du Berlaymont à Bruxelles) doivent être abandonnées au profit d’actions mesurables et utiles.

Plus encore, la communication européenne doit viser à contribuer au débat public avec un angle de vue absent dans la plupart des grands médias, contribuer à instaurer le dialogue en apportant des réponses concrètes à des questions concrètes, contribuer à améliorer les possibilités de participation au processus décisionnel, quelque soit la procédure et l’implication du public.

Le Premier ministre britannique Disraeli disait que de l’éducation d’un peuple dépend le destin d’un pays, sans doute, le temps est venu de dire que de la communication sur l’Europe avec les Européens dépend le destin de la construction européenne.

Comment s’informer sur l’Europe en France ?

Le paysage des médias n’a jamais été favorables à l’information européenne, faute d’intérêt des citoyens côté pile ou faute d’investissement des journalistes côté face. Malgré tout, quelques émissions, rubriques ou sites spécialisés permettent de s’informer sur l’Europe en France…

Moins d’une dizaine d’émissions pour la télévision ou pour la radio

Le portail Touteleurope vient d’actualiser une sélection d’émissions de télévision et de radio sur l’Europe.

L’émission TV la plus connue Avenue de l’Europe sur France 3 a récemment fait l’objet d’une double rétrogradation en passant sur un format mensuel et diffusé le mercredi très tard, à 23h20. Le mercredi, c’est la journée de l’Europe puisque toute les semaines, la chaîne parlementaire diffuse Europe Hebdo en début de soirée.

D’ailleurs, c’est plutôt service minimum pour le service public de l’audiovisuel français, puisque les autres émissions sont sur France 24 : Ici l’Europe (côté entretien) et L’Europe dans tous ses états (côté reportages) le samedi midi ou sur TV5 Monde avec Bar de l’Europe le dimanche midi.

Après, il reste les incontournables : la chaîne Euronews pour ceux qui la captent et Arte qui assure le job avec des émissions le week-end : Vox Pop et Yourope.

Au total, aucune émission consacrée à l’Europe sur les chaînes « commerciales » comme TF1, le groupe Canal + ou les autres chaînes de la TNT. On vous dit que l’Europe, ça ne fait pas vendre. En tout cas, personne n’essaye vraiment.

Pour la radio, même punition. Seules les chaînes du groupe Radio France parlent d’Europe sur les ondes :

Il ne faudrait pas oublier dans ce tableau l’émission qui est à la fois diffusée à la télévision et à la radio et en plus sur une chaîne privée, puisqu’il s’agit de 500 millions d’Européens sur BFM Business. Un miracle qui ne tient que par les financements du programme européen Euranet plus.

Davantage de rubriques ou de sites spécialisés

Du côté de la presse, Touteleurope comptabilise une douzaine de rubriques « Europe » dans la presse quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle – un palmarès pluraliste mais décevant :Challenges ; Courrier international ; La Croix ; Les Echos ; L’Express ; Le Figaro ; L’Humanité ; Le Monde ; Le Monde diplomatique ; Le Point ; L’Obs ; Slate ; La Tribune ; 20 minutes.

Du côté des médias spécialisés, les choses évoluent peu entre Coulisses de Bruxelles : le blog de Jean Quatremer et le blog Bruxelles 2 sur les questions de défense en Europe, les pure players européens comme Euractiv.fr, Contexte, Myeurop et VoxEurop (ex Presseurop) et les médias participatifs comme Café Babel, Le Taurillon et les Euros du Village.

Au total, dans les médias audiovisuels, l’actualité européenne apparaît clairement comme un sujet de niche, qui incombe quasi exclusivement au service public TV ou radio tandis que dans la presse, les rubriques Europe demeurent encore, face à quelques médias spécialisés.

Quelle est l’évaluation officielle de la campagne de communication corporate de l’UE ?

Avec 115 millions de personnes atteintes par le projet pilote mené dans 6 Etats-membres, l’évaluation officielle de la campagne multicanal (TV/print/digital/PR) fournit beaucoup de matière à réflexion pour le future…

Principales réalisations

En contribuant à combler le fossé entre le public et l’UE, la communication corporate est d’une grande importance politique pour la Commission européenne en tant qu’institution, et d’un grand intérêt pour les citoyens.

Pour la première fois, la Commission européenne a communiqué au public au nom de l’UE, un terme que les citoyens utilisent de manière interchangeable lorsqu’ils parlent institutions de l’UE.

La campagne a rencontré et dépassé les objectifs fixés pour atteindre le grand public.

La campagne a démontré qu’il était possible de générer un impact sur les citoyens, qu’ils aient des opinions positives, neutres et négatives sur l’UE.

Principaux domaines d’amélioration

La recherche qualitative sur les opinions et les motivations du groupe cible (les gens avec une opinion neutre de l’UE) aurait pu davantage permettre de comprendre le type de contenu, les questions et l’approche qui résonnent le mieux avec ces personnes.

Les spots publicitaires auraient pu être mieux ciblés et surtout moins abstraits tandis que les projets sélectionnés étaient trop précis pour être utile à des considérations quotidiennes des gens. Un « call to action » plus clair aurait amélioré la valeur de l’information.

Le message fédérateur « L’UE travaille pour vous » a abouti à des différences dans la perception de la crédibilité et de la pertinence du message avec des questions sur l’opportunité de la bonne formulation dans tous les pays. Pour la plupart des gens, l’information la plus importante n’est pas le fait que l’UE travaille pour eux, mais la façon dont ils pourraient bénéficier d’un soutien personnel de l’UE.

Le site pourrait être amélioré pour ne pas se limiter à un référentiel d’informations supplémentaires au « look and feel » très basique et son adresse pourrait clairement être visible sur les annonces dans la presse ou les publicités à la télévision.

Les relations publiques auraient pu raconter l’histoire tandis que la publicité fournit les exemples de l’histoire.

Des KPI plus précis auraient pu être fixés pour le site et pour la portée qualitative des médias.

Principaux points à retenir

Les gens veulent en savoir plus sur l’UE, mais ne veulent pas nécessairement voir des publicités. Une approche créative est nécessaire, mais la campagne devrait refléter l’UE et essayer de créer des histoires afin qu’elles intéressent des groupes cibles spécifiques et clairement distinguables.

Les gens se sentent visés quand ils voient des expériences qu’ils ont eux-mêmes vécues ou ou s’ils peuvent se rapporter à des histoires dépeintes. La sensibilisation du public est plus efficace au niveau émotionnel.

La télévision était de loin le moyen le plus efficace, les gens se souvenaient avoir vu des publicités à la télévision beaucoup plus que les annonces dans la presse écrite et sur les sites web et les médias sociaux.

Principales recommandations

Utiliser des approches basées sur le récit, avec des histoires ancrées dans la réalité plutôt que sur les seuls faits bruts tout en conservant un message fédérateur principal qui transmet ce que fait l’UE.

Garder la télévision dans le mix média, c’est l’élément clé des futures campagnes car le plus efficace mais avec davantage de synergies avec les autres médias afin de créer un impact global plus fort.

Le site devrait servir de passerelle convivial, être aligné visuellement avec toute la campagne et présenté dans un format beaucoup plus simple, plus navigable et plus tangible, avec des histoires sur des projets concrets soutenus par l’UE dans chaque pays.

Étant donné que les avantages de l’UE sont souvent déformés, mal compris et interrogés au niveau national, il y a un très fort impératif stratégique à accroître la visibilité et combler le fossé de l’information au niveau des États membres d’autant que les gens veulent savoir ce que fait l’UE.

Afin d’atteindre un public de masse, sélectionner un petit nombre de grands thèmes pertinents autour des bénéfices de l’UE pour tous puis les décliner par cibles.

Intégrer davantage les activités de publicité et de relations publiques, les connaissances locales sont essentielles, les Représentations dans les pays devraient être étroitement consultées.

Une attention particulière doit être accordée aux échéances des différents médias afin que le calendrier de la publicité sorte quand les articles de presse renforcent les annonces.

Au total, l’évaluation officielle recommande de continuer à développer l’approche afin de créer une image de marque cohérente de l’UE.

Quel devrait être le chantier prioritaire de la communication de l’UE ?

Construire l’espace public européen et un public d’Européens ne devrait constituer que l’ultime finalité de toute la communication européenne. En même temps, faire passer dès à présent via les médias nationaux ou sociaux des messages sur l’Europe devraient justifier tout euro dépensé en communication européenne. Alors, quel est le chantier le plus prioritaire ?

À long terme, la construction de l’espace public européen est le seul chantier qui compte

Sans la possibilité de s’adresser à tous les Européens, la construction européenne ne sera pas pleinement réalisée, et ne sera pas non plus démocratique. Même si l’espace public européen est une réalité théorique et disons intellectuelle à l’heure actuelle, la communication européenne devrait se consacrer à son développement et à sa réalisation.

Du coup, le seul chantier prioritaire devrait être de favoriser l’émergence d’une conscience européenne parmi les Européens, afin que chacun des habitants de l’espace Europe puissent adopter des opinions européennes et participer en connaissance de cause à la vie démocratique européenne.

Un tel chantier devrait alors se traduire par une série d’actions, qui ne sont pas à proprement parler des actions de communication, mais qui permettent de créer les conditions favorables à la communication de l’UE :

D’une part, des projets et initiatives en matière d’éducation civique européenne et de « citoyenneté active » qui se traduisent par des programmes – en ligne ou entre Etats-membres – de formations et d’expérimentation de démocratie participative.

D’autre part, des moyens pour favoriser des médias paneuropéens véritablement grand public et indépendants, comme peut le faire actuellement l’UE en finançant des projets comme Euronews, Euranet et d’autres initiatives journalistiques transfrontalières et européennes.

À court terme, la communication de messages sur l’Europe est le seul chantier qui importe

À l’échelle du continent, pour véritablement peser sur les orientations politiques en matière européenne choisies lors des élections nationales et européennes par les électeurs, seule une communication sur les enjeux et les conséquences des actions en cours importe pour faire la différence ici et maintenant.

Logiquement, le chantier prioritaire de la communication de l’UE aujourd’hui consiste à parvenir dans les meilleurs délais et avec les meilleurs résultats à s’adresser au plus grand nombre d’Européens pour les sensibiliser à la réalité de la construction européenne, sous un angle de vue européen et non national afin de leur permettre de juger s’il faut plus ou moins d’Europe sur différents dossiers.

Compte tenu de l’effort à y consacrer, la priorité de la communication européenne s’oriente naturellement vers des arbitrages, en particulier budgétaires, au bénéfice d’une vaste campagne de communication paneuropéenne grand public.

Mais alors, en période de crise comme maintenant, faut-il et comment concilier ces deux projets prioritaires ?

Puisque le chantier de long terme, i.e. la construction de l’espace public européen, se fait sans action de communication à proprement parler, le chantier prioritaire doit porter au plus vite sur la communication d’envergure et d’impact auprès des Européens.

Des mobilisations de clavier et de l’importance du lien hypertexte

Dans le cadre de la Consultation européenne des Citoyens en 2009, visant à mobiliser des internautes via des forums et des outils de vote, afin de formuler des recommandations politiques à destination des décideurs européens ; Romain Badouard décrypte les usages stratégiques des liens hypertextes au sein des pratiques de mobilisation

La Consultation européenne des citoyens : une incarnation immatérielle d’une « expérimentation démocratique » détournée par la co-construction d’actions militantes

Par la mise en ligne de dispositifs participatifs au sein d’une plateforme en ligne déclinée en 28 sites nationaux, la Commission entend sensibiliser les internautes aux enjeux européens, favoriser un sentiment d’appartenance à l’UE et donner corps à une opinion publique européenne.

La procédure consultative en ligne visant à produire des recommandations plébiscitées par un nombre important d’internautes promeut une approche délibérative de la participation à l’échelle des Etats membres, et agrégative à l’échelle européenne.

En fait, la mobilisation de groupes militants pour faire voter des propositions spécifiques a véritablement détourné le projet destiné aux citoyens « ordinaires ». Au total, la stratégie de mobilisation de citoyens « ordinaires » portée par les responsables du projet a été débordée par celle des publics thématiques, plus militants.

L’impact de la mobilisation de publics thématiques sur le déroulement de la consultation est important car :

  1. la plupart des visites ont pour origine d’autres sites (et non pas des moteurs de recherche) ;
  2. ces sites invitent les internautes à réaliser différents types d’actions ;
  3. l’activité proposée par les sites thématiques (le vote), a été largement plébiscitée sur le site de la consultation, en comparaison des activités de débat valorisées par les autres sites européistes, citoyennistes ou généralistes ;
  4. les propositions bénéficiant de relais sur des sites thématiques ont accaparé la grande majorité des votes, les qualifiant de fait pour la seconde phase de la consultation.

L’européanisation des actions collectives : une déconnexion entre activisme et zones géographiques

L’action collective à l’échelle européenne présente des spécificités et une grande diversité de dynamiques :

  • une coordination européenne d’acteurs qui protestent dans un cadre national ;
  • une coalition transnationale qui prend directement pour cible l’Union ;
  • des protestations intérieures contre des mesures communautaires.

Autrement dit, le caractère européen de l’action réside soit dans l’échelle de la mobilisation, soit dans la nature de l’institution dont on attend quelque chose ou contre laquelle on proteste.

L’originalité des dynamiques en ligne réside dans la déconnection entre les publics, les actions et les cadres géographiques :

  • des mobilisations de publics nationaux pour mener des actions transnationales ;
  • des mobilisations de publics internationaux pour mener des actions nationales ;
  • la coordination d’acteurs nationaux pour mener une action transnationale.

L’articulation entre l’activité individuelle et le projet collectif rend possible une « coordination non coordonnée » d’individus quelque soit leur emplacement, qui de ce fait favorise l’européanisation des actions collectives.

Comment qualifier une « mobilisation de clavier » ?

C’est une agrégation d’actions individuelles dans le cadre d’une activité où l’hypertexte agit comme :

  • « grappin » permettant de « drainer » des internautes vers une scène publique lors de la mobilisation d’un collectif ;
  • « agrégateur » qui intègre des activités individuelles à un projet collectif lors de la conduite de l’action : cliquer le lien implique une interprétation par l’internaute et traduit ainsi une forme d’engagement ;
  • « canal de communication » entre différents territoires thématiques lors de la constitution d’un espace public autour d’une scène.

Le lien hypertexte va de ce fait structurer un espace public de la consultation, en articulant à la plateforme participative différents territoires thématiques et dessiner ainsi un espace public opportuniste (il se construit à partir de l’opportunité offerte par la scène publique), temporaire (il ne dure que le temps de la consultation), hétérogène (il est constitué d’une multitude de territoires thématiques), et dont la forme est réticulaire (il est composé de réseaux de sites), indéterminable (il se constitue par abordages successifs et ne peut donc pas être planifié) et évolutive (il se transforme à chaque nouvel abordage).

En conclusion, l’usage stratégique du lien hypertexte constitue une ressource structurante à la fois lors de la mobilisation d’un collectif, la conduite de l’action et la structuration d’un espace public autour d’une scène.