Archives annuelles : 2014

Elections européennes, piège à abstention ?

Alors que l’échéance électorale approche, tout le monde s’interroge sur l’abstention et notamment sur les raisons de sa progression d’un scrutin après l’autre. Est-ce l’attention des médias à la campagne qui mène les électeurs à voter ou plutôt la propension générale de certains électeurs à voter qui induit un intérêt de leur part pour le travail des médias ?

Le « storytelling » des bouc-émissaires de l’abstention aux élections européennes

A première vue, les choses sont claires et les avis tranchés sur les causes de l’abstention aux élections européennes.

Pour les uns, c’est la faute aux politiques :

  • C’est bien connu, l’offre électorale – quoique pléthorique – ne répondrait pas aux attentes des électeurs qui boudent ;
  • La poussée de l’abstention, c’est la traduction de la force des populismes face à la faiblesse des partis politiques gouvernementaux qui se déplument ;
  • Surtout, l’absence de pédagogie sur l’UE ou la duplicité des discours sur « Bruxelles » justifie l’évaporation des électeurs.

Pour les autres, c’est la faute aux médias :

  • D’abord, la couverture médiatique de la campagne électorale européennes stricto-sensu est indigente, notamment la faible retransmission de l’innovation des débats entre les « grands candidats » ;
  • Ensuite, les compétences européennes plus largement dans les rédactions nationales sont squelettiques, ce qui se traduit dans l’actualité ;
  • Enfin, l’intérêt des journalistes pour les affaires européennes – serait à l’égal de celui des électeurs – réduit au service minimum.

Et ne parlons pas de tous ceux – nombreux – qui estiment que la cause de l’abstention aux élections européennes doit être trouvée dans l’Europe elle-même, lointaine et complexe. La lecture du policy paper d’Yves Bertoncini détaillant « un grand nombre d’éléments explicatifs de nature politique et institutionnelle » d’une « abstention naturelle » ne peut que leur être conseillé.

Faut-il vraiment blâmer les médias d’information ?

L’avis nuancé dans « Blaming the Messenger? Political Communications and Turnout in EU Elections » de Pippa Norris de l’Université d’Harvard est éclairant.

L’hypothèse la plus plausible correspond plutôt à un cercle vertueux entre le suivi de l’actualité médiatique et des prédispositions civiques : l’attention aux médias cristallise les choix électoraux, et inversement.

Tout comme les fans de sport lisent la presse sportive ou les investisseurs achètent la presse business, les électeurs ayant une prédisposition électorale s’intéressent à l’actualité politique. Rapporté à l’échelle européenne, les bataillons de lecteurs/auditeurs/téléspectateurs fort réduits expliquent mécaniquement la faible participation électorale.

Dans ce cadre, ce ne peut pas être un surcroit d’actualité européenne qui permettent de toucher les abstentionnistes potentiels. La diffusion d’un débat entre candidats européens sur une grande chaîne ne représenterait à coût sûr ni un succès d’audience, ni un antidote contre l’abstention.

A l’évidence, la couverture des affaires européennes dans les médias d’information ne devrait pas être blâmée à la place d’inégalités dans les compétences éducatives ou les ressources socio-économiques qui sont des facteurs d’apolitisme dans les sociétés européennes.

Mais alors, faut-il être condamné à voir passer les trains de l’abstention ? Autrement dit, comment augmenter soit l’intérêt aux médias sur l’actualité européenne, soit la propension civique à s’engager lors de scrutin européen ? Seul l’apprentissage sur le long terme permet de corriger ces tendances de fond…

Faut-il alors s’appuyer sur les partis politiques ?

Puisque l’activité des médias est limitée – en période électorale – pour lutter contre l’abstention, seuls les partis politiques peuvent motiver les électeurs, selon Hoblot et Spoon dans “Motivating the European Voter: Parties, Issues, and Campaigns in European Parliament Elections”.

Les comportements des électeurs sont différents lors des scrutins européens, parce que leurs orientations partisanes sont « contrariées » à la fois par une offre attractive des partis de niche segmentés selon des enjeux européens et par la tentation d’un vote stratégique protestataire à peu de frais.

Du coup, une campagne européenne à la fois plus polarisée sur des enjeux européens (ce que les partis politiques ne savent pas faire) et plutôt critique contre l’UE (ce que la plupart des partis ne savent que trop bien faire) offre plus de chance de motiver les électeurs à sanctionner ou sauver (c’est plus rare) la construction européenne.

Au total, l’information des médias et la communication des candidats impactent à la marge des électeurs d’autant plus abstenant qu’il s’agit d’Europe.

Médias et Europe : je t’aime, moi non plus

Les élections européennes semblent à bien des égards se transformer en campagne contre les médias dans leur traitement déficitaire de l’Europe au point que le secret des sources sur France culture s’interroge : le désintérêt médiatique pour l’Europe : choix ou incompétence ? Quelle est la relation entre l’Europe et les médias aujourd’hui ?

Journalistes et eurocrates : même combat face à la défiance du public

La défiance du public envers les journalistes est au moins aussi importante que celle envers les eurocrates. Le métier de journaliste est quasiment le pire au monde, selon les classements internationaux, à moins que ce ne soit celui de fonctionnaire européen.

La crise de la presse traditionnelle – sa perte de lecteurs et d’annonceurs – est au moins aussi béante que le déficit démocratique de l’UE. Autrement dit, a distance entre les journaux et les citoyens devient équidistante de celle entre l’UE et les citoyens.

Résultat ? Les médias tentent de sauver leur fond de commerce et l’UE aurait intérêt à regarder ce que tentent les journalistes pour restaurer la confiance…

Les pure players, nouveau modèle du journalisme européen ?

La principale disruption dans le monde des médias ces dernières années est constituée par l’apparition et le développement international des pures players de l’information : Huffington Post, Slate, Buzzfeed, The Onion, Vice, Quartz, Upworthy…

Ces sites d’information qui cartonnent en Amérique du Nord et débarquent en Europe représentent un nouveau modèle de « journalisme » qui ne repose pas seulement sur le low cost mais surtout sur l’irrévérence, le décalage et les médias sociaux pour attirer l’audience.

Evidemment, l’UE n’est pas « médiagénique » et cette tare génétique n’est pas prête de changer. Pour autant, les nouveaux acteurs de l’information en ligne sont autant de sources d’inspiration pour un journalisme européen renouvelé :

  • les journalistes tentent d’intéresser avec de nouveaux angles, sur le fond, qui s’appuient sur les nouvelles lignes de fracture dans la société entre les inclus et les exclus mais aussi sur les nouvelles cultures de la TV, du cinéma, des séries TV…
  • les journalistes innovent, sur la forme, avec des nouveaux formats de narration…

Au-delà du modèle de l’information institutionnelle sur l’UE

Trop souvent, l’association entre information européenne et grande presse d’information et d’opinion apparaît comme une évidence irréfutable. L’information européenne correspondrait à un type de médias très particulier rassemblant une couverture technique de l’actualité institutionnelle européenne et un lectorat de CSP+ multilingue, enfin plutôt bilingue anglais. Autrement dit, la presse européenne, ce serait, de facto, quelques médias anglo-saxons ou bruxellois.

Pourtant, plusieurs exemples de journalisme européen mêlant boradcasting et interactivité démontrent qu’il est tout à fait possible d’intéresser le grand public à l’Europe en s’y donnant la peine :

  • Fish Fight : une émission dans le genre de Thalassa, version UK, a lancé une pétition en ligne pour lutter contre certaines techniques de pêche destructrice des fonds marins en complément d’un reportage ;
  • Battle Front : une série de TV réalité consacrée au chômage des jeunes s’appuyant sur le suivi de quelques jeunes encadrés, notamment par des « coachs » recourant aux programmes d’aides européennes ;
  • Voting Aid : un programme à la TV finlandaise de sondages via les médias sociaux en temps réel et accompagné de fact checking permettant aux électeurs de se positionner lors d’un scrutin législatif…

Au total, les médias comme l’UE sont chacun en rupture avec leur public et à défaut d’une prise de conscience sur les tentatives des uns et des autres pour restaurer la confiance, la crise de la presse comme le déficit démocratique de l’UE ne sont pas prêts de se résorber.

Politique et numérique : quelles sont les innovations de la campagne des élections européennes ?

Au-delà des discours alarmistes autour des élections européennes sur une vraisemblable abstention record ou une progression irrésistible des extrêmes, « la disruption numérique monte à l’assaut de la politique » selon Benoît Thieulin. Quelles sont les innovations numériques qui transforment la politique européenne ?

Le pouvoir d’émancipation et de synchronisation des citoyens européens : les débats entre candidats en ligne

Le numérique constitue d’abord une technologie d’émancipation de toutes les opinions libres de pouvoir s’exprimer en ligne :

  • pour le meilleur, cette émancipation offre à travers l’usage des médias sociaux une caisse de résonnance à de nombreuses sensibilités politiques bien au-delà de leurs cercles militants restreints ;
  • pour le pire, les « haters » et les « trolls », les forces obscures de la politique que représentent les extrêmes sont également outillés pour participer au débat public.

Le fait le plus innovant, c’est la capacité des citoyens européens à synchroniser leurs agendas ou leurs actions/réactions en quasi temps réel et en l’absence de médias traditionnels de masse.

Ce pouvoir, les citoyens européens s’en saisissent notamment à l’occasion des débats entre les candidats à la présidence de la Commission européenne, qui faute d’être diffusés dans des médias de masse sont retransmis et suivis en ligne et en live-tweets.

La réorganisation des institutions : les primaires des partis politiques européens en ligne

A défaut de transformer l’UE, le numérique – dès à présent – bouleverse la communication politique des partis européens et des candidats.

Du côté des candidats, le numérique et les médias sociaux en particulier redéfinissent la relation entre les élus et les citoyens en introduisant des interactions sans filtre et des revendications individuelles/catégorielles.

Du côté des partis politiques européens, l’innovation est plus manifeste car la pression permise par le numérique a conduit la plupart à orchestrer – sous l’œil des citoyens connectés – la sélection des « têtes de liste », voire à organiser la participation des citoyens au processus avec des primaires ouvertes en ligne chez les Verts européens.

La construction d’un espace public européen et d’un intérêt général : les simulateurs de vote et de sièges

Dernière innovation numérique disruptive pour la politique européenne, la construction d’un espace public européen et d’un intérêt général autour de la transparence des données et de l’exploitation d’outils de démocratie participative.

Les simulateurs de vote sont parmi les innovations les plus utiles et importantes pour permettre aux citoyens de se positionner sur l’échiquier politique européen :

  • Myvote2014  
  • EUProfiler 
  • VoteMatch 

D’autres plateformes innovantes en matière de politique européenne telle que le crowd-checking avec FactCheckEU ou la projection de la répartition des sièges avec Electio2014 sont autant de scènes d’un espace public européen en construction.

Au total, l’importance des innovations numériques dans la transformation de la politique européenne doit être appréciée à sa juste place, considérable – d’autant plus que la révolution numérique porte également sur les valeurs : accès, interactivité, participation.

Elections européennes : comment communiquent les « grands » candidats des partis politiques européens ?

La campagne des européennes bat son plein, notamment à l’échelle européenne des « grands » candidats des partis politiques européens pour le poste de président de la Commission européenne. Comment communiquent les « grands » candidats des partis politiques européens ?

Des stratégies de communication différenciées entre personnalisation partisane et/ou positionnement programmatique

De manière synthétique, plusieurs stratégies de communication se distinguent selon la place accordée à la personnalité des candidats et/ou à l’importance des idées partisanes :

  • les candidats de gauche et d’extrême-gauche semblent privilégier la personnalisation avec martin-schulz.eu et alexistsipras.eu
  • les candidats des Verts et des Libéraux sont davantage en retrait au profit des positions partisanes avec ivoteliberal.eu et greens2014.eu
  • le candidat de droite adopte une position médiane avec juncker.epp.eu

Plus en détails, plusieurs éléments sont à noter :

  • le site des Verts se distingue de tous les autres par sa créativité et sa densité en information – un bel effort de présentation des enjeux et des dossiers de fond ;
  • le site de Martin Schulz correspond à une « profession de foi électorale », très concentré sur la personnalité du candidat : grandes photos, typos manuscrites, utilisation des pronoms personnels (ma vision, motivation) ;
  • le site de Jean-Claude Juncker se veut un site informatif sur la campagne : les priorités, le manifeste, l’agenda, les discours, les déplacements, les réseaux sociaux, les communiqués de presse…
  • le site des Libéraux est davantage « communautaire », destiné aux militants et électeurs : « get involved », « create your profile », « find your candidate », « follow », « vote liberal ».

Par ailleurs, le choix des slogans des partis politiques européens et de leurs « grands » candidats illustrent la difficulté de résumer toute une campagne :

  • la gauche, l’extrême-gauche et les Verts sont sur le même créneau du changement : « nouvelle Europe » ou « Changer l’Europe » – d’ailleurs utilisé à la fois par les Verts et l’extrême-gauche
  • les Libéraux sont minimalistes mais explicites : « Voter Libéral »
  • la droite décline un slogan ternaire reprenant les priorités du candidat : « Expérience. Solidarité. Futur. »

Des communautés plus ou moins développées dans les médias sociaux

Logiquement, la compétition s’établit entre les deux grands partis européens de la droite et de la gauche :

  • le parti de droite, le PPE, – le 1er groupe au Parlement européen en nombre d’eurodéputés – détient les premières communautés sur Facebook (200 K fans) et Twitter (46,5 K followers) ;
  • le candidat de gauche, Martin Schulz, rassemble les plus larges communautés sous son nom sur Facebook (76,5 K fans) et Twitter (102 K followers) – quoique ces deux comptes aient été acquis en tant que président du Parlement européen…
  • le candidat d’extrême-gauche, Aléxis Tsípras, se distingue par sa vaste communauté sur Facebook (61 K fans).

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Au total, les sites des candidats et des partis politiques européens pour les élections européennes de 2014 sont globalement très différents et sans doute révélateurs de diverses intentions de communication politique entre accents sur les candidats ou les programmes.

Médias sociaux et élections européennes : la grande désillusion ?

Alors que tout le monde s’attendait à ce que le cru 2014 des élections européennes soit millésimé « médias sociaux », c’est plutôt la grande désillusion qui s’installe alors que la campagne commence à peine. Pourquoi ?

La prime aux extrêmes

Après les campagnes victorieuses d’Obama en 2008 (Change) et 2012 (Foward), qui semblaient consacrer l’importance du digital et des médias sociaux dans la mobilisation des électeurs en ligne et leur participation dans les urnes, la campagne européenne de 2014 n’avait qu’à s’en inspirer pour vaincre l’abstention avec un story-telling autour de l’idée quelque peu démagogique du Parlement européenne que « cette fois, c’est différent ».

Le rêve est en train de se transformer en cauchemar. C’est de la bouche même des conseillers du candidat Barack Obama en 2008, venus à Bruxelles, que la douche froide est annoncée, selon Euractiv dans « Les populistes passent maître dans l’art des médias sociaux » :

« L’inconvénient, surtout en Europe, c’est que les médias sociaux tendent à sanctionner le compromis et la modération (…) Ils récompensent les extrémismes »

Alec Ross, chargé de la campagne en ligne du candidat Barack Obama en 2008

Déjà très remontés dans les sondages après plusieurs années de crise, les populistes tireraient donc leur épingle du jeu dans les médias sociaux.

La prudence académique

Dans une étude maison du Parlement européen, « Social media in election campaigning », Ron Davies se montre prudent sur l’impact attendu pour les élections européennes de 2014 :

Alors que les médias sociaux sont de plus en plus utilisés dans les campagnes à travers l’Europe, l’effet ultime de leur utilisation reste incertaine. Certains attribuent l’augmentation des niveaux d’activité politique sur Internet aux citoyens qui sont déjà engagés politiquement. Il se peut que les médias sociaux ont un effet très limité sur l’activation de citoyens par ailleurs démotivés à participer – même juste pour aller voter. Il faudra du temps, et plus que les prochaines élections du Parlement européen, pour évaluer le véritable rôle que les médias sociaux viendront à jouer.

Une prudence confirmée par Kosmopolito dans « The inconvenient truth about social media and #ep2014 » qui, quoique parfois sans nuance, liste les principales raisons de l’impact vraisemblablement réduit des médias sociaux sur la participation civique aux élections.

Y a-t-il alors quelque chose de nouveau ?

A vrai dire, le fantasme consistant à se bercer de l’illusion que les médias sociaux permettraient comme par enchantement d’intéresser des citoyens désabusés par la politique et de les mobiliser au point de les faire se déplacer le jour du scrutin est démiurgique.

Encore une fois, revenons aux enseignements des campagnes d’Obama qui semblent – et c’est bien là la nouveauté en Europe – porter leurs fruits cette année :

  • Obama 2008 : Internet révolutionne la mobilisation et l’organisation « on » et « off line » de la campagne en donnant de nouveaux pouvoirs aux militants ;
  • Obama 2012 : Internet révolutionne l’intelligence politique de la campagne en combinant le recueil et l’analyse de données en temps réel et l’activité militante.

Autrement dit, il ne faut pas porter le regard sur les citoyens, mais sur les militants et sur les machines électorales. Ainsi, pour les partis politiques européens, Internet et les médias sociaux sont utilisés – à une échelle encore réduite – pour réorganiser l’activité politique :

  • scénariser pour les médias traditionnels la campagne (bus pour le PPE ou yourte itinérante pour les Verts européens…) ;
  • micro-cibler des publics tels que les journalistes ou les « influenceurs » en ligne ;
  • personnaliser et humaniser les contacts avec les leaders ;
  • diffuser auprès des premiers cercles les messages clés…

Au total, l’impact des médias sociaux sur les élections européennes est le plus important pour les professionnels de la politique qui doivent s’adapter ou disparaître tandis que pour les citoyens, le statut est « complicated ».