Alors que l’échéance électorale approche, tout le monde s’interroge sur l’abstention et notamment sur les raisons de sa progression d’un scrutin après l’autre. Est-ce l’attention des médias à la campagne qui mène les électeurs à voter ou plutôt la propension générale de certains électeurs à voter qui induit un intérêt de leur part pour le travail des médias ?
Le « storytelling » des bouc-émissaires de l’abstention aux élections européennes
A première vue, les choses sont claires et les avis tranchés sur les causes de l’abstention aux élections européennes.
Pour les uns, c’est la faute aux politiques :
- C’est bien connu, l’offre électorale – quoique pléthorique – ne répondrait pas aux attentes des électeurs qui boudent ;
- La poussée de l’abstention, c’est la traduction de la force des populismes face à la faiblesse des partis politiques gouvernementaux qui se déplument ;
- Surtout, l’absence de pédagogie sur l’UE ou la duplicité des discours sur « Bruxelles » justifie l’évaporation des électeurs.
Pour les autres, c’est la faute aux médias :
- D’abord, la couverture médiatique de la campagne électorale européennes stricto-sensu est indigente, notamment la faible retransmission de l’innovation des débats entre les « grands candidats » ;
- Ensuite, les compétences européennes plus largement dans les rédactions nationales sont squelettiques, ce qui se traduit dans l’actualité ;
- Enfin, l’intérêt des journalistes pour les affaires européennes – serait à l’égal de celui des électeurs – réduit au service minimum.
Et ne parlons pas de tous ceux – nombreux – qui estiment que la cause de l’abstention aux élections européennes doit être trouvée dans l’Europe elle-même, lointaine et complexe. La lecture du policy paper d’Yves Bertoncini détaillant « un grand nombre d’éléments explicatifs de nature politique et institutionnelle » d’une « abstention naturelle » ne peut que leur être conseillé.
Faut-il vraiment blâmer les médias d’information ?
L’avis nuancé dans « Blaming the Messenger? Political Communications and Turnout in EU Elections » de Pippa Norris de l’Université d’Harvard est éclairant.
L’hypothèse la plus plausible correspond plutôt à un cercle vertueux entre le suivi de l’actualité médiatique et des prédispositions civiques : l’attention aux médias cristallise les choix électoraux, et inversement.
Tout comme les fans de sport lisent la presse sportive ou les investisseurs achètent la presse business, les électeurs ayant une prédisposition électorale s’intéressent à l’actualité politique. Rapporté à l’échelle européenne, les bataillons de lecteurs/auditeurs/téléspectateurs fort réduits expliquent mécaniquement la faible participation électorale.
Dans ce cadre, ce ne peut pas être un surcroit d’actualité européenne qui permettent de toucher les abstentionnistes potentiels. La diffusion d’un débat entre candidats européens sur une grande chaîne ne représenterait à coût sûr ni un succès d’audience, ni un antidote contre l’abstention.
A l’évidence, la couverture des affaires européennes dans les médias d’information ne devrait pas être blâmée à la place d’inégalités dans les compétences éducatives ou les ressources socio-économiques qui sont des facteurs d’apolitisme dans les sociétés européennes.
Mais alors, faut-il être condamné à voir passer les trains de l’abstention ? Autrement dit, comment augmenter soit l’intérêt aux médias sur l’actualité européenne, soit la propension civique à s’engager lors de scrutin européen ? Seul l’apprentissage sur le long terme permet de corriger ces tendances de fond…
Faut-il alors s’appuyer sur les partis politiques ?
Puisque l’activité des médias est limitée – en période électorale – pour lutter contre l’abstention, seuls les partis politiques peuvent motiver les électeurs, selon Hoblot et Spoon dans “Motivating the European Voter: Parties, Issues, and Campaigns in European Parliament Elections”.
Les comportements des électeurs sont différents lors des scrutins européens, parce que leurs orientations partisanes sont « contrariées » à la fois par une offre attractive des partis de niche segmentés selon des enjeux européens et par la tentation d’un vote stratégique protestataire à peu de frais.
Du coup, une campagne européenne à la fois plus polarisée sur des enjeux européens (ce que les partis politiques ne savent pas faire) et plutôt critique contre l’UE (ce que la plupart des partis ne savent que trop bien faire) offre plus de chance de motiver les électeurs à sanctionner ou sauver (c’est plus rare) la construction européenne.
Au total, l’information des médias et la communication des candidats impactent à la marge des électeurs d’autant plus abstenant qu’il s’agit d’Europe.
On peut aussi considérer que ne jamais parler des candidats aux Européennes est quand même un facteur… je serais du reste curieux du temps d’antenne dans les 10 prochains jours sur le Festival de Cannes et sur les Européennes.
Je pense qu’il ne faut pas blâmer les médias, ni s’appuyer sur les partis politiques. Il faut juste les écouter et juger par soi-même la crédibilité de ce qu’ils disent. Les médias racontent n’importe quoi parfois et les partis promettent beaucoup de choses qui ne se réaliseront peut-être jamais. Il faut juste suivre son instinct.